B. UNE CRISE EXCÉDANT LES CAPACITÉS SANITAIRES DES TERRITOIRES UTRAMARINS

1. Le recours indispensable aux renforts nationaux et à des évacuations sanitaires vers l'hexagone, malgré une mobilisation exceptionnelle des moyens locaux

Dans l'ensemble des territoires ultramarins touchés par la reprise épidémique de l'été, des redéploiements massifs de moyens hospitaliers ont été effectués pour faire face à l'afflux de patients atteints du covid et les capacités de réanimation ont été fortement accrues . Des quantités très importantes d'équipements de protection individuels, de matériels de dépistage, de produits de réanimation, de médicaments et d'oxygène ont été acheminées en urgence. Des renforts nationaux - représentant plus de 4 600 médecins et soignants venant de l'hexagone du 1 er août au 31 octobre 6 ( * ) - ont été nécessaires afin d'épauler les équipes locales, sollicitées à un niveau extrême, et d'assurer le fonctionnement des capacités supplémentaires installées dans les services hospitaliers. Ceux-ci ont néanmoins été engorgés dans plusieurs territoires, surtout aux Antilles d'où 145 évacuations sanitaires vers l'hexagone de patients médicalisés et sous ventilation artificielle ont été opérées.

? Antilles et Guyane

En Martinique , les capacités en réanimation du CHU de Fort-de-France ont pu être portées de 26 à plus de 130 lits au plus fort de la crise, soit une multiplication par cinq. Un module militaire de réanimation de 20 lits y a notamment été déployé. Les capacités de l'hôpital en lits de médecine ont été accrues au profit des patients covid. Les renforts nationaux ont représenté plus de 1 600 médecins et soignants sur la période. Plus de 600 patients ont été médicalisés sous oxygène à domicile. Afin de soulager les services de réanimation, 82 évacuations sanitaires par avion ont été effectuées depuis le 1 er août vers l'hexagone.

La Guadeloupe dispose en temps normal de 27 lits de réanimation (22 au CHU et 5 au centre hospitalier de Basse-Terre). Il a été possible, sans recours à des renforts, en déprogrammant des activités chirurgicales et en rappelant du personnel en congés, d'armer jusqu'à 69 lits de réanimation aiguë et de surveillance continue répartis sur les deux établissements et des établissements privés. L'arrivée de renforts nationaux (plus de 1 300 au total) a en outre permis de monter jusqu'à 98 lits de réanimation. Dans des délais très courts, des lits de médecine ont été transformés en lits covid et des lits de soins de suite et de réadaptation en lits de médecine 7 ( * ) . Plusieurs centaines de patients ont été pris en charge à domicile sous oxygène. De début août à début septembre, 63 évacuations sanitaires ont été opérées, certaines concernant jusqu'à 12 patients sous ventilation artificielle en un seul vol.

À Saint-Martin , les activités programmées au centre hospitalier, qui comporte habituellement 92 lits, ont été suspendues et l'établissement a accueilli jusqu'à 26 patients covid.

La Guyane ne disposait que de 11 lits de réanimation autorisés, tous situés au centre hospitalier de Cayenne. La capacité a été triplée avec 11 lits supplémentaires à Cayenne, 8 au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni et 6 à celui de Kourou. Jusqu'à 130 médecins et soignants ont été présents en renfort des personnels locaux. Il n'a pas été nécessaire de procéder à des évacuations sanitaires.

? La Réunion

À La Réunion, des redéploiements sont également intervenus pour accueillir des patients covid et les capacités en réanimation ont été pratiquement doublées, avec des lits supplémentaires ouverts dans les services du CHU et de manière complémentaire à Saint-Paul, au centre hospitalier ouest. Des renforts issus de la réserve sanitaire ont été déployés à hauteur de 37 personnels. Le seuil de saturation en réanimation a pratiquement été atteint au plus fort de la crise, mais il n'a pas été nécessaire de procéder à des évacuations sanitaires.

? La Polynésie française

Seul établissement à disposer de capacités de réanimation, le centre hospitalier de la Polynésie française les a triplées, passant de 18 à 54 lits. Jusqu'à 350 patients covid ont été pris en charge en hospitalisation et 700 patients ont été placés sous oxygène à domicile. Plus de 400 renforts nationaux ont été envoyés d'août à fin octobre, avec un maximum de 150 présents au plus fort de la crise, soit plus de 10 % de l'effectif habituel du centre hospitalier. Le 17 septembre, 8 patients sous ventilation artificielle ont été transférés vers l'hexagone par un vol spécial qui a effectué une escale à Pointe-à-Pitre.

? La Nouvelle-Calédonie

À Nouméa, le Médipôle (centre hospitalier territorial) a ouvert jusqu'à 340 lits pour les patients covid et 61 lits de réanimation, soit un triplement des capacités . Des patients non covid ont été transférés vers des cliniques privées. Une solution originale a été mise en oeuvre avec la transformation d'hôtels en hôpitaux , les « hospitels ». Initialement destinés aux personnes ne pouvant s'isoler à domicile, ils ont accueillis des personnes fragiles nécessitant une surveillance ou, après un séjour au Médipôle, des patients stabilisés sous oxygène. Jusqu'à 150 patients ont été accueillis en « hospitels ». Environ une centaine de patients sont restés à domicile sous oxygène, bien moins qu'en Polynésie française ou qu'aux Antilles. Durant les quinze premiers jours de la crise épidémique, l'augmentation des capacités d'hospitalisation a été assurée par recours au personnel local, avant que ceux-ci soient épaulés par des renforts nationaux (472 au total jusqu'à fin octobre). Il n'a été procédé à aucune évacuation sanitaire.

2. Des capacités inégales à surmonter la crise
a) Une situation proche de la médecine de catastrophe aux Antilles face à un « tsunami » épidémique

La vague épidémique survenue cet été aux Antilles constituait un véritable « tsunami » , selon les termes employés par les professionnels de santé qui y ont été confrontés, rencontrés sur place par la délégation de la mission d'information au mois d'octobre.

Les services de l'État et les établissements ont fait preuve d'une très grande réactivité, en particulier en assurant une rapide montée en puissance des capacités d'hospitalisation et de réanimation . Face à l'urgence, ce sont cependant dans certains cas des lits de réanimation « de fortune » qui ont été installés, notamment dans des établissements ne disposant pas habituellement du matériel et des compétences nécessaires.

Malgré cette mobilisation et l'engagement absolu des équipes soignantes, les structures hospitalières ont été débordées en raison du flux exceptionnel de patients .

Comme l'ont confirmé les représentants de la communauté médicale à la délégation de la mission d'information, des priorités ont dû être établies pour l'admission des patients à l'hôpital puis en service de réanimation, en privilégiant ceux pour lesquels le bénéfice apparaissait le plus élevé. Cette priorisation des patients a atteint aux Antilles une intensité sans équivalent sur le territoire national depuis le début de la pandémie.

Tant en Martinique qu'en Guadeloupe, les services de réanimation , dont la capacité avait été considérablement accrue, ont été saturés , alors même que des évacuations sanitaires vers l'hexagone ont été effectuées, dans des conditions complexes, pour 145 patients intubés ventilés 8 ( * ) . Initialement limitées à 4 patients par vol, les capacités ont été progressivement augmentées jusqu'à 12 patients. C'est la première fois depuis le début de l'épidémie, en mars 2020, que de tels transferts massifs vers l'hexagone sont effectués , la seule opération réalisée jusqu'alors ayant concerné 4 patients évacués depuis La Réunion 9 ( * ) . Il s'agit d'un ultime recours pour libérer des capacités de prise en charge de nouveaux patients. Conditionné à l'accord préalable de la famille, il ne peut concerner que des patients répondant à des critères médicaux spécifiques stricts.

Ce contexte de crise très éprouvant, proche de l'exercice de la médecine de catastrophe , a produit un fort impact psychologique sur des personnels qui n'avaient jamais été placés dans ce type de situation. Il a également profondément marqué les familles des patients et suscité, dans certains cas, des incompréhensions et des tensions avec les soignants.

En raison de l'engorgement des hôpitaux antillais, plus d'un millier de patients ont été pris en charge à domicile . Les représentants des professionnels libéraux - médecins et infirmiers - ont relayé auprès de la délégation le sentiment d'isolement et de solitude de beaucoup de leurs confrères face à cette crise exceptionnelle. Aux difficultés à obtenir des consignes précises sur la prise en charge et l'orientation des patients se sont ajoutées celles liées à l' approvisionnement en oxygène ou en équipements médicaux . Les agences régionales de santé ont passé en urgence les commandes nécessaires, mais les livraisons n'ont semble-t-il pas toujours été effectuées dans des délais satisfaisants. La nécessité, dans de telles circonstances, de recourir à des vols cargos spécifiques a été soulignée.

L'ampleur des moyens consacrés aux patients covid a généré par contrecoup un impact considérable sur la prise en charge de pathologies chroniques comme l'hypertension artérielle ou le diabète, des retards sur le diagnostic et le traitement des cancers et le report d'interventions de chirurgie non urgentes. Cet effet induit du covid a certainement contribué à la surmortalité constatée sur les derniers mois, dans des proportions qui restent à évaluer plus précisément.

Enfin, la prise en charge massive de patients atteints de formes sévères du covid est intervenue dans un contexte social tendu . Depuis plusieurs mois, le bien-fondé de la politique conduite contre l'épidémie , et notamment de la vaccination, faisait l'objet aux Antilles d'une contestation latente . En Martinique, le rétablissement du couvre-feu en application de l'état d'urgence et l'annonce des mesures prévues dans le projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire - extension du passe sanitaire, obligation de vaccination pour certains personnels - ont donné lieu dans la seconde quinzaine de juillet à plusieurs manifestations, dont certaines émaillées de violences 10 ( * ) . Quoi que de moindre ampleur, des faits de même nature se sont produits en Guadeloupe. C'est dans ce climat dégradé que des membres des équipes hospitalières - personnels permanents ou renforts venus de l'hexagone - ont fait l'objet de mises en causes ou de prises à partie leur imputant une responsabilité dans la détérioration accélérée de la situation sanitaire et la mortalité élevée en résultant.

La mission d'information, qui a pu mesurer l' engagement de ces personnels dans des conditions extrêmement difficiles , tient à les assurer de son plein soutien . Elle constate qu'un tel épisode n'est pas sans conséquence sur la pérennité des équipes médicales sur place, des souhaits de départ vers l'hexagone , à court ou à moyen terme, ayant été exprimés par de nombreux médecins et soignants.

b) Des conditions très tendues en termes de ressources humaines dans tous les autres territoires

Si la Guyane a connu une situation de tension hospitalière comparable à celles des Antilles, sans qu'il ait toutefois été nécessaire de recourir à des évacuations sanitaires ou d'établir des priorités pour l'accès aux services de réanimation, d'autres territoires ont pu faire face dans de meilleures conditions à la crise épidémique.

La Nouvelle-Calédonie dispose avec le Médipôle d'un établissement hospitalier récent, ouvert en décembre 2016, dont le dimensionnement et l'équipement ont permis l'ouverture de nombreux lits supplémentaires. Grâce à ces capacités, combinées à l'ouverture de lits dans des hôtels reconfigurés, les oxygénothérapies à domicile ont été beaucoup moins nombreuses qu'en Polynésie française ou aux Antilles.

La Polynésie française bénéficie elle aussi d'un centre hospitalier récent et bien équipé, même si son extension pourrait paraître nécessaire afin répondre aux besoins de stockage, plus importants en raison de l'éloignement, et de permettre d'aménager des espaces de soins supplémentaires en cas de crise. L'hôpital dispose en outre de sa propre capacité de production d'oxygène. Cela n'a pas évité une situation proche de la saturation et comme indiqué précédemment, 8 évacuations sanitaires vers l'hexagone ont été effectuées.

De fait, tous les territoires n'ont pu affronter la crise qu'en redéployant leurs capacités aux dépens des pathologies courantes - avec des conséquences encore difficiles à évaluer - et en bénéficiant de concours nationaux pour renforcer des ressources humaines sollicitées à l'extrême. Ces renforts ont représenté un total d'environ 4 600 personnels du 1 er août au 31 octobre, supérieur au cumul de tous ceux qui avaient jusqu'alors été envoyés depuis mars 2020 (4 000 en un an-et-demi). Il s'agissait pour les deux-tiers de personnels en activité volontaires, alors que jusqu'alors, les renforts provenaient à 90 % de la réserve sanitaire.

En Guyane, la quatrième vague a suivi de quelques semaines à peine la vague précédente, générant un sentiment d'épuisement au sein des équipes hospitalières. La tension sur les équipes a également été forte à La Réunion. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, la vague épidémique a suivi une longue période au cours de laquelle les contraintes de déplacement vers et depuis l'hexagone ont éprouvé nombre de personnels médicaux ou soignants et leurs familles. Dans ces territoires du Pacifique, l'isolement des établissements fait ressortir leur fragilité, dans la mesure où leur fonctionnement reste très dépendant d'une ressource médicale originaire de l'hexagone dont la motivation à exercer sur place n'est pas acquise.


* 6 Un tiers d'entre eux appartenaient à la réserve sanitaire et deux-tiers étaient des professionnels volontaires qui ont été employés dans le cadre du régime de réquisition prévu par l'article 48 du décret n° 2021-699 du 1 er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

* 7 Au CHU de Guadeloupe, 85 lits ont été ouverts en une semaine pour les patients covid.

* 8 Des patients non covid ont été acheminés par vols commerciaux. Les patients covid l'ont été par des vols dédiés.

* 9 Jusqu'en juillet 2021, à l'exception de 4 patients transférés de La Réunion vers l'hexagone, les évacuations sanitaires de patients atteints du covid s'étaient principalement opérées de Mayotte vers La Réunion (248 patients) et 13 patients avaient été évacués de Guyane vers la Guadeloupe ou la Martinique.

* 10 Y compris des tirs à balles réelles sur les forces de sécurité lors d'une manifestation à Fort-de-France le 18 juillet.

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