D. DÉCLOISONNER L'HÔPITAL ET LES AUTRES ACTEURS DU PARCOURS DU PATIENT

La nécessité de faciliter et de développer les relations, aujourd'hui difficiles, entre l'hôpital et les autres actes du parcours du patient a été fortement soulignée par de nombreux interlocuteurs de la commission d'enquête, tant en amont qu'en aval de l'hospitalisation.

En effet, même si de nombreuses initiatives existent sur le terrain, l'impression dominante est bien celle d'un cloisonnement persistant , à des degrés variable selon les établissements.

Le modèle des hôpitaux de proximité les ouvre fortement sur leur environnement, ce qui est moins le cas des gros établissements et des CHU.

Le décloisonnement est un élément essentiel de la qualité de la prise en charge du patient, mais également un facteur d'optimisation des ressources de l'assurance maladie.

Comme le signalait le professeur Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé, à la commission, « s'agissant des parcours de soins, il s'agit davantage d'un parcours de santé, car il convient de regarder ce qui se passe en amont et en aval du soin, pour soulager ce dernier. Ces parcours de santé sont essentiels pour les patients et également pour tous les acteurs, car c'est souvent sur le plan de la coordination des différents étages du parcours qu'une amélioration de la prise en charge pourrait être faite. Chaque étape du parcours de santé est extrêmement importante, si on veut optimiser la consommation de soins. » 254 ( * )

Le docteur Thierry Godeau, président des conférences de CME de centres hospitaliers, estimait quant à lui que « le manque de coordination des professionnels est probablement l'une des principales causes de gabegie financière et de mauvaise qualité des soins, avec des redondances d'examens, des hospitalisations évitables mais également prolongées » 255 ( * ) .

La coordination des acteurs du parcours de soin est l'objet de multiples dispositifs ou initiatives.

On peut citer le programme Prado, lancé par l'assurance maladie, ou les dispositifs d'appui et de coordination (DAC) 256 ( * ) qui unifient un certain nombre de programmes comme les réseaux de santé et plateformes territoriales d'appui, les coordinations territoriales d'appui du programme personnes âgées en risque de perte d'autonomie (PAERPA) ou la méthode d'action pour l'intégration des services d'aide et de soin dans le champ de l'autonomie (Maia).

Le programme PRADO : un dispositif de retour à domicile mis en oeuvre en 2010 qui repose sur une meilleure coordination entre la ville et l'hôpital

Le programme Prado (programme de retour à domicile) a été mis en oeuvre en 2010 par l'assurance maladie. À l'origine construit autour de l'accompagnement des femmes en sortie de maternité - il a permis en 2019 l'accompagnement de sortie d'hôpital de 400 000 femmes - il se déploie aujourd'hui sur d'autres types de prise en charge (bronchopneumopathie chronique obstructive, insuffisance cardiaque, épisodes chirurgicaux, ...). Lorsque l'hôpital juge le patient éligible, après accord de celui-ci, la caisse primaire d'assurance maladie (Cpam) organise la sortie, prend l'attache des professionnels de ville (médecins, infirmiers, kinés) et veille au suivi pour une période d'un à six mois.

Des expérimentations visant à améliorer la coordination « ville-hôpital » ont également été lancées sur la base l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Certaines viennent certes d' « en haut », comme l'expérimentation d'un paiement à l'épisode de soins (EDS) pour des prises en charge chirurgicales à partir de juillet 2019, l'expérimentation d'incitation à une prise en charge partagée (IPEP) prévoyant un financement collectif incitatif à la mise en place d'organisation d'acteurs en santé pour améliorer l'accès aux soins et la coordination des prises en charge, ou encore le paiement en équipe de professionnels de santé en ville (PEPS). La grande majorité des expérimentations sont toutefois initiées par les acteurs locaux de la santé. Plus d'un quart des projets autorisés sur la base de l'article 51 proposent aujourd'hui une prise en charge partagée ville/hôpital .

Les dispositifs mis en oeuvre sur le terrain sont toutefois confrontés à un risque de foisonnement, de superposition et de complexité qui peut entraîner pour les acteurs un problème de lisibilité, ce qui ne remet d'ailleurs pas en cause leur pertinence.

La commission d'enquête estime toutefois qu'il est primordial de laisser à chaque fois leur chance à ces instances de coordination, créés par les acteurs eux-mêmes, sur la base de leur connaissance du terrain.

À titre d'exemple, le docteur Olivier Richard, chef de service du SAMU des Yvelines indiquait à la commission d'enquête : « il existe de nombreuses instances de coordination territoriale : pas moins de vingt-trois dans mon département des Yvelines... Tout le monde travaille dans son coin, avec la conviction de bien faire. Il y a donc un réel besoin de coordination, pour potentialiser toute cette activité masquée, inaccessible ou illisible pour les soignants de ville. » 257 ( * )

Les instances de coordination territoriale des soins dans le département des Yvelines

Source : Dr Olivier Richard, chef de service du SAMU des Yvelines

Indépendamment des dispositifs spécifiques de coordination qui peuvent être mis en place sur le terrain, les travaux de la commission d'enquête ont mis en lumière le terrain, plusieurs points plus généraux sur lesquels des améliorations sont indispensables.

Il s'agit tout d'abord des communications entre médecins de ville et hôpital .

Les représentants des médecins libéraux soulignent leurs grandes difficultés à identifier et contacter les interlocuteurs hospitaliers compétents pour la prise en charge de leurs patients.

Une cellule de coordination ville-hôpital devrait systématiquement constituer, au sein des établissements, un premier point de contact pour les médecins de ville .

Certains établissements disposent d'un référent ville-hôpital. Le docteur Claude Leicher, président de la fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé, suggère « des cellules de coordination ville-hôpital, dans lesquelles une ou deux infirmières seraient chargées, au moins pendant les horaires de bureau, de répondre aux besoins des professionnels de ville » 258 ( * ) .

Par ailleurs, les messageries sécurisées permettant des communications sur leurs patients entre professionnels de santé semblent peu ou pas répandues dans les établissements hospitaliers. C'est un frein à la mise en place de relations rapides et fluides. Elles devraient être généralisées.

Enfin, les médecins de ville souhaitent pouvoir s'adresser directement au service compétent pour les patients dont ils jugent l'hospitalisation nécessaire et disposer, pour ces patients, d'une filière d'admission autre que les urgences. Le passage systématique par le service des urgences, où seront effectués des examens et diagnostics redondants avec ceux réalisés en ville, leur paraît à juste titre ralentir la prise en charge du patient et surcharger inutilement le parcours hospitalier.

De manière plus générale, le dossier médical partagé doit également permettre d'éviter la duplication d'examens pour l'ensemble des patients arrivés aux urgences. Un bilan de l'espace numérique de santé devra être fait à cet égard.

Les cellules de coordination ville-hôpital des établissements ont également un rôle à jouer pour mieux préparer la sortie d'hospitalisation, en lien avec le médecin traitant.

Les structures d'exercice coordonné - équipes de sons primaires, MSP, CPTS - peuvent faciliter cette liaison en identifiant en leur sein un point de contact pour l'hôpital. Le docteur Pascal Gendry estime ainsi que « les hospitaliers doivent identifier facilement une personne qu'elles peuvent contacter dans nos structures [coordonnées] et qui est spécifiquement chargée de faire cette interface, notamment pour faciliter les sorties des patients. Cela permettra aussi, de notre point de vue, de libérer du temps médical. Nous devons structurer nos équipes dans ce sens. Nous avons besoin de structures solides avec des systèmes d'information adaptés et interopérables. » Il en va de même pour les CPTS.

Pour renforcer plus encore ce lien ville/hôpital, des représentants de la médecine de ville pourraient siéger en tant que tels au sein du conseil de surveillance des établissements publics de santé.

Recommandation : mettre en place systématiquement au sein des établissements une cellule de coordination ville-hôpital constituant un premier point de contact pour les médecins de ville, généraliser l'usage de messageries sécurisées par les praticiens hospitaliers et permettre aux médecins de ville d'adresser leurs patients, en vue d'une hospitalisation, par une filière d'admission autre que les services des urgences.

Par ailleurs, en application de l'ordonnance du 17 mars 2021 259 ( * ) , les conditions d'exercice d'une activité libérale hors de l'établissement ont été assouplies pour les praticiens occupant un emploi à temps non complet. Il conviendra d'évaluer rapidement l'effet de ces dispositions sur le développement de l'exercice mixte ville-hôpital.

Enfin, la pratique des vacations opérées par des médecins libéraux à l'hôpital s'est perdue, et avec elle beaucoup de liens qui facilitaient la connaissance mutuelle et la bonne coordination des prises en charge. Les établissements gagneraient à renouer avec cette pratique et à s'organiser à cet effet.

Recommandation : effectuer en 2023 un premier bilan de l'autorisation d'exercice mixte pour les praticiens hospitaliers et relancer la pratique des vacations opérées par des médecins libéraux à l'hôpital

L'articulation de l'action des établissements hospitaliers avec les Ehpad est également un sujet essentiel.

Il paraît indispensable de généraliser la présence d'infirmières de nuit dans les Ehpad afin d'éviter l'envoi systématique des résidents aux urgences en cas d'altération de leur santé.

Le docteur Jean-Yves Grall indiquait à ce titre qu'« une expérimentation avec le réseau des urgences de la zone de Vienne avait porté sur la présence d'infirmières de nuit dans les Ehpad et sur la formation de leurs personnels infirmiers et non infirmiers, par les services d'urgence, sur la pertinence de l'envoi aux urgences. On avait observé une baisse de 30 % des admissions aux urgences des patients venant de ces Ehpad. » 260 ( * ) L'efficacité de cette initiative devrait conduire à envisager sa réplication à chaque endroit où elle paraît possible.

De même, le recours à des dispositifs d'astreinte gériatrique et de garde de nuit testés dans certaines régions doit être encouragé . Téléphoniques ou numériques, ils peuvent s'appuyer sur le progrès liés à la télémédecine et à la téléconsultation. Les équipes mobiles de gériatrie adossées à des établissements de santé disposant d'unités de court séjour gériatrique, dont un tiers interviennent également sur les lieux de vie des personnes âgées (Ehpad et domicile), gagneraient également à être généralisées. On en dénombrait près de 350 sur le territoire national en 2018 261 ( * ) . Ces dispositifs ont fait leurs preuves au début de la crise sanitaire : ils ont fait l'objet de recommandations du ministère de la santé qui préconisait notamment l'organisation d'une astreinte autour d'un référent dans le cadre territoriale des filières de soins gériatrique, mais également la mise à disposition d'un appui des équipes mobiles de gériatrique sous la coordination du référent gériatrique de territoire 3 .

Par ailleurs, comme le préconisait la Cour des comptes dans son enquête réalisée à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat 262 ( * ) , l'accès des résidents à un médecin traitant devrait être facilité en vue de diminuer le recours aux hospitalisations.

Enfin, l'organisation de l'admission directe en service hospitalier des résidents en Ehpad requérant une hospitalisation doit contribuer à améliorer leur prise en charge.

Recommandation : généraliser la présence d'infirmières de nuit dans les Ehpad, renforcer le soutien médical des Ehpad en recourant aux astreintes gériatriques et aux équipes mobiles extra-hospitalières et permettre l'admission directe en service hospitalier des résidents en Ehpad requérant une hospitalisation.


* 254 Audition du 3 février 2022.

* 255 Audition du 4 janvier 2022.

* 256 Ordonnance n° 2021-1470 du 10 novembre 2021 prise pour l'application de l'article 23 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

* 257 Audition du 14 février 2022.

* 258 Audition du 27 janvier 2022.

* 259 Ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières.

* 260 Audition du 3 février 2022.

* 261 Ministère des solidarités et de la santé, « Consignes et recommandations concernant l'appui des établissements de santé aux établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes », Fiche établissements de santé , 31 mars 2020.

* 262 Rapport d'information n° 536 (2021-2022) de M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 23 février 2022, sur l'enquête de la Cour des comptes relative à la prise en charge médicale des personnes âgées en Ehpad.

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