B. RENFORCER L'ENCADREMENT DES CAGNOTTES EN LIGNE AU REGARD DE LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DES CAPITAUX ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME

En 2019, 629 millions d'euros ont été collectés par le biais du financement participatif auprès d'1,2 million de personnes , soit une augmentation de plus de 56 % par rapport à l'année 2018 (402 millions d'euros) et un montant près de quatre fois plus élevé que celui constaté
en 2015 (167 millions d'euros), première année de pleine application de la règlementation française en matière de financement participatif. 13 % étaient des dons, 6 % des investissements et 81 % des prêts ou des obligations 184 ( * ) . Les acteurs du financement participatif prennent donc une importance croissante, et avec eux les enjeux en matière de diligences et de protection des épargnants.

Dans son analyse nationale des risques 185 ( * ) , publiée en 2019, le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) faisait état d'une menace modérée pour le secteur du financement participatif mais de vulnérabilités élevées , en dépit des évolutions intervenues pour que les plateformes de prêts et de dons s'enregistrent sous le statut d'intermédiaire en financement participatif (IFP), relevant de l'ACPR 186 ( * ) et enregistré auprès de l'Orias. Le COLB relevait ainsi une mobilisation insuffisante des plateformes au titre de leurs obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Une évaluation « risque global élevé » a donc été attribué à ces acteurs.

Ces inquiétudes ont été relayées par Tracfin. Dans son rapport d'analyse publié en décembre 2019, le service de renseignement observait que « les collectes de fonds en ligne transitant par (...) des sites de cagnottes en ligne présent[ai]ent un risque important en matière de financement du terrorisme ». Ces constats se sont accompagnés d'une hausse des déclarations de soupçons reçues par Tracfin 187 ( * ) : de 3 en 2019 à 12 en 2020 pour celles en provenance des conseillers en investissement participatif, de 1 751 en 2019 à 2 106 en 2020 pour les déclarations de soupçon transmises par les intermédiaires en investissement participatif. Sur le total de ces 2 118 déclarations en 2020, 1 412 avaient trait au financement du terrorisme, pour des enjeux financiers estimés à 7,22 millions d'euros.

Des progrès sont à noter dans le cadre de l'article 41 du portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances 188 ( * ) , qui habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi et permettant notamment de modifier les dispositions encadrant la supervision des activités de financement participatif , pour assujettir les cagnottes en ligne aux obligations de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Comme le rappelait Hervé Maurey dans son rapport sur le projet de loi 189 ( * ) , l'ACPR et Tracfin ont en parallèle alerté à plusieurs reprises sur les difficultés rencontrées avec ces acteurs, qui profitent des ambiguïtés de la règlementation pour échapper à la déclaration sous le statut d'intermédiaire en financement participatif , qualification qui impose l'assujettissement au dispositif LBC-FT et donc des diligences spécifiques (vérification de l'identité des clients et des bénéficiaires effectifs, surveillance des opérations, déclarations de soupçon le cas échéant).

Les rapporteurs estiment donc que les efforts entamés pour réguler davantage les plateformes de financement participatif et protéger les épargnants - liés notamment aux avertissements sur le caractère risqué des projets, aux indications sur les dates de début et de fin des projets, aux précisions factuelles sur la nature et le contenu du projet et à l'information sur le taux de défaillance trimestriel des projets mis en ligne - doivent trouver un prolongement en matière de LBC-FT . Il s'agit ici non pas d'une protection liée à la performance ou au rendement du produit, d'autant que certains participants font le choix du don ou du prêt non onéreux, mais de protéger l'épargnant de bonne foi de toute implication dans un circuit de financement douteux .

Les rapporteurs proposent dans ce cadre d' assujettir systématiquement les acteurs du financement participatif à une obligation de reporting auprès de l'ACPR . Aujourd'hui, l'ACPR peut décider de les soumettre à son contrôle dans le cadre d'une mission sur place portant sur la règlementation en matière de protection de la clientèle ou sur le dispositif de prévention du LBC-FT mais les acteurs ne sont pas soumis à l'obligation régulière de transmettre des informations sur leurs activités, leurs règles de gouvernance et leur organisation.

Si les rapporteurs comprennent le souhait initial derrière cette dérogation, à savoir le souci d'alléger la règlementation et d'agir de manière proportionnée face à une population hétérogène et constitué de beaucoup d'acteurs de petite taille, les obligations en matière de LBC-FT et de protection des épargnants sont devenues extrêmement exigeantes et doivent s'imposer à tous . Par ailleurs, ce reporting pourrait ensuite permettre à l'ACPR et au pôle commun AMF-ACPR d'améliorer le ciblage de leurs contrôles sur les acteurs du financement participatif.

Recommandation n° 17 : soumettre l'ensemble des acteurs du financement participatif à une obligation annuelle de reporting auprès de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) avec description de la nature des activités, de la gouvernance et de l'organisation. Évaluer après trois ans les apports, les difficultés et les évolutions souhaitables à apporter à ce dispositif de reporting systématique.

Niveau d'intervention : Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.


* 184 Selon les données transmises aux rapporteurs par l'AMF en réponse à leur questionnaire.

* 185 Rapport du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) - « Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France », septembre 2019.

* 186 Les conseillers en investissement participatif (CIP) relèvent quant à eux de l'AMF. Ce statut est propre aux acteurs du financement participatif sous forme de titres financiers. Ils sont également enregistrés auprès de l'Orias.

* 187 Tracfin, Rapport d'activité et d'analyse 2020 , juillet 2021.

* 188 À la date de rédaction, la loi, adoptée par le Sénat et par l'Assemblée nationale, n'avait pas encore été promulguée. Lien vers le dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-535.html .

* 189 Avis n° 569 (2020-2021) de M. Hervé MAUREY , fait au nom de la commission des finances, déposé le 12 mai 2021, sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances.

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