III. LA CRISE DE 2014-2015 : DES CONSÉQUENCES SUR L'ÉQUILIBRE DES RELATIONS ENTRE L'ÉTAT ET LES SOCIÉTÉS CONCESSIONNAIRES

Après la privatisation, dans le cadre de la réponse à la crise économique générée par la crise financière de 2007-2008, un premier plan d'investissement autoroutier a été négocié en 2008-2009 entre l'État, d'une part, et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) nouvellement privatisées et Cofiroute, d'autre part. Les négociations, difficiles, ont été interrompues pendant plusieurs mois avant d'être finalement conclues fin 2009 65 ( * ) .

Ce « Paquet vert autoroutier » prévoyait 1 milliard d'euros de travaux destinés à améliorer, sur trois ans (2009-2011), l'impact environnemental des autoroutes les plus anciennes. Il a une nouvelle fois été un allongement de la durée des concessions pour son financement, avec l'aval du Parlement 66 ( * ) et de la Commission européenne 67 ( * ) , permettant aux cinq SCA signataires de bénéficier d'un nouvel allongement d'un an de la durée des concessions 68 ( * ) .

Dès 2012, de nouvelles négociations sur un plan de relance autoroutier (PRA) plus ambitieux sont initiées par le Gouvernement, dans le cadre du plan de relance de l'économie. Alors que le trafic autoroutier, en particulier celui des véhicules poids-lourds, avait été fortement touché par la crise économique et que les concessionnaires autoroutiers souhaitaient bénéficier d'une aide sectorielle, l'objectif de ce plan était essentiellement de contribuer à la relance du secteur des travaux publics .

Les négociations entre l'État et les SCA historiques se sont déroulées en 2013 et 2014 dans un climat tendu, avant d'être finalisées en 2015.

A. DES NÉGOCIATIONS DANS UN CLIMAT DE FORTES TENSIONS

En septembre 2012, l'État demande aux SCA d'identifier les opérations susceptibles d'être réalisées dans le cadre du PRA et présentant un caractère de nécessité, notamment du fait d'un accroissement du trafic, d'un besoin de sécurisation des échanges ou d'une mise aux normes environnementales.

Début 2014 , l'État a revu les opérations proposées pour ne retenir que celles dont il estime qu'elles répondent à une exigence de stricte nécessité. Le montant total du plan en ressort fortement abaissé par rapport aux propositions initiales des SCA qui s'élevaient à 17 milliards d'euros. Il s'établit en effet à 3,6 milliards d'euros.

En contrepartie du financement de ces travaux par les SCA, il est prévu que la durée des concessions soit une nouvelle fois allongée , sous réserve de l'aval de la Commission européenne.

Les négociations entre l'État et les SCA sont fortement impactées par des décisions unilatérales de l'État et les débats suscités par la publication en 2013 et 2014 de rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence .

Un protocole d'accord est finalement conclu en avril 2015, qui rééquilibre partiellement les relations entre l'État et les SCA. Les décrets approuvant les avenants aux sept contrats de concession concernés sont signés et publiés le 23 août 2015 69 ( * ) après que la loi « Macron » a confié à l'Arafer des missions de régulation du secteur autoroutier .

Chronologie des débats autour des concessions autoroutières
entre 2014 et 2015

Source : Commission d'enquête

1. Des décisions et annonces unilatérales de l'État mal accueillies par les SCA
a) L'augmentation de la redevance domaniale

Un décret du 28 mai 2013 70 ( * ) augmente de 51,5 % la redevance domaniale due par les sociétés d'autoroute, qui passe ainsi de 198 millions d'euros en 2012 à 300 millions d'euros en 2013.

L'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) publie alors un communiqué indiquant que cette décision unilatérale est contraire aux principes contractuels de la concession ainsi qu'aux engagements pris par l'État lors de la privatisation.

Un recours en annulation du décret est déposé en juin 2013 par les sociétés Escota et Arcour. Il est rejeté en décembre par le Conseil d'État 71 ( * ) , qui rappelle que les sociétés concessionnaires d'autoroutes occupent, pour l'exercice de la concession, le domaine public routier national dont font partie les autoroutes et qu'elles en retirent des avantages.

Relevant que pour fixer la formule de calcul de la redevance d'occupation due à ce titre, le Premier ministre a pris en compte l'augmentation du chiffre d'affaires des SCA, le Conseil d'État observe en outre que, depuis l'institution de la redevance en 1997, ce chiffre d'affaires a connu une croissance plus rapide que celle de la redevance .

Il précise également que la volonté d'assurer une meilleure exploitation du domaine public fait partie des motifs qui peuvent justifier une modification de la méthode de calcul et une augmentation du montant de la redevance.

b) L'annonce d'un prélèvement sur les profits autoroutiers pour compenser la suspension de l'écotaxe

Votée dans son principe en 2009, la redevance poids lourds dite « écotaxe » aurait dû être perçue à compter du 1 er janvier 2014. Mais, en raison des manifestations des « bonnets rouges » liées à la crise du secteur agroalimentaire breton, le Premier ministre Jean-Marc Ayraud annonce la suspension de sa mise en oeuvre le 29 octobre 2013, avant que la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Ségolène Royal, en annonce le report sine die le 9 octobre 2014.

Dans le même temps, la ministre déclare vouloir « mettre les sociétés d'autoroutes à contribution » 72 ( * ) et annonce que le manque à gagner de l'écotaxe sera compensé par un prélèvement sur les profits autoroutiers.

Finalement, l'absence de perception de l'« écotaxe » n'a pas été compensée par un tel prélèvement et s'est traduite par une perte de revenus pour l'État évaluée à 550 millions d'euros par an. L'annonce d'un prélèvement a toutefois indéniablement contribué à tendre les relations entre l'État et les SCA.

2. Des rapports critiques de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence

Entre 2013 et 2014, deux rapports portant sur l'économie et la régulation des concessions autoroutières sont publiés, l'un par la Cour des comptes, l'autre par l'Autorité de la concurrence.

Le premier rapport est une communication de la Cour des comptes de novembre 2013 73 ( * ) , en réponse à une saisine de la commission des finances de l'Assemblée nationale. La Cour y constate que l'allongement de la durée des concessions par le « Pacte vert » a été assez faiblement valorisé et constitue de ce fait « une bonne opération » pour les SCA . La Cour y appelle plus particulièrement à revoir le cadre juridique et financier des contrats de concession ainsi que les modalités de négociation des contrats de plan.

L'avis de l'Autorité de la concurrence du 17 septembre 2014 74 ( * ) répond également à une demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Il analyse la rentabilité , qualifiée « d'exceptionnelle » , des sociétés concessionnaires d'autoroutes et recommande des évolutions dans la définition des règles tarifaires et dans le contrôle exercé par le concédant, afin de rééquilibrer la relation qui le lie aux SCA.

Cet avis, qui répondait aux questions posées par la commission des finances, a été fortement critiqué quant à la méthode utilisée pour estimer la rentabilité des sociétés autoroutières, aussi bien par les sociétés concessionnaires que par des acteurs institutionnels 75 ( * ) .

Ces deux rapports ont suscité un débat public, politique et médiatique . En introduction au rapport d'activité annuel de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) pour 2014, Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports , indique ainsi que « la publication du rapport de l'Autorité de la concurrence a marqué le début d'une crise sans précédent du secteur autoroutier concédé ».

Bruno Angles, représentant des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans le cadre de la négociation du protocole d'accord, a quant à lui qualifié cette période « d' exubérance irrationnelle collective » devant l'Assemblée nationale en 2014, qualificatif qu'il a repris devant la commission d'enquête 76 ( * ) .

Comme le montre le graphique ci-après, le pic atteint dans les recherches en ligne par les mots-clés « autoroutes », « Autorité de la concurrence » et « privatisation des autoroutes » en septembre et octobre 2014 correspond à la publication du rapport de l'Autorité de la concurrence et aux échanges qui s'en sont suivis entre le gouvernement et les parlementaires devant l'Assemblée nationale et le Sénat.

Un second sommet en décembre correspond à l'annonce du gel des tarifs 77 ( * ) . Sur la période, les recherches du mot-clé « privatisation des autoroutes » ont été multipliées par 10, démontrant l'intensité du débat public sur le sujet.

Évolution de l'intérêt par mot-clé sur le moteur de recherche Google
entre août et décembre 2014

En bleu : évolution du mot-clé « autoroutes » ; en jaune : évolution des mots-clés « Autorité de la concurrence » ; en rouge : évolution des mots-clés « privatisation des autoroutes »

Le graphique reflète la proportion de recherches portant sur un mot-clé donné en France pour une période spécifique, par rapport à la région où le taux d'utilisation de ce mot clé est le plus élevé (valeur de 100). Une valeur de 0 signifie que les données pour ce mot-clé sont insuffisantes.

Source : données de recherche Google

3. Des travaux parlementaires appellent à un rééquilibrage des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires

À la suite des rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence dénonçant la « rente » injustifiée des SCA , l'Assemblée nationale et le Sénat se sont simultanément penchés sur les concessions autoroutières.

a) Un groupe de travail au Sénat

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a entendu, le 22 octobre 2014, le président de l'Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre. À l'issue de cette audition, elle a décidé la création d'un groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes, coprésidé par Louis-Jean de Nicolaÿ et Jean-Jacques Filleul, pour approfondir l'économie des concessions autoroutières ainsi que les conditions d'engagement du PRA.

Le groupe de travail relève dans ses conclusions 78 ( * ) que, si l'interprétation donnée par l'Autorité de la concurrence des chiffres qu'elle utilise dans son avis est contestable, les chiffres eux-mêmes ne le sont pas . En d'autres termes, ce n'est pas parce que le TRI est l'indicateur le plus adapté pour analyser la rentabilité des sociétés autoroutières à la fin des concessions, que la marge nette des SCA « historiques » ne se situait pas entre 20 à 25 % en 2013.

Le groupe de travail préconise , en premier lieu, un renforcement de la transparence et de la régulation du secteur , en reprenant à son compte la majeure partie des recommandations de l'Autorité de la concurrence, en particulier le besoin de mettre en place une régulation indépendante.

Il recommande également de « changer de modèle » pour les plans de relance autoroutiers, soit en mettant fin à cette pratique, soit en les négociant mieux.

b) Une mission d'information à l'Assemblée nationale

Une mission d'information sur la place des autoroutes dans les infrastructures de transport, présidée par Bertrand Pancher, est également mise en place à l'Assemblée nationale à la même période. Son rapporteur, Jean-Paul Chanteguet , président de la commission du développement durable, s'appuie également sur le rapport de l'Autorité de la concurrence.

Le rapport de la mission d'information souligne en particulier l'« impasse de financement » dans laquelle se trouve l'État en matière d'infrastructures de transport.

Il constate par ailleurs que les contrats de concession sont « fortement déséquilibrés aux dépens de l'État et des usagers », avant de préconiser la résiliation des contrats de concession pour motif d'intérêt général afin de « sortir d'un système implacable » et de « s'extraire d'une logique trop éloignée de l'intérêt général » 79 ( * ) .

Cette proposition est également soutenue par 151 députés socialistes.

c) Un groupe de travail interparlementaire

Le 26 janvier 2015, un groupe de travail interparlementaire est mis en place à la demande du Premier ministre Manuel Valls, rassemblant huit députés et sept sénateurs ainsi que des représentants de l'État. La coordination des travaux est assurée par Anne Bolliet, inspectrice générale des finances, en charge des questions autoroutières entre 1997 et 2002 au cabinet du ministre de l'économie.

Jean-Paul Chanteguet , président du groupe de travail interparlementaire en tant que président de la commission du développement durable de l'Assemblée, quitte toutefois celui-ci en mars 2015 , peu de temps avant la dernière session de travail. Dans une lettre envoyée au Premier ministre le 26 février, il déclare refuser « d'avaliser plus avant cette mise en scène » , dont il estime « les travaux, consciencieusement organisés et orientés » dans l' « objectif de montrer, que de rente il n'y avait pas et que l'idée de la résiliation était irréaliste, pour ne pas dire irresponsable ».

Ce groupe de travail s'inscrivait dans l'objectif du Premier ministre de rééquilibrage des concessions autoroutières. Ses membres ont travaillé parallèlement aux discussions entre l'État et les SCA sur le projet de plan de relance autoroutier. Il a rendu son rapport en mars 2015 .

Selon Mme Bolliet, qui a été entendue par le rapporteur, la lettre accompagnant la remise du rapport au Premier ministre a alimenté de nouvelles discussions entre l'État et les SCA sur une contribution supplémentaire et la mise en place de mécanismes de partage du fruit des concessions .

Ces différents travaux parlementaires, qui ont dénoncé le déséquilibre des relations entre l'État et les sociétés d'autoroutes, ont nourri les évolutions législatives et réglementaires ultérieures qui ont procédé à un renforcement de la régulation du secteur.

4. La décision unilatérale de gel des tarifs perturbe les négociations

En réaction au rapport de l'Autorité de la concurrence et parallèlement à des négociations visant à apaiser les tensions générées par la hausse de la redevance domaniale et à finaliser le plan de relance autoroutier, Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, annonce dans la presse, le 16 décembre 2014, le gel des tarifs des péages, autrement dit l'annulation des hausses annuelles prévues au 1 er février par les contrats de concession.

Cette décision a été prise par la ministre seule, sans consultation préalable des SCA, afin, selon ses déclarations devant la commission d'enquête, de les forcer à reprendre les négociations 80 ( * ) . Le Premier ministre Manuel Valls l'a confirmée le 27 janvier 2015, en précisant que le gel s'appliquerait dès le 1 er février 2015 pour les sept SCA historiques.

Les sociétés concessionnaires ont immédiatement réagi en dénonçant un non-respect des règles tarifaires contractuelles . L'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) a alors déclaré dans un communiqué que si l'État souhaitait « modifier l'un ou l'autre des paramètres fondamentaux des contrats de concession, ceci ne [pouvait] résulter que d'une négociation avec les sociétés concessionnaires dans le respect de l'équilibre économique de ces contrats ».

Dans un second communiqué publié en janvier, l'ASFA indique que, si elle privilégie « la voie de la négociation », elle se réserve le droit d'ouvrir immédiatement une procédure contentieuse pour excès de pouvoir .

La décision de la ministre allait incontestablement à l'encontre du cadre contractuel qui définit l'équilibre général de la concession, sans compter que le refus du concédant de respecter ses engagements était susceptible de nuire à la crédibilité de la France auprès des investisseurs .

Le calendrier était en outre peu approprié, dans la mesure où l'annonce du gel des tarifs parasitait les discussions qui se tenaient en parallèle . Selon les mots de la ministre de la transition écologique, Élisabeth Borne, en matière de non-respect des contrats, « céder à l'impulsion n'est pas dans l'intérêt des usagers » 81 ( * ) . La ministre, qui dirigeait alors le cabinet de Mme Royal, a par ailleurs souligné que cette décision unilatérale avait rendu plus complexes les négociations sur le plan de relance autoroutier en cours depuis 2012 et donné un levier de négociation supplémentaire aux SCA.

5. L'aval de la Commission européenne valide les hypothèses initiales

Après des contacts de pré-notification, le PRA est notifié par les autorités françaises à la Commission européenne, le 16 mai 2014, dans le cadre du contrôle des aides d'État en raison de l'allongement de la durée des concessions qu'il prévoit.

Dans une décision du 28 octobre 2014, la Commission valide le plan de relance autoroutier dans son ensemble et le déclare compatible avec le respect des règles de concurrence figurant aux articles 106 et 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Après avoir constaté une nouvelle fois que les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont investies en France d'une mission d'intérêt économique général, la Commission estime que le PRA respecte un strict équilibre entre les charges nouvelles imposées aux SCA et la durée de l'allongement des concessions destinée à les compenser .

De plus, la Commission estime que les taux de rentabilité interne (TRI) définis dans le plan correspondaient à un bénéfice raisonnable, tenant compte du mécanisme de la compensation et du niveau de risque.

L'aval ainsi donné par la Commission européenne s'est avéré déterminant dans la poursuite de la négociation entre l'État et les sociétés concessionnaires. En effet, les hypothèses initiales ayant été validées, les discussions ne pouvaient que difficilement s'en éloigner.

6. Un protocole d'accord met fin aux contentieux

L'État et les sociétés concessionnaires reprennent les négociations à partir du 3 décembre 2014, sur de nouvelles bases .

Un protocole d'accord est finalement conclu le 9 avril 2015 , dont les principes sont destinés à être intégrés dans les contrats de concession par voie d'avenants.

a) Des négociations menées par les directeurs de cabinet des deux ministres compétents

Les négociations ont été menées pour le compte du concédant par Alexis Kohler , directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, et Élisabeth Borne , directrice de cabinet de Ségolène Royal.

Le négociateur unique désigné par les sociétés autoroutières était Bruno Angles , président pour la France de Macquarie, la société co-actionnaire avec Eiffage d'APRR et AREA. Le protocole a été signé par l'ensemble des SCA historiques (APRR, AREA, ASF, Cofiroute, Escota, Sanef et SAPN) ainsi que par Ségolène Royal et Emmanuel Macron.

Élisabeth Borne a indiqué à la commission d'enquête que les discussions avaient pour objet de régler les points de conflit, en particulier celui de l'augmentation de la redevance domanial « débouchant potentiellement sur un contentieux avec les sociétés concessionnaires » ainsi que la question de la rentabilité des concessions soulevée par l'avis de l'Autorité de la concurrence, alors que « la volonté du Président de la République [était] de boucler le plan de relance dont les discussions avaient été engagées largement antérieurement. » 82 ( * )

De son côté, Alexis Kohler a précisé à la commission d'enquête que « l'État était également demandeur d'un certain nombre d'avancées , ce qui était affirmé publiquement par les plus hautes autorités. Je pense en particulier au souhait du Président de la République et du gouvernement d'alors de pouvoir conclure un plan de relance autoroutier, notamment en engageant les 3,2 milliards de travaux, qui, par la suite, ont été lancés, puis le plan d'investissement autoroutier. Il y avait donc une forme d'injonction à conclure un accord avec les SCA de façon à remettre à plat autant les questions contentieuses que les questions économiques et d'investissement . » 83 ( * )

Mme Royal a déclaré devant la commission d'enquête n'avoir pas suivi les négociations de ce protocole, étant très occupée par la préparation de la conférence de Paris sur le climat et l'élaboration de la loi relative à la transition énergétique. Elle a indiqué : « Dès lors que Matignon avait délégué la négociation aux deux directeurs de cabinet, je n'avais pas de raisons de ne pas faire confiance à ceux qui étaient chargés de cette négociation » 84 ( * ) . Mme Royal a en outre rappelé qu'il y avait un secrétaire d'État chargé des transports, Alain Vidalies, auquel elle « déléguait beaucoup ». « Dans mon esprit, c'était plutôt à lui de suivre le sujet des autoroutes ». « Je n'ai appris qu'après qu'il n'avait pas été mis dans la boucle ». On rappellera que, contrairement à Ségolène Royal, Alain Vidalies a refusé de signer le protocole.

La ministre a par ailleurs indiqué qu'elle avait découvert le contenu du protocole plusieurs années plus tard, « par la presse » : « Je ne m'y suis intéressée que quand sa publication a été ordonnée par le Conseil d'État ».

On ne peut qu'être surpris par cette déclaration dans la mesure où le protocole d'accord engageait l'État à hauteur de 3,2 milliards d'euros.

b) Un rééquilibrage facial des relations entre l'État et les concessionnaires

Les objectifs affichés de ce protocole d'accord étaient multiples : le développement de l'investissement dans les infrastructures, l'encadrement de la rentabilité des SCA par l'introduction dans les contrats d'un mécanisme de plafonnement de la rentabilité des concessions , le rattrapage du gel des tarifs des péages autoroutiers de 2015, ainsi que le renforcement de la politique commerciale des SCA en matière de développement durable.

Les sociétés concessionnaires se sont également engagées à verser une contribution volontaire d'un milliard d'euros à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour le financement des infrastructures, dont 500 millions d'euros au cours des trois premières années.

En compensation de « l'effort très significatif que représente l'ensemble des termes du protocole » , comme l'indique l'accord lui-même, une nouvelle rédaction de l'article 32 a été introduite dans les contrats de concession, destinée à garantir aux SCA une stabilité totale des prélèvements obligatoires spécifiques qui pèsent sur elles. La nouvelle formulation, qui s'inspire de celle figurant dans le contrat de concession de Cofiroute, fait évoluer significativement les règles encadrant les effets des modifications de la taxation spécifique des SCA dans un sens avantageux pour celles-ci.

Le protocole met en outre fin aux contentieux soulevés par la hausse de la redevance domaniale et le gel des tarifs 85 ( * ) , dont les compensations sont étalées sur les huit années suivant la signature de l'accord, soit jusqu'en 2023 . L'échéancier de compensation de l'augmentation de la redevance domaniale défini en 2014 est modulé et s'ajoute à une hausse tarifaire destinée à compenser intégralement, et à l'euro près, sur les années 2019 à 2023 , la perte de recettes découlant du gel tarifaire .

En contrepartie, les concessionnaires ont accepté l'introduction dans les contrats de clauses qui rééquilibrent facialement leurs relations avec l'État en instituant des mécanismes de plafonnement de la rentabilité des concessions 86 ( * ) .

L' activation de ces mécanismes dès lors que la valeur de l'agrégat de référence 87 ( * ) excède 30%, est toutefois peu probable du fait des seuils de rentabilité très élevés définis dans le protocole 88 ( * ) , ce qui n'empêche pas Bruno Angles de considérer que « si le protocole qui a été proposé aux différentes parties signataires n'avait pas été équilibré, par définition il n'aurait pas été signé » 89 ( * ) .

L'accord conclut également les négociations sur le plan de relance autoroutier entamées en 2012. Les 3,27 milliards d'euros de travaux prévus afin d'améliorer le réseau autoroutier sont, une nouvelle fois, compensés par un allongement de la durée des concessions compris entre 2 et 4 ans 90 ( * ) .

Enfin, les sociétés d'autoroutes s'engagent à mettre en oeuvre des mesures destinées à encourager les mobilités durables , en développant le covoiturage et les véhicules électriques.

Curieusement, ce protocole n'a pas été publié et il a fallu toute l'opiniâtreté d'un élu grenoblois, Raymond Avrillier, avec lequel votre rapporteur s'est entretenu, pour que le public puisse finalement en prendre connaissance en 2019 91 ( * ) .


* 65 Les avenants aux contrats de concession et les cahiers ont été approuvés par un décret n°2010-328 du 22 mars 2010

* 66 Art. 25 de la loi n° 2009-179 du 17 janvier 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissements publics et privés.

* 67 Dans sa décision n° 262/2009 du 17 août 2009, la Commission européenne a estimé que « les coûts de la réalisation, entre 2009 et 2011, des travaux supplémentaires ont été déterminés sur la base de critères objectifs et transparents, en tenant compte des coûts d'opérations équivalentes réalisées récemment » avant de conclure que « les concessionnaires n'en tirent pas un bénéfice déraisonnable ».

* 68 Voir Deuxième partie.

* 69 Décrets n° 2015-1044, 2015-1045 et 2015-1046 du 21 août 2015.

* 70 Décret n° 2013-436 du 28 mai 2013 modifiant la redevance due par les sociétés concessionnaires d'autoroutes pour occupation du domaine public.

* 71 Arrêt CE n° 369304 du 16 décembre 2013.

* 72 Le Monde, Écotaxe : comment le gouvernement veut ponctionner les sociétés d'autoroutes , 10 octobre 2014.

* 73 Communication en application de l'art. 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances , Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes . Voir également infra .

* 74 Avis n° 14-A-13 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires . Voir également infra .

* 75 Une analyse plus détaillée du contenu de ces travaux et de leur réception figure dans la deuxième partie du présent rapport.

* 76 Audition du 11 mars 2020 de M. Bruno Angles, représentant des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les discussions avec l'État sur les contrats de concession de 2014 à 2015.

* 77 Voir ci-après.

* 78 Communication du 17 décembre 2014 .

* 79 Rapport d'information n° 2476 (quatorzième législature), la place des autoroutes dans les infrastructures de transport de M. Jean-Paul Chanteguet .

* 80 Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie de 2014 à 2016, le 9 juillet 2020.

* 81 Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, directrice du cabinet de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en 2014-2015, le 24 juin 2020.

* 82 Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, directrice du cabinet de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en 2014-2015, le 24 juin 2020.

* 83 Audition de M. Alexis Kohler, directeur du cabinet du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique de 2014 à 2016, le 15 juillet 2020.

* 84 Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie de 2014 à 2016, le 9 juillet 2020.

* 85 Un état des réclamations et requêtes contentieuses des SCA figure en annexe 3 du protocole.

* 86 L'État n'était pas parvenu à obtenir de telles clauses lors de la négociation du Pacte vert.

* 87 Il s'agit du cumul des recettes réelles (valeur 2006) de péage HT du plan d'affaires de la privatisation, actualisées au 1 er janvier 2006 au taux fixe de 8 %.

* 88 Voir infra .

* 89 Audition de M. Bruno Angles, représentant des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les discussions avec l'État sur les contrats de concession de 2014 à 2015, le 11 mars 2020.

* 90 Il s'agit d'une vingtaine d'opérations concernant la réalisation d'échangeurs, l'élargissement de certaines voies ainsi qu'une mise aux normes environnementales de certaines sections. Une analyse du PRA et de ses conséquences sur l'équilibre contractuel et sur la rentabilité des SCA figure dans la troisième partie du rapport.

* 91 Le 28 avril 2015, M. Avrillier demande la publication de l'accord au ministre de l'économie, puis, face à son refus, saisit la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), avant de porter l'affaire devant les tribunaux administratifs. Le protocole d'accord lui a finalement été communiqué par la DGCCRF en 2019, avant d'être mis en ligne sur le site internet du ministère.

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