C. FLUIDIFIER LE PARCOURS DU PATIENT À L'HÔPITAL ET POURSUIVRE LE DÉVELOPPEMENT DES ALTERNATIVES À L'HOSPITALISATION COMPLÈTE

S'il est indispensable de mieux répondre aux besoins de santé en amont de l'hôpital, tout indique que la pression sur celui-ci va demeurer forte, tant aux services des urgences, qu'en aval de ceux-ci. C'est sur l'ensemble de ce parcours qu'il faut alléger la charge pesant sur l'hôpital, pour améliorer les conditions de travail des soignants, mais surtout pour assurer une meilleure qualité de prise en charge pour les patients.

1. Améliorer la prise en charge aux urgences et l'orientation vers les services d'aval

Si elle peut paraître trop caricaturale pour caractériser la situation de tous les services des urgences, l'image du patient attendant dans un couloir sur un brancard, faute de lit pour l'accueillir, ou pire, sur une chaise, faute de brancard, comporte néanmoins une part de réalité comme l'ont montré les témoignages recueillis par la commission d'enquête lors de l'audition des chefs de service des urgences 241 ( * ) .

Il faut rappeler que le nombre de passages aux urgences est en hausse quasi-constante depuis 1996. On comptait alors 10,1 millions de passages, contre 21,2 millions en 2019, soit une augmentation moyenne de 3,3 % par an, avec une croissance plus modérée, de 1,5 % par an, entre 2016 et 2019.

Évolution du nombre de passages annuels aux urgences depuis 1996

Source : Drees, Les établissements de santé, 2021

NB : le SSA est le service de santé des armées

Les moyens humains et matériels des services n'ont pas augmenté dans les mêmes proportions, d'où un phénomène d'intensification du travail et d'engorgement des services. Dans son rapport annuel de 2019 précité, la Cour des comptes relevait « un sous-effectif médical générateur de tension dans un nombre croissant d'établissements », une profonde modification des modes d'exercice, avec plus des trois-quarts des médecins travaillant à temps partiel, des « difficultés de recrutement de personnels médicaux », « une hausse exponentielle du recours à l'intérim », « un besoin supplémentaire d'ETP d'urgentistes de l'ordre de 20 % ».

Une augmentation capacitaire et des mesures d'attractivité de nature à pourvoir les recrutements correspondants sont indispensables.

En termes d'organisation, il est parfois estimé que le mode de financement forfaitaire des urgences peut induire un effet pervers conduisant à accepter des patients qui ne sont pas de leur ressort. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a prévu l'expérimentation d'un forfait visant à encourager, lorsqu'elle est envisageable, la réorientation du patient vers une consultation de ville (praticien, maison de santé, maison médicale de garde) à une date compatible avec son état de santé. L'objectif est de pouvoir toucher 5 à 10 % des passages au sein des urgences hospitalières sans hospitalisation. Fixé à 60 euros, ce forfait a été mis en place au printemps 2021. Il est encore trop tôt pour en évaluer les effets.

Par ailleurs, le forfait patient urgences (FPU) entré en vigueur depuis le 1 er janvier 2022 unifie les différents tarifs préexistants qui étaient facturés a posteriori aux patients. Cette mesure parfois critiquée ne devrait pas avoir fondamentalement d'effet sur la fréquentation des urgences.

Lors de sa visite au centre hospitalier de Valenciennes, la délégation a pu prendre connaissance d'une initiative relevant du même objectif. Avec le projet « médecins généralistes aux urgences », la CPTS du Grand Valenciennes, composée de 130 professionnels médecins et paramédicaux, dans le cadre de sa coopération avec l'hôpital, assure la présence, au sein du service des urgences, d'un généraliste vers lequel l'infirmier ou le médecin de tri envoie les patients qui ne relèvent pas de l'hôpital.

La Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2019, préconisait d'expérimenter la mise en place de consultations par un cabinet médical dans le local des urgences (de 19 heures à minuit la semaine et de 9 heures à minuit le week-end).

Ce type d'initiative mérite d'être développé.

Recommandation : expérimenter, en coopération avec les CPTS, la mise en place de consultations par un médecin généraliste pour désengorger les urgences.

L'engorgement des services d'urgences tient aussi en grande partie à la difficulté, au sein même de l'hôpital, de trouver un lit d'hospitalisation pour le patient arrivé aux urgences dans le service dont relève sa prise en charge.

Ce point a été particulièrement souligné lors de l'audition des responsables de services des urgences par la commission d'enquête 242 ( * ) .

Selon le docteur Benoît Doumenc, chef du service des urgences médico-chirurgicales de l'hôpital Cochin, « les différentes spécialités dans l'hôpital doivent prendre conscience de la nécessité de réorganiser leurs services , en tenant évidemment compte de toutes les complexités, afin que les patients admis aux urgences puissent rapidement être pris en charge dans les autres services . Pour ma part, j'ai très peu de problèmes de lits en aval, mais l'accessibilité est très complexe : par exemple, la décision d'accepter un patient dans le service de médecine interne sera prise à dix heures du matin, mais l'admission effective n'interviendra qu'à seize heures, soit la perte de près d'une journée pour la prise en charge du patient, avec des conséquences sur l'efficacité de celle-ci ».

Le professeur Louis Soulat, chef du service des urgences du CHU de Rennes et du SAMU d'Ille-et-Vilaine, juge « surprenant d'entendre parfois que les patients reçus aux urgences - « nos » patients - viendraient perturber l'organisation des services d'aval. On a beaucoup trop orienté ces services sur les soins programmés, pour réduire le nombre de lits. Aujourd'hui, nous sommes dans une impasse. On oppose trop souvent le programmé et le non-programmé alors que les flux de patients aux urgences sont prévisibles et peuvent être anticipés pour les périodes épidémiques. »

Les cellules de gestion des lits mises en place dans certains établissements facilitent cette nécessaire liaison entre les services des urgences et les services d'aval.

Le docteur Benoît Doumenc précise qu'à l'hôpital Cochin, cette cellule, « qui ne relève pas des urgences, travaille chaque jour de la semaine pour trouver des lits. Et mes collègues des autres services ont compris que cette cellule leur permettra de trouver des lits dans d'autres services plutôt que de renvoyer les malades vers les urgences quand ils n'ont pas de lit dans leur propre service. Cette cellule nous aide beaucoup ». Pour le professeur Louis Soulat, « il faut organiser l'aval des urgences, avec des cellules de gestion des lits structurées à l'échelon territorial, fonctionnant 24 heures sur 24. On peut définir le besoin journalier minimum en lits (BJML). Nous savons qu'il y a des périodes de tensions reproductibles, donc prévisibles chaque année. »

Or il est fréquent que ce besoin en lit d'aval ne soit pas anticipé. Cela induit un allongement du temps d'attente avant hospitalisation et une saturation des urgences.

L'estimation du besoin journalier minimum en lits conduit au contraire à fixer un nombre de lits nécessaires chaque jour pour le service des urgences et un nombre de lits libres au matin. Elle se fait en deux étapes : une étape quantitative amène à évaluer le nombre journalier d'hospitalisations et de transferts pour chaque semaine de l'année ; une étape qualitative panache ces données chiffrées avec le contexte local pour définir le besoin journalier, complété par un objectif de lits disponibles pour les urgences à 8 heures du matin.

Dans la même optique, des indicateurs précoces peuvent être suivis, comme l'a fait l'AP-HP dans le cadre de la crise sanitaire, en repérant les premiers signaux d'alerte (appels au SAMU, envois d'ambulance, pourcentage de tests PCR positifs, visites de SOS Médecins, passages aux urgences...) pour anticiper les passages en réanimation 243 ( * ) .

Afin de rationaliser le système de gestion des lits, une convention de partenariat entre la Fédération des observatoires régionaux des urgences (Fedoru) et l'ANAP a été signée le 23 mars 2021. Elle est destinée à promouvoir des filières territoriales d'urgences, à travers notamment l'organisation de sessions collectives d'appui aux professionnels sur la fluidification de la gestion des urgences, et l'élaboration des indicateurs prévisionnels fiables sur la disponibilité en lits, recueillis en temps réel, à partir de chaque unité de soins, au-delà du besoin journalier minimal en lits. « La connaissance centralisée et coordonnée des séjours permettra des tableaux de bord institutionnels fiabilisés sur lesquels les établissements de santé pourront s'appuyer, améliorant ainsi leurs pratiques d'hospitalisation en interne et au sein de leur GHT et évitant aux patients des attentes longues sur un brancard aux urgences », estime l'ANAP 244 ( * ) .

Une fois ces indicateurs disponibles, ils devront être diffusés. D'ici là, la mise en place de cellules de gestion des lits grâce à l'outil du BJML doit être encouragée à chaque fois que cela est possible.

Recommandation : encourager la mise en place de cellules de gestion des lits dans les hôpitaux et les territoires ainsi que l'utilisation concomitante du besoin journalier minimum en lits, avant de diffuser et d'utiliser les indicateurs sur la disponibilité en lits créés par la Fédération des observatoires régionaux des urgences et l'agence nationale d'appui à la performance lorsqu'ils seront disponibles.

2. Continuer à développer les alternatives à l'hospitalisation

Le taux de chirurgie ambulatoire, c'est-à-dire sans nuit passée à l'hôpital, est passé de 43,3 % en 2010 à 59,4 % en 2020. Un objectif de 70 % avait été fixé pour 2022, mais a été repoussé en raison de la crise sanitaire.

Le développement de la chirurgie ambulatoire a fait l'objet d'appréciations contrastées devant la commission d'enquête. Pourtant, elle ne doit pas être considérée comme un objectif économique, mais bien comme un avantage pour le patient, auquel elle évite les contraintes de l'hospitalisation complète et les risques d'infections nosocomiales.

Le Haut Conseil de la santé publique 245 ( * ) encourage la poursuite de cette évolution, préconisant de relever la cible à 80 % des actes de chirurgie, objectif qui lui paraît atteignable en utilisant l'outil « Visuchir », mis à disposition des établissements, et les travaux des sociétés savantes.

Elle doit toutefois s'effectuer sur la base systématique d'une évaluation préalable des possibilités de suivi du patient après son hospitalisation , ce qui suppose une meilleure coordination avec les soins de ville. L'organisation de la sortie et du retour à domicile demeure en effet un point à améliorer.

Dans ce cadre, des programmes de récupération améliorée après chirurgie se développent sur la base des recommandations de la HAS, pour sécuriser les sorties à domicile et limiter les complications .

En revanche, le Haut Conseil de la santé publique note une stagnation de l'offre de médecine ambulatoire hospitalière , qui s'expliquerait en grande partie par un manque d'incitation financière et par la crainte par les établissements d'une requalification des hôpitaux de jour en consultations externes par les pouvoirs publics, induisant une perte financière conséquente. L'instruction du 10 septembre 2020 relative à la gradation des prises en charge ambulatoires réalisées au sein des établissements de santé vise toutefois à sécuriser la tarification des hôpitaux de jour, afin d'en favoriser le développement.

Recommandation : poursuivre le virage ambulatoire en évaluant systématiquement les possibilités de suivi du patient après son hospitalisation.

L'hospitalisation à domicile (HAD) constitue une forme d'alternative à l'hospitalisation conventionnelle . Elle se concentre sur certains types de prise en charge : soins palliatifs, pansements complexes, assistance respiratoire ou nutritionnelle, chimiothérapies, soins à des patients lourdement dépendants.

Elle est portée par près de 300 structures , mais demeure relativement peu connue , bien qu'elle se soit nettement développée ces dernières années puisqu'elle représente une part non négligeable (plus de 5 %) des capacités d'hospitalisation.

Lors de son audition, Elisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile 246 ( * ) a précisé que dans un cas sur cinq seulement, l'HAD intervenait à la demande d'un médecin libéral, alors que dans quatre cas sur cinq, elle suivait une hospitalisation conventionnelle à la demande d'un praticien hospitalier.

L'HAD peut constituer une forme très adaptée de prise en charge des patients, soit comme alternative à l'hospitalisation conventionnelle, soit à l'issue de celle-ci, en évitant des durées de séjour inutilement longues ou des ruptures dans le parcours.

On peut constater une méconnaissance ou une mauvaise compréhension des possibilités offertes par l'HAD, tant par les médecins libéraux que par les établissements hospitaliers, qui restreint son développement. Il semble également que l'application « ViaTrajectoire », utilisée pour la recherche de structures d'aval, oriente le patient vers la première place disponible sans qu'il s'agisse nécessairement de la meilleure solution pour le patient. Enfin, l'HAD pourrait s'avérer particulièrement appropriée pour des patients âgés résidant en Ehpad si les établissements s'organisaient pour faciliter ce type de prise en charge dans leurs locaux. Tel n'est pas le cas aujourd'hui.

Recommandation : amplifier le recours à l'hospitalisation à domicile (HAD) en assurant son évaluation systématique par les établissements, en suivant le taux de recours par ceux-ci et en incitant les Ehpad à s'organiser pour faciliter l'accès de leurs résidents à l'HAD.

3. Faciliter la sortie d'hospitalisation

Gérard Larcher soulignait déjà, dans son rapport de 2008 sur les missions de l'hôpital 247 ( * ) , que l'offre en soins de suite et réadaptation (SSR) en France était moins dense que dans les pays comparables et que, couplé à un déficit de place dans les structures médico-sociales, cela entraînait une augmentation injustifiée de la durée moyenne de séjour à l'hôpital des personnes âgées .

Entre la réforme des SSR de 2008 248 ( * ) et 2016 , l'activité des établissements SSR a augmenté de 16 % et leurs capacités d'accueil ont été portées de 104 000 à 117 000 lits et places, soit une hausse de 13 %.

Depuis lors, la progression est plus modeste , avec un peu moins de 120 000 lits et places en 2019.

Comme l'indiquait devant la commission d'enquête Pascal Gendry, président d'Avenir des équipes coordonnées (AVECsanté), « beaucoup de travail reste à faire en la matière [...] . Même quand une hospitalisation est programmée, les conditions du maintien à domicile après le séjour à l'hôpital ou en soins de suite et de réadaptation (SSR) ne sont pas toujours anticipées. » 249 ( * )

Le sujet concerne particulièrement les personnes âgées, dont le retour à domicile peut s'avérer difficile voire impossible. « Ils restent donc dans les lits hospitaliers, pour un coût très élevé », déplore ainsi Patrick Goudot, vice-président de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers. « Rien n'est conçu pour leur permettre de trouver un hébergement d'aval digne de ce nom capable de les prendre en charge. C'est là toute la place des assistantes sociales et des aidants. » 250 ( * )

Le rôle des hôpitaux de proximité , qui comportent tous une activité SSR, est ici décisif. Ils constituent le bon échelon pour répondre à cet enjeu. « Avons-nous assez de lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) ? » , s'interrogeait Jean-Yves Grall devant la commission. Selon lui, « cette question doit être traitée au plan territorial pour assurer de la fluidité des modalités d'admissions dans ces SSR » 251 ( * ) . En tout état de cause, le vieillissement de la population et les difficultés d'un retour serein des personnes âgées à leur domicile plaident pour un développement renforcé des SSR partout sur le territoire.

Les hôpitaux de proximité : une composante incontournable de l'offre de SSR qu'il faut enfin stabiliser

Le statut des hôpitaux de proximité a été fixé par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 et ses missions et conditions de labellisation ont été déterminées par la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé du 24 juillet 2019. Ils représentent aujourd'hui 45 % de l'offre publique de lits en SSR 252 ( * ) .

Leur rôle pour décharger les urgences peut être très utile, ainsi que l'estimait le docteur Jean-François Ricono, vice-président de la Fédération nationale des établissements de santé de proximité : « Les services d'urgences sont saturés de patients, en particulier âgés et polypathologiques instables. Quand les hôpitaux de proximité peuvent leur permettre de trouver rapidement un lit d'aval pour un patient admis en service d'urgence, nous sommes toujours les bienvenus ! » 253 ( * ) .

Leur labellisation progressive - 214 fin janvier 2022, sur un objectif de 500 à 600 labellisations annoncées dans le plan « Ma Santé 2022 » - se veut un gage de qualité. Le statut de ces hôpitaux, qui a trop souvent varié, doit désormais se stabiliser, pour permettre une appropriation de leur rôle par tous les acteurs de santé.

Recommandation : mieux anticiper les suites d'une hospitalisation aiguë et consolider l'offre de SSR sur le territoire.


* 241 Audition du 16 décembre 2021.

* 242 Audition du 16 décembre 2022.

* 243 « Early indicators of intensive care unit bed requirement during the COVID-19 epidemic : A retrospective study in Île-de-France région, France », 2020, COVID-19 APHP-Universities-INRIA-INSERM Group, PLoS ONE 15(11): e0241406. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0241406

* 244 « L'ANAP et la FEDORU signent un partenariat pour favoriser la mise en place de filières d'urgences », avril 2021.

* 245 Haut Conseil de la santé publique, Virage ambulatoire : pour un développement sécurisé , juin 2021.

* 246 Audition du 26 janvier 2022.

* 247 Rapport de la commission de concertations sur les missions de l'hôpital, présidée par M. Gérard Larcher, remis au Président de la République le 10 avril 2008.

* 248 Concrétisée par les décrets n° 2008-376 et n° 2008-377 du 17 avril 2008 relatifs respectivement aux conditions technique de fonctionnement et aux conditions d'implantation applicables à l'activité de soins de suite et de réadaptation, et la circulaire d'application n°DHOS/O1/2008/305 du 3 octobre 2008.

* 249 Audition du 27 janvier 2022.

* 250 Audition du 9 décembre 2021.

* 251 Audition du 3 février 2022.

* 252 Audition du 27 janvier 2022.

* 253 Ibid.

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