N° 177

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités (1) relatif aux enseignements de la quatrième vague épidémique outre-mer en matière sanitaire et économique ,

Par MM. Jean-Michel ARNAUD et Roger KAROUTCHI,

Sénateurs

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Bernard Jomier, président ; MM. Jean-Michel Arnaud, Roger Karoutchi, rapporteurs ; Mme Esther Benbassa, M. Henri Cabanel, Mme Laurence Cohen, MM. Martin Lévrier, Franck Menonville, Mmes Sophie Primas et Sylvie Robert, vice-présidents ; MM. Michel Laugier et Olivier Paccaud, secrétaires ; Mme Catherine Deroche, MM. Fabien Genet, Olivier Henno, Mme Muriel Jourda, MM. Alain Milon, Sebastien Pla et Mme Évelyne Renaud-Garabedian.

AVANT-PROPOS

La quatrième vague épidémique liée au variant delta a particulièrement affecté les outre-mer.

L'état d'urgence sanitaire, en vigueur en Guyane depuis le mois d'octobre 2020, a été successivement étendu à La Réunion et en Martinique le 14 juillet 2021, en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin le 29 juillet, en Polynésie française le 12 août et en Nouvelle-Calédonie le 9 septembre . Seuls Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que Wallis-et-Futuna ont échappé à cette aggravation de la situation sanitaire.

Ce contexte a conduit la mission d'information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités, à la demande de M. le Président du Sénat, à analyser les causes de la flambée de l'épidémie dans ces territoires et à en mesurer les conséquences, tant au plan sanitaire qu'économique et social.

Les travaux conduits à compter du mois de septembre ont associé les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

La mission d'information a organisé une table ronde consacrée aux dimensions sanitaires et économiques de cette crise et procédé à l'audition de Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.

Une délégation composée de Bernard Jomier, Jean-Michel Arnaud et Fabien Genet s'est rendue en Martinique et en Guadeloupe du 17 au 21 octobre. Avec les sénateurs des départements concernés, elle a rencontré les représentants de services de l'État, des élus locaux, des représentants des professionnels de santé et des acteurs économiques.

Enfin, les rapporteurs ont pu échanger par visioconférence avec des responsables et acteurs de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française.

Le variant delta a provoqué une flambée épidémique sans précédent dans les territoires ultramarins qui, à eux seuls, représentent 30 % des décès liés au covid survenus en milieu hospitalier depuis l'été dernier. Dans plusieurs d'entre eux, les capacités hospitalières ont été saturées. Il convient de tirer les enseignements de cette crise, alors que le risque de rebond épidémique est élevé en raison de taux de vaccination encore très insuffisants.

La temporalité et la singularité de cette crise justifient également, au plan économique, des mesures de soutien adaptées à la situation de ces territoires où les perspectives de reprise économique sont encore incertaines.

I. LES ENSEIGNEMENTS D'UNE CRISE SANITAIRE SANS PRÉCÉDENT DEPUIS LE DÉBUT DE LA PANDÉMIE

A. FACE AU VARIANT DELTA, DES TERRITOIRES MOINS IMMUNISÉS ET UNE VAGUE ÉPIDÉMIQUE PLUS FORTE QUE DANS L'HEXAGONE

1. Des territoires moins touchés par les vagues précédentes, mais également moins vaccinés que l'hexagone

Amorcée dans l'hexagone au mois de juin 2021, la vague épidémique liée au variant delta s'est produite de manière échelonnée dans les territoires ultramarins : à La Réunion et en Martinique fin juin-début juillet en premier lieu, puis, tout au long du mois, dans les autres îles des Antilles et en Guyane. La Polynésie française a été touchée fin juillet et la Nouvelle-Calédonie début septembre. Mayotte a peu été affectée alors qu'au cours de l'été, cinq cas seulement étaient enregistrés à Saint-Pierre-et-Miquelon et aucun à Wallis-et-Futuna.

Les territoires atteints par cette nouvelle vague se trouvaient dans des situations diverses en termes d' immunité naturelle acquise par la population au cours des épisodes épidémiques précédents. Hormis en Guyane et à Saint-Barthélemy, le taux d'incidence cumulé depuis mars 2020 y était cependant très inférieur à celui de l'hexagone, particulièrement en Nouvelle-Calédonie, en Martinique, à La Réunion et en Guadeloupe.

Par ailleurs, comme l'a souligné le Conseil scientifique 1 ( * ) , si la 4 ème vague liée au variant delta a été, en France métropolitaine, moins importante que prévue, c'est en grande partie au succès de la vaccination en population générale qu'on le doit. Début juillet, la moitié de la population métropolitaine avait reçu une première dose de vaccin et un tiers disposait d'un schéma vaccinal complet. Or à l'exception de Saint-Barthélemy, les territoires ultramarins ont pour leur part affronté la propagation du variant delta, plus contagieux et plus virulent, avec des niveaux de vaccination très inférieurs à ceux de l'hexagone .

En Martinique , 15,7 % de la population seulement avait reçu une première dose début juillet, soit pratiquement 35 points de moins qu'en métropole. Lorsque la Guadeloupe et la Guyane ont été à leur tour concernées, la situation y était à peine moins défavorable - de l'ordre de 21 % de la population ayant reçu une première dose -, le taux montant à 26,2 % pour Saint-Martin . À La Réunion comme en Polynésie française , le taux de vaccination pour une première dose était d' environ 31 % , et donc de 20 points inférieur à celui de l'hexagone, lorsque la dernière vague est survenue. Enfin, ce taux atteignait 35 % en Nouvelle-Calédonie au début du mois de septembre.

2. Une population globalement plus vulnérable en raison de ses caractéristiques de santé

Alors que l' âge constitue un facteur de risque majeur de covid-19 grave ou de décès lié à cette maladie, la structure démographique des outre-mer joue plutôt favorablement dans le sens d'une moindre exposition. Si les plus de 60 ans représentent 27 % de la population hexagonale, leur proportion est inférieure à 20 % dans la plupart des territoires ultramarins et elle n'est que de 9 % en Guyane et de 4 % à Mayotte. La Guadeloupe et la Martinique font exception, avec une part des plus de 60 ans équivalente - et même supérieure en ce qui concerne la Martinique - à celle de l'hexagone.

En revanche, plusieurs comorbidités associées à un risque grave de covid-19 sont beaucoup plus présentes outre-mer qu'en moyenne nationale.

C'est le cas du surpoids qui concerne entre 65 et 70 % de la population adulte en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, et entre 55 et 60 % en Martinique et en Guadeloupe, contre 47 % seulement de la population dans l'hexagone. Des écarts très sensibles se retrouvent de manière analogue dans la prévalence de l' obésité (17 % de la population adulte dans l'hexagone, mais 23 % en Guadeloupe 28 % en Martinique et près de 40 % en Polynésie française).

De même, l' hypertension artérielle présente une prévalence plus élevée outre-mer, tout comme le diabète traité (5 % dans l'hexagone, 8 à 10 % outre-mer).

3. Une surmortalité dramatique aux Antilles et en Polynésie française, très élevée en Nouvelle-Calédonie et en Guyane

Plus de 30 % des décès en milieu hospitalier liés au covid depuis le début de la 4 ème vague sont survenus dans les territoires ultramarins alors que ceux-ci ne représentent que 4 % de la population nationale et que jusqu'alors, ces mêmes territoires n'avaient représenté que 3 % de ces décès.

C'est aux Antilles et en Polynésie française que la vague épidémique de l'été 2021 a été la plus violente. À elle seule, elle a très largement dépassé, par son ampleur et ses conséquences, le bilan des quinze premiers mois de l'épidémie dans ces territoires, de mars 2020 à juin 2021.

? Les collectivités antillaises

Au cours du mois d'août, le taux d'incidence est monté jusqu'à 1 200 cas pour 100 000 habitants en Martinique, 2 340 en Guadeloupe, 600 à Saint-Martin et plus de 1 600 à Saint-Barthélemy 2 ( * ) .

Ainsi que l'a exposé à la délégation de la mission d'information le docteur Bruno Jarrige, directeur médical de crise au CHU de Guadeloupe, cette 4 ème vague a été, en termes de cas positifs, quatre fois supérieure en Guadeloupe et cinq fois supérieure en Martinique, au cumul des deuxième (automne 2020) et troisième vagues (printemps 2021). Par rapport au cumul des deux vagues précédentes, l'impact a été :

- en termes d'hospitalisations, 3 fois supérieur en Guadeloupe et 6 fois supérieur en Martinique ;

- en termes de patients en réanimation, 3 fois supérieur en Guadeloupe et 4 fois supérieur en Martinique ;

- en termes de décès hospitaliers, 4 fois supérieur dans les deux départements.

Comme l'illustre le graphique ci-dessus, le nombre de décès hospitaliers liés au covid-19 pour 100 000 habitants a rejoint et très nettement dépassé celui de l'hexagone en l'espace de quelques semaines , alors qu'il lui était resté notablement inférieur jusqu'au début de l'été 2021 dans les deux départements.

Sur les mois de juillet à octobre 2021, de l'ordre de 580 décès hospitaliers liés au covid ont été enregistrés en Guadeloupe et 620 en Martinique . Pour donner la mesure du choc subi par ces deux départements, il faut souligner qu' une mortalité de même ampleur dans l'hexagone aurait entraîné plus de 100 000 décès hospitaliers alors que moins de 5 000 ont été enregistrés sur la même période.

Encore ne sont ici comptabilisés que les décès en milieu hospitalier, et non ceux survenus à domicile.

Selon les données encore provisoires publiées par l'Insee, sur la période allant du 1 er juin au 18 octobre 2021, le nombre de décès enregistrés est supérieur de 73,2 % en Guadeloupe et de 67,7 % en Martinique à celui mesuré sur la même période en 2019, alors que cette surmortalité est de l'ordre de 3 % pour la métropole 3 ( * ) .

À Saint-Barthélemy , 3 décès ont été enregistrés à l'hôpital entre juillet et octobre 2021, mais sur la même période, 35 l'ont été à Saint-Martin (certains patients originaires de l'île étant en outre décédés au CHU de Guadeloupe où ils avaient été transférés), soit un taux de mortalité équivalent aux deux-tiers de celui, extrêmement élevé, constaté en Guadeloupe.

? La Polynésie française

La Polynésie française , déjà fortement affectée à l'automne 2020, s'est trouvée dans une situation comparable à celle des départements antillais.

Dans la seconde quinzaine d'août, le taux d'incidence y a dépassé les 2 800 cas pour 100 000 habitants, et même 3 300 aux îles Sous-le-Vent. Au plus fort de cette vague épidémique, le nombre de patients hospitalisés en unité covid était près de trois fois supérieur à celui enregistré au plus fort de la vague de l'automne 2020 et quatre fois supérieur en ce qui concerne les réanimations.

Sur la période, 480 décès en milieu hospitalier étaient enregistrés 4 ( * ) , soit le triple de tous les décès hospitaliers liés au covid intervenus du début de l'épidémie jusqu'à l'été 2021 et un niveau de mortalité rapporté à la population analogue à celui constaté en Martinique. Le bilan est plus lourd encore si l'on prend en compte les décès survenus à domicile. Par rapport à la moyenne des décès des années 2015-2019, les données de l'état civil font apparaître une surmortalité de 346 % en août 2021 et de 182 % en septembre 2021, soit environ 650 décès supplémentaires 5 ( * ) .

? La Nouvelle-Calédonie

Au début du mois de septembre 2021, la Nouvelle-Calédonie avait enregistré 136 cas positifs depuis le début de l'épidémie, dont la moitié au printemps 2021. La vague liée au variant delta a été particulièrement brutale : le taux d'incidence est monté jusqu'à 1 200 cas pour 100 000 habitants et en deux mois, plus de 11 000 cas positifs ont été comptabilisés, pour une population de 270 000 habitants. Au plus fort de la crise, près de 60 patients se trouvaient en réanimation et 325 hospitalisés en unité covid. Au total, 267 décès hospitaliers ont été enregistrés, soit près de 100 décès pour 100 000 habitants et un taux de mortalité représentant les deux-tiers de celui, extrêmement élevé, ayant frappé les départements antillais et la Polynésie française.

? La Guyane

La Guyane , comme l'hexagone, a connu trois vagues épidémiques jusqu'au printemps 2021. La reprise épidémique liée à l'arrivée du variant delta est intervenue au mois d'août alors que les effets de la vague précédente, caractérisée très majoritairement par le variant gamma (ou « brésilien »), venaient à peine de s'atténuer.

Fin août, le taux d'incidence a dépassé les 500 cas pour 100 000 habitants. Si le niveau des hospitalisations a été légèrement inférieur à celui de la première vague, il a néanmoins atteint le plus haut de l'année 2021. Quant aux patients en réanimation, leur nombre a dépassé à deux reprises, au mois de juin puis au mois de septembre, celui atteint au plus haut de la première vague, au printemps 2020.

La fréquence des décès s'est accentuée dès la fin du mois de mai et du 1 er juillet au début du mois de novembre, près de 170 décès en milieu hospitalier ont été enregistrés, leur nombre ayant atteint des niveaux inégalés au mois de septembre. Dans son étude précitée l'Insee constate qu'en Guyane, « la hausse des décès est continue depuis la fin mai. En juin et juillet 2021, les décès sont supérieurs de 39 % à ceux survenus au cours des mêmes mois en 2019. La hausse s'accélère en août (+ 73 %) et encore davantage en septembre (+ 119 %). Elle se maintient à un niveau élevé sur les 18 premiers jours d'octobre (+ 90 % entre 2019 et 2021) ».

? La Réunion

À La Réunion , le taux d'incidence a atteint au début du mois d'août des niveaux inédits depuis le début de l'épidémie (426 cas pour 100 000 habitants, contre 226 dans l'hexagone au plus haut de la 4 ème vague). Un point haut a également été atteint, au cours du mois d'août, en termes d'hospitalisations. Relativement peu affectée en 2020, La Réunion a vu sa situation sanitaire se dégrader au mois de février 2021. De mars dernier à la fin du mois d'août, les hospitalisations et le nombre de patients admis en réanimation se sont maintenus à un niveau élevé. Alors qu'une soixantaine de décès en milieu hospitalier avaient été enregistrés depuis le début de l'épidémie, environ 180 l'ont été du 1 er mars à la fin juin et environ 140 du 1 er juillet à début novembre. Selon l'Insee, sur la période allant du 1?? juin au 18 octobre 2021, les décès survenus à La Réunion sont supérieurs de 16,7 % à ceux constatés sur la même période en 2019, l'île étant également touchée par une épidémie de dengue.

? Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna : des territoires épargnés par la dernière vague épidémique

À Mayotte , après une forte poussée au premier trimestre 2021, marquée par 80 décès en milieu hospitalier, la situation épidémique est restée relativement stable. Pour la première fois depuis le mois d'avril, le taux d'incidence a dépassé 50 cas pour 100 000 habitants début septembre, avant de redescendre dans les semaines qui ont suivi, mais le département n'a pas compté plus de 10 patients hospitalisés en unité covid depuis mai dernier. 10 décès sont survenus en milieu hospitalier depuis juillet dernier.

À Saint-Pierre-et-Miquelon 32 cas positifs seulement ont été recensés depuis mars 2020, dont 5 au cours de l'été dernier, et aucun décès n'est intervenu.

Le premier cas de covid à Wallis-et-Futuna a été détecté début mars 2021. En deux mois, un peu plus de 400 cas ont été recensés, une dizaine de patients ayant été hospitalisés sur place et 7 transférés en Nouvelle-Calédonie, 7 décès ayant été enregistrés sur la période. Aucun cas n'a été répertorié depuis la fin du mois d'avril.


* 1 Avis du Conseil scientifique Covid-19 du 5 octobre 2021.

* 2 Santé publique France précise que compte tenu de l'effectif des populations de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (inférieur à 10 000 et 40 000 habitants respectivement), les taux d'incidence doivent être interprétés avec précaution.

* 3 Évolution du nombre de décès depuis le 1?? juin 2021 - Insee - 2 novembre 2021. L'Insee précise que ces données sont encore provisoires et seront révisées à la hausse dans les prochaines semaines.

* 4 Ministère de la santé de Polynésie française - Bulletin épidémiologique hebdomadaire covid 19 - 4 novembre 2021.

* 5 Institut de la statistique de la Polynésie française. Points études et bilans de la Polynésie française n os 1277 et 1285, septembre et octobre 2021.

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