RAPPORT

I. UNE POPULATION JEUNE MAIS DES DÉTERMINANTS DE SANTÉ DÉFAVORABLES

A. UN PROFIL DE POPULATION JEUNE MAIS UNE MORTALITÉ INFANTILE ÉLEVÉE ET DES RISQUES IDENTIFIÉS SUR CERTAINES PATHOLOGIES

1. Un état de santé moins bon que dans l'Hexagone pour une population plus jeune

« Un habitant de Mayotte sur neuf s'estime en mauvaise ou très mauvaise santé en 2019 . Cette part est plus élevée qu'en métropole, alors que la population est beaucoup plus jeune. » C'est le constat fait par l'Insee en 2021, dans son enquête Santé DOM en 2019 1 ( * ) .

Perception de l'état de santé selon le territoire de résidence, en 2019

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données Drees-Irdes-Insee, Enquête santé DOM, EHIS, 2019 ; Insee, Estimations de population

La population du territoire est très jeune ; six Mahorais sur dix ont moins de 25 ans 2 ( * ) , ce qui explique un taux de mortalité inférieur à celui de l'Hexagone. Cependant, et paradoxalement, cette population jeune n'est pas nécessairement en bonne santé . Surtout, le « redressement » proposé sur une structure en âge comparable au niveau national montre une proportion de population déclarant un état mauvais ou très mauvais près de trois fois supérieur à l'Hexagone.

En outre, le taux de mortalité est particulièrement supérieur à l'Hexagone dans certaines tranches d'âges. Ainsi, la mortalité infantile atteint 9,6 %o contre 3,8 %o dans l'Hexagone .

La malnutrition touche encore 10 % des enfants de 4 à 10 ans.

Les populations âgées montrent également un état de santé dégradé : 47 % des plus de 65 ans estiment leur état mauvais ou très mauvais , et présentent par ailleurs un taux de dépendance particulièrement élevé. L'espérance de vie est de 75 ans, inférieure de huit ans à celle de l'Hexagone.

2. Un profil sanitaire entre celui d'un pays pauvre et celui d'un pays développé

L'état de santé de la population de Mayotte est paradoxal.

Territoire confronté à une extrême pauvreté, Mayotte connaît toujours des maladies infectieuses peu présentes au niveau national , comme l' hépatite A ou a vu des résurgences de choléra ou d'épidémies de fièvres typhoïdes . En 2018, Mayotte enregistrait encore 140 cas de leptospirose et 54 cas de tuberculose . En outre, dans son contexte géographique, le paludisme demeure un problème de santé publique, avec une recrudescence de cas importés. Le département, comme La Réunion, est enfin exposé aux épidémies de dengue .

Ces enjeux particuliers nécessitent des actions de lutte anti-vectorielle. La commission a à ce titre pu accompagner les équipes de l'ARS chargés de la lutte anti-vectorielle, avec des renforts de la réserve sanitaire, sur des interventions de dépistage de la gale , alors que des foyers importants avaient été identifiés au début 2022.

De l'autre côté, Mayotte affronte également les défis sanitaires contemporains avec, par exemple, une forte prévalence de surpoids et d'obésité. 26 % de la population était obèse en 2019 selon l'Insee, soit une proportion nettement supérieure à l'Hexagone (14 %) mais aussi aux autres départements ultramarins, dont le taux d'obésité ne dépasse pas 20 %. Surtout, les formes sévères ou morbides concernent aujourd'hui 15 % des femmes .

3. Une population éloignée des soins
a) Un renoncement aux soins important

Le renoncement aux soins est particulièrement préoccupant sur l'île. 45 % des habitants de plus de 15 ans déclarent avoir dû renoncer à des soins en 2019 3 ( * ) .

Ce renoncement atteint 38 % y compris chez les personnes ayant des droits ouverts à l'assurance maladie . Ces taux sont là encore largement supérieurs à l'Hexagone et aux autres départements d'outre-mer.

Le renoncement aux soins suit un gradient social très fort, puisque le taux atteint 54 % parmi les personnes au niveau de vie très modeste . Cependant, marqueur de la situation du territoire et signe que le revenu n'est pas nécessairement le seul obstacle, le renoncement aux soins concerne 35 % des personnes considérées comme « non pauvres » .

b) Un niveau de couverture maladie non aligné sur l'Hexagone

Alors que selon la même enquête de l'Insee, 34 % de la population renonce aux soins pour un motif financier, il est important de souligner que les droits à l'assurance maladie ne sont pas encore alignés à Mayotte sur l'Hexagone.

En outre, si le motif financier concerne majoritairement la population non assurée (55 % évoquant ce motif), il touche également les assurés, pour 22 % d'entre eux.

La branche maladie a été créée en 2004 à Mayotte. Alors que la carte Vitale est déployée depuis 2013 sur le département, où elle s'est substituée à une attestation « papier », 57 326 sont actuellement dénombrées.

Pour autant, le régime d'assurance maladie reste bien distinct de l'organisation des droits dans l'Hexagone et les autres départements d'outre-mer. La protection universelle maladie (PUMa) n'y est pas applicable, ni la complémentaire CMU-C - devenue complémentaire santé solidaire dans le droit commun.

La non-applicabilité de ces dispositifs a des conséquences concrètes :

- d'une part, une difficulté financière à accéder aux soins qui n'est pas palliée par les dispositifs de solidarité de droit commun et qui, partant, désincite certains assurés à recourir à la médecine de ville ou aux officines pour leurs soins plutôt qu'au CHM où la prise en charge est totale ;

- d'autre part, des difficultés administratives renforcées . A notamment été soulignée la rupture fréquente des droits pour des personnes en situation régulière au moment du renouvellement des titres de séjour. Il convient d'assurer la bonne continuité des droits, ainsi que le préconisent le Défenseur des droits et Médecins du monde.

Afin de renforcer l'accès aux soins, le Gouvernement s'était engagé, dans le cadre du plan pour l'avenir de Mayotte, à étendre la CMU à Mayotte mais aussi à permettre la prise en charge intégrale des soins pour les assurés, en exonérant de ticket modérateur selon les cas . Ces recommandations allaient dans le sens des recommandations de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales en 2017 4 ( * ) .

Cependant, comme l'a constaté la Cour des comptes 5 ( * ) en 2022, la quatrième mesure du plan pour l'avenir de Mayotte, qu'était l'exonération du ticket modérateur et l'instauration de la couverture maladie universelle, n'a pas été mise en oeuvre.

Recommandation : Conduire la réalisation des engagements relatifs aux droits à l'assurance maladie . Envisager l'extension à Mayotte de la protection universelle maladie (PUMa) et réaliser rapidement l'arrivée de la CMU-C et des exonérations de ticket modérateur selon le revenu.

Pour ce qui est des personnes en situation irrégulière, le motif financier est également largement invoqué comme motif de renoncement aux soins, alors que l' aide médicale d'État demeure non applicable à Mayotte .

En dehors des situations d'urgence, les personnes consultant au centre hospitalier de Mayotte peuvent se voir demander une participation forfaitaire de 10 euros ou 25 euros selon les cas, qui inclut les actes médicaux et la délivrance des médicaments prescrits.

Cette participation, qui demeure pourtant très en deçà du coût réel des soins, a été signalée par les associations sur place, Croix-Rouge et Médecins du Monde, comme une réelle barrière pour l'accès aux soins des personnes en situation irrégulière .

c) Un suivi et une prévention difficiles

Les modalités de recours aux soins montrent à Mayotte certaines particularités au regard de l'Hexagone.

Ainsi, si 60 % des habitants ont consulté au cours de l'année 2019 un généraliste, 34 % ont fréquenté l'un des dispensaires , véritables piliers de l'accès aux soins dans le département.

Or, force est de constater que les dispensaires, s'ils permettent un accès au plus grand nombre, ne sont pas des structures adaptées à une prise en charge suivie et ne s'apparentent pas à un cabinet médical avec un médecin traitant.

Part des personnes ayant consulté dans les 12 derniers mois, par type de soin

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données Drees-Irdes-Insee, Enquête santé DOM, EHIS, 2019 ; Insee, Estimations de population

Révélateurs également de l'éloignement de la population mahoraise des soins, y compris des soins primaires, certains dépistages ou examens classiques concernent un nombre de personnes bien plus faible que dans l'Hexagone.

L'Insee a ainsi estimé à près d'un habitant sur deux le nombre de personnes n'ayant jamais eu de mesure de cholestérol, quand ce taux est de 15 % dans l'Hexagone. Plus surprenant encore, 8 % de la population n'aurait jamais eu de prise de tension , pourtant un acte médical très fréquent ; ce taux n'est que de 2 % dans l'Hexagone.

Part des personnes n'ayant jamais mesuré leur tension, cholestérol et glycémie

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données Drees-Irdes-Insee, Enquête santé DOM, EHIS, 2019 ; Insee, Estimations de population


* 1 Insee Analyses Mayotte, n° 29, paru le 29 juillet 2021, Pierre Thibault et Sébastien Merceron (Insee), Julien Balicchi (Agence Régionale de Santé Mayotte).

* 2 Insee, chiffres 2017.

* 3 Insee, enquête santé DOM en 2019.

* 4 Inspection générale des affaires sociales, « Évaluation des besoins de santé à Mayotte » - rapport n° 2016-106R, mai 2017.

* 5 Cour des comptes - Chambres régionales et territoriales des comptes, « Quel développement pour Mayotte ? - Mieux répondre aux défis de la démographie, de la départementalisation et des attentes des Mahorais », juin 2022.

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