B. UN MÉCANISME DE SUSPENSION AUTOMATIQUE QUI N'A EN RÉALITÉ JAMAIS ÉTÉ MIS EN oeUVRE DEPUIS SON INSTAURATION EN 2009, FAUTE DE CIRCUIT ENTRE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE ET L'ADMINISTRATION FISCALE

Si la décision pénale définitive de condamnation au titre de l'une des infractions mentionnées au II de l'article 1378 octies du code général des impôts est censée emporter la suspension des avantages fiscaux pour les organismes concernés, cette suspension requiert malgré tout d'être appliquée par les services du ministre délégué auprès du ministère de l'Économie, des finances et des Comptes publics .

Or, les rapporteurs ont pu constater au cours de la mission que cette disposition n'a jamais été mise en oeuvre depuis 2009, l'année où elle a été introduite dans le code général des impôts .

La direction des affaires criminelles et des grâces a ainsi signalé aux rapporteurs qu' « aucun circuit de mise en oeuvre de cette procédure n'a encore été défini depuis la création de cette dernière par la loi n°2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 et elle est par conséquent restée ineffective depuis cette date . » 9 ( * )

La direction générale des finances publiques a ajouté que des réflexions sont en cours avec la direction générale des affaires criminelles et des grâces pour appliquer cette mesure : « S'agissant des condamnations pénales, des liaisons entre la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice sont en cours de mise en place afin que la DGFiP puisse avoir connaissance de la liste des organismes définitivement condamnés au titre des infractions mentionnées au II de l'article 1378 octies du CGI et vérifier qu'ils respectent la loi en la matière, c'est-à-dire n'émettent plus de reçus » 10 ( * ) .

Il est pour le moins préoccupant que, treize ans plus tard, une disposition qui a été votée en 2009 ne soit toujours pas appliquée . Par ailleurs, il est possible que les questions de la présente mission d'information aient conduit à de nouveaux échanges entre les administrations concernées et que, sans cela, il eût fallu encore attendre longtemps avant que la mise en oeuvre du II de l'article 1378 octies du CGI soit véritablement envisagée.

Les rapporteurs recommandent donc de mettre très rapidement en place les outils permettant d'appliquer le mécanisme de suspension automatique de la réduction fiscale pour les dons aux associations en cas de condamnation pénale définitive pour certaines infractions .

Recommandation n°1 : définir dans les plus brefs délais un circuit d'information entre l'autorité pénale et l'administration fiscale permettant la mise en oeuvre effective de la procédure de suspension automatique de la réduction fiscale pour les dons aux associations ayant fait l'objet d'une condamnation pénale définitive au titre de l'une des infractions mentionnées au II de l'article 1378 octies du code général des impôts.

Pour que le dispositif du II de l'article 1378 octies du code général des impôts puisse être appliqué, il convient premièrement de définir les modalités de transmission des informations utiles entre les juridictions pénales et les services de la direction générale des finances publiques .

La direction générale des affaires criminelles et des grâces a évoqué la possibilité pour les juridictions pénales de transmettre à l'administration fiscale la liste des décisions définitives concernées par les dispositions du II de l'article 1378 octies du code général des impôts. L'article R. 166 du code de procédure pénale autorise en effet la transmission aux tiers, sans autorisation préalable, des décisions rendues par les juridictions dès lors qu'elles sont définitives et qu'elles ont été rendues à la suite d'un débat public.

En sens inverse, il est nécessaire que l'administration fiscale communique à la direction des affaires criminelles et des grâces la liste des organismes à but lucratif faisant appel à la générosité du public . En effet, faute de croisement des données, il est possible de déterminer l'ensemble des personnes morales qui ont été condamnées pour les infractions listées à l'article 1378 octies du code général des impôts, mais pas de savoir quelle est la part des associations qui ont été condamnées pour ces faits .

Nombre de personnes morales condamnées entre 2015 et 2021
pour les infractions listées à l'article 1378 octies
du code général des impôts

Condamnations (infraction principale)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Abus de confiance

12

6

7

11

14

11

14

Escroquerie

21

41

38

19

31

40

71

Délits constituant des actes de terrorisme

0

0

1

1

0

0

0

Blanchiment de capitaux

15

15

32

22

34

13

32

Recel

29

28

33

28

24

28

37

Atteinte à la vie d'autrui par la diffusion d'informations (nouvel article  223-1-1 du code pénal)

-

-

-

-

-

-

0

Usage de menace ou de violence à l'égard d'un agent public (nouvel article 433-3-1 du code pénal).

-

-

-

-

-

-

0

Note : Ces données sont extraites du « Système d'information décisionnelle (SID) », source statistique produite par la sous-direction des statistiques et des études (SDSE, service statistique ministériel) du secrétariat général (SG) du ministère de la justice, à partir des données enregistrées par les utilisateurs de l'applicatif Cassiopée dans les juridictions de première instance.

Source : Secrétariat général du ministère de la justice. Traitement par la Direction des affaires criminelles et des grâces

La mise en place d'un circuit entre la direction générale des affaires criminelles et des grâces et la direction générale des finances publiques pour appliquer le II de l'article 1378 octies du code général des impôts doit donc désormais constituer une priorité .

Il devra s'accompagner d'un recensement précis des organismes à but non lucratif émettant des reçus fiscaux ouvrant droit à la réduction d'impôt pour les dons et qui ont été condamnés au pénal.

Recommandation n°2 : Produire des statistiques sur le nombre d'associations condamnées en vertu de l'une des infractions mentionnées au II de l'article 1378 octies du code général des impôts.

L'extension, souhaitée par certains, du champ d'application du mécanisme de suspension automatique des avantages fiscaux pour les associations condamnées pénalement requiert au préalable que le dispositif ait été réellement mis en oeuvre, et qu'il y ait un premier retour d'expérience.

Par ailleurs, ce circuit d'information entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale devrait également permettre à l'administration judiciaire de transmettre à l'administration fiscale des informations sur les associations qui ont été condamnées au pénal pour des infractions différentes de celles listées à l'article 1378 octies du CGI.

Pour ces infractions-ci, l'administration fiscale ne sera pas dans l'obligation de suspendre immédiatement les avantages fiscaux pour les associations concernées, mais elle pourra lancer un contrôle de la régularité des dons, sur le fondement de l'article L. 14 A du livre des procédures procédurales, tel qu'il a été modifié par l'article 18 de la loi du 24 août 2021, et au terme de ce contrôle, elle pourra suspendre le régime du mécénat si elle l'estime nécessaire .

Recommandation n°3 : finaliser les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle procédure de contrôle de la régularité des dons aux associations issue de l'article 18 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, et mettre rapidement en place un suivi quantitatif des décisions qui ont été prises sur son fondement.

*

Dans l'ensemble, la mission déplore l'absence à l'heure actuelle d'un véritable contrôle de l'éligibilité à la réduction fiscale pour les dons aux associations , faute principalement de la mise en place d'un circuit entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale. La raison de cette absence ne résulte pas d'une insuffisance des textes législatifs, qui couvrent aujourd'hui déjà un grand nombre de cas, mais d'un défaut d'application de ces textes .

Il est indispensable que tout soit mis en oeuvre pour que ce contrôle soit rendu opérationnel le plus rapidement possible, afin que soit préservée la double relation de confiance au fondement du régime fiscal des dons.


* 9 Direction des affaires criminelles et des grâces, réponses aux questions du Rapporteur général et du Rapporteur spécial.

* 10 Direction générale des finances publiques, réponses aux questions du Rapporteur général et du Rapporteur spécial

Page mise à jour le

Partager cette page