PREMIÈRE PARTIE -
LES CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE :
UN ATOUT STRATÉGIQUE POUR LA FRANCE

Héritiers de la construction navale civile française, les Chantiers de l'Atlantique ont, au prix d'une transformation d'ampleur, acquis un savoir-faire presque unique au monde dans la construction de grands paquebots . Leur activité industrielle, qui irrigue toute la région des Pays de la Loire, génère près de 8 000 emplois directs et indirects, et soutient la performance française à l'export. Leur cale aux dimensions inégalées en Europe fait également des Chantiers un acteur incontournable de la défense française , étant un partenaire traditionnel de l'État français et de Naval Group pour la construction de porte-avions ou de grands navires de surface. La préservation de cet atout doit donc être une priorité de la stratégie industrielle française.

I. LES CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE, UN LEADER INNOVANT...

A. UN SITE FRANÇAIS INCONTOURNABLE, SPÉCIALISÉ DANS UN SAVOIR-FAIRE UNIQUE : LA CONSTRUCTION DE GRANDS PAQUEBOTS

1. Un chantier naval tourné dès ses débuts vers la construction de grands paquebots

Comme de nombreux champions industriels français, les chantiers navals de Saint-Nazaire sont un acteur historique, né de la volonté de disposer de capacités nationales dans des activités jugées stratégiques.

En 1861, dans le contexte de développement du trafic maritime transatlantique, la construction d'un chantier naval capable d'accueillir des paquebots de grande taille est lancée à Saint-Nazaire. Bientôt propriété de la Compagnie générale transatlantique, c'est sur ce site que sera construit le paquebot Normandie à partir de 1932, le chantier étant complété à cette occasion d'une cale sèche qui existe toujours aujourd'hui. En parallèle, et à l'occasion des deux guerres mondiales, les chantiers de Saint-Nazaire ont acquis un savoir-faire dans la construction et la réparation navales militaires , recevant de nombreuses commandes de l'État français.

Les Chantiers de l'Atlantique naissent en 1955, rassemblant plusieurs sites de construction navale situés à Saint-Nazaire et à Nantes.

Alors que le secteur de la construction navale connaît des bouleversements sans précédent à partir de 1960, les Chantiers de l'Atlantique entendent tirer profit de leur avantage comparatif sur le segment des grands navires. Face à la montée en puissance de concurrents asiatiques, notamment le Japon, puis plus tard la Corée du Sud, et au prix de restructurations d'ampleur, le site de Saint-Nazaire se dote d'une nouvelle forme plus profonde, à même d'accueillir les nouveaux types de grands navires civils tels que les méthaniers et les pétroliers. L'investissement dans la modernisation de l'outil industriel, via l'extension du site et le recours à l'automatisation d'un certain nombre de tâches, permet au chantier français de maintenir un avantage compétitif.

Malgré sa diversification progressive vers la construction de navires militaires et de navires-citernes, à travers leur histoire, les Chantiers ont conservé leur vocation originelle : les grands navires à passagers. Cette orientation se maintient également après la fusion entre Alsthom et les Chantiers de l'Atlantique, qui forment en 1976 Alsthom Atlantique. Les paquebots France , Sovereign of the Seas et Queen Mary 2, sortis des chantiers de Saint-Nazaire, se classent à chaque fois parmi les bâtiments les plus imposants et les plus aboutis de leur temps.

La spécialisation de Saint-Nazaire dans les grands paquebots s'est renforcée au fil de son abandon forcé des marchés des méthaniers, des ferries ou du cargo, investis par les nouvelles puissances maritimes asiatiques ; et d'une grande partie de ses activités navales militaires, désormais assumées en France par Naval Group et à l'export par ses concurrents. Malgré les difficultés économiques résultant de ces évolutions mondiales, et le caractère cyclique de la construction navale civile, le leadership des Chantiers se maintient dans le secteur des grands paquebots. En 2016, en 2018, puis en 2019, c'est à Saint-Nazaire qu'ont été successivement construits les plus grands paquebots du monde ( Harmony of the Seas, Symphony of the Seas, Wonder of the Seas ), et ce, malgré les changements successifs d'actionnariat intervenus dans l'intervalle.

2. Les Chantiers de l'Atlantique sont aujourd'hui l'un des trois leaders mondiaux du marché des paquebots

Fruit d'une longue histoire industrielle, le chantier naval bénéficie d'une localisation géographique incomparable , la profondeur d'eau de l'estuaire y permettant le stationnement de grands navires. La forme de construction B mesure 900 mètres de long sur 70 mètres de large, faisant d'elle la plus large forme de montage d'Europe et l'une des plus grandes au monde. En cas de démantèlement du site existant, d'une surface de près de 100 hectares, on peut douter qu'il soit possible de reconstruire un jour un tel site en France, au vu des exigences croissantes de la législation environnementale et de protection du littoral.

Au-delà de la seule géographie, les infrastructures des Chantiers, aux dimensions inégalées en Europe, sont le résultat de plus d'un siècle d'investissement dans l'outil industriel. Cet investissement se poursuit, malgré les variations cycliques de l'activité du site. En 2018, 16 millions d'euros ont été déboursés afin d'agrandir de près d'un tiers l'aire de prémontage. En 2019, les Chantiers ont également annoncé que 35 millions seraient consacrés à l'achat d'un nouveau Très Haut Portique (THP), capable de lever près de 1 400 tonnes, qui devrait venir rejoindre en 2022 celui déjà acquis en 2014 .

PLAN DES INSTALLATIONS DES CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE

Source : Commission des affaires économiques du Sénat

Grâce à ces infrastructures impressionnantes, les Chantiers de l'Atlantique ont su s'adapter à la demande croissante pour de très grands navires, reflétant une tendance au « gigantisme » amorcée dès le début du XX e siècle. Aujourd'hui, 85 à 90 % de l'activité des Chantiers est dédiée aux grands paquebots.

En tonnage, l'entreprise française est le troisième constructeur naval européen, représentant 24 % du marché entre 2017 et 2026, derrière l'italien Fincantieri (31 %) et l'allemand Meyer Werft (33 %). Grâce à un carnet de commandes particulièrement plein depuis plusieurs années, l'activité des Chantiers se développe : ceux-ci ne représentaient en 2007 et 2016 que 15 % du tonnage global en Europe. L'entreprise produit principalement pour l'export, performance particulièrement remarquable dans le contexte d'une balance commerciale française durablement déficitaire.

De l'avis de toutes les personnes entendues par votre rapporteur, le savoir-faire et l'outil industriel des Chantiers de l'Atlantique font d'eux l'un des trois seuls constructeurs au monde capable de produire de très grands navires de croisière. Il s'agit aujourd'hui d'un savoir-faire exclusivement européen, dont les Chantiers sont le seul dépositaire en France.

ÉVOLUTION DE LA TAILLE DES PAQUEBOTS COMMANDÉS ENTRE 1960 ET 2030

Source : Chantiers de l'Atlantique

3. La construction de grands paquebots est une activité cyclique et aux marges réduites

L'activité principale des Chantiers de l'Atlantique, la construction de grands paquebots, est cependant exposée à des risques conjoncturels et financiers.

Elle est par nature cyclique, car elle se traduit par des commandes à longues échéances, passées plusieurs années à l'avance et représentant des montants très importants. Ainsi, lors de retournements de cycle en raison de crises économiques ou de perte de confiance, les annulations ou l'arrêt de commandes sont fréquentes. Par exemple, les attentats aux États-Unis en 2001 avaient entraîné une forte baisse d'activité dans la construction navale, tout comme la crise économique et financière de 2008.

Un tel retournement peut également intervenir en cas de saturation des flottes mondiales de croisière. Si les armateurs achètent en continu pendant plusieurs années de nouveaux paquebots, le marché atteignant saturation, cette phase peut être suivie d'une période de commandes moins nombreuses, indépendamment des résultats des compagnies de croisières.

La pandémie de coronavirus qui a atteint l'Europe au début de l'année 2020 a eu un impact important sur le secteur des croisières maritimes, ayant durablement déprimé la fréquentation et imposé la mise en place de restrictions sanitaires strictes. Selon les éléments recueillis par la commission, les conséquences de cet important creux d'activité sur les compagnies de croisières et sur les constructeurs dépendront avant tout du rythme de la reprise et de l'évolution de la pandémie . À la date de rédaction de ce rapport, aucun impact notable sur les commandes de navires déjà programmées n'était à déplorer 1 ( * ) .

L'autre facteur de risque pour l'activité de construction tient à la faible marge dégagée par les chantiers navals. La pression concurrentielle entre les trois grands constructeurs européens confère aux clients armateurs un fort pouvoir de marché, qui leur permet d'obtenir les prix les plus bas pour les paquebots commandés. Le taux de marge des constructeurs est en conséquence faible, avoisinant les 2 %, alors qu'il est bien supérieur (à partir de 7 % environ) dans la plupart des autres secteurs industriels.

Le chiffre d'affaires lui-même peut varier fortement d'une année sur l'autre : lorsque les Chantiers de l'Atlantique tournent à plein régime et livrent deux paquebots par an, il peut atteindre jusqu'à deux milliards d'euros environ. Dans le cas inverse, la perte peut-être significative.

Ces caractéristiques réduisent en conséquence les marges de manoeuvre financières des chantiers, et les exposent davantage au risque de baisse d'activité. De plus, les constructeurs portent eux-mêmes la plus grande partie du financement de leur activité , l'acompte des clients ne représentant que 10 à 20 % du montant total des commandes. Les faibles marges et les montants colossaux emportent donc un enjeu important en termes de trésorerie 2 ( * ) .

Enfin, l'investissement dans la modernisation des chantiers navals et de l'outil industriel est coûteux , s'agissant d'une industrie lourde. Il est ainsi fréquent que les constructeurs aient recours à l'emprunt pour financer ces adaptations, qui peut également peser sur leurs résultats.

Ces spécificités du secteur de la construction de grands paquebots exposent les chantiers navals, en cas de conjoncture défavorable, à une fragilité financière accrue, qui ne reflète pas une quelconque mauvaise performance industrielle ou un déficit de compétitivité, mais la chute temporaire de la demande.


* 1 Voir partie 3, II.

* 2 Voir partie 4, II, B.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page