B. LE RACHAT DES CONCESSIONS HISTORIQUES SERAIT TRÈS COÛTEUX

La forte rentabilité des concessions autoroutières historiques a conduit certains à demander leur nationalisation.

Or, quand bien même le rachat des concessions serait justifié par un motif d'intérêt général, le coût en serait très élevé. C'est pourquoi la commission d'enquête a souhaité se concentrer tout à la fois sur la préparation de la fin des concessions, qui interviendra dans une quinzaine d'années au plus et sur les aménagements qui pourraient être négociés avec les sociétés concessionnaires, dans l'intérêt des usagers.

1. Un rachat pour motif d'intérêt général prévu par les contrats de concession

L'anticipation de la fin des concessions est considérée par certains comme une réponse à la rentabilité excessive des sociétés d'autoroutes. Elle permettrait à l'État de reprendre la gestion directe des autoroutes ou d'organiser de nouvelles modalités de gestion mieux encadrées.

Le droit pour l'État de procéder au rachat anticipé des concessions autoroutières est prévu à l'article 38 des contrats de concession. Une telle opération peut intervenir au 1 er janvier de chaque année, moyennant un préavis d'un an dûment notifié au concessionnaire.

Les contrats prévoient qu'en pareil cas, le concessionnaire a droit à une indemnité correspondant au préjudice subi du fait de la résiliation, dont le montant est égal à la juste valeur de la concession reprise .

Le montant de l'indemnité correspond aux dettes des sociétés concessionnaires auxquelles s'ajoutent les bénéfices prévisionnels de celles-ci d'ici l'échéance des contrats . Cette somme recouvre l'amortissement des investissements sur la durée restante de la concession, ainsi que le manque à gagner pour les concessionnaires. Une jurisprudence constante du Conseil d'État limite le montant de cette indemnité qui ne peut être manifestement disproportionné eu égard au préjudice subi 290 ( * ) .

2. Un coût prohibitif

Comme l'a précisé Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, lors de son audition par la commission d'enquête, le coût rachat des concessions autoroutières serait de l'ordre 45 à 50 milliards d'euros.

Si tant est qu'une telle opération puisse être considérée comme justifiée pour un motif d'intérêt général, il paraît difficile d'envisager une telle dépense eu égard à la situation des finances publiques.

Au surplus, outre l'indemnisation des SCA, une nationalisation aurait également pour conséquence d'accroître la dette publique de la France du montant des dettes inscrites au bilan des SCA , soit près de 30 milliards d'euros à fin 2017 291 ( * ) .

Ce sont ces considérations qui ont conduit le Sénat à rejeter le 19 juin 2014 292 ( * ) et, plus récemment, le 7 mars 2019 293 ( * ) , à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable 294 ( * ) , deux propositions de loi relatives à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Une telle opération aurait également d'autres conséquences. Il est en particulier à craindre que la réputation de la France auprès des investisseurs internationaux en soit fortement affectée.

3. Les moyens techniques insuffisants des services de l'État pour assurer une gestion directe

La reprise immédiate de la gestion des autoroutes par l'État exigerait par ailleurs un renforcement immédiat et substantiel des moyens des directions interdépartementales des routes (DIR), qui sont chargées de l'exploitation des autoroutes et routes gérées par l'État, de l'entretien des chaussées et de l'ingénierie routière.

Or, comme l'a montré un rapport du Sénat publié en 2017 295 ( * ) , ces services sont d'ores et déjà très fortement sollicités et disposent de crédits insuffisants .

Il conviendrait en outre de revoir le rôle de l'ART en matière autoroutière, la régulation actuelle n'étant pas adaptée à la gestion publique.

4. Une illustration de la complexité d'une résiliation, y compris en cas de faute du concessionnaire : l'exemple italien

À la suite de l' effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018, le gouvernement italien a annoncé une réforme du contrôle des concessions pour le rendre plus contraignant. Certaines clauses des contrats de concession italiens sont en effet très protectrices du concessionnaire, comme l'obligation faite au concédant d'indemniser le concessionnaire en cas de résiliation du contrat, et ce y compris en cas de manquement grave à ses obligations.

En décembre 2019, le Gouvernement italien a pris un décret ouvrant la voie à une révocation unilatérale pour faute de la concession d' Autostrade per l'Italia , la société qui exploitait la concession du pont Morandi, en précisant qu'aucune indemnisation ne serait versée par l'État italien.

La Cour des comptes italienne plaidant pour un apaisement des relations entre le concédant et les sociétés concessionnaires, qui se sont soldées par plus de 400 contentieux depuis 2012, le Gouvernement italien a ouvert des négociations avec la société Autostrade per l'Italia .

Devant le coût d'une révocation dans l'hypothèse où la justice italienne condamnerait l'État à payer les indemnités prévues, un accord a été trouvé mi-juillet avec le groupe Atlantia, propriétaire d' Autostrade per l'Italia et appartenant à la famille Benetton. Afin d'éviter la révocation pure et simple de ses concessions, la famille Benetton se retirera progressivement du capital de la société concessionnaire .

Autostrade per l'Italia redeviendra donc progressivement une société publique, avec pour actionnaire de référence la Caisse des dépôts italienne à hauteur de 33 % du capital, d'autres acteurs institutionnels intervenant à hauteur de 22 %.

Cet accord est toutefois, fortement critiqué, d'une part car le coût du rachat des actions n'est pas encore connu, et d'autre part car Autostrade per l'Italia devait lancer un plan d'investissement de 14,5 milliards d'euros, indispensable à la rénovation des infrastructures.

Or ces investissements interviendront précisément alors qu'une forte baisse des recettes est anticipée, dans la mesure où le Gouvernement s'est engagé à réduire les tarifs des péages d'environ 5 %.


* 290 Conseil d'État, 22 juin 2012, CCI de Montpellier, n° 348676 : « en vertu de l'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, un contrat administratif ne peut légalement prévoir une indemnité de résiliation ou de non-renouvellement qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation ou de ce non-renouvellement » .

* 291 Selon les dernières évaluations disponibles.

* 292 Proposition de loi n° 59 (2011-2012) relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transports, déposée au Sénat le 14 janvier 2014 par Mme Mireille Schurch et plusieurs de ses collègues.

* 293 Proposition de loi n° 249 (2018-2019) relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, déposée au Sénat le 16 janvier 2019 par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues.

* 294 Rapport n° 336 (2018-2019) de M. Guillaume Gontard, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 20 février 2019.

* 295 Rapport d'information n° 458 (2016-2017) de M. Hervé Maurey , président, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Infrastructures routières et autoroutières : un réseau en danger , publié le 8 mars 2017.

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