E. MOBILISER LE MONDE AGRICOLE : RENFORCER LES SYNERGIES ENTRE PRATIQUES AGRICOLES ET PRÉVENTION DU RISQUE INCENDIE

L'articulation des espaces et des pratiques agricoles avec le risque feux de forêt est double :

• d'une part, les terres agricoles et les activités associées jouent moins que par le passé leur rôle de coupure de végétation et de cloisonnement des espaces forestiers (cf. supra ) ;

• d'autre part, on observe de plus en plus une intégration du risque feux de forêt avec les feux de récolte et les feux de friche .

Dans cette double logique, la mobilisation du monde agricole constitue donc, aux yeux des rapporteurs, un axe essentiel de prévention du risque incendie.

1. Restaurer le rôle de pare-feu des activités agricoles et pastorales

Certaines activités agricoles et pastorales pourraient jouer un rôle accru face au risque incendie, dans l'esprit de la « ligne Maginot » de la gestion des espaces forestiers et naturels imaginée il y a plus de vingt ans dans le rapport Bianco (cf. supra ). Depuis lors, l'agrosylvopastoralisme a poursuivi au contraire sa tendance à la baisse des effectifs (par exemple, - 13 % de pasteurs dans les Pyrénées dans la décennie 2000).

Les dispositions de la loi d'orientation sur la forêt n° 2001-602 du 9 juillet 2001 permettant à l'autorité administrative de prescrire une valorisation agricole ou pastorale sur une parcelle d'intérêt stratégique pour la DFCI (article L. 133-9 et L. 133-10 du code forestier) n'ont pas fourni un cadre suffisamment attractif et sécurisant pour que les activités pastorales en bénéficient réellement.

D'après l'Association française de pastoralisme, la contrainte n'est pas une solution, tous les acteurs devant y trouver leur compte : les pasteurs ont besoin d'une taille critique et de limiter les conflits d'usage, et les propriétaires d'un débroussaillement suffisamment complet de leurs parcelles pour une protection contre le risque incendie sans pression excessive sur le milieu.

La conciliation de ces objectifs doit être formalisée au moyen d'une convention, de préférence pluriannuelle pour assurer une cohérence dans le temps et garantir un accès pendant une durée suffisamment longue sans crainte d'une remise en cause à tout moment.

Dans les régions Sud et Occitanie, de tels contrats de coupures de combustible sont nombreux, comme par exemple dans le camp militaire de Canjuers dans le Var ou dans le cadre du PIDAF du golfe de Saint-Tropez.

Ces contrats doivent être pérennisés dans les territoires où ils ont été développés et, en tant que de besoin, dans de nouvelles zones exposées au risque. Ils pourraient être étendus à d'autres productions agricoles (ex. viticulture), pour autant que ces productions soient peu conductrices de l'incendie.

Axe n° 5 - Recommandation n° 45 : Favoriser la mobilisation des activités agricoles comme pare-feux naturels en finançant les agriculteurs pour les services environnementaux ainsi rendus :

- par une pérennisation des contrats d'entretien de « coupures de combustible », finançant des exploitations pastorales depuis plus de trente ans en région Sud et Occitanie ;

- en étendant ces contrats à d'autres productions agricoles (ex. viticulture), pour autant que ces productions soient peu conductrices de l'incendie.

Reconnu pour son service rendu à la défense des forêts contre l'incendie, le sylvopastoralisme fait historiquement l'objet de financements du FEADER à ce titre. Chambres d'agriculture France déplore cependant dans sa contribution écrite aux rapporteurs l'« affaiblissement des mesures d'incitation au pastoralisme dans les dernières programmations PAC », constatant que les MAEC sont de moins en moins adaptées à cette activité et rémunératrices. Il est essentiel de sécuriser le co-financement européen des activités pastorales, qui ensuite par un effet de levier permet de mobiliser les subventions des collectivités territoriales. Ces aides publiques permettent de compenser des activités agricoles utiles, mais dont la pérennité serait sans cela menacée en raison d'un manque chronique de rentabilité .

Par ailleurs, les autres types de culture, et en particulier la viticulture, ne sont pas reconnus pour leur utilité DFCI dans le cadre des MAEC, alors que leur intérêt comme pare-feu, lorsque les inter-rangs ne sont pas enherbés, a été confirmé par plusieurs études .

Axe n° 5 - Recommandation n° 46 : Orienter des moyens de prévention locaux, nationaux et européens. À ce titre, mobiliser des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) de la PAC pour cofinancer ce mode agricole ou pastoral de prévention.

2. Concilier fermeté et ouverture en matière de défrichement

Le défrichement est soumis à un régime d'autorisation administrative préalable (art. L. 341-1 à L. 341-10 du code forestier), qui connaît plusieurs dérogations, notamment à but de DFCI.

Dans un contexte de progression des surfaces forestières, sans aller jusqu'à prôner une présomption d'utilité DFCI pour toute opération de valorisation agricole ou pastorale, il pourrait être envisagé de minorer par défaut le coefficient de surface à replanter (ou d'indemnité compensatrice, prévue à l'article L. 341-6 du code forestier), dès lors que les surfaces défrichées sont pré-identifiées dans un PPFCI , et donc reconnues à ce titre comme nécessaires à la DFCI.

Axe n° 5 - Recommandation n° 47 : Sous certaines conditions, minorer par défaut le coefficient de superficie à compenser ou d'indemnité de défrichement (article L. 341-6 du code forestier), dans le cas de défrichement de ces surfaces à but agricole ou pastoral.

Traditionnellement réticents à l'égard d'éventuelles dérogations à l'indemnité de défrichement, les forestiers (syndicats de propriétaires ou administration) craignent d'introduire une brèche dans ce dispositif de protection des espaces boisés. À ces préoccupations partagées par les rapporteurs, ces derniers répondent d'abord que la perte de surface forestière sera strictement proportionnée à l'objectif recherché, celui de protéger d'une destruction des espaces forestiers encore plus significative, causée par les incendies .

En outre, dans un souci d'équilibre, les rapporteurs souhaitent proposer deux mesures complémentaires à même d'en améliorer l'acceptabilité par le monde forestier tout en réduisant encore davantage le risque d'incendie :

- la première est de donner consigne au préfet de faire preuve de fermeté dans les refus , motivés par la prévention du risque incendie, d'autorisations de défrichements qui auraient pour but la construction d'habitations (cf. supra ) ;

- la seconde est de déplafonner l'affectation de l'indemnité de défrichement au Fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB), l'article 46 de la loi n° 2011-1977 de finances pour 2012 établissant un plafond à 2 M€/an, au-dessus duquel les sommes sont reversées au budget général de l'État, alors que le produit de cette indemnité dépasse en moyenne 4 M€. Le FSFB finance en particulier le développement de la desserte forestière privée ou des collectivités pour faciliter l'accès aux massifs, l'amélioration des peuplements à faible valeur économique, notamment dépérissants, l'appui aux stratégies locales de développement forestier, la gestion groupée des parcelles et la reconstitution des peuplements scolytés ; il contribue, de ce fait, à la prévention du risque d'incendie. Il pourrait être opportun de lui confier explicitement la mission de rechercher les synergies entre sa dimension d'abord économique et la défense des forêts contre l'incendie (DFCI).

Axe n° 5 - Recommandation n° 48 : Affecter intégralement l'indemnité de défrichement, aujourd'hui reversée au budget général au-dessus d'un plafond de 2 M€, au Fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB). Confier au FSFB la mission de rechercher des synergies entre la desserte forestière et la défense des forêts des incendies.

3. Appréhender de façon intégrée le risque feux agricoles et de forêt

De plus en plus, les feux de forêt sont intégrés à de plus grands espaces et à leurs interfaces, si bien que des interlocuteurs de la mission de contrôle ont plusieurs fois invité les rapporteurs à parler de feux de forêt, de végétation et de terres agricoles. S'appuyant sur ces observations, les rapporteurs ont donc proposé de développer une vision intégrée du risque, en étendant la politique de défense des forêts contre les incendies (DFCI) aux surfaces de végétation et aux surfaces agricoles par leur inclusion au périmètre des PPFCI (voir supra ) .

Dans le même état d'esprit, les rapporteurs préconisent de renforcer la sensibilisation des acteurs agricoles pour limiter les départs de feux sur des surfaces non boisées. Des bonnes pratiques, relayées notamment par le SDIS de Haute-Saône, ont été portées à la connaissance de la mission et pourraient être utilement répliquées dans d'autres territoires.

Il ne s'agit bien entendu pas de gêner le développement de l'activité agricole, mais de réduire les risques associés, en adaptant le matériel et l'organisation des activités agricoles, par des recommandations que pourraient endosser Chambres d'agriculture France et les SDIS, en début de campagne , telles que :

• réaliser des moissons en parcellisant le terrain par des bandes pare-feux au cours des opérations ;

• prévoir un équipement en eau à proximité ou à bord du véhicule pour éteindre tout départ d'incendie ;

• souffler les moissonneuses avec un compresseur pour éviter l'encrassement et le risque d'étincelle - cette démarche pouvant en outre donner droit à des baisses de tarif d'assurance.

Le SDIS 70 a ainsi insisté sur l'intérêt du dialogue et de la sensibilisation, qui devraient toujours être envisagées avant d'éventuelles mesures prescriptives.

Source : SDIS de Haute-Saône

Axe n° 5 - Recommandation n° 49 : Renforcer la sensibilisation des acteurs agricoles pour limiter les départs de feux sur des surfaces non boisées.

Des mesures prescriptives peuvent toutefois être envisagées ponctuellement.

Ainsi, une attention particulière devrait être portée à l'état du matériel agricole - et en particulier des moissonneuses-batteuses et des ramasseuses-presses, utilisées en pleine période estivale lorsque la sensibilité au feu est la plus forte, et de façon souvent prolongée au cours d'une même journée. Si l'évolution de l'aléa feux de forêt venait à le justifier, il pourrait être envisagé de rendre obligatoire, dans les départements les plus exposés, un contrôle technique avant la saison des feux, afin d'évaluer l'état du matériel et, potentiellement, de prescrire des réparations ou de la maintenance.

Il pourrait en outre être envisagé, en cas de forte chaleur et en période à risque, de prescrire les travaux de moisson la nuit.

Il convient au préalable de s'assurer de la possibilité d'effectuer des travaux agricoles la nuit. La presse quotidienne régionale s'est ainsi fait l'écho en juin 2022 de l'émoi suscité par un arrêté préfectoral en Vendée limitant les horaires des récoltes en raison des bruits de voisinage occasionnés.

Il faut ensuite rappeler que le préfet peut déjà prendre de telles mesures au nom de l'ordre public, mais l'identification explicite d'une telle possibilité dans le droit permettrait en outre de renforcer la visibilité de la mesure et de faire de la pédagogie.

Une compensation, dans un cadre interprofessionnel ou dans le cadre de la solidarité nationale, pourrait être envisagée dans les cas où les prescriptions du préfet entraîneraient une perte de revenus ou une augmentation de charges pour les exploitants agricoles. Cela pourrait être le cas par exemple lorsque l'hygrométrie trop élevée est source de moisissures - ce dont les rapporteurs doutent pour le blé ou l'orge en période de canicule ou de vent important - ou pour compenser une augmentation de charges sociales liée au travail de nuit.

Cette compensation ne saurait être automatique, au risque sinon de créer un effet d'aubaine, dans la mesure où ces travaux sont d'ores et déjà parfois réalisés la nuit pour des raisons de continuité du travail ou pour éviter la chaleur.

Axe n° 5 - Recommandation n° 50 : En concertation avec les organisations de producteurs, donner la possibilité pour le préfet de prescrire la réalisation des travaux agricoles (en particulier moissons) la nuit en période de forts risques d'incendies. Sous certaines conditions (perte de revenus ou augmentation de charges), envisager une compensation à destination des agriculteurs.

Dans les zones particulièrement exposées au risque incendie ou lorsqu'un PPFCI identifie des interfaces stratégiques dans la défense des forêts contre l'incendie, le préfet pourrait prescrire une bande pare-feu sur la parcelle agricole tant afin de protéger la parcelle agricole de la forêt, qu'afin de protéger la forêt de la parcelle agricole.

Axe n° 5 - Recommandation n° 51 : Permettre au préfet de prescrire, selon les conditions locales, des coupures sur les terres agricoles aux interfaces avec la forêt.

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