COMPTES RENDUS
DES AUDITIONS EN COMMISSION

Audition de M. Frédéric Veaux,
directeur général de la police nationale

(Mercredi 28 septembre 2022)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous accueillons M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale. Le Gouvernement envisage en effet de modifier l'organisation territoriale de la police nationale, en créant des directions départementales qui incluraient notamment les services de police judiciaire, au même titre que la sécurité publique ou la police aux frontières, alors qu'aujourd'hui ceux-ci ne répondent qu'à l'autorité d'une direction centrale spécifique et autonome.

Cette évolution inquiète la police judiciaire ainsi qu'un certain nombre de magistrats.

Nous avons décidé de créer il y a quinze jours une mission d'information au sein de notre commission afin de mieux comprendre la situation. Monsieur le directeur général, nous souhaitons donc que vous nous exposiez en quoi consiste la réforme annoncée. Nos deux rapporteurs Nadine Bellurot et Jérôme Durain, puis nos collègues, vous poseront ensuite un certain nombre de questions.

Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale . - La police nationale fait face à de nombreux défis grâce à la capacité d'adaptation, au courage et à l'engagement de ses personnels, dans un environnement toujours plus complexe et particulièrement exposé, comme l'actualité nous le rappelle malheureusement trop régulièrement.

Les efforts budgétaires exceptionnels consentis par la Nation au cours des deux derniers exercices et dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), dans l'hypothèse où ce texte serait adopté par le Parlement, permettent de disposer de moyens et d'équipements qui nous rendent plus performants et nous conduisent à envisager l'avenir avec confiance. Nous avons donc le devoir d'être encore plus efficaces.

La réforme de l'organisation de la police judiciaire s'inscrit dans une réforme plus vaste et ambitieuse de l'organisation et de la gouvernance de la police nationale, importante non seulement pour ses agents, mais aussi pour toutes celles et tous ceux qui aspirent légitimement à bénéficier du meilleur service public dans le domaine de la sécurité intérieure.

La dernière grande réforme de la police nationale remonte à 1966, lorsqu'a été actée la fusion de la sûreté nationale et de la préfecture de police pour créer la direction générale de la police nationale. Plusieurs adaptations ont été réalisées depuis cette date, mais la structuration de la police nationale n'a pas été fondamentalement modifiée. Notre organisation actuelle, avec des directions centrales assez autonomes et un fonctionnement très vertical, est peu adaptée aux défis auxquels nous devons faire face, qui appellent un pilotage coordonné de chacun des métiers, un nécessaire décloisonnement et davantage de déconcentration pour travailler le plus possible autour de problématiques territoriales.

L'unification de la police nationale au niveau départemental avait déjà été tentée dans les années 1990. Certaines directions n'y étaient pas associées, comme la direction centrale de la police judiciaire. Je ne m'engagerai pas dans l'analyse des raisons de l'échec de cette tentative qui était aussi la conséquence d'une alternance politique. Le constat d'une organisation qui peut être améliorée est partagé depuis longtemps par de nombreux acteurs ou observateurs des questions de sécurité intérieure. Le Livre blanc de la sécurité intérieure, publié à l'automne 2020, aborde notamment le sujet de l'organisation de la police nationale, résumé en quelques phrases dans la synthèse du document final : « les forces de sécurité intérieure doivent appréhender leur mission selon une approche plus intégrée ».

D'autres institutions ont pu établir un constat identique et appeler à une réforme des structures. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat relative à l'état des forces de sécurité intérieure, conduite en 2018 sous la présidence de Michel Boutant, dont le rapporteur était François Grosdidier, avait émis de nombreuses propositions sur la base du constat d'une organisation « en tuyaux d'orgue ». Il avait souligné que « la police nationale souffre de sa forte segmentation et d'un manque patent de cohésion qui pèse, au quotidien, sur les agents comme sur l'efficacité des services », constaté qu'« un tel cloisonnement se vérifie également au niveau territorial », et déploré que ce fonctionnement en silos nuise indéniablement à l'exercice d'un véritable pilotage ainsi qu'à la définition d'une stratégie globale d'emploi des forces de police sur le territoire.

Dans le rapport du 3 juillet 2019 sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, les députés Jean Michel Fauvergue et Christophe Naegelen ont également évoqué la nécessaire réorganisation sur la base du constat d'un morcellement des services préconisant la restructuration des forces de sécurité en grandes directions par métiers pour mettre fin au fonctionnement en tuyaux d'orgue tout en redonnant des marges de manoeuvre aux responsables locaux.

Je peux également mentionner le référé de la Cour des comptes du 22 décembre 2014 relatif à la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales, qui notait un fonctionnement cloisonné des services d'enquête de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et prévoyait de ne pas écarter l'hypothèse d'une réforme de l'organisation territoriale de la police nationale visant à intégrer dans un même réseau les services de la DCSP et de la DCPJ, en les dotant localement d'un commandement commun selon le modèle en vigueur à Paris et dans sa petite couronne.

Forte de près de 150 000 personnels, dont plus de 30 000 à la préfecture de police et 4 700 à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la police nationale - direction générale de la police nationale (DGPN) et préfecture de police comprise - traite environ 70  % de la délinquance générale et plus de 83  % de la grande criminalité.

Je n'aborderai pas, dans le cadre de votre mission, le cas particulier de la préfecture de police de Paris, qui n'est pas concernée par cette réforme et qui présente une organisation proche de ce que nous voulons mettre en place, même si elle n'est pas aboutie en raison du traitement d'une partie de la délinquance par une direction un peu équivalente à la direction centrale de la sécurité publique : la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne.

Pour ce qui concerne les services placés sous mon autorité directe, deux directions couvrent l'essentiel des missions de police judiciaire.

La première est la direction centrale de la sécurité publique, direction généraliste qui est la plus grande direction active de la police nationale en termes d'effectifs - plus de 65 000 personnels, dont 17 400 sont affectés à la filière judiciaire, répartis dans 280 circonscriptions de sécurité publique et 92 directions départementales de la sécurité publique - et qui traite quantitativement la part la plus importante des infractions enregistrées par les services de police.

La seconde est la direction centrale de la police judiciaire, direction spécialisée chargée de lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité, ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée. Elle est composée de 5 640 personnels, dont 3 800 enquêteurs répartis dans des services centraux et territoriaux, services centraux organisés autour notamment de quatre sous-directions opérationnelles : la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière, la sous-direction antiterroriste, la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, ainsi que l'Office anti-stupéfiants rattaché directement au directeur central de la police judiciaire.

L'organisation territoriale de la DCPJ compte 7 directions zonales, 18 directions territoriales et 39 services de police judiciaire. Je ne peux pas ne pas mentionner le service national de police scientifique - 1 245 personnels - qui pilote l'ensemble de la police technique et scientifique de la police nationale, et les laboratoires de police scientifique qui concourent à l'efficacité de tous les services d'investigation.

À ma connaissance, personne ne semble contester le fait que notre organisation est cloisonnée et très centralisée, entraînant de fait la cohabitation sur un même territoire de services qui relèvent de directions différentes, avec chacun son directeur et son état-major, des bases de données qui ne sont pas toutes partagées, des outils métiers différents, des priorités et une stratégie qui leur sont propres. Il en découle des conflits de compétence, positifs ou négatifs, des doublons et parfois des logiques de concurrence qui nous font perdre en efficience. L'organisation de la police nationale est difficilement compréhensible par nos partenaires et nos interlocuteurs, en particulier les élus et la population.

Par ailleurs, l'exercice d'une même mission aujourd'hui répartie entre plusieurs directions rend par exemple très compliqué, voire impossible, de concevoir une stratégie globale, en particulier pour la mission de police judiciaire. Pour surmonter cette difficulté, nous avons donc signé des protocoles entre les services de la police nationale pour tenter d'harmoniser nos pratiques et coordonner nos actions. Le dernier d'entre eux date du 12 avril 2016 et porte sur la doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire. Je ne suis pas certain qu'il ait été vraiment mis en oeuvre. Même si ces protocoles ont apporté un peu de fluidité, leur multiplication est révélatrice de la faiblesse de notre organisation.

On peut trouver de bonnes raisons de conclure des protocoles avec la gendarmerie, les polices municipales, l'éducation nationale ou les pompiers, mais protocoliser dans la même institution est bien l'illustration d'un défaut d'organisation.

Cette réforme est donc particulièrement nécessaire pour la filière police judiciaire, qui est confrontée à de grandes difficultés. Les causes de la crise que connaît cette filière sont multiples, dues notamment à une complexification excessive et toujours plus grande de la procédure pénale et une politique des ressources humaines peu adaptée aux spécificités de ces métiers, causes que nous avons identifiées en 2020 dans le cadre d'une initiative de la direction générale de la police nationale rassemblant tous les services autour d'une coordination nationale de l'investigation.

Un certain nombre de facteurs ont contribué à ce que la filière investigation de la police nationale soit malheureusement moins efficace qu'elle n'a pu l'être dans le passé. Sur la période 2010-2019 - je ne prends pas en considération l'année 2020, qui est singulière en raison de la crise sanitaire -, le volume global de la délinquance traité par les services de police a varié assez peu avec une moyenne de 2,4 millions de faits enregistrés par an. Il convient de souligner que la direction centrale de la sécurité publique traite l'essentiel de la délinquance enregistrée par la police nationale, y compris pour les faits relevant de la criminalité organisée : 59  % de l'agrégat de la grande criminalité pour la DCSP contre seulement 8  % pour la DCPJ et 29  % pour la préfecture de police.

Toujours sur la période 2010-2019, les taux d'élucidation ont baissé de manière constante et significative, quel que soit l'agrégat concerné : atteintes aux biens, atteintes aux personnes ou délinquance économique et financière : moins 12 points pour les violences non crapuleuses, moins 15 points pour les violences sexuelles, moins 2 points pour les atteintes aux biens, qui sont déjà très faiblement élucidées, moins 16 points pour les infractions économiques et financières. Cette évolution n'est donc pas la conséquence d'une augmentation du volume des faits à traiter. La baisse de la performance globale de la filière contribue aussi en partie à la constitution de stocks de procédures dans les services généralistes. Au mois de juin 2022, le nombre total des procédures en portefeuille pour les services de la direction centrale de la sécurité publique s'élevait à plus de 1,5 million, soit une moyenne de 104 procédures par enquêteur, avec de fortes disparités selon les départements.

Par ailleurs, j'entends certains magistrats dire publiquement que la qualité des procédures est en baisse et exprimer le constat d'un retrait de l'encadrement, officiers et commissaires, dans la conduite des enquêtes. Il est vrai que les policiers du corps d'encadrement et d'application, qui constituent aujourd'hui l'ossature de la filière investigation des services de la sécurité publique, ne sont pas assez formés et insuffisamment encadrés. Ce dernier point est à mettre en relation avec le faible taux d'encadrement des services d'investigation généralistes : 5  % pour la direction centrale de la sécurité publique, contre environ 30  % pour la direction centrale de la police judiciaire, conséquence directe de la déflation des corps d'officiers et de commissaires. En général, la réponse attendue aux difficultés s'exprime souvent sous la forme de demandes de renforts, qui sont parfois nécessaires même s'ils ne sont pas tous porteurs de la solution.

En effet, en ce qui concerne l'investigation, on observe que la hausse des effectifs des enquêteurs - de 17  % entre 2015 et 2020 - n'a pas été suffisante pour enrayer cette crise. Hors préfecture de police, la filière investigation de la direction générale de la police nationale était ainsi composée de 21 300 enquêteurs en 2020, contre 17 800 en 2015, cette hausse concernant non seulement la direction centrale de la sécurité publique, mais aussi la DCPJ avec une augmentation de l'ordre de 20  %. On ne peut donc pas réduire la question de la crise à la seule question des moyens alloués à la filière. La question de son pilotage global doit être posée et ne pourra se résoudre dans le cadre de notre organisation actuelle, qui doit impérativement évoluer.

Je ne veux pas laisser penser que ce constat n'est que négatif, l'activité des services d'investigation de la police nationale ayant été très fortement dirigée vers la lutte contre les trafics de stupéfiants et contre le terrorisme pendant cette période très singulière.

Cette démarche de transformation de la police nationale a été entreprise dès le mois de janvier 2020 avec la création de trois directions territoriales de la police nationale en outre-mer. Des directions territoriales de la police nationale ont ainsi été mises en place le 1 er janvier 2020 à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Guyane, département qui comptait alors une direction départementale de la sécurité publique, une direction départementale de la police aux frontières, une antenne de police judiciaire et une antenne de l'Office anti-stupéfiants, puis à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Polynésie française le 1 er janvier 2022.

Les raisons avancées à l'époque conservent toute leur pertinence, puisqu'il s'agissait notamment d'améliorer l'efficacité de la gouvernance en développant un pilotage et une vision uniques de l'activité policière, cette unicité de commandement permettant de dépasser l'organisation en silos des directions centrales et de fonctionner davantage dans une logique métier sur ces territoires délimités.

Des enseignements sont tirés de ce qui relevait donc non pas d'une expérimentation, mais bien d'une mise en oeuvre concrète : davantage de solidarité entre les services et de fluidité dans le travail quotidien, une simplification, représentée par le fait de n'avoir qu'un seul interlocuteur pour toute la police nationale qui dispose de l'ensemble des leviers et des métiers de la police pour répondre aux préoccupations, la disparition des logiques de concurrence entre services et une meilleure prise en charge des victimes grâce à des services territoriaux de police judiciaire mieux organisés et plus réactifs, un meilleur suivi des dossiers et une plus forte implication de la chaîne hiérarchique dans la gestion des portefeuilles de toute la filière permettant de rétablir localement des situations en s'appuyant sur le savoir-faire de la police judiciaire en ce qui concerne la Guyane.

La police nationale dispose désormais, dans ces territoires, d'une capacité de mobilisation plus importante sans que l'expertise de la police judiciaire soit remise en cause ou que ces moyens soient réorientés vers le traitement de la délinquance de masse.

En métropole, huit expérimentations à droit constant sont menées dans le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales et la Savoie, depuis le mois de janvier 2021, et dans le Calvados, l'Hérault, l'Oise, le Puy-de-Dôme et le Haut-Rhin depuis le mois de février 2022. La particularité est que nous procédons à ces expérimentations à droit constant, avec un fonctionnement moins intégré, l'efficacité du dispositif reposant principalement sur la bonne volonté des personnes concernées. Nous enregistrons cependant des progrès opérationnels significatifs grâce à un regroupement des différents états-majors en un seul, compétent pour toute la police nationale, avec un partage exhaustif des informations entre les filières et la capacité de mettre en place une stratégie globale à l'échelle du territoire et des opérations associant mieux les diverses spécialités de la police, avec la mise en place d'une conférence radio unique pour toutes les directions, de façon à mutualiser les moyens et accroître le nombre de patrouilles disponibles en cas d'intervention complexe, et enfin avec la prise en charge de déferrements au tribunal par des effectifs en tenue, alors que jusqu'à présent les enquêteurs avaient l'obligation de les assurer.

Un des objectifs de cette réorganisation est de rendre le travail de tous les policiers plus simple et plus fluide : pas de concurrence entre services, un renoncement à la conduite d'actions sur la base d'informations parcellaires détenues par chacune des directions, des réponses plus rapides de la chaîne hiérarchique, des possibilités d'évolution professionnelle à l'intérieur d'une filière ou entre filières en fonction des aptitudes et de la motivation, une politique de formation continue plus proche des besoins du terrain, de véritables parcours de carrière pour disposer de profils plus diversifiés et polyvalents, des capacités de renfort plus importantes en cas de coup dur opérationnel. Nous aspirons à une police plus efficace, plus proche des victimes, capable de réaliser des enquêtes de qualité, quelle que soit la nature des infractions.

La future organisation permettrait un pilotage coordonné de la filière police judiciaire, non seulement pour orienter l'activité opérationnelle des services mais également pour améliorer la conception et la mise à la disposition de tous les enquêteurs de référentiels professionnels communs et d'outils numériques qui seront de nature à simplifier leur activité ; l'identification précise des besoins en formation et la mise en place de modules de formation en adéquation avec ces besoins ; le suivi des portefeuilles d'affaires pour identifier rapidement les services en difficulté et mettre en place des dispositifs de soutien.

Ce pilotage unique, difficile à mettre en place actuellement en raison de l'éclatement des services, sera également de nature à accélérer la modernisation de nos méthodes de traitement du renseignement criminel et plus largement de la circulation de l'information opérationnelle. Il nous permettra par ailleurs de garantir une bonne allocation des moyens grâce à une vision plus précise des niveaux d'activité et des charges des services. On ne peut pas négliger non plus que la mutualisation des états-majors, des structures d'analyse et des fonctions support pourra conduire à la réalisation d'économies dans le domaine de l'équipement et à des gains sur des fonctions redondantes.

Enfin, nous souhaitons moderniser la gestion des ressources humaines (RH), créant de nouvelles perspectives d'évolution professionnelle pour tous grâce à une RH unifiée, offrant des parcours plus diversifiés et plus enrichissants avec un processus de décision plus rapide.

Dans l'attente du projet définitif, les grandes lignes de cette réorganisation ont été affinées à partir des retours du terrain. Le niveau des directions nationales doit être un échelon non plus de gestion des personnels mais essentiellement de stratégie et de pilotage. C'est la raison pour laquelle les directions centrales deviendront des directions nationales chargées de définir et d'animer l'activité des quatre grandes filières métiers de la police nationale : la sécurité et la paix publique, le renseignement territorial, la police judiciaire, les frontières et l'immigration irrégulière. Les directeurs disposeront d'une capacité de pilotage stratégique sur l'ensemble du métier concerné. Ils auront également, placées directement sous leur autorité, des entités nationales opérationnelles.

En ce qui concerne la future direction nationale de la police judiciaire, les offices centraux et les autres services à compétence nationale ou de soutien opérationnel seront maintenus, certains d'entre eux, comme l'office cyber, verront leurs attributions et leurs moyens renforcés. Ces filières seront déclinées au niveau zonal et au niveau départemental dans des configurations différentes d'un territoire à l'autre, tenant compte des spécificités de la criminalité et des enjeux sécuritaires locaux.

Le niveau zonal permettra à la direction générale de la police nationale d'avoir un relais territorial pour animer et coordonner l'action des directions départementales dans le strict respect - j'insiste sur ce point - des prérogatives des préfets et de l'autorité judiciaire. Pour la filière police judiciaire, il est envisagé d'y implanter certaines structures de soutien opérationnel, comme les brigades de recherche et d'intervention, le service interministériel d'assistance technique, des fonctions cyber qu'il est difficile de multiplier à l'infini, l'aspect saisie des avoirs criminels, et un service chargé des enquêtes sur les atteintes à la probité.

Le directeur zonal sera assisté d'adjoints en charge des filières métiers, dont un pour la police judiciaire qui veillera à ce que tous les services territoriaux de police judiciaire fonctionnent selon les règles fixées par une doctrine. Les quatre futures filières métiers disposeront chacune d'une doctrine d'emploi et de fonctionnement, permettant ainsi de connaître précisément le périmètre des missions assignées.

Cette méthode de la doctrine a été instaurée en 2013, pour définir le cadre d'action du renseignement territorial. Jusque-là, ce service ne disposait d'aucune doctrine, ses missions et son organisation fluctuant au gré des priorités. Ce document a ainsi permis d'empêcher que certains directeurs départementaux soient tentés de confier aux policiers de ses services des missions qui ne relevaient pas de leur compétence.

Enfin, le niveau départemental sera l'échelon territorial de référence pour l'animation et la coordination opérationnelle de l'action de l'ensemble des services implantés sur ce territoire, sans préjudice de la compétence interdépartementale des futurs services de police judiciaire qui sera préservée.

En ce qui concerne le service interdépartemental de la police judiciaire, qui verrait ses marges de manoeuvre anormalement contrariées par le DDPN du lieu de son implantation, le directeur zonal de police judiciaire (DZPJ) aura pour mission de veiller au respect des règles de fonctionnement.

La chaîne hiérarchique, en lien étroit et permanent avec l'autorité judiciaire, devra garantir la meilleure réponse possible aux départements limitrophes, dont les capacités d'enquête pourraient être limitées.

Sous l'autorité des directeurs départementaux de la police nationale, les circonscriptions de sécurité publique deviendront des circonscriptions de police nationale. Ce regroupement des missions de police judiciaire dans une seule filière favorisera le meilleur niveau de spécialisation des services d'enquête en tout point du territoire national.

Le maintien de l'empreinte territoriale et de l'expertise de l'actuelle direction centrale de la police judiciaire est essentiel, car elle dispose en effet de pôles d'excellence.

Alors que la direction actuelle est constituée de 5 000 agents, la future direction nationale de la police judiciaire animera et pilotera le travail de plus de 23 000 enquêteurs, ce qui apportera une vue et une approche globales qui ne pourront qu'être bénéfiques à l'ensemble.

Contrairement à ce qui peut être dit ou écrit, les structures de la police judiciaire ne disparaîtront pas ; elles seront maintenues partout où il existe une implantation d'un service de police judiciaire.

Le parquet ou le juge d'instruction choisira évidemment toujours librement la formation qu'il souhaite saisir. L'autorité judiciaire continuera d'exercer sa mission de direction et de contrôle de la police judiciaire. La réforme évitera le risque de conflit négatif de compétence auquel les parquets sont parfois confrontés lorsqu'aucun des services d'enquête du ressort ne souhaite traiter une saisine.

Enfin, les directeurs départementaux de la police nationale seront choisis pour leur aptitude à prendre en compte toutes les filières métiers de la police nationale. Les DDPN de demain ne seront pas systématiquement les directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) d'aujourd'hui : des profils seront identifiés au sein de toutes les directions actuelles pour exercer un nouveau métier, celui de chef de police.

Notre système d'évaluation des cadres de la police nationale a été renforcé en nous inspirant du dispositif du Conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation (CSATE), c'est-à-dire une évaluation à 360 degrés, en vigueur pour les membres du corps préfectoral. Le choix des femmes et des hommes qui dirigeront ces directions départementales est en effet déterminant pour la réussite de cette transformation.

Afin de dissiper certaines inquiétudes, j'ai tenu à adresser un courrier à chacun des agents de la direction centrale de la police judiciaire pour expliquer le sens de la réforme et prendre des engagements que je vais rappeler devant vous.

Les enquêteurs de la police judiciaire continueront à agir en dehors de leur territoire d'affectation, sur la base de compétences judiciaires élargies ; les capacités opérationnelles spécialisées dont dispose aujourd'hui la direction centrale de la police judiciaire seront renforcées ; la doctrine garantira les capacités d'initiative et la préservation du temps long nécessaires à l'aboutissement des affaires les plus complexes ; les effectifs relevant actuellement du périmètre de la direction centrale de la police judiciaire ne seront pas mis à contribution pour traiter les stocks de procédure. Enfin - j'insiste là-dessus -, aucun agent de la police judiciaire ne sera contraint de changer de métier ou de résidence administrative.

Nous souhaitons que cette nouvelle organisation soit mise en place au cours de l'année 2023, soit plus de deux ans après le début des travaux, et avant l'échéance de l'année, sans doute difficile pour les forces de sécurité intérieure, des jeux Olympiques et Paralympiques.

En conclusion de ce propos introductif, je veux être très clair et ferme à propos de la direction centrale de la police judiciaire et de ma détermination intacte et totale à lutter contre la criminalité organisée et à faire traiter les faits les plus graves par les services spécialisés.

Toute réforme suscite des inquiétudes, des interrogations : je les entends et je les comprends. Elles ne doivent cependant pas nous faire perdre de vue l'essentiel : la réforme de l'organisation de la police nationale est nécessaire pour permettre aux agents d'accomplir leur mission dans les meilleures conditions possible, aux magistrats de disposer de services encore plus efficaces, capables de produire des procédures de meilleure qualité, quelle que soit l'infraction concernée, et aux victimes d'être prises en charge à la mesure du préjudice et du traumatisme qu'elles subissent.

Ce projet de réforme se fonde sur des constats, des rapports et des expérimentations.

Ayant servi pendant trente années au sein de la police judiciaire dans des services opérationnels, territoriaux et centraux, spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme, ma conviction est très personnelle.

Je suis entré dans la police pour faire un travail de police judiciaire. Je connais la valeur des femmes et des hommes avec qui nous avons fait face à des situations très difficiles, et résolu bon nombre d'affaires très complexes. Je n'imagine pas les trahir et renoncer à l'idéal que nous avons partagé et qui m'anime toujours.

Je peux donc vous l'affirmer : non, les services de la direction centrale de la police judiciaire ne vont évidemment pas disparaître. Dans certains territoires et pour certains contentieux, ils seront même renforcés.

Oui, l'autorité judiciaire aura toujours la même capacité à choisir la formation qui lui paraît être la mieux à même de traiter un dossier et d'exercer son contrôle sur les services de police chargés de l'investigation.

Nous allons bâtir une organisation qui nous permette de mettre un terme aux défauts relevés par toutes les institutions qui se sont penchées sur notre fonctionnement, afin de répondre encore mieux aux nombreux défis que nous imposent l'exigence de protection des personnes et des biens, les aspirations légitimes des victimes et la protection des libertés individuelles et collectives.

Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Merci pour cette présentation, complète, qui appelle un certain temps de digestion au vu de la quantité d'informations fournies.

Nous allons tâcher par nos questions de vous faire expliciter certains points de manière détaillée et technique. En tant que parlementaires, n'ayant pas une expérience de trente ans dans la police, nous avons besoin de comprendre, de manière très pratique, comment cela fonctionne.

Vous avez rappelé la genèse du projet et évoqué le calendrier. Sur ce dernier point, j'ai entendu que la réforme interviendrait « au cours de l'année 2023 ». Est-ce à dire que ce ne sera pas au 1 er janvier, ce qui laisserait un temps de réflexion et de travail, notamment pour notre mission d'information ?

Vous avez abordé en quelques mots les expérimentations en cours sur le territoire, en outre-mer et dans trois départements hexagonaux. Quelles améliorations avez-vous pu constater, de façon très pratique, dans ces territoires ? Nous savons que les choses ne se règlent pas d'un coup de baguette magique ; à quelles difficultés avez-vous été confronté ?

Des craintes s'expriment au sein de la police judiciaire sur un risque de dilution du coeur du métier, à savoir la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, au sein de ces nouvelles DDPN. Vous nous avez dit que les personnels n'avaient pas lieu de s'inquiéter, mais j'aimerais que vous nous apportiez des éléments sur les nouvelles activités qu'ils pourraient être amenés à réaliser.

La direction centrale de la PJ est actuellement dotée de huit offices centraux et d'organes de coopération internationale policière pour lutter contre la grande criminalité. Comment la future direction nationale de la police judiciaire va-t-elle coordonner cette cohabitation et ce prolongement territorial ?

Enfin, j'ai bien compris que le choix de l'enquêteur resterait soit au procureur, soit au juge d'instruction, et non pas, donc, au directeur départemental - à moins de changer le code de procédure pénale, ce qui n'est, me semble-t-il, pas prévu.

M. Jérôme Durain , rapporteur . - Monsieur le directeur général, vous nous dites que les travaux sont en cours depuis deux ans ; or, nous observons une levée de boucliers massive, au point qu'une nouvelle instance représentative des officiers de police judiciaire a été créée. Au-delà des questions de fond, il existe sans doute un sujet de méthode. Nous ne pouvons pas le réduire à une forme de corporatisme, ce serait injurieux pour les officiers qui s'expriment. Cela révèle donc des craintes assez profondes de ces personnels quant à l'exercice de leur métier.

Ces inquiétudes sont d'ailleurs partagées par-delà la police judiciaire : le Conseil national des barreaux ou la Conférence nationale des procureurs de la République se sont exprimés sur la question avec beaucoup d'allant.

Vous disiez hier que les préfets n'étaient pas politiques. Le haut fonctionnaire que vous êtes a dû constater, au cours de sa carrière, qu'il arrive malgré tout qu'il y ait des tentatives d'influence du politique dans les affaires judiciaires.

Cette question de l'interférence du politique a notamment été posée par Éliane Houlette, ancienne procureure de la République du parquet national financier (PNF), qui a dit avoir parfois ressenti des formes d'entrave à son action dans l'affectation des moyens.

N'y a-t-il pas un risque pour l'autonomie de la police judiciaire ? Les DDPN ne seront-elles pas dotées d'une capacité d'arbitrage sur le choix des dossiers au détriment du travail d'enquête indépendant ?

Vous nous expliquez que le choix du département comme échelon de base est naturel, compte tenu de l'évolution de la criminalité, de la délinquance et des nécessités opérationnelles. Pourtant, François Molins estime pour sa part que, si elle a effectivement beaucoup évolué, la criminalité se joue désormais à l'échelle des interrégions et de l'international. Il y a là une contradiction.

Vous nous avez précisé que les agents pourraient agir en dehors de leur territoire d'affectation. Pour autant, ne risque-t-on pas, avec cette départementalisation, de réduire notre capacité à nous projeter sur les affaires les plus complexes et la criminalité organisée, qui dépassent les frontières départementales ?

Enfin, vous avez mentionné un courrier adressé à vos agents pour expliciter des choses qui, visiblement, n'étaient pas si claires que cela. Pouvons-nous en être destinataires ?

M. Loïc Hervé . - Un projet de loi se trouve actuellement sur le bureau du Sénat : le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), dont le rapport annexé comporte des références à cette réforme. Il en va de même pour le texte lui-même, notamment sur la question de la création des assistants d'enquête. Comment comptez-vous articuler la Lopmi, en préfiguration - ou pas - de cette réforme, et cette réforme ?

Mme Marie Mercier . - Merci, monsieur le directeur général, pour cette présentation qui montre que vous maîtrisez parfaitement tous les arcanes de la police nationale.

Vous êtes revenu sur le cloisonnement étanche des services qui peut nuire à la protection et à la sécurité de nos concitoyens. Je veux revenir à la période, si étrange, du confinement, au cours de laquelle les cambriolages ont diminué mais les violences intrafamiliales ou la cybercriminalité ont augmenté. Nous avons pu voir une présence importante de policiers sur la voie publique puisqu'il fallait faire des contrôles.

Je m'interroge sur un service en particulier : la police aux frontières. Celle-ci ne devait pas avoir grand-chose à faire. Ses agents ont-ils apporté leur aide à leurs collègues ? Dans le cas contraire, le nouveau système permettra-t-il ce type de coordination et de coopération entre les différents services ?

M. Philippe Bonnecarrère . - Vous avez évoqué une augmentation du nombre d'enquêteurs. Cet élément me semble paradoxal : ce n'est pas ce que nous entendons sur le terrain ni ce que j'ai entendu du garde des sceaux ou de votre propre ministre de tutelle.

Nous avons plutôt le sentiment que la police peine à disposer d'enquêteurs, notamment, au regard des responsabilités qui sont les leurs, sur le plan qualitatif. Le fait qu'il n'y ait plus d'oral au concours et que vous soyez amené à proposer de recruter dès le début de la carrière me laissent penser qu'il y a un problème d'effectifs et de formation. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?

Dans le cadre de la Lopmi, évoquée par Loïc Hervé, vous prévoyez la création d'assistants d'enquête. Est-ce vraiment une bonne idée ? Cela ne rendra-t-il pas plus administratif le fonctionnement de la police ? N'est-ce pas abandonner l'idée d'améliorer la procédure elle-même ?

Je ne doute pas de la cohérence de votre réforme, mais on imagine assez volontiers qu'elle donne lieu à des débats internes à la police. Les agents vont devoir se repositionner. Combien de temps faudra-t-il pour mettre en oeuvre une telle réforme ? Est-il raisonnable, dans une approche pragmatique, de vous épuiser pendant plusieurs années sur cette réforme au moment où les moyens de la police nationale vont considérablement augmenter ? N'allez-vous pas perdre le bénéfice de cette montée en puissance ?

M. Alain Marc . - Vous avez parlé de la nécessité de traiter au mieux les crimes et délits constatés. Nous travaillons auprès des maires, avec lesquels nous faisons un constat : avant de traiter les faits, il faut les prévenir.

Malgré la qualité de nos policiers, nous avons un vrai problème de présence sur le terrain. La difficulté pour les commissariats à rassembler ne serait-ce qu'un seul équipage le week-end pose tout de même question.

Le travail de police judiciaire est capital, mais avez-vous réfléchi au sujet de la présence sur le terrain ? Nous la souhaitons plus forte, avec une meilleure organisation ou une augmentation des effectifs.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Vous avez évoqué le sujet de la réforme de la DDPN dans les territoires d'outre-mer depuis 2020. Trois territoires étaient d'abord concernés : Mayotte, la Guyane et la Polynésie française.

La commission des lois s'est déplacée en Guyane fin 2019 et à Mayotte en septembre 2021 et a constaté que des résultats positifs se profilaient. Une flambée de violences inouïe frappe ces territoires.

Comment, dans le cadre de cette réorganisation, mieux répondre à ces violences perpétrées par des bandes de jeunes ?

Quatre ans après sa mise en place, où en est la compagnie départementale d'intervention (CDI), qui était censée appuyer les forces de l'ordre et lutter contre ces violences urbaines ?

La deuxième ville de Mayotte, Koungou, compte 30 000 habitants et ne dispose pas d'un commissariat. Idem pour les deux communes de Petite-Terre. Est-il prévu, pour mieux répondre aux violences urbaines, de doter ces territoires de commissariats ?

M. Mathieu Darnaud . - Pour avoir participé à la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, je souscris aux propos de mon collègue Thani Mohamed Soilihi.

Je souhaite par ailleurs aborder la cybercriminalité, qui explose et dont l'impact est parfois dramatique, notamment dans le secteur hospitalier. Ma collectivité a récemment été victime d'une attaque cyber aux conséquences douloureuses. Nous avons une impérieuse nécessité de renforcer nos moyens humains et de nous réorganiser sur ce sujet.

En ce qui concerne l'évolution des DDSP en DDPN, ces dernières auront, nous avez-vous dit, un profil un peu différent ; pouvez-vous nous en dire plus, notamment en matière de prérogatives ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Monsieur le directeur général, j'ai été sensible à votre propos et essentiellement aux trois dernières phrases, dans lesquelles vous vous êtes engagé personnellement au regard de votre expérience.

Pour le reste, j'ai été frappé par le ton que vous avez employé, qui m'a presque fait penser à celui d'un avocat, en faveur de cette réforme. Vous avez utilisé le futur simple, en ayant l'air de dire que la réforme irait forcément dans le bon sens.

Je ne doute pas de votre sincérité et j'ai un grand respect pour la police nationale, mais j'ai été comme sidéré du contraste avec les propos de François Molins, qui est tout de même procureur général près la Cour de cassation et estime que cela pose un problème par rapport à la justice et à l'indépendance des magistrats. Comment concilier ces propos contradictoires ? Ne trouvez-vous aucun point d'accord avec François Molins ?

Cela pourrait conduire à des positions moins absolues sur cette réforme dont nous ne serons pas saisis - elle relève du domaine réglementaire - et qui tient en quatre lignes dans le rapport annexé au projet de loi qui nous sera présenté.

Vous avez évoqué la complexité de la procédure pénale, soit ; mais en quoi une direction départementale la simplifierait-elle ?

Je formule le voeu, peut-être pieux, que s'exprime un peu plus de nuance.

Plusieurs de mes collègues ont dit combien il apparaissait nécessaire que la PJ fonctionne à un niveau bien supérieur au niveau départemental. Vous le savez, vous l'avez vécu, les affaires auxquelles vous êtes confrontés sont plutôt d'ampleur régionale, nationale, internationale.

Mme Laurence Harribey . - Votre présentation m'a mise mal à l'aise, car, à vous écouter, cette réforme a été bien pensée, donc « circulez, il n'y a rien à voir ». Or vous êtes tout de même devant des législateurs.

Vous avez dit à la fin de votre propos que toute réforme suscitait des inquiétudes. Pour ma part, j'aime travailler selon la méthode de nos collègues québécois, pour lesquels une réforme, pour qu'elle soit acceptée, doit être comprise.

Une réforme n'est ni définitive ni exempte de potentielles dérives. C'est pourquoi les études d'impact sont fondamentales pour prévoir ces dérives et permettre l'acceptation d'une réforme.

Je m'interroge sur la départementalisation, sur le niveau de technicité de la police judiciaire, et j'ai l'impression qu'au bout du compte, il s'agit plus d'un problème de ressources humaines que d'organisation.

Cela me fait penser à ces entreprises qui, lorsqu'il y a un problème, changent l'organigramme. La question est plus profonde et a trait à un sentiment d'adhésion. Le problème essentiel, ce sont les effectifs, la formation et l'évolution des métiers.

Dans la presse, ce matin, nous avons appris qu'une spécificité du territoire corse serait prise en compte dans l'application de la réforme. Si le Gouvernement envisage des exceptions avant même que la règle soit édictée, cela ne signifie-t-il pas que cette dernière ne convient pas, et que tout cela va trop vite ? Une réforme est certes nécessaire, mais de manière beaucoup plus concertée.

M. Philippe Bas . - Monsieur le directeur général, lorsque vous parlez de la police judiciaire, on sent que vous y mettez beaucoup de coeur et d'expérience. Votre constat me paraît lucide. Ce n'est pas parce qu'une réforme suscite des critiques qu'elle est mauvaise, mais peut-être ces critiques peuvent-elles servir à l'améliorer.

Vous avez livré des clarifications et rappels nécessaires, notamment concernant l'autorité des parquets sur le déroulement des enquêtes qui est, vous l'avez rappelé, une exigence du code de procédure pénale, qu'une réforme d'organisation ne saurait remettre en cause. Je ne doute pas que vous avez réfléchi à la compatibilité de cette nouvelle organisation avec cette exigence, que des évolutions pourront d'ailleurs encore conforter.

Vous évoquez la simplification de la procédure pénale. Un consensus existe sur ce point, mais nous avons parfois l'impression, une fois qu'on a dit qu'il fallait simplifier, d'avoir tout dit... Pouvez-vous nous donner quelques pistes sur ce qui vous paraîtrait indispensable pour favoriser la tâche des enquêteurs tout en maintenant les protections nécessaires pour les personnes faisant l'objet des enquêtes ? Qu'attendez-vous d'une réforme du code de procédure pénale ?

Par ailleurs, vous n'avez pas suffisamment abordé à mes yeux la crise des vocations. J'ai l'impression que la police judiciaire, qui était une activité particulièrement noble et recherchée au sein de la police, est aujourd'hui délaissée. Dites-moi si je me trompe, mais si je dis cela, c'est parce que j'entends des procureurs, des directeurs départementaux, des responsables des services régionaux de police judiciaire.

Je m'inquiète, car je me demande si cette évolution ne coïncide pas avec certaines évolutions de la société ayant pour conséquence, à cause des exigences de ce métier et de sa complexité croissante, qui vont de pair avec la complexité croissante de la procédure pénale, de décourager les vocations. Et ce n'est pas une réorganisation, même bien faite, qui réglera ce type de problèmes.

Nous devons engager une réflexion sur la carrière, sur les avantages qui pourraient compenser les contraintes particulières que ce métier impose.

Quel est le niveau des recrutements actuels par rapport au passé, non seulement au niveau des effectifs, mais aussi des qualifications ? Avez-vous fait une analyse approfondie des raisons qui pourraient expliquer que la police judiciaire soit délaissée pour d'autres missions au sein de la police ? Comment conforter les vocations ?

Mme Valérie Boyer . - Vous avez déploré l'organisation en tuyaux d'orgue de la police nationale et vous estimez que cette réforme permettra de l'améliorer.

Mais ne pensez-vous pas qu'il y a aussi une crise de sens ? Ce cloisonnement que vous décrivez existe aussi dans le continuum police-justice-prison. Comment mettre à profit une réforme si la justice ne suit pas et si, une fois les enquêtes élucidées, il n'y a pas de suites données ? Nous avons un problème autour de la prison et de l'effectivité des peines.

Comment imaginer la réussite d'une telle réforme si elle ne s'inscrit pas dans un continuum police-justice-prison ?

M. Frédéric Veaux . - Madame la rapporteure, concernant le calendrier, je vous indique que nous n'avons pas arrêté de date. Cette réforme est compliquée à mettre en oeuvre, notamment sur le plan réglementaire. Nous devons terminer la cartographie budgétaire, la cartographie des emplois, et laisser un peu de temps aux échanges. Je peux simplement vous dire qu'elle interviendra avant le 31 décembre 2023 pour que nous puissions nous consacrer uniquement aux jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.

Je distingue ce qu'il se passe en outre-mer et en métropole. Curieusement, la mise en place de cette réforme en outre-mer n'a suscité aucune réaction. Nous étions pourtant confrontés aux mêmes enjeux et éventuelles difficultés que c'est le cas aujourd'hui en métropole.

La Guyane fait en quelque sorte office de laboratoire, car sa situation est proche de celles dans lesquelles nous pouvons nous retrouver en déclinant cette réforme en métropole.

Après quelques difficultés, que l'on rencontre à l'occasion de tout changement de méthode et de responsabilités exercées, la chaîne est désormais très fluide. Les cadres de la police judiciaire s'impliquent dorénavant dès la prise de plainte ou les constatations au moment où un fait se déroule.

L'un des objectifs de cette réforme est d'aborder cette chaîne du traitement des infractions de la constatation ou de la prise de plainte jusqu'au moment où l'affaire peut devenir extrêmement complexe et rebondir sur des enjeux que l'on n'avait pas imaginés au départ, tels que des règlements de compte ou des trafics très élaborés.

J'ai auprès de moi, à la direction générale de la police nationale, un chef de la mission outre-mer qui se trouve être l'ancien directeur interrégional de la police judiciaire Antilles-Guyane. Il se déplace souvent et connaît très bien ces territoires et me fait état de retours extrêmement positifs, surtout pour les enquêteurs, qui sont en première ligne et constataient jusqu'à maintenant un abandon de la chaîne hiérarchique - je l'ai indiqué précédemment, le taux d'encadrement pour la sécurité publique est très faible.

Au premier niveau du traitement de la délinquance, les enquêteurs sont souvent un peu livrés à eux-mêmes, insuffisamment pilotés, formés et accompagnés, alors que ce sont eux qui traitent au quotidien avec le magistrat du parquet qui les a saisis.

Le premier effet bénéfique, c'est donc la prise en compte de cette chaîne, essentielle pour le fonctionnement quotidien de la police judiciaire.

Par ailleurs, les affaires complexes se nourrissent aussi de tout petits faits du quotidien et de la connaissance du terrain. Donc, en matière de partage de renseignements, c'est aussi un progrès considérable : nous avons dorénavant des bases communes pour exploiter les renseignements et effectuer des rapprochements entre différents faits.

Je ne dispose pas de retours négatifs sur l'expérimentation en outre-mer. Nous constatons de nombreux effets positifs sur d'autres métiers de la police nationale, tels que l'ordre public ou le traitement de l'immigration irrégulière.

Pour ce qui est de la métropole, ces expérimentations reposent largement sur la personnalité des préfigurateurs et sur la manière dont les choses s'organisent localement. Nous avons des départements où cela fonctionne très bien, et d'autres moins bien. Cela tient à des questions de personnes ou de manières d'aborder les choses, mais aussi à des singularités locales.

Par exemple, dans le Pas-de-Calais, l'antenne de police judiciaire locale se situe sur le littoral - elle est implantée à Coquelles, à côté de Calais - et n'exerce donc pas ses compétences sur l'ensemble du département.

Par ailleurs, certains préfigurateurs ont parfois tenté de remplir des missions qui n'entraient pas dans le périmètre défini, ce qui a fait l'objet de rappels à l'ordre.

Ces pratiques ont montré que nous avions besoin d'une doctrine fixant très précisément à la fois les missions de chacun et les objectifs qu'on leur assigne. L'organisation doit être mise en place dans un second temps.

L'une des craintes le plus souvent mise en avant, c'est que la police judiciaire se dilue dans la masse des affaires traitées par la sécurité publique, avec toutes les contraintes que cela comporte. C'est la raison pour laquelle j'ai pris des engagements fermes, notamment pour ce qui relève du traitement des stocks de procédure.

Le but est d'éviter toute tentation de la part d'un cadre, qui n'aurait pas compris les objectifs fixés, de s'écarter des règles.

Je reviens à l'outre-mer, car j'ai oublié de mentionner un point très positif. Il a souvent été reproché à la police judiciaire de ne pas être présent à la Réunion et en Polynésie française. Si les parquets ou les juges d'instruction locaux avaient besoin d'un service spécialisé dans le domaine économique et financier, ils saisissaient de manière très exceptionnelle l'office central situé à Paris. Cet office central envoyait des enquêteurs faire les perquisitions, avant de revenir quelques semaines ou mois plus tard pour procéder aux gardes à vue.

Avec la mise en place de la réforme en outre-mer, nous avons créé un troisième niveau d'investigation à la Réunion, et bientôt en Polynésie, en envoyant sur place des enquêteurs économiques et financiers « brevetés » par la direction centrale de la police judiciaire. Cela nous a donc permis de créer des moyens d'investigation qui n'existaient pas auparavant.

Madame la rapporteure, vous avez posé une question à propos de la direction nationale de la police judiciaire. Actuellement, les directions centrales doivent gérer les ressources humaines pour les effectifs dont ils ont la charge. Cela a un effet très négatif : l'avancement, les mutations, les parcours de carrière ne sont considérés que sous le prisme de la direction à laquelle ils appartiennent.

Je cite souvent l'exemple - que les directeurs concernés me pardonnent, mais il est absolument révélateur du caractère parfois ubuesque de notre organisation - de trois commandants de police, chefs de brigade de recherche et d'intervention (BRI), qui quittaient la DCPJ. Ils exerçaient des responsabilités importantes, étaient très bien notés, et rejoignaient la direction de la coopération internationale de sécurité.

Ils étaient éligibles à un avancement. Le directeur central de la police judiciaire m'a dit : « Ils le méritent, ils sont compétents, mais ils s'en vont, donc je ne les propose pas. » Je suis donc allé voir la directrice centrale de la coopération internationale de sécurité qui m'a dit : « Ils sont sans doute très bons puisqu'on les a choisis, ils vont occuper des postes à responsabilité, mais moi je ne les propose pas parce qu'ils arrivent. »

C'est révélateur de l'aspect cloisonné de cette organisation. J'insiste, car il ne faut pas perdre de vue ce qui nous a amenés à envisager cette réforme, et la manière dont les diagnostics ont été posés par d'autres que nous. Ce cloisonnement, constaté par tous, nuit énormément à notre efficacité. Celui ou celle qui, demain, aura la responsabilité de la filière police judiciaire disposera de la capacité à définir une stratégie commune à l'ensemble de la filière.

Je l'ai dit tout à l'heure, et on vous remettra le document, le dernier protocole qui a été signé sur la coordination des investigations a dû être signé par deux directeurs, puis validé par le directeur général, pour indiquer à tous comment procéder, avec une liste de choses à faire. Ce n'est pas ma façon de concevoir le fonctionnement d'une direction comme celle de la police nationale.

Sur une mission identifiée, nous devons être capables de définir une stratégie et de s'assurer de sa mise en oeuvre en fournissant des objectifs clairs, des moyens adaptés, des formations et des outils de pilotage qui nous permettent d'y voir clair et ne diffèrent pas selon les directions.

Le futur directeur national de la police judiciaire sera le garant de la bonne cohérence et de l'efficacité de cet ensemble.

Madame la rapporteure, vous avez posé une question sur le choix de l'enquêteur ; je crois y avoir répondu : nous n'avions aucunement l'ambition de réécrire le code de procédure pénale. Peut-être, pour répondre à d'autres questions, mériterait-il de l'être, mais il est hors de propos d'imaginer qu'on puisse faire autrement concernant le libre choix des magistrats.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une levée de boucliers massive ; tout dépend de la définition qu'on donne de la masse... J'observe, il est vrai, qu'elle concerne une partie des enquêteurs de la police judiciaire. Ils ne sont pas très nombreux si on les rapporte au nombre de policiers de cette administration, ce qui ne veut évidemment pas dire que leur inquiétude ne doit pas être prise en compte.

C'est pour cette raison que j'ai essayé, dans un document que je partagerai bien sûr avec la mission d'information, de répondre à certaines des interrogations d'une manière la plus concrète et la plus directe possible.

Vous évoquez aussi le Conseil national des barreaux ; je m'étonne toujours de voir ce dernier s'intéresser au fonctionnement de la police. Je pense que cette instance n'a pas une bonne connaissance de ce que nous projetons de faire.

Pour ce qui est de la Conférence nationale des procureurs de la République, je précise que je me suis évidemment adressé à son bureau pour expliquer le sens de la réforme. C'était en visioconférence, car les échanges étaient alors compliqués, mais, grâce à la Chancellerie, j'ai pu m'adresser à l'ensemble des procureurs de la République et des procureurs généraux au tribunal judiciaire de Paris, ce qui regroupe toutes les juridictions.

Par ailleurs, nous avons proposé à la Chancellerie de déléguer un magistrat pour intégrer l'équipe projet afin de prendre en compte les attentes, les questions et les inquiétudes de la magistrature. Ils n'ont pas pu de le faire pour des raisons d'organisation interne. Pour autant, l'équipe projet de la DGPN a des contacts extrêmement réguliers avec un magistrat du bureau de la police judiciaire de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG). Moi-même, dans le cadre de mes déplacements dans les directions de la police judiciaire, je prends le soin d'aller voir les procureurs de la République du ressort et le président du tribunal.

La justice doit être associée à ce projet et en comprendre tous les enjeux, c'est incontournable.

La police judiciaire ne doit évidemment renoncer à rien et nous devons être attentifs aux défis de demain. Mais je regarde aussi tout le reste, et en premier lieu le quotidien de la population. Quand quelqu'un se fait arracher son sac ou son collier dans la rue, il ne se demande pas si c'est par un dealer du coin, un SDF, un voleur d'habitude ou un membre d'un groupe criminel organisé venant des Balkans ou d'ailleurs. Ce que veut cette victime, c'est d'être bien accueillie dans un commissariat, que sa plainte soit traitée, d'être informée de la manière dont l'enquête se déroule et, surtout, que l'auteur soit arrêté et d'obtenir réparation pour le préjudice qu'elle a subi.

C'est la direction centrale de la sécurité publique, si on se réfère aux agrégats de la statistique, qui traite l'essentiel des faits de criminalité organisée, dont on sait qu'elles tirent leurs profits de la multiplication de tout petits faits, et de manière itinérante. Nous devons donc être en mesure d'analyser de manière sérielle un ensemble de petits faits qui, pris de manière isolée, ne justifient pas qu'un parquet engage des poursuites, mais qui, réunis, vont nous permettre d'avoir un impact pénal beaucoup plus important.

Vous avez, monsieur le rapporteur, parlé du lien entre le préfet et les politiques. Mon intervention d'hier sur France 2 a été mal comprise. J'ai exercé ces fonctions pendant quatre ans, j'en retire une certaine fierté et je suis convaincu que les préfets sont de grands serviteurs de l'État et de la République. Le préjugé selon lequel les préfets se mêleraient d'enquêtes judiciaires, au regard des relations qu'ils entretiennent localement avec des élus, est injurieux.

Je ne dis pas ça pour vous, monsieur le rapporteur, mais cela ressort notamment d'observations formulées par des syndicats de magistrats. Le préfet est le représentant du Gouvernement dans le territoire. Il est à ce titre en relation avec des élus mais, sur le plan local, il n'est pas soumis à des pressions politiques, en tout cas certainement pas dans le cadre d'un suivi éventuel de procédures judiciaires.

Si je me réfère au fonctionnement de Paris, dont le préfet a sous son autorité la direction régionale de la police judiciaire de Paris, qui compte une brigade financière, je n'ai jamais entendu dire que les préfets de police se mêlaient des enquêtes judiciaires. Ce n'est ni ce qu'on leur demande ni leur intérêt et, dans le cadre du contrôle social qui est aujourd'hui en place, si un jour cela devait arriver cela se saurait immédiatement.

Par ailleurs, à mon niveau, je dépends directement de l'autorité du ministre de l'intérieur et j'ai à mes côtés un directeur central de la police judiciaire qui est placé sous mon autorité et s'occupe des services les plus spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Or, je ne me mêle pas de la manière dont les enquêtes sont conduites.

Dans la police et dans le corps préfectoral, tout le monde a bien en tête la répartition des compétences et des prérogatives. C'est la prérogative de l'autorité judiciaire que de diriger et contrôler la mission de police judiciaire. Pour cette raison, nous souhaitons d'ailleurs introduire dans le système d'évaluation des futurs directeurs départementaux de la police nationale la possibilité pour l'autorité judiciaire d'exprimer une appréciation circonstanciée sur la manière dont ces directeurs s'intéresseront à la mission de police judiciaire.

J'entends ce que dit M. le procureur général près la Cour de cassation. Je n'ai pas à discuter à distance avec lui. Je pense d'ailleurs que les extraits repris par les médias sont issus de propos plus construits. Je partage son exigence relative à la préservation des conditions dans lesquelles les services de la direction centrale de la police judiciaire exercent leurs compétences ; j'y suis tout autant attaché que lui.

Mais que fait-on pour le reste ? Je n'entends personne parler de la petite et moyenne délinquance, qui couvre l'essentiel des faits. Or, ne nous faisons pas d'illusions, si ça craque sur ces sujets, tout le reste suivra.

Mme Laurence Harribey . - Si c'est le sujet, il faut le dire.

M. Frédéric Veaux . - Je ne me suis pas caché, j'ai posé des constats que nous faisons au quotidien, et qui ont également été faits par les commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale, par la Cour des comptes, et par d'autres qui s'intéressent au fonctionnement des services de sécurité intérieure.

En ma qualité de directeur général de la police nationale, je ne peux pas me contenter de garder ce qui fonctionne bien si c'est au détriment de tout le reste. J'attends de mon successeur qu'il s'occupe de traiter le problème. Notre objectif, c'est de protéger ce qui fonctionne bien, de nous appuyer sur les méthodes et les principes qui font l'efficacité de la police judiciaire pour les appliquer à l'ensemble de la chaîne. Ainsi, les cadres de la police judiciaire qui se sont investis dans ce métier par vocation et ont acquis des compétences et de l'expérience seront impliqués sur toute la chaîne.

Nos métiers ont changé, les protocoles des corps et des carrières ont changé. Jeune commissaire de police à la police judiciaire, je partais faire des perquisitions, des planques, je m'occupais des gardes à vue... C'était ça le travail d'un commissaire de police à l'époque, à la manière des enquêteurs de police chez les gardiens de la paix.

Une grande réforme des corps et carrières a ensuite fait diminuer le nombre de commissaires et d'officiers de police tout en augmentant le niveau de responsabilités du corps d'encadrement et d'application en redéfinissant les missions et le rôle de chacun. En conséquence, la fonction d'un commissaire ou d'un officier de police - sauf quelques situations très spécialisées - consiste désormais d'abord à encadrer, piloter, fixer des objectifs, servir d'interlocuteurs à l'autorité judiciaire et ne pas laisser les enquêteurs sous sa responsabilité se débrouiller avec les difficultés qu'ils rencontrent.

Vous m'avez interrogé, monsieur le rapporteur, sur la réduction de nos capacités à nous projeter. Non, nous ne réduisons pas ces capacités. D'abord parce que nous ne touchons pas aux offices centraux ni à leurs antennes un peu partout sur le territoire et, ensuite, parce que j'ai pris l'engagement de maintenir, partout où elles se trouvent, les implantations de la police judiciaire avec les mêmes compétences territoriales et judiciaires.

J'aimerais vous faire part d'une situation personnelle que j'ai connue - il y a quelques années, c'est vrai - lorsque j'étais chef de la division des stupéfiants et du proxénétisme à Marseille. Nous avions des groupes qui traitaient le trafic international. Mais, pour être efficace sur le trafic international, il faut savoir ce qui se passe sur le terrain ; c'est de là que proviennent nos renseignements. Nous avions donc - déjà à l'époque - des groupes « cités ».

La police judiciaire devait récupérer les mises à disposition, que nous appelions le ramassage, mais cela a pris de telles proportions que la Sécurité publique a récupéré cette prérogative. Or, comme le ramassage permet d'accumuler les renseignements, les services de la Sécurité publique se sont mis à traiter les mêmes dossiers sur les cités et se sont retrouvés en concurrence avec ceux de la police judiciaire. Nous nous trouvions au même endroit, à signer un protocole, à mettre en place des instances de coordination, et à nous disputer les objectifs et les renseignements.

Nous avons besoin de coordination, d'une répartition cohérente des tâches et des missions afin de ne pas nous retrouver à être plusieurs à traiter les mêmes sujets.

Monsieur Hervé, vous avez évoqué la Lopmi dont vous êtes co-rapporteur. En ce qui nous concerne, il s'agit de deux démarches très différentes. Nous attendons beaucoup de la Lopmi : sur l'aspect budgétaire, sur la dimension juridique, sur la simplification du code de procédure pénale, ou encore sur les renforts humains.

Madame Mercier, le cloisonnement des services est malheureusement une réalité de notre quotidien. Toutefois, pendant le confinement, grâce à une instruction du directeur général, les effectifs de la direction centrale de la police aux frontières (PAF) sont bien allés patrouiller sur le terrain aux côtés de ceux de la Sécurité publique puisque l'activité dans les aéroports, les ports et les centres de rétention administrative était quasi nulle.

Monsieur Mohamed Soilihi, à Mayotte, les enjeux ne relèvent pas vraiment de la police judiciaire. Il s'agit, d'une part, de faire face aux violences que vous avez évoquées, et, d'autre part, de traiter le flot de migrants irréguliers qui arrivent quotidiennement dans l'île en provenance des Comores. Ces sujets sont donc du ressort de la sécurité publique et de la police aux frontières.

Toutefois, la réforme permet dorénavant au DDPN, en fonction des situations auxquelles il est confronté, de faire appel à la PAF pour renforcer les services en charge de l'ordre public, ou, réciproquement, de faire appel aux services en charge de l'ordre public pour renforcer les services de la PAF afin d'effectuer les retours aux frontières dans les meilleures conditions possibles.

Monsieur Bonnecarrère, vous semblez douter de l'augmentation du nombre d'enquêteurs ; je vous assure qu'il n'y a pas de chiffres maquillés. Je m'en suis moi aussi inquiété : lorsque l'on s'exprime devant le Sénat ou l'Assemblée nationale, on aime bien être certain de ses chiffres. Nous faisons la différence entre des chiffres budgétaires et la réalité, car il arrive qu'une mission de police judiciaire soit donnée à des agents qui n'exercent pas véritablement une fonction d'enquête. Nous nous sommes concentrés sur les agents qui traitaient des procédures et qui pourront se consacrer à la mission d'investigation. Ces chiffres peuvent être discutés, mais ils nous ont été communiqués par les directions centrales concernées.

Parallèlement, vous noterez que nous nous inscrivons dans une démarche d'augmentation du nombre d'officiers de police judiciaire. Une question m'a été posée à propos des assistants d'enquête. Il s'agit selon moi d'une excellente idée - d'autant plus que, je dois vous l'avouer, j'en suis un peu à l'initiative.

Lorsqu'on fait des réformes pour simplifier la procédure, les enquêteurs ont bien souvent le sentiment qu'on ressort avec encore davantage de contraintes. L'idée était donc de dégager du temps aux enquêteurs en les libérant des actes purement formels de la procédure. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur le modèle des juges d'instruction, qui disposent de greffiers de justice. Leur tâche sera d'appeler les avocats, le médecin ou la famille, de rédiger des réquisitions -- autant d'actes qui occupent actuellement près d'un tiers du temps de la procédure. Je peux vous dire que cette mesure est très favorablement accueillie dans l'ensemble des services concernés.

Est-ce raisonnable de faire la réforme maintenant ? Il y a toujours de bonnes raisons pour ne pas faire de réforme : des échéances électorales, des événements... Lorsqu'on pose un diagnostic sur des difficultés quotidiennes, il faut avoir le courage de ne pas se contenter de petites mesures ponctuelles si l'on veut redonner une dynamique et du sens au travail policier. Nous n'avons pas vraiment le choix ; à mon sens, soit on fait cette réforme en 2023, soit on ne la fera jamais.

Monsieur Mohamed Soilihi, je vous remercie d'avoir souligné les effets positifs en Guyane et à Mayotte, pour des raisons et des problèmes différents. À Mayotte, nous sommes confrontés à des flambées de violences, plutôt d'ordre public, tandis qu'en Guyane ce sont plutôt des questions de délinquance. Le ministre de l'intérieur se rendra en Guyane le week-end prochain - je suppose qu'il fera des annonces.

Je vous confirme par ailleurs que la CDI est mise en place à Mayotte et qu'elle fonctionne. J'ai bien conscience que permettre à des territoires de devenir des circonscriptions de police est une attente forte des élus locaux, notamment à Koungou. Toutefois, c'est une décision qui n'appartient évidemment pas au directeur général de la police nationale, mais au Gouvernement.

Monsieur Marc, vous nous dites que la présence de policiers sur le terrain est nécessaire pour la prévention. C'est tout le sens des instructions que nous donne, de manière répétée, le ministre de l'intérieur. La réforme des cycles horaires, dont la création d'un cycle binaire, en cours de généralisation, nous permet d'avoir plus de policiers sur le terrain.

Des renforts permanents ou des compagnies de CRS et de gendarmerie mobile sont également envoyés dans certaines métropoles. Demain, nous l'espérons, la présence importante de réservistes de la police nationale apportera un concours décisif aux missions de police. Nous continuerons, j'en suis sûr, à renforcer le lien police-population.

Sur la cybercriminalité, nous allons dévoiler un plan cyber dans les semaines qui viennent. Nous vous en communiquerons les éléments.

Les escroqueries en ligne sont un fléau qui a tendance à se répandre et à se généraliser. Nous avons mis en place, depuis le mois de mars dernier, la possibilité de porter plainte en ligne, ce qui présente plusieurs avantages.

D'abord, elle facilite le dépôt de plainte des victimes.

Ensuite, la multiplication des escroqueries sur internet provoque des dépôts de plainte dispersés, ce qui conduit à une multiplication des enquêtes sans grande cohérence. Nous pouvons désormais faire des rapprochements et lancer une seule enquête là où on en faisait auparavant vingt-cinq ou trente. Le dispositif de traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries (Thesee) est la démonstration de ce que nous devons mettre en place à l'avenir.

Monsieur Sueur, je vous remercie des compliments que vous m'avez adressés au sujet de la conclusion de mon propos liminaire.

M. Jean-Pierre Sueur . - Ils sont sincères !

M. Frédéric Veaux . - Pour revenir au propos de M. le procureur général près la Cour de cas de cassation, je pense que les problèmes doivent être traités dans leur ensemble, et non petit bout par petit bout. Nous dialoguons avec le ministère de la justice - cela me paraît absolument nécessaire -, avec les magistrats sur place, et avec la direction des affaires criminelles et des grâces. L'indépendance de la justice est un principe auquel personne ne peut déroger. Vous avez évoqué la complexité de la procédure pénale. Alors même que des projets ou des propositions de loi nous paraissent aller dans le bon sens, nous avons parfois le sentiment que quelques amendements viennent compliquer les choses.

M. Jean-Pierre Sueur . - Seule solution, les ordonnances ! (Sourires.)

M. Frédéric Veaux . - Il faut aussi prendre en compte les effets de la jurisprudence. Les normes européennes vont s'imposer à nous, nous devons y réfléchir.

L'épaisseur du code de procédure pénale montre qu'il est indispensable de s'atteler à ce chantier, ce qui, si j'ai bien compris, semble être la volonté du garde des sceaux.

Vous avez parlé d'affaires d'ampleur nationale ou internationale. J'ai connu Marseille à une époque où des Corses, des Lyonnais ou des Parisiens venaient tuer des voyous marseillais. Aujourd'hui, les choses se jouent davantage entre la Castellane et la Paternelle, avec des enjeux plutôt locaux, même si nous savons que l'activité de ces groupes criminels peut avoir des répercussions nationales et internationales. L'organisation de la DCPJ, qui sera la même pour la DNPJ, nous permettra d'aborder ces problèmes.

Problème supplémentaire, avec l'explosion de la cybercriminalité, une grande partie de cette délinquance sera demain virtualisée. La question de la compétence territoriale sera un sujet secondaire.

Madame Harribey, vous avez dit que mon propos vous avait mis mal à l'aise, que j'avais considéré que c'était « circulez, il n'y a rien à voir ». Je le redis, nous nous appuyons sur des rapports et sur des diagnostics, faits notamment dans le Livre blanc de la sécurité intérieure. Nous nous rejoignons sur les constats ; certains proposent des solutions - en général, toujours la même - et d'autres non. Je suis partisan de trouver une solution au problème. Mais je suis d'accord avec vous, une réforme doit être comprise.

C'est ce que j'essaie de faire du mieux possible avec les mots qui sont les miens, au sein d'une organisation, celle de la police nationale, qui est hiérarchisée. Ce n'est ni un club ni un forum, c'est une administration où s'exerce l'autorité, où l'on emploie la force, où chacun à son niveau doit exercer et assumer ses responsabilités, ce qui revient aussi à expliquer le sens des décisions prises, à faire remonter les observations dans le cadre du dialogue social, qui est parfois compliqué. Les organisations syndicales de la police nationale peuvent être turbulentes, mais j'en accepte le principe car celles-ci tiennent leur légitimité d'un vote.

Vous avez évoqué un problème de ressources humaines. Nous avons eu des renforts, nous faisons des efforts de formation des officiers de police judiciaire. Des efforts supplémentaires doivent sans doute encore être faits : la création de l'Académie de police nous permettra d'aller en ce sens.

Vous m'avez interrogé sur la Corse. À ma connaissance, nous n'avons pas de projet relatif à l'organisation de la police en Corse, à part celui que je porte pour la direction générale de la police nationale.

Monsieur Bas, je ne peux qu'adhérer à votre remarque sur la nécessité de simplifier la procédure pénale pour faciliter la tâche des enquêteurs. Vous avez parlé d'une crise possible des vocations, un constat que nous avons dressé. Nous y avons travaillé au travers de la coordination nationale de l'investigation pour identifier l'ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés. La police judiciaire est la dernière mission dans la police nationale : on est personnellement responsable de ce que l'on fait. On doit des comptes à son chef, au magistrat qui vous a saisi, à la société, aux avocats et à la presse qui peut vous interpeller sur votre action à l'occasion d'un procès. C'est sans doute difficile à assumer pour les enquêteurs. Ces métiers nécessitent une grande disponibilité : il est difficile de travailler sur une affaire de trafic de stupéfiants aux heures ouvrées. Il faut répondre jour et nuit, 7 jours sur 7. Je l'ai fait pendant de très nombreuses années et je comprends que ces contraintes soient aujourd'hui difficilement supportables comparé à d'autres formes d'organisation du temps de travail. D'autres champs d'activité ont des contraintes équivalentes - je pense au parquet, pour lequel le ministère de la justice a aussi du mal à trouver des candidats.

Les exigences et les complexités sont croissantes. Cette réforme concerne l'organisation ; pour tout ce qui touche au quotidien des enquêteurs, nous y travaillons dans d'autres cadres afin de susciter des vocations. Certains jeunes hésitent à entrer dans la police en craignant de devoir faire du police-secours pendant cinq ou dix ans avant de pouvoir rejoindre une unité d'investigation : c'est pourquoi nous permettons de suivre une formation d'OPJ dès l'école de gardiens de la paix pour permettre l'intégration dans un service d'investigation 30 mois après l'entrée à l'école.

Nous devons aussi imaginer d'autres formes de recrutement. La police offre un panel de métiers : la police judiciaire, le renseignement, l'ordre public, l'international... Heureusement, on constate toujours un intérêt pour tout ce qui touche à l'investigation.

Madame Boyer, vous avez déploré l'organisation en tuyaux d'orgue avec la justice et l'administration pénitentiaire. Je vais d'abord essayer de franchir cet obstacle pour la police nationale, avant de m'attaquer aux autres ! Nous sommes très attachés au continuum de sécurité, depuis la police municipale jusqu'à la décision finale - la sanction - et son exécution.

M. François-Noël Buffet . - Je vous remercie d'avoir partagé avec la commission ces informations - et parfois vos doutes. Les constats semblent être assez largement partagés : la crise des vocations dans la police judiciaire est connue depuis plusieurs années maintenant. Nous assistons sans doute à un changement de culture s'agissant de la capacité à s'investir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les problèmes viennent aussi probablement du statut, de la rémunération et de la question de la reconnaissance des difficultés rencontrées par cette partie de la police.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition du Général de corps d'armée Bruno Jockers,
major général de la gendarmerie nationale

(Mardi 8 novembre 2022)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous recevons aujourd'hui le Général Bruno Jockers, major général de la gendarmerie nationale, dans le cadre de notre mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire. Cette mission, conduite par nos collègues Nadine Bellurot et Jérôme Durain, porte sur les conséquences sur la police judiciaire du projet de réforme du Gouvernement de l'organisation de la police nationale, avec une volonté de départementaliser celle-ci. Et un certain nombre de contestations sont déjà apparues.

L'organisation de la gendarmerie, à la fois dans sa dimension départementale et par l'existence de sections de recherche plus indépendantes, nous intéresse. Votre audition a pour but de nous faire comprendre comment fonctionne la police judiciaire dans la gendarmerie nationale et de nous décrire vos modalités d'organisation, afin de nourrir notre réflexion.

Général Bruno Jockers, major général de la gendarmerie nationale. - J'entends cette audition comme une marque d'intérêt envers la gendarmerie nationale et son organisation, sur un sujet fondamental, car au bout du système judiciaire, il y a des victimes qui sont en attente de réparations.

Je vais vous expliquer notre organisation et notre fonctionnement, sans porter de jugement sur la réforme qui concerne la police nationale.

La police judiciaire constate des infractions, elle est chargée d'en rassembler les preuves et d'en déférer les auteurs, sous la direction des magistrats. La gendarmerie nationale ne fait pas de la police judiciaire dans son coin, ni pour son compte, mais sous la direction, le contrôle et la surveillance des magistrats et sous le regard de la population.

Je développerai quatre points : l'origine de notre organisation, son fonctionnement, la conception de la police judiciaire en gendarmerie et nos relations avec nos autorités d'emploi.

Sur la question de l'organisation de la gendarmerie nationale en matière de police judiciaire, je vous rappelle qu'il s'agit d'une compétence nationale. En vertu de l'article 12-1 du code de procédure pénale (CPP), le magistrat a le libre choix du service qu'il saisit. Le lieu de commission de l'infraction a cependant une importance particulière dans les critères d'attribution et de saisine des services de police ou de gendarmerie nationales.

La zone de gendarmerie nationale couvre 95  % du territoire national, où vit 52  % de la population. Cette zone est également marquée par des flux de population et la gendarmerie nationale est donc amenée à gérer des mouvements : la délinquance, en zone de gendarmerie, est souvent de la délinquance itinérante. C'est également une police judiciaire de proximité, car la population est habituée au contact du gendarme. Dans l'ADN de la gendarmerie, il y a l'idée que la police judiciaire est associée à un ancrage local. Les meilleurs enquêteurs sont ceux qui sont ancrés dans la population car ils ont le renseignement et la compréhension des choses. Notre police judiciaire « haut du spectre » vient en appui aux unités territoriales.

Cela a conduit la gendarmerie à adopter quelques principes.

Il s'agit tout d'abord de la polyvalence du gendarme. Tout gendarme de brigade est un enquêteur, qu'il soit agent (APJ) ou officier de police judiciaire (OPJ). De même, tout gendarme peut effectuer une patrouille de nuit ou constater une infraction sur la route... Le fonctionnement en silo serait inadapté à la gendarmerie, qui dispose d'effectifs polyvalents.

La brigade territoriale constitue le socle de la gendarmerie. Tout converge vers elle, car elle est en contact avec la population. Et sur ce socle nous construisons des unités judiciaires spécialisées qui viennent en appui des capacités offertes par les brigades. Ces unités spécialisées ne sont pas autonomes, ni indépendantes. Il s'agit des brigades de recherche (BR), qui ont une compétence départementale calquée sur la carte judiciaire, et représentent environ 3 000 enquêteurs. Il s'agit aussi des sections de recherche (SR), soit 1 797 gendarmes pour 43 SR, dont les compétences sont au niveau des cours d'appel et qui sont rattachées à la région. Nous avons enfin des appuis régionaux en matière d'organisation de surveillance et de cyber, et des appuis nationaux, notamment en matière de criminalistique, le pôle judiciaire de Pontoise, l'office de la délinquance itinérante et l'office de l'environnement et de la santé publique. Nous respectons le principe militaire du maréchal Foch, c'est-à-dire l'économie des forces. On concentre ce qui est rare au niveau régional ou national pour pouvoir le projeter au plus près du terrain et l'envoyer là où il y a un besoin.

La saisine par les magistrats est organisée sur la base d'un protocole qui date de 2006. Il explique le niveau de chaque unité de gendarmerie et les modalités de saisine. Le magistrat peut saisir soit un commandant de formation, soit un commandant de groupement, ou directement une unité spécialisée, une SR ou une BR.

Il n'y a pas d'attribution automatique en fonction d'un domaine de délinquance. Il y a un principe de subsidiarité. Au niveau du terrain, la brigade territoriale traite ce qu'elle peut en fonction de ses effectifs et de ses capacités. Quand elle est dépassée, la BR vient l'appuyer, et en cas d'insuffisance, la SR intervient.

Je souhaite revenir sur la séparation entre petite, moyenne et grande délinquance. Cette séparation est commode, mais elle n'explique pas tout car il existe des phénomènes de délinquance sérielle, comme le trafic de déchets. Pris isolément, cela peut s'apparenter à des faits de petite ou moyenne délinquance mais, à partir du moment où cela correspond à des réseaux organisés, ces faits sont qualifiés de grande délinquance que seules des unités spécialisées peuvent traiter. 30 ou 40 cambriolages ne peuvent plus être traités au niveau d'une brigade. On est obligé d'engager la BR et la SR. La SR travaille à la fois sur les cambriolages et sur la délinquance sérielle, et heureusement car ce qui compte c'est la tranquillité de la population et la protection des personnes et des biens. Pour nous, dire qu'une SR ne travaillerait pas sur des cambriolages serait simplement une hérésie. De la même manière, des décharges sauvages peuvent être prises comme des faits de petite délinquance mais le trafic de déchets devient de la criminalité organisée. Il en est de même pour les vols dans les transports. Il y a une complémentarité des moyens et une souplesse dans notre dispositif. Nous travaillons souvent à travers une cellule d'enquête qui associe le gendarme de brigade territoriale, un gendarme de BR et un gendarme de SR. Nous avons toujours besoin, à la fois, de l'ancrage local du gendarme de brigade et de l'unité spécialisée.

Dans la gendarmerie, nous restons attachés au principe du carreau cassé. Si on laisse un carreau cassé sur un bâtiment, les carreaux cassés vont se multiplier sur ce bâtiment car on aura donné le sentiment qu'il n'a pas d'intérêt et qu'il existe une impunité pour celui qui casse le carreau. Ce n'est pas seulement la délinquance qui crée le sentiment d'insécurité mais l'insécurité encourage aussi la délinquance. Il est artificiel de séparer l'exercice de la police judiciaire et celui de la prévention et de la sécurité publique. Les deux marchent de pair dans une société bien ordonnée.

Concernant le fonctionnement de notre organisation, la police judiciaire correspond à environ 40  % de l'activité de la gendarmerie, et dans certaines compagnies, cette activité dépasse les 50  %. En 2021, la gendarmerie a constaté 35  % des crimes et délits. Notre activité nous permet de poursuivre 42  % des mis en cause. Nous avons un taux d'élucidation de 46,8  %, de 3,5 points supérieur à celui qu'il était il y a 5 ans. Nous élucidons 8 violences sur personnes sur 10, 8 homicides sur 10, 75  % des violences sexuelles et 35  % des vols à main armée, mais seulement 13,8  % des cambriolages dans les habitations. Ce n'est pas suffisant mais cela correspond à la moyenne des services européens.

Nous avons également pris certains virages. La police judiciaire en gendarmerie a été capable depuis plusieurs années de prendre le virage du cyber avec la création du commandement cyber et quelques enquêtes qui ont fait notre réputation, notamment celle concernant le réseau chiffré EncroChat, utilisé par le crime organisé. Nous prenons aussi le virage de l'environnement, en structurant notre action avec la proposition d'un commandement de la gendarmerie verte dédiée à la protection de l'environnement. Nous avons aussi travaillé sur l'amélioration du traitement des violences conjugales et intrafamiliales, en renforçant nos procédures.

Nous ne subissons pas de retard majeur en matière de procédures puisque moins de 5  % de nos procédures ont plus d'un an. Nous avons moins de procédures en retard aujourd'hui qu'en 2015.

Nous ne constatons pas de diminution de l'attrait pour la police judiciaire en gendarmerie : il n'y a pas de désaffection. Au contraire, nous avions, en 2021, 3 423 candidats pour l'examen technique d'OPJ, pour seulement 3 001 en 2020. Cette année le taux de réussite a été de 68  % et cet examen conserve toute sa pertinence.

Comme je l'ai déjà dit, nous exerçons la police judicaire sous la direction, le contrôle et la surveillance des magistrats. D'une part, les magistrats dirigent les enquêteurs dans le cadre des investigations. D'autre part, ils ont des rapports de chef de service avec les commandements territoriaux qui fournissent les effectifs et les moyens. Donner des directives et des instructions dans le cadre d'une enquête est une chose, et avoir comme interlocuteur un patron territorial est autre chose.

Nous n'avons pas de chaîne organique de la police judiciaire. Le sous-directeur de la police judiciaire en gendarmerie n'est pas le patron de la police judiciaire, ni celui des enquêteurs.

Les unités de recherches ne vivent pas pour elles-mêmes et ne sont pas leur propre finalité. Elles sont là pour appuyer les unités territoriales qui sont en contact avec la population et les victimes.

Un gendarme d'unité de recherche commence sa carrière en brigade territoriale. Puis selon son appétence, il va pouvoir évoluer vers une BR ou une SR. Tout le monde passe par le même endroit et tout le monde appartient à la même maison. Ce système doit nous permettre de concilier la polyvalence du gendarme et la nécessité d'avoir des experts qui disposent de compétences rares.

Dans le cadre de nos relations avec nos autorités d'emploi, il n'y a pas de séparation entre la sécurité publique et la police judiciaire. L'une prévient la commission des infractions et l'autre évite la réitération des faits en interpellant les auteurs. Les deux sont liées. Il faut donc que nos chefs territoriaux s'intéressent à la police judiciaire.

Selon moi, il est anormal d'opposer l'enquêteur et le chef territorial. Ce dernier est là pour aider l'enquêteur, lui donner du temps, des moyens, des effectifs, voire de la protection. Certaines situations sont compliquées et l'enquêteur peut avoir besoin de sa hiérarchie pour l'appuyer et l'accompagner.

L'article 11 du code de procédure pénale traite du secret professionnel et du secret de l'enquête. Cela concerne toute personne qui concoure à la procédure. L'enquêteur est soumis à cette règle dès lors qu'il enquête sous la direction de magistrats. Il tient, cependant, informée sa hiérarchie. La hiérarchie ne doit pas être aveugle, sinon elle ne pourrait concevoir une opération sur un territoire qui puisse aider à prévenir la délinquance. La hiérarchie n'a pas besoin d'entrer dans le secret des enquêtes mais doit savoir là où elle doit engager des moyens pour avoir une action cohérente, voire une stratégie d'enquête.

Vis-à-vis du préfet, les choses sont plus compliquées aujourd'hui en raison de l'importance prise par les réseaux sociaux. La rapidité de l'information et de sa divulgation a considérablement augmenté. Aujourd'hui, une affaire judiciaire devient vite un objet de communication, via les réseaux sociaux. En 2019, une mission parlementaire avait travaillé sur le sujet. Il faut reconnaître qu'aujourd'hui le secret de l'enquête est plus difficile à faire respecter.

Il est justifié que le préfet soit informé d'une affaire judiciaire dans deux cas : lorsque l'on a des risques avérés de troubles à l'ordre public et lorsque l'on assiste à une propagation de fausses informations. Je précise que dans la manière d'informer le préfet, il est possible d'anonymiser les choses et de ne donner à l'autorité que ce dont elle a besoin de connaître. Un troisième cas s'impose dans la pratique : lorsqu'une affaire va faire l'objet d'une médiatisation imminente.

M. François-Noël Buffet , président . - Je vous remercie de votre présentation et des précisions que vous nous avez apportées.

Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Comment expliquez-vous qu'il n'y ait pas de désaffection de la police judiciaire dans la gendarmerie nationale ? La polyvalence est-elle une des raisons ?

Comment sont organisées les cellules d'enquêtes ?

Enfin, les magistrats sont très inquiets de la réforme de la police nationale et des conséquences qu'elle pourrait avoir sur la police judiciaire mais il n'y pas cette même défiance vis-à-vis de la gendarmerie. Quelle en est selon vous la raison ?

Général Bruno Jockers. - Je pense que la polyvalence participe à l'attrait que continue à avoir la police judiciaire en gendarmerie, même si ce n'est peut-être pas le seul facteur. Le gendarme va commencer en brigade, et en cas d'appétence pour la police judiciaire, il aura envie de continuer dans cette voie. C'est un choix de s'engager dans une unité de recherche. L'attrait pour le judiciaire et le fait d'avoir une autonomie dans son travail constituent, pour moi, le premier ressort. De plus, en gendarmerie départementale, pour faire une carrière de gradé, il faut être OPJ. Ce lien étroit existe depuis l'entre-deux guerres. Enfin, il y a des gens qui sont faits pour le travail en brigade car ils aiment le contact avec la population. Dans la gendarmerie, on peut en fait construire sa carrière à la carte, en fonction de ses aptitudes et de ses envies.

Concernant les cellules d'enquête, le magistrat a la direction de la police judiciaire, et travaille avec le chef hiérarchique qui est aussi le commandant territorial. On met les différents chefs autour d'une même table afin de créer un groupe qui sera amené à travailler ensemble sur une période donnée sur un objectif précis. Ce groupe sera composé de membres d'une SR, pour la direction d'une enquête, et de gendarmes de brigade, proches du terrain. On peut aussi configurer ces cellules d'enquête au niveau national. C'est un système très souple, qui est conçu pour pouvoir s'adapter à une délinquance elle-même très évolutive.

Concernant nos relations avec les magistrats, la direction de la police judiciaire par les magistrats ne nous pose aucun problème. Nous sommes là pour servir la loi. Les commandants territoriaux de la gendarmerie connaissent et assument leur rôle en termes de définition de moyens, de stratégie et de dialogue. Nous ne sommes pas une autorité concurrente à celle des magistrats. Je vous précise que la gendarmerie n'est pas un service déconcentré de l'État. C'est une force armée et nationale. Le commandant de groupement reçoit une évaluation du préfet, ce qui ne l'empêche pas d'assumer un rôle de chef. Nous sommes à notre place !

M. Jérôme Durain , rapporteur . - Ma première question technique concerne l'organisation de la police. Il semble que les cycles horaires dans la police nationale contribuent à la désaffection de la police judiciaire. Est-ce qu'il existe une difficulté du même ordre dans la gendarmerie ?

Quelle est la nature de la coopération judiciaire entre gendarmerie et police nationales ? Et est-ce que l'on note une amélioration dans les territoires d'expérimentation, une plus grande fluidité du travail judiciaire entre les deux forces ?

Enfin une remarque : dans votre exposé, on comprend bien qu'il n'y a pas un modèle qui serait départemental et l'autre pas. Je crois que l'institution gendarmerie protège de cet enfermement départemental.

Général Bruno Jockers. - Nous ne nous reconnaissons pas vraiment dans le cycle horaire. Cela n'existe pas dans la gendarmerie. Il y a des besoins de repos physiologique que nous respectons dans la mesure du possible. Une unité de recherche est très sollicitée et soumise à l'aléa, alors qu'en brigade territoriale, les effectifs permettent parfois de mieux planifier le service. En fait, les choses s'équilibrent car une unité de recherche ressent moins la pression continue que l'on connait en brigade territoriale. Il y a des contraintes des deux côtés et ce qui fait la différence c'est l'appétence que l'on a pour un service plutôt que l'autre.

Sur la coopération entre la gendarmerie et la police dans les territoires d'expérimentation de la réforme de la police nationale, et avec le retour que j'en ai, il me semble que l'on identifie plus facilement l'interlocuteur qui dispose des différents leviers. C'est un mode de fonctionnement qui nous correspond.

Selon moi, il ne faut pas opposer département et région. Avec le département on est encore dans l'échelon de la proximité et de l'action opérationnelle. Il y a des commandants de région qui sont aussi commandant de groupements. Le niveau régional met de la cohérence sur, par exemple, la délinquance itinérante ou la gestion des bassins qui se trouvent à la jonction de plusieurs départements. C'est pareil pour la police judiciaire. Le travail sur le trafic de déchets ne s'arrête pas à un département et se situe au niveau régional, voire national ou international. Il y a la place pour une action de proximité opérationnelle départementale et une mise en cohérence régionale. Un procureur général trouve avantage à avoir en face de lui un commandant de région qui s'intéresse à la police judiciaire et qui soit capable de donner des directives cohérentes.

M. Alain Marc . - Je vous remercie pour votre exposé. Ma question porte sur le recueil de renseignements. Je m'en étais d'ailleurs déjà inquiété, regrettant le lien distendu entre la gendarmerie locale et la population. On voyait moins le gendarme sur le terrain, sans doute accaparé par les procédures ! Il semblerait que depuis quelques années la tendance se soit inversée et, à nouveau, les gendarmes se sont rapprochés de la population et des élus de façon à recueillir du renseignement. En 2001, les Américains étaient venus voir comment on obtenait cette qualité de renseignement, en partie due à la gendarmerie nationale. Y a-t-il des directives aujourd'hui pour encourager les brigades à aller sur le terrain ?

Mme Brigitte Lherbier . - J'ai bien compris le cheminement de votre organisation. J'ai été universitaire à l'Institut d'études judiciaires de Lille-II où l'on préparait les concours de commissaires et d'officiers de gendarmerie. Les profils étaient complètement différents même s'il y avait un engouement des deux côtés. L'ordre public intéresse les jeunes. Le coté caserne de la gendarmerie les interrogeaient. J'ai visité, à deux reprises, le site de Pontoise, qui offre de remarquables possibilités d'enquête. Je comprends cette volonté de réformer la police pour trouver cet état d'esprit. Le contact avec la population est déterminant. La procédure judiciaire demande beaucoup de temps. Y a-t-il des choses à améliorer de ce côté-là ?

De façon plus générale, y a-t-il des points d'amélioration à apporter, même dans la gendarmerie ?

M. Dany Wattebled . - J'ai une double question par rapport à l'évolution de la délinquance. On est passé du braquage à la cyber-attaque ! Quels moyens avez-vous pour le recrutement de personnes qui disposent de compétences très pointues ? Quels sont les moyens pour la formation ? On voit bien que les fake news sont courantes. Comment protéger vos hommes et vos réseaux ?

Mme Laurence Harribey . - Je vais vous poser une question à laquelle vous ne pourrez pas répondre. Dans la gendarmerie, même s'il y a de la polyvalence, ce n'est pas le flou artistique : chacun fait ce qu'il doit faire quand il doit le faire. Lors de mon stage en gendarmerie, j'avais noté la dimension territoriale, la dimension recherche, le cyber et l'appartenance à une communauté, que je retrouve dans vos propos.

J'ai l'impression, avec cette réforme de la police nationale, que l'on cherche à calquer un modèle qui marche à une autre culture. Avez-vous la même impression ?

Par ailleurs, il ne vous est jamais arrivé, je suppose, de renoncer à une enquête au prétexte d'un manque d'effectifs ? On touche là du doigt un élément essentiel des inquiétudes au niveau de la police judiciaire.

M. André Reichardt . - Je souhaite revenir sur la dichotomie département-région. Est-ce que le passage aux grandes régions a constitué un avantage ou un inconvénient dans votre mission ?

Mme Éliane Assassi . - Je vous remercie de vos propos liminaires. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, a été auditionné à l'Assemblée nationale et a réitéré cette proposition qui devrait être prochainement concrétisée d'un peu plus de 900 effectifs supplémentaires sortis de l'école de gendarmerie, permettant de créer un certain nombre de nouvelles brigades dès 2023. Certains proposent que ces brigades soient installées là où elles avaient été supprimées. Au regard de votre expertise, est-ce la bonne solution ? Ou faut-il réfléchir à une autre implantation en fonction de l'évolution de la délinquance ?

Général Bruno Jockers. - Concernant le contact avec la population et l'exercice du renseignement, la gendarmerie nationale en a pris le virage en 2015-16. C'était prémonitoire. C'est grâce à la volonté du directeur général de l'époque, qui voulait que l'on revienne au contact de la population, notamment lié à un besoin de service public dans nos territoires. Trois ans plus tard, on avait les gilets jaunes dans la rue. Le contact fait partie des éléments de réflexion. Et la gendarmerie a su l'anticiper dans son domaine.

Quand on donne des objectifs chiffrés comme le taux d'élucidation des affaires, on instaure des comportements déviants. Il y a ce qui se compte et il y a ce qui compte ! Et ce qui compte, c'est la réalité du travail qui se fait auprès de la population. Comme beaucoup d'institutions, nous avons été bercés par le contrôle de gestion et la performance. Sauf que ce qui est plus important pour un gendarme, c'est quelque chose qui ne peut pas se mesurer par des statistiques. J'ajoute qu'en gendarmerie il n'y a aucune directive en matière statistique, ni d'objectif chiffré. En revanche, il y a une consigne qui est d'augmenter la présence sur la voie publique. Nous n'avons plus la culture du chiffre même si on l'a eu il y a une quinzaine d'années. Mais nous avons eu la lucidité de réagir et je suis heureux que le ministre de l'intérieur ait décidé d'organiser des sondages auprès de la population sur le sujet. Voilà le cheminement que l'on a fait mais qui n'est pas facile car cela se heurte à d'autres priorités. Aujourd'hui, nos brigades passent un temps considérable sur le traitement des violences intrafamiliales et conjugales, en intervention, puis dans le traitement judiciaire de l'affaire. Notre objectif est le contact, on veut libérer les énergies. Le meilleur service à rendre aux gendarmes est de leur dire que l'on a confiance en eux.

Nous considérons que l'officier de gendarmerie est avant tout quelqu'un qui a été éprouvé au plus près du terrain, dès son premier poste. Je pense que c'est un très bon système qui existe depuis plus de 10 ans. Nos cadres supérieurs ne commencent pas par des fonctions de cadre supérieur. Cela nous permet d'avoir de jeunes officiers qui savent de quoi ils parlent et qui n'auront pas une conception intellectualisée du métier. Discuter sur le terrain avec un élu mécontent qui constate des incivilités et qui vous reproche de ne jamais être là où il faudrait, cela apprend la vie. Ce contact est essentiel. Notre métier est aussi un métier de commandement qui vise à prendre des décisions.

Concernant des simplifications, nous avons des projets, comme oraliser davantage la procédure avec des systèmes de retranscription automatique, la procédure pénale numérique en déploiement... afin de gagner du temps. C'est parfois contradictoire : on fait beaucoup pour simplifier et en même temps on fait beaucoup pour compliquer, même si cela est pour de nobles raisons.

Sur la question de l'expertise de la police nationale, nous avons beaucoup à apprendre de nos partenaires de la police nationale. Ils ont des pôles d'expertises. Notre part dans la lutte contre le terrorisme, c'est la détection des signaux faibles, le renseignement auprès de la population. Nous devons aussi travailler avec des unités spécialisées. Nous avons aussi des projets communs comme celui de la visio-plainte. Cela nous intéresse particulièrement car nous avons des espaces importants à couvrir et que cela pourrait permettre d'éviter de longs déplacements et de simplifier la vie des Français. La loi d'orientation et de programmation pour le ministère de l'intérieur prévoit une agence du numérique commune aux forces de sécurité.

Sur le recrutement d'experts, nous avons besoin d'une grande souplesse de gestion. En fait, le statut militaire autorise beaucoup de souplesse par rapport à la gestion des personnels civils. Nous avons des officiers qui sortent de grandes écoles, des gendarmes qui deviennent experts, nous allons chercher des officiers recrutés sur titre au regard de leur diplôme, nous recrutons des officiers sous contrat pour une période déterminée, et certains passeront quelques années dans le privé pour acquérir une expertise dans un domaine. On est capable de recruter et de fidéliser. La création du commandement cyber de la gendarmerie obéit à cette logique. Le centre de gravité de la lutte contre la cybercriminalité, c'est la compétence en ressource humaine. Nous avons regroupé l'opérationnel, les moyens, la recherche et la gestion de la filière métier.

Nous croyons dans une gendarmerie hiérarchisée, structurée et vertébrée. Quand nous avons deux gendarmes, il y en a toujours un qui commande l'autre. Si on ne suit pas ce principe de base, on va vers l'irresponsabilité collective. C'est un principe essentiel. Nous essayons de travailler en « devis judiciaire ». Lorsque l'on s'engage sur un objectif, il faut déterminer combien ça va coûter en termes d'effectifs et de moyens, pour une période donnée. On décide alors d'y aller ou non, en commun avec le magistrat. C'est là que le chef hiérarchique a un rôle à jouer avec le magistrat, même si c'est ce dernier qui décide en dernier ressort. Nous ne sommes pas comme les britanniques qui choisissent de travailler sur ce qui intéresse la population. Est-ce qu'au bout du compte on aura participé à la sécurité de nos concitoyens ?

Sur le passage aux grandes régions, l'organisation de la gendarmerie était jusqu'à il y a peu encore calée sur les 22 régions. Nous nous sommes retrouvés dans des régions sans correspondants, avec 22 états-majors de région alors que nous avions besoin de renforcer nos unités de terrain. Cette logique nous a amené à mettre en cohérence notre organisation avec les 13 régions. J'ai été successivement commandement de groupement du Bas-Rhin et commandant de la région Grand-Est. Je pense que c'est une bonne réforme pour le service que nous rendons à la population, qui fait coexister un commandement de plein exercice au niveau départemental et un commandement de région qui a la charge de coordonner les moyens. J'en ai une vision plutôt positive. Nous avons économisé un peu de moyens au niveau des états-majors régionaux.

Concernant les nouvelles brigades, les préfets doivent poser un diagnostic sur l'organisation et l'activité de la gendarmerie, en collaboration avec le commandement et les élus, afin d'en déduire les endroits où la création d'unités pourrait être profitable. Il ne s'agit pas de recréer des unités là où elles ont été dissoutes mais là où l'on considère qu'il y a un besoin. Et nous sommes très souples dans les types d'unité créés.

M. François-Noël Buffet , président . - Je vous remercie, mon Général, pour l'ensemble de votre propos et des précisions que vous nous avez apporté sur le fonctionnement de la gendarmerie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Éric Dupond-Moretti,
garde des sceaux, ministre de la justice

(Mardi 8 novembre 2022)

M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, pour ce premier point. Il nous reste à vous interroger sur l'impact de la réorganisation proposée de la police nationale sur la police judiciaire.

Mme Nadine Bellurot . - Monsieur le ministre, comme vous le savez, les magistrats craignent une disparition de la police judiciaire. Partagez-vous leurs inquiétudes ?

Dans quelle mesure les magistrats peuvent-ils d'ores et déjà rencontrer des difficultés dans le traitement de dossiers du fait du manque de disponibilité des enquêteurs ?

Je sais que le ministre de l'intérieur vous a écrit pour vous parler de cette réforme et apporter des réponses aux craintes des magistrats. Il vous a indiqué que la réforme avait pour objectif d'offrir davantage de lisibilité à l'autorité judiciaire, laquelle pourrait saisir le chef de la circonscription de la police nationale, le chef de la police judiciaire, le directeur départemental ou le directeur zonal. Ces précisions apportées par le ministre de l'intérieur vous semble-t-elle répondre aux inquiétudes des magistrats quant à l'obligation éventuelle de saisie du directeur départemental ? Serait-il utile, voire nécessaire, de remplacer le terme de « formations », dans l'article 12-1 du code de procédure pénale, qui laisse le libre choix aux magistrats des « formations » chargées des enquêtes, afin de préciser la possibilité de saisine des différents échelons ?

M. Jérôme Durain . - Monsieur le ministre, nous avons eu des échanges assez nourris avec le ministre Darmanin quant aux raisons de la « grogne » face au projet de réorganisation de la police nationale, que de nombreux facteurs peuvent expliquer, notamment des questions de forme. Force est de constater qu'une nouvelle instance, qui connaît un certain succès, s'est créée au sein de la police judiciaire, l'association nationale de police judiciaire (ANPJ). Dans le monde de la justice, la mobilisation est assez importante. Des instances importantes ont pris position, comme le Conseil supérieur de la magistrature, la Conférence nationale des procureurs de la République, ou la Conférence nationale des procureurs généraux, avec une forme de gravité et de solennité qui n'a échappé à personne. L'inquiétude qui les anime est sincère.

Deux points retiennent l'attention dans la réforme. Le premier a trait au risque d'abandon du haut du spectre de la criminalité (criminalité organisée, affaires complexes interrégionales ou internationales). Le risque serait notamment, pour des raisons d'encadrement et de compétences, de voir une partie des effectifs de la police judiciaire s'orienter vers la délinquance de masse et la résorption du stock important d'affaires qui existe partout sur le territoire.

La seconde inquiétude majeure tient à l'intervention éventuelle de la sphère administrative dans la sphère judiciaire, avec la possibilité de tutelle du préfet sur les directeurs départementaux de la police nationale. Nous aimerions vous entendre sur ces aspects, qui ne concernent pas que les affaires politiquement sensibles, dont on parle beaucoup.

La question de la procédure pénale et de sa complexité est également évoquée lors de chacune de nos auditions, par toutes les parties que nous entendons. Que prévoyez-vous de faire sur cette problématique ?

Enfin, quelle appréciation portez-vous sur les expérimentations conduites dans les outre-mer et au sein de huit départements français ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je distingue deux sujets, dont l'un me concerne, l'autre non.

Le volet qui englobe la réorganisation de la police judiciaire, en tant que telle, relève du périmètre strict du ministre de l'intérieur. Si demain, l'on souhaite créer une juridiction, cela relèvera du périmètre du ministère de la justice. Je n'ai donc pas à me prononcer sur ce volet, même si j'estime qu'un certain nombre de vraies raisons peuvent conduire Gérald Darmanin à vouloir mieux structurer les choses.

Un autre volet nous est commun et nous en serons d'une certaine façon cosignataires. Le directeur général de la police nationale (DGPN) et le directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG) ont travaillé ensemble. La ligne rouge infranchissable, pour le ministère de la justice, réside dans les dispositions de l'article 12 du code de procédure pénale. Cela tombe très bien, car c'est aussi une ligne rouge infranchissable pour le ministre de l'intérieur. Celui-ci m'a écrit, après qu'un certain nombre de critiques, parfois singulières, ont été entendues. D'aucuns ont crié « aïe » avant de recevoir un coup que personne ne souhaitait leur porter. Nous avons notamment entendu de hauts magistrats s'exprimer sur des radios nationales pour dire que la réforme n'était pas bonne. Chacun s'exprime avec liberté. En entendant ces critiques, auxquelles j'ai été très attentif, j'ai souligné que le ministère de l'intérieur ne voulait en aucune façon empiéter sur les prérogatives qui sont celles des magistrats depuis des temps immémoriaux. Le juge d'instruction, par exemple, choisit son service d'enquête et cela doit demeurer.

Surtout, il convient de rappeler qu'une expérimentation est en cours. Elle n'est pas encore terminée. Au sens que donne le Conseil d'État à la notion d'expérimentation, celle-ci nécessite une évaluation, faute de quoi elle ne servirait à rien. L'inspection générale de la justice (IGJ), l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et l'inspection générale de l'administration (IGA) sont mobilisées. Ce triptyque nous assure, plus encore que d'habitude, l'impartialité des inspecteurs. Nous n'avons pas encore leurs conclusions. Le ministre de l'intérieur et moi-même tirerons, probablement ensemble, un certain nombre de conséquences de ces inspections.

La machine s'emballe parfois un peu vite, même si l'on peut avoir un certain nombre de craintes. Rien, à ce stade, ne me permet de penser que l'article 12 sera abrogé ou modifié. J'ai indiqué au ministre de l'intérieur ma position, qu'il a évidemment entendue. La réponse qu'il m'a adressée, qui me satisfait pleinement, en témoigne. Chacun sera respectueux du choix du magistrat quant au service d'enquête.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, de votre présence ce soir et des informations que vous nous avez données.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. François Molins,
procureur général près la Cour de cassation

(Mercredi 9 novembre 2022)

M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le Procureur général, d'être ce soir devant la commission des lois du Sénat. Celle-ci a confié à Nadine Bellurot et à Jérôme Durain une mission sur l'organisation de la police judiciaire.

Un certain nombre d'inquiétudes ont été exprimées sur le fonctionnement futur de la police judiciaire dans le cadre de la réforme envisagée de la police nationale. Vous vous êtes exprimé publiquement sur le sujet, et nous souhaitons aujourd'hui recueillir votre point de vue.

M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation. - Je tiens d'abord à remercier la commission d'avoir souhaité m'entendre. Je ferai quelques observations à double titre : d'une part en raison de mes fonctions actuelles et d'autre part en tant que magistrat du parquet durant quarante ans. Comme vous l'indiquiez, je me suis exprimé sur le sujet sur France Inter en août dernier, à la suite d'une question d'un auditeur.

Je rappellerai avant tout certains principes, en particulier celui fixé par l'article 12 du code de procédure pénale : la police judiciaire est exercée sous la direction des magistrats, sous l'autorité des parquetiers pour les enquêtes et sous l'autorité des juges d'instruction pour les investigations effectuées sous commission rogatoire.

Ce principe a valeur constitutionnelle depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnelle sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure le 10 mars 2011. Il résulte de l'article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. À cette fin, les dispositions du code de procédure pénale assurent le contrôle direct et effectif de l'autorité judiciaire sur les officiers et agents de police judiciaire. Ce principe se fonde principalement sur le fait que, conformément à la Constitution, l'autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle. Il en découle notamment le libre choix du service enquêteur par le procureur de la République ou le juge d'instruction. Il s'agit aussi d'un moyen indispensable pour que le procureur de la République puisse mettre en oeuvre, au travers des enquêtes qu'il diligente, la politique pénale décidée par le Gouvernement.

Au nom de ces principes, le 26 octobre 2022, le Conseil supérieur de la magistrature, garant de l'indépendance de la justice, a souhaité faire part de sa préoccupation sur le contenu de la réforme de l'organisation de la police nationale.

Les propos publics que j'ai tenus à la radio sur la mise en oeuvre de la réforme datent de la fin du mois d'août. Depuis, face à l'unanimité des critiques, le ministre de l'intérieur et le directeur général de la police nationale ont précisé les contours du projet envisagé et qui reste encore aujourd'hui en construction. Cela complique d'ailleurs l'appréciation de la réforme et il reste délicat pour moi d'en apprécier les effets concrets. Le ministère de l'intérieur évoque désormais des garanties pour le respect du principe de direction de la police judiciaire par les procureurs. J'ai également entendu que l'échelon zonal serait préservé, et que les offices et antennes de police judiciaire ne connaîtraient pas de modification. Je n'en sais toutefois pas davantage. Je suppose donc que l'exercice que vous me demandez consiste à cibler les enjeux au regard de mon expérience.

Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Les différentes annonces répondent-elles déjà à certaines de vos inquiétudes ?

M. François Molins. - J'attends de voir le projet définitif pour me prononcer. Je déduis en tout cas de ces annonces que les critiques ont été entendues et que le ministère de l'intérieur travaille à des évolutions.

Cela paraît d'autant plus nécessaire que les résultats des expérimentations demeurent très mitigés selon les informations qui nous remontent du terrain. Une mission d'évaluation a été décidée sur le sujet, avec l'intervention des trois corps d'inspection des ministères de l'intérieur et de la justice.

Je ne prétends pas que la police ne doive pas être reformée. Une réforme est certainement nécessaire pour améliorer son organisation et son fonctionnement, ainsi que le traitement de la criminalité du quotidien.

La police ne se limite pas aux effectifs de police en tenue bleue sur la voie publique. Si les interpellations faites par les policiers ne sont pas suivies d'investigations de police complètes et impartiales, la justice ne peut être de qualité. La police judiciaire étant la police de la preuve, il est indispensable que les investigations soient exhaustives et impartiales, et que la procédure soit de bonne qualité. Or nous vivons actuellement une situation de crise, liée à plusieurs facteurs.

Nous observons tout d'abord une désaffection pour la police judiciaire et l'investigation, qui se traduit par un déficit de vocations et d'attractivité, donc par un sous-effectif. Un rapport fait ainsi état de 17 000 officiers de police judiciaire alors qu'il en faudrait 22 000. Pour autant, nous ne devons pas abaisser la qualité de leur formation.

Je ne reviendrai pas sur la complexification de la procédure pénale, car la commission des lois du Sénat en sait autant sinon plus que moi.

Je soulignerai en revanche que la réforme des corps et carrières de la police nationale, en 1995, a entraîné dans les services de sécurité publique un désengagement majeur du judiciaire, des commissaires et de l'encadrement supérieur. Les stocks de procédures en souffrance dans les commissariats s'aggravent constamment, les dernières estimations faisant état de 2 millions de procédures non traitées (soit près d'un tiers des 5,9 millions de procédures). La plupart seront vraisemblablement classées, conformément aux préconisations contenues dans la circulaire ministérielle de 2021, et des victimes ne recevront jamais de réponse.

Par ailleurs, les délais de traitement des enquêtes s'allongent et tous les magistrats constatent une dégradation continue de la qualité des procédures pénales, en particulier en sécurité publique. Elle tient autant au manque d'effectif qu'à l'insuffisante qualité procédurale des enquêteurs de la sécurité publique, qui assurent pourtant plus de 90  % des missions d'investigation. Tel n'est en revanche pas le cas dans la police judiciaire, qui a su préserver un bon niveau de qualité dans ses enquêtes en matière de grande criminalité organisée et financière.

Je tiens à souligner les bonnes relations de travail entre les procureurs de la République et les juges d'instruction et les chefs de service de police judiciaire. La situation diffère légèrement en sécurité publique, car les directeurs départementaux travaillent généralement davantage avec les préfets, eux-mêmes beaucoup plus impliqués dans les missions de sécurité depuis quelques années. Les procureurs entretiennent moins de rapport avec les responsables départementaux qu'avec leurs adjoints en charge des investigations judiciaires. Le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 exprimait clairement l'objectif de renforcer l'autorité des préfets sur la police nationale.

J'en viens maintenant au projet de réforme de l'organisation de la police nationale. Son épure initiale consistait à rassembler, dans chaque département, tous les services de police sous l'autorité d'un responsable départemental unique, le directeur départemental de la police national (DDPN), lui-même placé sous l'autorité du préfet. Celui-ci deviendrait le chef de quatre filières : sécurité publique, renseignement, police aux frontières et investigations. Divers services de police judiciaire disparaîtraient en fusionnant au sein de la filière d'investigation, aux côtés des enquêteurs des sûretés départementales et de la sécurité publique, en charge d'un spectre de délinquance plus bas.

L'objectif de la réforme consistait à mettre un terme au fonctionnement en silos. Dans la police nationale en effet, chaque service ne rend compte qu'à sa direction centrale. Il s'agissait aussi de porter une attention particulière à la criminalité du quotidien. Cependant, il est rare de voir un projet susciter une telle unanimité dans ses critiques, de la part à la fois des policiers, des magistrats et des avocats.

Je pense tout d'abord que l'échelon départemental n'est pas adapté dans le traitement de la criminalité organisée. Les groupes criminels les plus structurés sont très mobiles, ils s'entraident et étendent leurs ramifications sur l'ensemble du territoire et à l'étranger. Le rapport annuel du SIRASCO constitue une source fiable dans ce domaine. J'ai moi-même travaillé sur ce sujet il y a trois ans, quand Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, m'a chargé de rendre un rapport sur la criminalité organisée et financière. Nous avions à l'époque constaté que les dossiers de criminalité organisée ne cessaient de s'internationaliser et de se complexifier, avec des modes opératoires sophistiqués, suprarégionaux voire nationaux. Le haut du spectre de la criminalité n'était pas suffisamment bien traité, et nous nous situions alors à l'opposé d'un traitement départemental.

Par ailleurs, je ne pense pas que la version initiale du projet réponde aux enjeux de qualité des procédures et de nombre d'officiers de police judiciaire (OPJ). Il semble plutôt répondre à d'autres objectifs, à savoir la gestion de la pénurie des enquêteurs OPJ en sécurité publique par la déspécialisation et la déconcentration des effectifs ainsi que par la recherche de résultats plus visibles en matière de délinquance du quotidien et de maintien de l'ordre. Un tel projet présente sans doute des avantages en sécurité publique, mais il risque d'abîmer un outil, la police judiciaire, qui fonctionne plutôt bien dans des enquêtes complexes et longues touchant principalement à la criminalité organisée. Ce constat est encore plus vrai s'agissant de la délinquance financière.

En l'état, le projet comportait donc plusieurs risques : que la police judiciaire perde son indépendance et son niveau de technicité ; que la priorité soit donnée au traitement des cibles les plus visibles ou les plus faciles à traiter, au détriment des infractions les plus graves, complexes ou cachées, en somme la politique du chiffre ; que le principe de direction de l'enquête par les magistrats du parquet et les juges d'instruction se trouve affaibli. Sur le papier, rien ne change et l'article 12 du code de procédure pénale demeure, mais il apparaît un risque fort que le DDPN, sous l'autorité du préfet, devienne décisionnaire en matière de politique pénale. Enfin, renforcer l'autorité des préfets de département crée un risque d'interférence des préfets, des politiques et des élus dans les enquêtes.

Votre première question écrite portait sur la manière dont les magistrats répartissent les enquêtes, en particulier entre la police judiciaire et la sécurité publique.

Dans mon expérience, les enquêtes sont réparties selon la gravité des faits, la complexité des investigations, la compétence et la technicité des services d'enquête.

Généralement, les services de sécurité publique se chargent des affaires de petite et moyenne délinquance, des infractions de voie publique, des vols simples et aggravés, des atteintes aux personnes, des violences conjugales, des petits trafics ou usages de stupéfiants, des rixes et violences volontaires, des agressions et atteintes sexuelles, des petites escroqueries, des ventes à la sauvette, etc . Au sein de la sécurité publique, les sûretés départementales possèdent la meilleure expertise dans les affaires compliquées et se chargent plutôt des affaires de violences urbaines et des trafics de stupéfiants.

Les affaires criminelles (criminalité organisée et financière) sont dans les faits toujours confiées à des services spécialisés : sections de recherche en zones gendarmerie et services de police judiciaire en zone police (directions zonales de la police judiciaire, services territoriaux, antennes de police judiciaire). Nous disposons également de huit juridictions interrégionales spécialisées dans le pays (JIRS). Ces JIRS traitent le haut du spectre de la criminalité, et travaillent presque exclusivement avec des offices centraux, des directions zonales de police judiciaire ou des sections de recherche.

Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Nous entendons que cette réforme conduirait à se calquer sur l'organisation de la gendarmerie nationale et de la préfecture de police. Partagez-vous cette analyse ? Rencontrez-vous des difficultés à l'heure actuelle dans le traitement des affaires judiciaires suivies par la gendarmerie et la préfecture de police ? Si oui, pourquoi ? Sinon, pourquoi devrions-nous craindre cette évolution ?

M. François Molins. - La réforme ne vise pas à calquer l'organisation de la police nationale sur celle de la gendarmerie ou de la préfecture de police. Il existe certes des points communs, mais aussi de fortes différences.

L'un des points communs réside dans l'unité de commandement. Cependant, la gendarmerie comporte des sections de recherche chargées du traitement de la grande criminalité et de la délinquance organisée et financière, qui ne sont pas du tout sous l'autorité des commandements de groupements départementaux, mais sous l'autorité des commandements de région.

S'agissant de la préfecture de police, la comparaison aurait pu valoir il y a vingt ans, quand les commissariats parisiens étaient organisés en districts où tous les services exerçant des missions de police judiciaire étaient fusionnés. Ce modèle a été abandonné depuis, et désormais le préfet de police a la mainmise sur tous ces services. Il existe donc des paysages très différents, entre lesquels les magistrats peuvent choisir. Les services de sécurité publique comprennent des commissariats de sécurité publique dans chaque arrondissement pour traiter des affaires de petite et moyenne délinquance, et la direction régionale de la police judiciaire s'articule avec une organisation fondée sur des brigades centrales et des districts de police judiciaire pour traiter le haut du spectre de la délinquance parisienne et les affaires les plus graves.

L'unicité de commandement ne pose pas de problème particulier pour le judiciaire. Je comprends parfaitement la cohérence à placer des services sous un commandement unique, notamment sous l'angle de l'obligation de compte rendu. Néanmoins, il existe un choix dans la saisie (commissariats, sûreté territoriale, districts de police judiciaire, services locaux de gendarmerie, sections de recherche) qui doit perdurer.

M. Jérôme Durain , rapporteur . - Nous ne savons pas grand-chose de la réforme envisagée. Dans un récent article de presse, la personne chargée de la conduire donnait quelques éléments nouveaux, notamment l'existence de divisions spécialisées dans la criminalité organisée et de divisions territoriales, le changement de nom des sûretés, et la possibilité pour le procureur de noter les directeurs départementaux.

Vous avez évoqué la désaffection pour la fonction judiciaire, assortie d'une difficulté récurrente dans la qualité des procédures. La réponse peut-elle consister à puiser des compétences dans la police judiciaire pour les affecter en sécurité publique ? Ne risquons-nous pas d'affaiblir les spécialités métier ? La réponse ne résiderait-elle pas dans l'unité de commandement, pour une meilleure vision de l'organisation dans la police nationale ?

M. François Molins. - Je ne conteste pas l'unité de commandement, mais je trouverais préjudiciable de faire disparaître des services qui ont su préserver leur technicité et leur qualité. Certains responsables de la police judiciaire ont émis des contre-propositions, consistant à maintenir tous les échelons de police judiciaire en les plaçant sous l'autorité de DDPN ou de directeurs zonaux de la police nationale. Je ne comprends en tout cas pas en quoi l'unicité de commandement implique nécessairement la disparition de services. Ils perdraient leurs compétences en se fondant dans une sorte de magma en charge de traiter à la fois de la petite, moyenne et grande délinquance. Les collègues magistrats le redoutent, d'autant que nous ne disposons pas d'une vision exhaustive de la réforme envisagée. De plus, les résultats des expérimentations ne semblent pas avoir été parfaitement profitables, puisqu'elles n'ont pas permis de réduire le stock des procédures en souffrance dans les commissariats. L'évaluation des inspections permettra de faire la part des choses dans ce domaine.

Partout où je suis passé, j'ai toujours lutté contre les fonctionnements en silos. Je ne vous dirai pas le contraire aujourd'hui, mais il convient aussi de préserver la qualité des outils existants. Si un procureur ou juge d'instruction doit solliciter des investigations à l'extérieur de son département ou sa région, ou même à l'international, le chef de service doit pouvoir y consacrer les moyens.

Vous envisagez que le DDPN soit évalué par le procureur de la République, et je ne m'en plaindrai pas car la plupart ne l'étaient pas jusqu'à présent. Il leur suffisait en effet de ne pas demander leur habilitation OPJ pour l'éviter. Pour autant, cette mesure ne garantira pas le succès ou l'échec de la réforme.

M. Patrick Kanner . - On prête à l'ancien Premier ministre britannique Benjamin Disraeli la phrase : « réformer ce qu'il faut, préserver ce qui vaut ». Vous voulez manifestement préserver ce qui vaut.

Nous avons eu avec le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, un débat lors de l'xamen du projet de LOPMI sur les tentatives précédentes de regroupement départemental des forces de police, de sécurité publique, de renseignement territorial et de police aux frontières. Selon moi, la police judiciaire n'était pas incluse dans cette démarche imaginée par Pierre Joxe et brisée par Charles Pasqua.

Pourquoi l'exécutif souhaite-t-il cette réforme aujourd'hui ? L'efficacité est toujours mise en avant, mais cette réforme ne reflète-t-elle pas la volonté d'un contrôle politique en lien avec les préfets et les DDPN ? Telle est l'interprétation de nombre d'entre nous, qui ne pensent pas que l'efficacité de la police judiciaire s'en trouverait améliorée. Vous avez vous-même connu des affaires extrêmement douloureuses. Auraient-elles été mieux traitées si la police judiciaire avait été départementalisée ?

M. Jean-Pierre Sueur . - J'ai trouvé clairs les propos que vous avez tenus sur France Inter, de même que les propos que vous tenez aujourd'hui. Placer la police judiciaire sous l'autorité du parquet apparaît incompatible avec l'existence d'un commandement unique pour l'ensemble de la police, sous l'autorité d'un responsable de la police. Cette incompatibilité n'empêche cependant pas les contacts et la coopération, et pendant toute votre carrière vous avez récusé le travail en silos. Vous avez raison, le compromis est parfois utile mais la logique exposée par le ministre de l'intérieur ne fonctionnerait pas selon moi.

M. Alain Richard . - Il me semble que la nécessité de refondre urgemment le code de procédure pénale est unanimement admise. Quelle méthode pensez-vous la plus adaptée pour y parvenir ? Une habilitation à droit constant ne me semble pas pouvoir fonctionner, d'une part car nous ne réunissons sans doute pas les conditions politiques pour que le Parlement y consente, et d'autre part car l'objectif ne consiste pas à réécrire le code à droit constant. Pour autant, il apparaît aventureux de se lancer dans un projet ab initio et d'élaborer un nouveau code, de plusieurs milliers d'articles. Une autre voie est-elle possible ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Nous éprouvons quelques difficultés à comprendre le process et le calendrier de mise en oeuvre de cette réforme. Hier, nous avons auditionné le garde des sceaux. Il s'est montré d'une grande prudence quant à l'appréciation de la réforme sur le fond, mais a évoqué des évaluations de l'expérimentation, prévues ou en cours. Vous les avez vous aussi évoquées, mais avec flou. L'expérimentation a-t-elle été évaluée ? Quelles en sont les conclusions ? Comment peut-on en avoir connaissance et s'appuyer dessus ?

M. François Molins. - Pour répondre à Patrick Kanner, je ne pense pas que le département constitue le juste échelon, et j'identifie un vrai problème de cohérence. On demande à l'acteur judiciaire de se spécialiser de manière croissante, depuis les lois Perben de 2004, alors que l'autre acteur, la police, deviendrait plus généraliste. Par ailleurs, certaines enquêtes méritent parfois d'être dépaysées et l'utilité d'un service régional apparaît alors évidente.

Il ne me semble pas illégitime de vouloir réformer et mettre de l'ordre dans le commandement, au regard de la baisse du taux d'élucidation, en particulier en petite et moyenne délinquance. Nous devons toujours chercher à mieux faire. Cependant, si les parquets ne disposent pas de moyens pour les enquêtes qu'ils ordonnent, ils ne pourront pas mettre en oeuvre leur politique pénale. Les expérimentations ont d'ailleurs démontré que le directeur départemental de la police nationale ne saurait jouer le rôle d'arbitre dans les décisions du parquet. Si, par exemple, un procureur de Saône-et-Loire souhaite saisir la direction départementale de sécurité publique d'une enquête amenant à conduire des investigations en région lyonnaise et en Bourgogne, il est peu probable que le directeur départemental acceptera de distraire des effectifs requis par ailleurs au quotidien, pour les consacrer à des enquêtes au long cours dans d'autres départements. Une doctrine d'emploi ne suffira pas dans ce domaine, car elle peut changer au fil du temps.

Selon moi, nous devons maintenir un système préservant le libre choix du procureur, au travers de services zonaux de police judiciaire. Idéalement, les procureurs de la République auraient aussi voix au chapitre en matière d'affectation des moyens dans les enquêtes qu'ils ordonnent.

S'agissant de la réforme du code de procédure pénale, je n'ai pas compris qu'elle s'effectuerait à droit constant. Un tel toilettage ne réglerait d'ailleurs pas la crise de la filière d'investigation. Quand j'étais procureur de Paris, je me plaignais de l'insuffisance des effectifs dans la police judiciaire. Après les attentats, une vague de mutations a eu lieu, de la filière investigation vers le renseignement, à tel point que les créations de postes en police judiciaire ne recevaient parfois aucune candidature.

Les réformes de fond sur la procédure pénale se heurtent avant tout au statut du parquet, qui est bloquant et qui nécessite une réforme. Une autre solution consisterait à augmenter le nombre d'officiers de police judiciaire, bien formés et mieux encadrés. Or nous payons encore aujourd'hui les effets néfastes de la réforme de 1995. Je signale du reste qu'à cette même époque un projet de réforme de la départementalisation de la police nationale hors police judiciaire avait été abandonné au bout de 18 mois.

L'expérimentation actuelle ne me semble pas avoir produit d'effets particulièrement positifs. L'inspection confirmera ou infirmera les premières remontées, mais j'ai entendu que les procureurs se trouvaient marginalisés dans l'élaboration de la politique pénale, et que l'autorité judiciaire était uniquement perçue comme un gestionnaire de flux. Les priorités de politique pénale définies par le parquet ne seraient pas prises en compte. J'ai aussi entendu qu'en Guadeloupe, des magistrats du parquet ne sont plus libres de choisir le service d'enquête, leurs demandes étant filtrées par le DDPN. Enfin, si tout le monde semble d'accord pour améliorer l'information des élus sur l'évolution de la criminalité et ses modes de traitement, les élus n'ont pas nécessairement à être informés directement sur la conduite des investigations. Or certains se saisissent de cette ouverture, via les préfets et directeurs départementaux, notamment dans les outre-mer. Les inspections feront le point sur les avantages et inconvénients de l'expérimentation.

Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Je crois savoir que les retours des inspections sont attendus pour janvier 2023.

M. Jérôme Durain . - Nous avons nous-mêmes reçu quelques retours par des responsables de la police nationale. Nous avons d'ores et déjà l'impression que des évolutions sont possibles à droit et moyens constants, notamment en matière de co-saisine. En effet, les expérimentations ont permis de dégager des méthodes de travail nouvelles, qu'il conviendrait peut-être d'étudier.

Par ailleurs, vous avez évoqué un contrôle politique du fait de la tutelle préfectorale sur la nouvelle organisation. Dans les garanties apportées par le ministre de l'intérieur, la seule exception à la logique départementale concernerait les atteintes à la probité. Or la sensibilité d'une affaire ne saurait s'y résumer.

M. François Molins. - En effet, j'ai entendu que chaque directeur zonal de la police judiciaire conserverait deux entités de six enquêteurs pour le blanchiment, d'une part, la probité et la corruption, d'autre part. Cela ne me semble pas suffisant. Avec qui travailleront les juridictions interrégionales spécialisées ? L'enjeu me semble moins de préserver le traitement des atteintes à la probité que de préserver dans sa totalité l'outil de traitement de la grande criminalité organisée et financière. Du reste, les atteintes à la probité ne recouvrent pas tout le champ de la criminalité financière, dont le traitement se porte déjà mal. Le projet initial signait pour moi sa fin, car les DDPN ne s'engageront jamais dans ce domaine.

M. François-Noël Buffet , président . - Il apparaît que la police judiciaire n'attire plus, principalement pour des raisons liées à la qualité de vie. Nous avons pourtant entendu hier que tel n'était pas le cas en gendarmerie. Comment améliorer cette situation dans la police nationale ?

M. François Molins. - Le problème me semble systémique. En police comme en gendarmerie, certains enquêteurs ne comptent pas leurs heures, et connaissent d'ailleurs des problèmes personnels car ils donnent beaucoup d'eux-mêmes. Il existe toutefois une crise des vocations, particulièrement depuis les attentats. Des personnes impliquées dans ce domaine depuis des années ont souhaité passer à autre chose. Cela fait partie de la nature humaine, mais c'est en lien avec des facteurs généraux. Il est démotivant de mener une enquête en sachant que l'affaire ne verra pas le jour avant des années (sept à huit ans pour des atteintes à la probité ou des affaires financières). Une réduction des délais améliorerait la motivation des enquêteurs. Il convient en outre de redynamiser la filière au travers d'avantages de carrière, mais aussi en permettant des récupérations. Enfin, un effort doit porter sur l'encadrement et la multiplication des OPJ, qui manquent.

M. François-Noël Buffet , président . - Je pense que nous partageons tous votre appréciation sur l'implication, remarquable, de ces personnes. Hommage doit leur être rendu.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Gérald Darmanin,
ministre de l'intérieur et des outre-mer

(Mardi 14 février 2023)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous accueillons aujourd'hui Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, dans le cadre de nos travaux d'information sur l'organisation de la police judiciaire.

Nous serons probablement les derniers à nous positionner sur ce sujet, puisque l'Assemblée nationale a déposé un rapport d'information, que je qualifierai de « bicéphale », et que la commission des finances du Sénat a également adopté un rapport d'information sur la direction centrale de la Police judiciaire, sans compter le rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA), de l'inspection générale de la justice (IGJ), et de l'inspection générale de la police nationale (IGPN).

Nos rapporteurs présenteront les résultats de leurs travaux au tout début du mois de mars.

M. Gérald Darmanin, ministre . - La réforme de la police nationale, et non pas simplement de la police judiciaire, a été modifiée et enrichie. Un compromis avec le Gouvernement a été trouvé dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), à la suite du travail mené par le Sénat. À cet égard, je salue MM. Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé, qui sont parvenus à trouver une rédaction consensuelle permettant d'instaurer certaines bornes, qui nous paraissaient consensuelles. Par ailleurs, le Gouvernement s'était engagé à publier les différents rapports établis sur ce sujet, ce qu'il a fait.

Le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs pas eu à redire grand-chose au projet de loi que j'ai l'honneur de porter, notamment sur la question importante, évoquée par de nombreux parlementaires, de la séparation des pouvoirs et du lien entre l'autorité judiciaire et le pouvoir exécutif.

Dans la mesure où les rapporteurs de la commission des lois du Sénat travaillent certainement à la finalisation de leur rapport sur l'organisation de la police judiciaire, j'évoquerai rapidement trois points.

Tout d'abord, conformément à l'engagement que j'ai pris devant l'Assemblée nationale, je ne ferai rien tant que les trois rapports d'information ne seront pas rendus et tant que je n'en aurai pas étudié les conclusions.

Permettez-moi de revenir sur le rapport des inspections, ainsi que sur le rapport « bicéphale » de l'Assemblée nationale. Aucun de ces rapports ne remet en cause le bien-fondé d'une action à mener dans la police nationale, laquelle, depuis extrêmement longtemps, travaille en silos et mériterait d'être modernisée. Je pense au nombre important d'enquêtes, ainsi qu'à la mutation de la délinquance. Ne rien faire reviendrait à ne pas améliorer les taux d'élucidation, à désespérer la filière judiciaire et, donc, toute la police nationale, et à renoncer à nous adapter au monde moderne.

Ensuite, d'après les différents rapports, la création d'une filière judiciaire rassemblant les différents services d'investigation, qui n'existe pas aujourd'hui, est une bonne idée, ce dont je me félicite.

Le garde des sceaux et moi-même l'avons dit, nous prendrons en compte l'intégralité des remarques et préconisations des inspections. Ainsi, l'évaluation des futurs directeurs départementaux de la police nationale se fera à la fois par le préfet et par le procureur de la République. Cette innovation, notamment proposée par l'IGJ, me paraît frappée au coin du bon sens, le fameux article 12 du code de procédure pénale prévoyant que la police judiciaire est exercée sous la direction de l'autorité judiciaire.

Par ailleurs, la question de la décentralisation d'un certain nombre de décisions a été soulevée, ce qui me paraît une très bonne chose.

Permettez-moi de vous donner les échéances à venir. La réforme sera mise en oeuvre en 2023, comme nous nous y étions engagés. Dès la semaine prochaine, je recevrai l'intégralité des organisations syndicales de la police nationale, dans le cadre de discussions bilatérales. Après cette consultation, je prendrai un certain nombre de décisions qui tireront les conclusions des rapports d'information des assemblées et des inspections, ainsi que des propositions formulées par les syndicats. Au mois d'avril, les directeurs zonaux seront désignés, puisqu'il s'agit de faire des directions par zone de la police nationale. À l'été, il y aura deux types de nomination pour les directeurs départementaux : dans les directions départementales qui ne sont pas concernées par les grands événements sportifs - la Coupe du monde de rugby, les nominations pourraient avoir lieu fin août ou début septembre, tandis qu'elles auraient lieu au mois d'octobre dans les autres. Ainsi, fin 2023, nous serions en ordre de marche, puisque nous aurions les directeurs par filière de la police nationale, les directeurs zonaux de la police nationale et les directeurs départementaux de la police nationale. Nous voulons que chaque ancienne direction soit bien représentée dans le nouvel ensemble.

L'actuelle direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) est le préfigurateur de la police judiciaire de demain. Il s'agit de réaffirmer qu'il existe et existera bel et bien une direction de la police judiciaire.

Il s'agit d'une réforme très importante, dans la mesure où aucune réforme d'ampleur de la police nationale n'est intervenue depuis longtemps. En 1966, le général de Gaulle avait créé un nouveau statut de la police nationale. En 1995, Charles Pasqua avait décidé de fusionner les corps de la police nationale. Ainsi, depuis quarante ans, il n'y a pas eu de réforme dans la police nationale, contrairement à ce qui s'est passé dans la gendarmerie ou dans l'armée.

Il est normal qu'une réforme aussi compliquée, qui concerne les 150 000 agents de la police nationale, fasse naître des interrogations, que j'écoute.

M. Jérôme Durain , rapporteur . - Monsieur le ministre, je vous donne quitus de la parole donnée, puisque tous nos rendez-vous ont été honorés.

Si le rapport de l'Assemblée nationale a été « bicéphale », nous avons aussi deux noms et deux visages, mais pourrions n'avoir qu'un seul discours pour ce qui concerne notre rapport.

En effet, le constat est partagé, qu'il s'agisse de l'évolution de la criminalité, des limites de l'organisation actuelle en termes d'élucidation ou d'attractivité, d'une organisation en silos ou des questions d'unicité de commandement. Toutes ces questions ne font pas débat.

En revanche, nous nous interrogeons, d'abord, sur la méthode. Nous avons en effet le sentiment que cette réforme se fait sans la police. Il ne faudrait pas qu'elle se fasse contre elle !

Ensuite, sur le fond, nous observons une problématique, centrale dans la réforme, d'articulation entre autorité hiérarchique et autorité fonctionnelle. Quelle définition envisagez-vous pour cette autorité fonctionnelle au sein d'une même filière ? Pouvez-vous nous indiquer où en sont l'élaboration des doctrines nationales et la mise en oeuvre des directions nationales ?

Par ailleurs, s'agissant des moyens opérationnels au niveau zonal, les rapports des inspections se prononcent plutôt contre leur maintien. Serait privilégiée la possibilité de saisine des services localisés sur un département voisin, éventuellement avec une extension temporaire du champ territorial de compétences de ce service. Si l'on voit bien l'intérêt que peut présenter une telle organisation pour le traitement d'affaires sensibles, comment faire travailler un niveau régional, voire interrégional ? La saisine du niveau national, au-delà des offices, sera-t-elle toujours possible ?

Enfin, l'organisation de la filière investigation au niveau de chaque département reproduira-t-elle l'organisation en trois niveaux, qui a déjà été mise en place dans les outre-mer ?

Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Monsieur le ministre, je vous interrogerai sur les conclusions rendues dans le cadre de l'audit mené, en particulier sur l'ampleur des modifications réglementaires, numériques et immobilières auxquelles cette réforme donnera lieu.

Ainsi, les problèmes numériques se révèlent être un frein majeur. Selon le rapport, il en résultera une « période transitoire durant laquelle le fonctionnement s'effectuera en mode dégradé ».

Les auteurs des rapports évoquent également la question de l'immobilier. À cet égard, la réforme est très ambitieuse, dans la mesure où un regroupement des sites est nécessaire.

Au regard de ces craintes, le calendrier de mise en oeuvre de la réforme vous paraît-il réalisable ? Je pense également à la formation des directions départementales de la police nationale (DDPN).

Je souhaite également vous interroger sur les stocks de dossiers, qui sont stupéfiants. Il s'agit d'un enjeu majeur pour la justice et, plus généralement, pour la société. Dans les rapports des inspections, on peut lire qu'une mission d'inspection a été lancée sur ce sujet en décembre 2022. Quels sont ses objectifs ? Quelles solutions pourraient être mises en oeuvre pour résorber les stocks ?

M. Gérald Darmanin, ministre . - Cette réforme de la police nationale bouscule beaucoup de choses, ce qui explique un certain nombre d'incompréhensions. Nous demandons en effet une accélération de la modernisation et du changement de comportement. C'est vrai, la réforme ne se fait pas par étapes, ce qui rend les choses plus complexes.

Notre grand avantage, c'est que nous disposons de moyens très importants. Nous avons en effet prévu dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) des moyens pour accompagner l'immobilier, la formation et le numérique.

Je peux comprendre la nostalgie de certaines « maisons » à l'identité particulièrement forte, comme la police judiciaire. Mais ces maisons ne disparaissent pas, elles se modernisent. Bien que le parallèle puisse paraître prétentieux, je comparerai cette réforme à la création des Brigades du Tigre par Clemenceau.

Sur les difficultés évoquées par le rapport des inspections du ministère de l'intérieur et de la justice, nous sommes en désaccord sur la question de la probité : dans le cadre d'une enquête sur des élus, des chefs d'entreprise ou des gens en vue, certains magistrats redoutent que la police judiciaire ne soit en contact trop étroit avec le préfet et les élus, à la manière d'un film de Chabrol. Nous avons donc fait le choix de « dépayser » l'affaire, en la confiant à la direction zonale. Dans le rapport de l'inspection du ministère de la justice, il est suggéré de confier l'affaire à la direction d'un département voisin. Cette dernière proposition ne me paraît pas pertinente, préfets et élus d'une même région étant régulièrement en contact. Par conséquent, le niveau zonal me paraît plus protecteur. Il s'agit cependant d'un arbitrage restant à rendre.

S'agissant de la saisine au niveau national, indépendamment des offices, il appartient au magistrat de désigner le service de police qu'il souhaite voir intervenir. Il a à sa disposition une très large palette de services enquêteurs, qui ne relèvent pas tous du ministre de l'intérieur.

Les trois niveaux de police judiciaire permettent d'avoir une progression des officiers de police judiciaire (OPJ). En effet - c'est l'un des drames de la police nationale -, le travail de l'OPJ est fatigant. Il n'a pas d'horaires lui permettant d'avoir un minimum de vie de famille, il est mal payé, il n'obtient pas toujours la réponse pénale qu'il souhaite, et sa progression de carrière est très limitée. Au bout d'un moment, il arrête ! Nous assistons dans notre pays à une sorte de découragement des OPJ.

Avec une direction départementale de la police nationale, nous pourrons avoir une possibilité de progression des OPJ à l'intérieur de la direction, ce qui abolira l'horizon fermé de cette profession. Je le rappelle, il manque 5 000 OPJ à l'heure actuelle en France.

Je constate que les deux rapports rendus par les inspections et par l'Assemblée nationale ont démontré que les directions territoriales de la police nationale (DTPN) ont très bien fonctionné dans les outre-mer, un peu moins en métropole.

La doctrine sera publiée avant l'été, mais nous attendons les rapports d'information des deux assemblées parlementaires pour tenir compte de leurs préconisations.

S'agissant de la dichotomie autorité hiérarchique-autorité fonctionnelle, le débat n'est pas nouveau. Par exemple, j'ai l'autorité hiérarchique sur les policiers, que j'embauche et paie en tant que ministre de l'intérieur, mais je n'ai pas l'autorité fonctionnelle sur eux, c'est-à-dire que je ne les dirige pas au jour le jour. Je ne peux pas donner d'ordres à la police judiciaire. Je vous rassure, les magistrats auront toujours le pouvoir de saisir tel ou tel service de police, selon leur convenance, pour diligenter des enquêtes.

S'agissant du numérique, je dois vous avouer que le ministère de l'intérieur ne sait pas mener des projets numériques. Ce n'est pas comme Bercy, qui a su mener de bout en bout la procédure de prélèvement à la source lorsque j'étais à la tête des services fiscaux. J'essaie de remédier à ce problème en mettant de l'argent et des compétences. Par exemple, il est significatif que l'École polytechnique affecte dorénavant quatre de ses élèves vers la police. Nous montons en gamme en matière de compétences.

Nous avons aussi besoin d'un changement de mentalité profond à cet égard. Par exemple, la plainte numérique est une révolution qui mettra sans doute du temps à s'imposer, surtout qu'il faut se coordonner avec la justice.

Scribe et le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) sont donc les deux chantiers prioritaires, et ils ne sont pas dissociables de la réforme que je porte.

Pour ce qui est de l'immobilier, la LOPMI prévoit 400 millions d'euros par an pour des projets immobiliers. Des regroupements de locaux seront nécessaires, mais, dans les faits, il y en a déjà.

Nous serons prêts pour décembre 2023, même s'il faudra attendre encore deux ou trois ans pour que tous les textes réglementaires soient pris ou adaptés. De mémoire, il y en a 176.

Vous m'interrogez sur les stocks, mais ce problème n'est pas propre à la réforme de la police judiciaire. Il n'est pas compliqué de faire baisser les chiffres de la délinquance. Il suffit de décaler certaines plaintes dans le temps ou d'orienter les plaignants vers des mains courantes. Pour ma part, je ne veux pas tricher.

On assiste ces dernières années à une multiplication du nombre des atteintes aux personnes en raison de la nouvelle doctrine sur les violences conjugales. J'ai donné pour instruction aux policiers et gendarmes d'encourager le dépôt de plainte plutôt que la main courante. En 2022, il y a eu 400 000 interventions pour ce motif, mais le résultat, compte tenu des problèmes d'effectifs, c'est que les atteintes aux biens sont traitées avec moins de célérité.

Par ailleurs, nous avons remis beaucoup de monde sur la voie publique, ce qui laisse moins d'effectifs pour les enquêtes.

Enfin, le nombre de policiers municipaux a augmenté. Ce matin, j'étais à Saint-Denis. Il y a désormais quasiment une centaine de policiers municipaux à Saint-Denis, qui apportent des affaires supplémentaires au commissariat.

Il faut aussi que les parquets suivent dans le traitement des procédures. Je sais que les policiers de police judiciaire craignent qu'on ne les utilise pour traiter des affaires secondaires et résorber le stock, mais c'est déjà le cas dans les faits.

Je le répète, pour améliorer l'efficacité de la chaîne pénale, nous avons besoin d'une coordination avec les parquets.

M. Dany Wattebled . - Monsieur le ministre, une réforme était nécessaire, mais les syndicats sont inquiets sur la perte d'autonomie financière de la police judiciaire et sur sa capacité à pouvoir traiter les affaires du haut du spectre. Pouvez-vous les rassurer à cet égard ?

M. Marc-Philippe Daubresse . - Dans les travaux préparatoires de cette mission d'information, avec Nadine Bellurot et Jérôme Durain, nous avons identifié trois sujets.

Tout d'abord, vous venez de l'évoquer, se posent les problèmes d'autorité fonctionnelle et hiérarchique. Vous nous avez donné l'assurance que les magistrats conserveraient leur autorité fonctionnelle.

Ensuite, il y avait le problème de la gouvernance et de la cartographie. Comme vous, je pense que l'échelon zonal est le plus adapté pour les dépaysements.

Enfin, j'évoquerai le numérique et l'immobilier. Vous avez raison, le numérique n'est pas dans la culture du ministère. Je reviens sur l'immobilier. Il faut aller au bout et revoir complètement la gestion du parc immobilier pour l'optimiser.

Il faudra de toute façon prévoir des points d'étape pour évaluer la réforme année après année.

Mme Marie Mercier . - J'ai fait récemment une tournée avec la brigade anti-criminalité (BAC) de Chalon-sur-Saône et j'ai été surprise de l'état dégradé de leur flotte de véhicules. Les policiers avec qui je patrouillais m'ont expliqué que, l'État étant son propre assureur, ils n'avaient pas les moyens de faire réparer les voitures endommagées. Qu'en est-il ?

Par ailleurs, ces policiers m'ont confié qu'ils travaillaient cinq week-ends sur six, car il manquait six à dix personnes dans le service pour que celui-ci fonctionne normalement. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Gérald Darmanin, ministre . - Monsieur Wattebled, sur les moyens, la décentralisation des crédits est nécessaire. Les syndicats ont peur que les frais de mission, par exemple, ne soient désormais gérés de façon centralisée, technocratique, mais je ferai tout pour qu'il en soit autrement.

Sur les affaires du haut du spectre, comme je le disais précédemment, les services de la police judiciaire ont peur d'être utilisés à des tâches subalternes. Selon les critiques qui me remontent, la police judiciaire intéresserait beaucoup moins les politiques, car elle fonctionne sur un temps beaucoup plus long que le temps politique. Cette critique n'est pas fondée à mon sens. Certes, les ministres de l'intérieur restent en poste en moyenne un an, mais tous mes prédécesseurs ont eu le sens de l'intérêt général chevillé au corps.

De plus, les offices continueront d'exister, et nous augmenterons même leurs effectifs. Ils seront de surcroît toujours saisis par les magistrats, ce qui devrait apaiser les craintes des contempteurs de la réforme.

Vous savez, monsieur le sénateur, le point de deal de Tourcoing dépend toujours d'un trafic international et il fonctionne grâce aux nouvelles technologies. Toutes les affaires sont reliées et la résolution de l'une aide à la résolution de l'autre. Il faut les traiter avec le même sérieux.

Si je veux faire cette réforme, c'est parce que j'ai constaté, depuis que je suis ministre, que nous avions manqué de grosses affaires, car nous n'avions pas assez de personnel, par exemple, pour faire des perquisitions. En regroupant police judiciaire et sécurité publique au niveau départemental, il sera possible de mieux prioriser les affaires et la mise à disposition des effectifs.

Par ailleurs, il faut savoir qu'aujourd'hui les sûretés départementales traitent d'affaires qui étaient celles de la police judiciaire voilà vingt ans. La police judiciaire doit avoir conscience de cette montée en gamme de la sécurité publique.

Monsieur Daubresse, sur la cartographie, j'attends des propositions des organisations syndicales. Je suis ouvert à la discussion.

Sur l'immobilier, là encore, vous avez raison. Le parc immobilier est absolument immense, et, surtout, il est géré sous des statuts très divers. Or, vous le savez, l'administration française ne sait pas gérer le patrimoine public. C'est la raison pour laquelle la Foncière prévue par la LOPMI me paraît être une bonne idée. Il s'agit de coopérer avec des gens dont c'est le métier.

Madame Mercier, la BAC va au contact direct des délinquants, ce qui explique que ses voitures sont parfois abîmées...L'État est son propre assureur, mais, vous avez raison, le parc automobile était très vétuste quand je suis arrivé au ministère. Les choses vont mieux depuis deux ans, trois véhicules sur quatre ayant été changés.

Nous avons surtout un problème de chaîne administrative pour faire réparer les véhicules. Le statut d'ouvrier d'État n'étant pas très attractif, nous avons du mal à recruter des carrossiers, des mécaniciens pour les ateliers de l'administration. Ils sont en effet bien mieux payés dans le privé. Aussi, j'encourage les préfets à travailler avec les garagistes locaux.

J'entends votre remarque au sujet des horaires. Il serait bon de mobiliser davantage d'effectifs pour travailler le week-end, mais il faut aussi trouver des volontaires pour travailler la nuit. Je ne peux pas forcer les policiers à le faire. C'est sans doute un sujet au sein du commissariat que vous avez visité. En la matière, le problème peut aussi être la répartition des effectifs ; or, moins il y a d'effectifs de nuit, moins on peut changer les horaires.

Je vais bien sûr examiner le cas de Chalon-sur-Saône. Je précise que, cette année, le renforcement général des effectifs permettra d'assurer des cycles horaires dits « binaires ». En vertu de cette organisation, les policiers de nuit doivent travailler douze heures de suite ; ces rythmes sont assez fatigants, ils bouleversent souvent des habitudes de famille, mais, en définitive, ils sont plus satisfaisants pour tout le monde.

Enfin, monsieur le président, nous avons besoin du bon sens de nos parlementaires pour qu'un plus grand nombre de véhicules saisis soient utilisés par le ministère. Ce dernier refuse parfois des véhicules, par exemple des voitures de luxe, au motif que l'on n'a pas de pièces de rechange ; à mon sens, c'est une erreur. Non seulement les saisies sont source d'économies, mais l'appropriation de la voiture des voleurs a une force symbolique certaine. Enfin, ces véhicules permettent des interventions plus efficaces - je pense notamment aux filatures -, car leurs plaques ne sont pas connues.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - À l'évidence, comme au sujet des retraites, vous ne prenez pas la mesure des contestations et des inquiétudes exprimées.

Dans leur rapport commun, les trois inspections qualifient les expérimentations menées de « contrastées » ; le terme est élégant. Sur cette base, elles formulent dix-neuf recommandations : allez-vous les suivre ?

M. Gérald Darmanin, ministre . - La réponse est oui : nous allons suivre l'intégralité de ces recommandations.

Nous écoutons ceux qui sont en désaccord avec nous - fort heureusement ! -, mais cela n'empêche pas l'action. En son temps, la création de la direction générale des finances publiques (DGFiP) a soulevé beaucoup d'oppositions, et aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire que c'était une bonne réforme. Ce n'est pas parce qu'il y a des contestations qu'il faut arrêter toute réforme.

Chacun constate que le fonctionnement de la police nationale doit être amélioré. Si une partie des agents contestent la réforme, c'est parce qu'ils ont peur de perdre leur identité. Or, être policier, c'est une vocation à laquelle on a parfois tout sacrifié. Notre rôle, c'est donc de rassurer.

L'immense majorité de nos 150 000 policiers, notamment les policiers dits « de sécurité publique », approuvent cette réforme. Ils l'attendent même depuis des années.

Je le rappelle, c'est toute la police nationale qui est concernée et pas seulement la police judiciaire. Aujourd'hui, beaucoup d'agents de la sécurité publique et de la police aux frontières (PAF) voient, eux aussi, leurs habitudes bousculées. Le modèle vers lequel nous tendons s'inspire de la gendarmerie nationale et la préfecture de police.

Bien sûr, ma porte est toujours ouverte. Nous avons déjà fait beaucoup de compromis. Nous entendrons les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, ainsi que les représentants des organisations syndicales qui ne se sont pas encore exprimés publiquement sur la réforme. Mes premiers échanges avec eux me laissent supposer que je reprendrai une grande partie de leurs propositions d'évolution ; je leur prouverai ainsi que, non seulement j'écoute, mais j'entends.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à nos questions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

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