N° 856

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 août 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) et de la commission des affaires économiques (2) par la mission conjointe de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l' intensification et l' extension du risque incendie ,

Par M. Jean BACCI, Mme Anne-Catherine LOISIER, MM. Pascal MARTIN
et Olivier RIETMANN,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .

(2) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, MM. Jean-Marie Janssens, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

L'ESSENTIEL

I. EXTENSION ET INTENSIFICATION DU RISQUE INCENDIE MENACENT LA CAPACITÉ DE RÉSISTANCE DE LA SÉCURITÉ CIVILE

DEPUIS LES ANNÉES 1980, UNE STRATÉGIE FRANÇAISE D'ATTAQUE MASSIVE SUR FEUX NAISSANTS QUI A FAIT SES PREUVES

Cette réduction significative des surfaces brûlées est d'autant plus remarquable dans un contexte où l'indice de risque climatique et le combustible en forêt ont augmenté significativement. La France doit toutefois se préparer à une évolution défavorable du risque, structurellement causée par le réchauffement climatique et l'augmentation de la biomasse forestière.

Un risque encore plus menaçant : 4 manifestations

- Intensification : en région méditerranéenne française , les surfaces brûlées pourraient ainsi augmenter de 80 % d'ici 2050 . Avec une hausse de la fréquence des feux, les espaces boisés pourraient peu à peu laisser place à des maquis.

- Extension géographique : en 2050 , près de 50 % des landes et forêts métropolitaines pourraient être concernées par un risque incendie élevé, contre un tiers en 2010. En juillet 2022, 1 725 hectares de landes ont ainsi brûlé dans les Monts d'Arrée.

- Extension temporelle : la période à risque fort sera trois fois plus longue , les feux hivernaux devraient se multiplier. « Aujourd'hui, la `saison des feux', c'est toute l'année » (président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France).

- Développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles (feux de friches, de récoltes et de chaumes, y compris dans les espaces péri-urbains).

LE DÉVELOPPEMENT DE FEUX HORS NORMES MET À MAL LA STRATÉGIE FRANÇAISE DE LUTTE CONTRE LES INCENDIES

Parmi les plus grands incendies ayant touché la France ces 40 dernières années, 3 se sont déclenchés en 2021 et 2022 . Il s'agit des premiers incendies de plus de 5 000 ha depuis 2003.

En cas de feux simultanés, comme en Gironde à l'été 2022, les coûts environnementaux et socio-économiques des incendies pourraient s'accroître de façon exponentielle.

L'efficacité de la stratégie de lutte qui a fait de la France un modèle partout en Europe et dans le monde ne suffira pas face à l'émergence de feux hors norme. C'est pourquoi les rapporteurs ont souhaité engager une réflexion transversale, articulant prévention et lutte, convaincus que la « guerre contre le feu » ne sera gagnée qu'en activant plusieurs leviers.

II. PRÉVENIR LE RISQUE INCENDIE DE FORÊT ET DE VÉGÉTATION EN MOBILISANT L'ENSEMBLE DES POLITIQUES PUBLIQUES

ANTICIPER : ÉLABORER UNE STRATÉGIE NATIONALE INTERMINISTÉRIELLE PRENANT EN COMPTE L'ÉVOLUTION DU RISQUE

Compte tenu de l'évolution rapide du risque, l'élaboration d'une telle stratégie semble aujourd'hui inévitable. Son succès repose sur une amélioration des connaissances et des données relatives aux feux de forêt et de végétation.

€ Une proposition phare : mieux évaluer la « valeur du sauvé » pour mieux calibrer les moyens de prévention et de lutte contre l'incendie, qui devraient en tout état de cause être significativement accrus. Prévoir en particulier un doublement des moyens alloués à la prévention .

Pour être pleinement acteur majeur de cette stratégie, l'ONF doit retrouver dès à présent des marges de manoeuvre et étendre son périmètre d'intervention.

Une proposition phare : revenir sur les 500 suppressions de postes de l'ONF prévues d'ici à 2025, pour rétablir des postes d'agents de la protection de la forêt méditerranéenne et redéployer plus de personnels sur la défense contre les feux de forêt (DFCI) hors de cette zone.

La mise en oeuvre de cette stratégie devra nécessairement être déclinée par territoires , même dans ceux aujourd'hui moins exposés au risque incendie.

Une proposition phare : encourager l'élaboration d'un plan de protection des forêts (PPFCI), pierre angulaire de la politique de prévention au niveau local, dans les territoires simplement classés à risque d'incendie.

AMÉNAGER LE TERRITOIRE : MIEUX RÉGULER L'INTERFACE FORÊT/ZONES URBAINES POUR RÉDUIRE LES DÉPARTS DE FEUX ET LA VULNÉRABILITÉ

Le débroussaillement constitue une mesure essentielle de prévention contre les incendies, permettant d'en diminuer l'intensité et d'en limiter la propagation. Les obligations légales de débroussaillement (OLD) renforcent également la défendabilité des habitations. Elles sont malheureusement trop peu appliquées (taux de réalisation souvent inférieur à 30%).

Une proposition phare : adapter les modalités de mise en oeuvre du débroussaillement selon la nature du risque et la réalité des territoires.

Convaincus qu'une solution unique ne suffira pas à résorber le déficit de réalisation des OLD, les rapporteurs estiment qu'une palette large de leviers allant de la sensibilisation à la sanction, en passant par l'incitation, devra être mobilisée.

Une proposition phare : rendre la franchise obligatoire dans les contrats d'assurance habitation en cas de non-respect des obligations légales de débroussaillement et accroître son montant au-delà de la limite maximale actuellement prévue.

GÉRER LA FORÊT DURABLEMENT, PREMIER DES PARE-FEUX

La biomasse forestière augmente régulièrement depuis les années 1980, moins de la moitié de la croissance annuelle étant prélevée. Représentant trois quarts de la forêt française, la forêt privée, insuffisamment gérée, ne peut être livrée à elle-même face au risque d'incendie.

Une proposition phare : abaisser le seuil d'obligation des documents de gestion durable pour la forêt privée à 20 hectares (contre 25 à ce jour), adapter les effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF) en conséquence, créer des postes supplémentaires pour plus d'animation sur le terrain et une dynamisation de la gestion.

AMÉNAGER ET VALORISER LA FORÊT AU NIVEAU DU MASSIF

La valorisation économique des produits de la forêt permet de réinvestir les massifs peu gérés et d'optimiser les synergies entre desserte forestière et pistes de défense contre les incendies (DFCI).

Une proposition phare : intégrer aux objectifs des chartes forestières de territoire ou plans de massifs, la prévention du risque incendie, afin de faire de la structuration de filières en circuits courts un atout dans la connaissance et la gestion des massifs.

Les maires voudraient gérer davantage la forêt pour prévenir les feux, ce que la propriété morcelée et de multiples statuts (forêt usagère, biens de section) rendent plus difficile.

Une proposition phare : instaurer un droit de préemption des parcelles de forêt présentant un enjeu au regard de la défense des forêts contre l'incendie, au profit des communes s'engageant à intégrer la parcelle au régime forestier.

MOBILISER LE MONDE AGRICOLE DANS LA PRÉVENTION DES INCENDIES

Les activités pastorales et agricoles, créant des discontinuités de végétation, jouent le rôle de pare-feu protégeant la forêt. Cette « ligne Maginot » de la gestion doit pouvoir bénéficier des fonds européens et être exemptée d'indemnité de défrichement. Il faut veiller en parallèle sur l'interface forêt-terres agricoles, ces dernières étant aussi exposées au risque.

Une proposition phare : permettre au préfet de prescrire la réalisation des travaux agricoles (moissons...) la nuit en cas de fort risque incendie.

SENSIBILISER LES USAGERS VIA LA COMMUNICATION ET LA RÉPRESSION

Une proposition phare : lancer une campagne de communication sur la prévention au niveau des préfets et des élus à l'automne et à l'hiver, par exemple en matière de débroussaillement.

Les pics de fréquentation estivaux dans les massifs du Sud de la France apportent leur lot de comportements imprudents, l'ensemble des touristes n'étant pas « acculturés au feu ».

Une proposition phare : mobiliser le budget des collectivités territoriales pour recruter, former et équiper des jeunes du Service national universel (SNU), afin de prévenir et sensibiliser les usagers en forêt lors des périodes à risque.

LUTTER : FINANCER ET ÉQUIPER LA LUTTE INCENDIE À LA HAUTEUR DU RISQUE

La flotte française semble aujourd'hui insuffisante pour faire face à l'évolution de l'aléa.

Une proposition phare : augmenter le budget de la protection civile pour permettre l'acquisition de moyens aériens (avions et hélicoptères) à la hauteur du risque et s'appuyer, en tant que de besoin, sur la location d'appareils.

Au-delà des moyens nationaux, un soutien de l'État s'avère indispensable par un renforcement des moyens capacitaires des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).

Une proposition phare : augmenter significativement, dans un cadre pluriannuel, la dotation de soutien de l'État à l'investissement des SDIS, pour permettre notamment l'acquisition de véhicules et leur renouvellement.

REBOISER : FINANCER LA RECONSTITUTION DE FORÊTS PLUS RÉSILIENTES APRÈS L'INCENDIE

Lorsque ni la prévention, ni la lutte n'ont permis d'éviter un sinistre, vient l'étape de la reconstitution, nécessitant une aide financière de l'État et une réflexion sur les essences à planter, qui doivent concilier adaptation à la station forestière et résistance aux incendies.

Une proposition phare : conditionner l'aide de l'État à des choix d'essences et de gestion adaptés au risque incendie (par exemple en maintenant des pare-feux, en expérimentant des corridors de feuillus ou une moindre densité de peuplement).

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