ANNEXE 3 -
APERÇU DE LA POLITIQUE CHINOISE
EN AMÉRIQUE LATINE

De plus en plus incontournable, la Chine est devenue un partenaire économique et commercial important pour l'ensemble des pays d'Amérique latine. D'importantes coopérations économiques ont été mises en place par le biais de traités commerciaux avec le Chili, le Pérou et le Costa Rica 262 ( * ) notamment à partir des années 2000. Avec le temps, la Chine s'est imposée comme le deuxième partenaire commercial des pays du continent sud-américain, devant l'Union Européenne, et est en passe de concurrencer son premier partenaire économique, les États-Unis 263 ( * ) . Après avoir longtemps sous-estimé et négligé l'implication chinoise en Amérique latine, les États-Unis semblent désormais considérer que cette présence fragilise leurs intérêts dans la région.

Cette politique chinoise d'implantation en l'Amérique latine s'inscrit dans le plan « 1+3+6 » présenté par le Président chinois en juillet 2014 lors d'un sommet au Brésil. Le 1 se réfère au plan de coopération Chine-CELAC pour les années 2015-2019 visant la mise en oeuvre de 250 milliards de dollars d'investissements directs chinois sur la période. Le 3 définit les modalités de la coopération qui doit se réaliser par le commerce, les investissements et la finance, et le 6 les secteurs concernés : énergie et ressources, construction d'infrastructures, agriculture, production industrielle, innovation scientifique et technologique et technologies de l'information.

En janvier 2018 s'est tenue, à Santiago du Chili, la deuxième édition du forum Chine-CELAC (Communauté des États Latino-Américains et de la Caraïbe 264 ( * ) ). Le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi est venu en personne encourager le CELAC à développer son commerce avec la Chine et à participer aux nouvelles routes de la soie. Lors de ce forum, plusieurs États, dont le Chili et la Bolivie, ont ainsi annoncé leur intention d'adhérer à l'initiative chinoise des nouvelles routes de la soie.

Les projets financés sous ce label, programmes d'investissements conjoints ou prêts chinois de la Chine à certains états d'Amérique Latine, sont annoncés dans les secteurs de l'agriculture et des énergies renouvelables mais aussi de la construction d'infrastructures à travers le continent convergeant vers sa côte pacifique. En 2017, les banques et institutions chinoises auraient injecté (sans qu'il soit possible de préciser s'il s'agit de prêts ou d'investissements directs ou conjoints) 23 milliards de dollars en Amérique latine. Le Brésil, sur les 10 dernières années, aurait bénéficié de 46,1 milliards de dollars d'investissements chinois et 10 milliards supplémentaires d'acquisitions 265 ( * ) .

Ces coopérations entre la Chine et l'Amérique latine ont suscité une réaction négative de l'administration américaine, encore largement imprégnée de la doctrine Monroe 266 ( * ) . Le secrétaire d'État américain alors en poste, a estimé lors d'une tournée au Mexique, en Argentine, au Pérou, en Colombie et en Jamaïque, en février 2018, que le modèle de développement étatique proposé par la Chine appartenait au passé et pouvait avoir des conséquences néfastes pour les pays de la région. 267 ( * )

Les investissements et prêts chinois en Amérique latine semblent fondés sur la volonté chinoise de sécuriser l'approvisionnement de son économie en croissance gourmande en ressources naturelles 268 ( * ) . En effet, les pays de la région disposent en abondance de produits agricoles ainsi que des ressources naturelles. Les bénéfices réalisés par les pays sud-américains dans le cadre de leur partenariat commercial avec la Chine leur permettraient de se libérer d'une trop forte dépendance économique vis-à-vis des États-Unis et d'accélérer leur développement.

Certaines critiques ont toutefois été émises sur cette coopération renforcée avec la Chine qui nuirait en fait à l'indépendance et au développement des pays sud-américains 269 ( * ) . Les pays de la région deviendraient prisonniers d'un schéma économique limité basé que l'asymétrie des relations commerciales mises en place avec la Chine. Elle maintiendrait les pays du CELAC dans une position de fournisseur de matières premières, dépendant des fluctuations de leurs cours, des conditions climatiques de plus en plus bouleversées par le réchauffement climatique, et de la demande chinoise. 270 ( * ) . En outre, cette spécialisation freinerait l'industrialisation des pays du CELAC, leurs secteurs industriels nationaux ne pouvant résister à la concurrence des importations de produits chinois moins chers que les produits locaux 271 ( * ) .

Le rapport de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes de 2012 montrait que dans la majorité des pays sud-américains, 80% des exportations vers la Chine étaient composées de cinq produits, tous étant des matières premières 272 ( * ) (soja, pétrole, minerais, etc.). Aucune évolution notable ne paraît rendre caduques les conclusions de ce rapport.

La collaboration économique entre le CELAC et la Chine aurait également pour corollaire indirect :

- de freiner l'intégration économique et commerciale régionale, facteur d'une croissance plus forte et créatrice d'emplois 273 ( * ) .

- de ralentir la constitution d'institutions supranationales favorisant ainsi à la « désintégration régionale » 274 ( * ) .

Les investissements chinois ne se limitent toutefois pas au secteur des matières premières, mais se déploient également dans des projets d'infrastructures et des voies de communication, rattachés à la politique chinoise des nouvelles routes de la soie. Mais ces projets ont essentiellement pour finalité de permettre l'exploitation et le transfert vers le marché chinois des matières premières. Dans un premier temps, la Chine s'est intéressée aux produits agroalimentaires du Brésil et de l'Argentine, ensuite elle a diversifié ses collaborations par des partenariats avec d'autres pays de la région comme l'Équateur 275 ( * ) ou plusieurs projets dans le domaine énergétique ont été lancés.

Les pays du CELAC pensait desserrer l'emprise des États-Unis en développant des partenariats économiques et commerciaux avec la Chine, mais c'est une emprise chinoise, voire une tutelle chinoise 276 ( * ) qui s'esquisse selon certains commentateurs Si la région est moins dépendante des États-Unis, elle l'est toujours du modèle économique asymétrique en place.

En 2020, pendant la pandémie mondiale, les rapports entre l'Amérique latine et la Chine ont continué à se développer. Alors que la situation sanitaire empirait dans certains pays notamment au Pérou, au Brésil et en Équateur, la Chine est venue apporter son aide 277 ( * ) , largement médiatisée, au continent sud-américain en manque de moyens de vaccination (c'est-à-dire manquant de moyens financiers pour acheter des vaccins dans un marché de grande pénurie de vaccins). Ainsi, dans la grande majorité des pays du continent sud-américain, les vaccins utilisés pour lutter contre la pandémie sont chinois, sans qu'il soit possible de distinguer les dons des ventes.

Certes, la pandémie a eu un effet négatif sur l'image de la Chine sur la région durement touchée par le coronavirus : selon un sondage réalisé par Francisco Urdinez, spécialiste de la Chine à l'Université catholique du Chili la Chine était vue comme responsable de la pandémie. Mais la diplomatie des vaccins serait parvenue à reconquérir l'opinion sud-américaine selon un nouveau sondage effectuée quelques mois plus tard. Cette diplomatie des vaccins pourrait ainsi valoir à la Chine de nouvelles opportunités politiques et économiques en Amérique latine.


* 262 « Le partenariat stratégique Chine-Amérique latine: Entre développement économique et dépendance structurelle », Benjamin Musampa, le 1 Janvier 2015, à l'adresse suivante : https://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/cda_vol_15_n_1_janvier_2015.pdf

* 263 « Chine-Amérique latine : la nouvelle grande alliance ? », Frédéric Thomas, https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2018-3-page-107.htm?contenu=resume

* 264 Héritier du groupe de Rio, cet organisme intergouvernemental régional, créé le 23 février 2010, regroupe les 600 millions d'habitants des 33 États d'Amérique latine et de la communauté caribéenne (Antigua-et-Barbuda, Argentine, Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Dominique, Équateur, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Salvador, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Suriname, Uruguay, Venezuela, Trinité-et-Tobago).Sont absents de ce groupe le Canada et les États-Unis, ainsi que les territoires outremers de la France, des Pays-Bas, du Danemark et de l'Angleterre dans les Amériques.

* 265 Les chiffres cités dans ces paragraphes sont issus de l'article « La nouvelle Route de la soie chinoise arrive en Amérique latine », publié par P. Escobar sur le site Afrique Asie.fr.

* 266 Doctrine qui amène à considérer l'intervention de puissances étrangères sur le continent américain (Amérique du Sud comprise) comme contraires aux intérêts américains.

* 267 « Ce commerce (avec la Chine) a apporté des bénéfices mais les pratiques commerciales déséquilibrées utilisées par de nombreux Chinois ont aussi dans ces pays nui aux secteurs manufacturiers, généré du chômage et fait baisser les salaires des travailleurs. (...) L'Amérique latine n'a pas besoin de nouvelles puissances impériales dont le seul but est de faire profiter leur propre peuple ». Propos de Rex Tillerson, Secrétaire d'État américain, cité par Reuters le 01.02.2018.

* 268 « La Chine et l'Amérique latine : le grand chambardement ? », Mathieu Arès, Christian Deblock, Ting-Sheng Lin, 2011, https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2011-4-page-65.htm#no35

* 269 Idem

* 270 Idem

* 271 Idem

* 272 « Matières premières : le Brésil souffre des effets du coronavirus », Thierry Ogier, le 4/02/2020, https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/matieres-premieres-le-bresil-souffre-des-effets-du-coronavirus-1169027

* 273 « La Chine et l'Amérique latine : le grand chambardement ? », Mathieu Arès, Christian Deblock, Ting-Sheng Lin, 2011, https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2011-4-page-65.htm#no35

* 274 Idem

* 275 « Chine-Équateur : Projet hydroélectrique Coca Codo Sinclair » https://observatoirenrs.com/2019/02/25/chine-equateur-projet-hydroelectrique-coca-codo-sinclair/

* 276 « La Chine et l'Amérique latine : le grand chambardement ? », Mathieu Arès, Christian Deblock, Ting-Sheng Lin, 2011, https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2011-4-page-65.htm#no35

* 277 « La Chine rebondit en Amérique latine avec sa « diplomatie des vaccins », le 2/05/2021, https://www.courrierinternational.com/article/pandemie-la-chine-rebondit-en-amerique-latine-avec-sa-diplomatie-des-vaccins

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