B. RENFORCER L'OFFRE DE SOINS DE PROXIMITÉ EN FLUIDIFIANT LA RÉPARTITION DES TÂCHES ENTRE PROFESSIONS DE SANTÉ ET PROFESSIONS PARAMÉDICALES

Libérateurs de temps médical, les partages de compétence sont envisagés depuis près d'une décennie comme une réponse aux difficultés d'accès aux soins : ils permettent en effet de rapprocher les soins des territoires en étendant les compétences de professions globalement mieux réparties sur le territoire. Les zones sous-denses souffrent en effet bien souvent d'un déficit chronique d'organisation des tâches, avec des médecins qui se retrouvent seuls, sans confrère, pour organiser les parcours de soins et assurer la continuité des soins.

La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a créé en droit national un régime général 13 ( * ) définissant les pratiques avancées , permettant à des professionnels paramédicaux d'exercer des missions et des compétences plus étendues, jusque-là dévolues aux seuls médecins. Un décret de juillet 2018 a décliné ce régime aux infirmiers de pratiques avancées 14 ( * ) .

Les infirmiers en pratique avancée (IPA) disposent de compétences élargies, à l'interface de l'exercice infirmier et de l'exercice médical. Dans le cadre d'un protocole d'expérimentation, les IPA responsables du suivi régulier des patients pour leurs pathologies ont la possibilité de prescrire des examens complémentaires, demander des actes de suivi et de prévention, mais également renouveler ou adapter, si nécessaire, certaines prescriptions médicales. Principale profession concernée par la pratique avancée, le nombre total d'IPA devrait être de l'ordre de 1 700 en juillet 2022. Au rythme actuel des inscriptions, le seuil des 5 000 infirmiers en pratique avancée risque de n'être pas atteint avant 2026 ou 2027. Et lorsque les 5 000 IPA seront formés, ils ne représenteront que 0,7 % de l'ensemble des 764 000 infirmiers.

Le rapporteur recommande donc d' accroître l'attractivité économique de cette modalité d'exercice pour les étudiants infirmiers qui choisissent cette voie, qui nécessite deux années de formation complémentaire et débouche sur des responsabilités accrues. Un doublement du nombre d'IPA formés chaque année (moins de 800 à ce jour) serait souhaitable pour une meilleure projection territoriale du temps médical.

Les réflexions autour de la pratique avancée ont fait l'objet d'une actualité renouvelée, avec la publication en janvier 2022 du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), « Trajectoire pour de nouveaux partages des compétences entre professionnels de santé », qui a évalué les protocoles de coopérations entre professionnels de santé et la mise en place des infirmiers en pratique avancée, examiné la question de l'ouverture de la pratique avancée aux infirmiers spécialisés ainsi que l'opportunité de créer une profession de santé intermédiaire. La mission préconise de différencier deux types de pratiques avancées : celle des infirmiers en pratique avancée « spécialisés » et celle des infirmiers en pratique avancée « praticiens ». Selon les auteurs du rapport, la création d'IPA praticiens permettrait l'intervention de ces professionnels de santé en soins primaires et en population générale sur des pathologies courantes et bénignes pour améliorer l'offre de soins dans les territoires en libérant du temps médical.

Proposition 3 : Pour assurer la pérennité, le développement et l'attractivité de l'exercice en pratique avancée , créer le statut d'infirmier en pratique avancée praticien, en prévoyant des mesures adéquates de revalorisation et de financement.

De plus, cette montée en compétence favorise l'attractivité médicale du territoire où exercent les infirmiers en pratique avancée. Une équipe de professionnels paramédicaux impliqués est le gage de bonnes conditions d'installation pour les jeunes médecins, qui portent une attention croissante à la qualité de l'écosystème de santé et des soins. Pour le patient, ces coopérations renforcées permettent notamment le partage du suivi des malades chroniques et la réduction des délais d'accès aux soins non programmés. C'est la raison pour laquelle le rapporteur estime nécessaire d' améliorer la connaissance et la collaboration des professionnels de santé dès leur formation initiale , dans le but d'améliorer et de fluidifier les parcours de soins.

Dans cette optique, le dispositif des infirmiers Asalée (Actions de SAnté Libérale En Équipe) créé en 2004 démontre toute l'utilité de la délégation de tâches et le gain de temps médical induit . Il permet l'accompagnement individuel, par un infirmier spécifiquement formé, de patients atteints de maladies chroniques au sein du cabinet médical, dans une logique de coopération, de valorisation de compétences paramédicales et de satisfaction des besoins médicaux du patient, tout en libérant du temps médical. En 2019, ce dispositif concernait environ 700 infirmières et 3 000 médecins. Une étude de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) de 2019 15 ( * ) a montré que « l'entrée dans le dispositif Asalée a un impact positif et significatif sur la taille de la patientèle du médecin » et que « la délégation d'une partie de l'activité des médecins généralistes aux infirmières semblerait libérer du temps médical que les médecins allouent à l'accroissement de la taille de leur patientèle ». Le rapporteur plaide pour une meilleure connaissance de ce dispositif et la montée en puissance de cette solution qui améliore à la fois l'accompagnement de patients atteints de maladies chroniques, dont le nombre ne fait que croître, et la capacité de prise en charge des médecins.

Par ailleurs, les professionnels de santé que sont les pharmaciens ont également un rôle à jouer dans la réduction des difficultés d'accès aux soins . En 2019, 488 communes disposaient sur leur territoire d'une pharmacie, mais pas de médecin 16 ( * ) , constituant ainsi les seuls points d'accès aux soins de proximité du territoire. Les nouvelles compétences des pharmaciens contribuent à l'amélioration de l'accès aux soins dans les territoires, par exemple en matière de vaccination ou de renouvellement périodique des traitements par le pharmacien correspondant.

Proposition 4 : Permettre aux pharmaciens de renouveler toute prescription, dès lors qu'il existe une prescription d'origine faisant état d'un diagnostic avéré et élargir l'accès à la dispensation sous protocole , qui permet au pharmacien de délivrer au patient un médicament à prescription médicale obligatoire sans disposer d'ordonnance, dans le cadre de protocoles simplifiés.

Si la centralité du médecin dans le parcours de soins est incontestable, il apparaît cependant nécessaire, dans le contexte de raréfaction préoccupante du temps médical, d'évoluer vers un accroissement des gestes médicaux prodigués par d'autres professionnels de santé , tels que les pharmaciens ou les infirmiers de pratique avancée. De même, l'accès direct à certaines professions de santé pourrait être envisagé pour une plus grande fluidité des parcours de santé.

Proposition 5 : Expérimenter l'accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes afin d'économiser une partie du temps médical consacré à l'orientation du parcours de soins des patients.

Afin de rationaliser le temps médical et ne pas faire peser la charge des soins de ville sur les seuls médecins, il serait particulièrement pertinent de redéfinir, de manière concertée, consensuelle et sécurisée, les compétences entre les différentes professions médicales, mais également paramédicales et médico-sociales , sous la forme par exemple d'États-généraux de la santé ambulatoire, en explorant la notion de responsabilité populationnelle 17 ( * ) . Celle-ci fait actuellement l'objet d'une expérimentation dans cinq territoires depuis 2018 (Deux-Sèvres, Cornouailles, Douaisis, Haute-Saône et Aube) autour du diabète de type II et de l'insuffisance cardiaque. La prise en compte des besoins des habitants dans la constitution du projet de santé tout comme leur participation à la mise en oeuvre de ces projets, reconnue sous le terme de « santé participative » , fait également l'objet d'une expérimentation jusqu'au 31 décembre 2023 auprès de 26 structures situées dans un quartier prioritaire de la ville ou à proximité.

Un accroissement de la complémentarité entre la médecine hospitalière et la médecine de ville est également à envisager, pour décloisonner des raisonnements en silo qui se concentrent sur l'offre de soins au détriment de la demande de soins.


* 13 Inscrit à l'article L. 4301-1 du code de la santé publique.

* 14 Décret n° 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l'exercice infirmier en pratique avancée.

* 15 La coopération avec une infirmière modifie-t-elle l'activité du médecin généraliste ? L'impact du dispositif Asalée, Questions d'économie de la santé n° 241 - avril 2019.

* 16 Donnée issue des réponses du Conseil national de l'ordre des pharmaciens au questionnaire du rapporteur.

* 17 Définie à la l'article L. 1434-10 du code de la santé publique de la façon suivante : « L'ensemble des acteurs de santé d'un territoire est responsable de l'amélioration de la santé de la population de ce territoire ainsi que de la prise en charge optimale des patients de ce territoire. »

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