B. LE NOMBRE DE CENTRES D'HÉBERGEMENT DE GRANDE TAILLE N'EST PAS SUFFISANT POUR ACCUEILLIR L'ENSEMBLE DES JEUNES EN SÉJOUR DE COHÉSION SANS UNE FORTE AUGMENTATION DES COÛTS

1. Le séjour de cohésion mobilise des internats et des centres de vacances, dont la disponibilité est cependant limitée
a) Les scénarios de généralisation retenus excluent les constructions nouvelles

La disponibilité des centres d'hébergement est une problématique majeure du projet de généralisation du SNU, au point que le groupe de travail relatif à la création d'un service national universel d'avril 2018, dirigé par Daniel Ménaouine, la qualifiait de « difficulté la plus importante à surmonter pour assurer le complet déploiement du service national » 24 ( * ) . Durant les déplacements et les auditions, les personnes interrogées par le rapporteur spécial ont quasi-unanimement affirmé que le nombre de centres d'hébergement disponibles atteignait sa limite, et qu'il a déjà été difficile de trouver suffisamment de lieux d'accueil pour les sessions de 2021 et de 2022 .

Il convient premièrement de rappeler que les casernes utilisées pour le service militaire n'existent plus aujourd'hui . Le rapport du groupe de travail sur le service national universel indiquait en 2018 qu' « il n'existe plus aujourd'hui de capacités militaires inemployées qui pourraient, à moindre frais, être réutilisées pour héberger les contingents » 25 ( * ) , ce qu'a rappelé la mission d'information « Culture citoyenne » du Sénat : « il n'existe plus aujourd'hui de casernes ou de lieux susceptibles d'accueillir un grand nombre de jeunes, contrairement à l'époque du service national . » 26 ( * )

D'une manière générale, le bâti militaire ne semble pas être une option viable pour accueillir les jeunes du service national universel. Les habitations sont occupées toute l'année par les soldats, et elles ne répondent pas aux normes pour l'accueil collectif de mineurs.

La secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel a également déclaré devant le rapporteur spécial que l'option de la construction de nouveaux centres n'est pas retenue à l'heure actuelle . Elle a souligné, à juste titre, que cette piste, qui était évoquée par le groupe de travail sur le SNU, entrerait en contradiction avec l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). De plus, la construction de nouveaux centres d'hébergement pour le SNU serait difficilement justifiable alors que le nombre de places d'hébergement actuelles n'est pas suffisant pour accueillir l'ensemble des personnes sans-abris ou qui ont besoin d'un toit en urgence 27 ( * ) .

Parmi les autres options d'hébergement possibles, le rapport de la mission de l'inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche IGESR (non publié) a évoqué les écoles des sapeurs-pompiers, et les établissements pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), tout en soulignant que leur disponibilité et leurs capacités ne sont pas considérées comme significatives par la mission.

b) Les centres utilisables pour le séjour de cohésion sont majoritairement des internats de lycée ainsi que des centres de vacances

Pour l'essentiel, les centres d'hébergement utilisables pour le SNU sont donc des centres de vacances et les internats d'établissements scolaires . Les expérimentations du SNU se sont logiquement concentrées sur ce type d'établissements.

Au mois de juillet 2022, environ deux tiers des centres s'organisaient autour d'un internat d'établissement scolaire ou d'un établissement de formation, avec une part importante des lycées agricoles
(19 %), qui s'explique par le fait que ces établissements disposent souvent d'un internat. Les centres de vacances représentaient quant à eux 22,7 % des centres d'hébergement.

Au mois de juin, la part des centres de vacances était de 34,3 %, tandis que celle des établissements scolaires ainsi que des établissements de formation était de 46,7 %. En février, la proportion s'inverse : les centres de vacances sont majoritaires, représentant 42 % des centres du SNU.

Répartition des types de centre d'hébergement
du séjour de cohésion en 2022

Typologie des centres de cohésion

Part des centres de cohésion

(février)

Part des centres de cohésion

(juin)

Part des centres de cohésion

(juillet)

Ensemble

Établissement public local d'enseignement

13%

30.2%

35%

26,1%

Lycées agricoles

6,5%

13%

19%

12,8%

Autres établissements de formation

3.1%

3.5%

12%

6,2%

Centres de vacances

42%

34,3%

22,7%

33%

Autres structures

19,3%

13%

6,7%

13%

Non renseigné

16,1%

6%

4,6%

9%

Total général

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial

2. Les centres d'hébergement ne sont pas en nombre suffisant pour accueillir les jeunes dans le cadre d'un scénario d'une généralisation hors temps scolaire

Les types d'hébergement disponibles diffèrent selon les scénarios retenus. Dans le scénario d'une généralisation hors temps scolaire, les centres de vacances seront logiquement moins disponibles, et l'hébergement reposera très majoritairement sur les internats scolaires .

Dans ce scénario, les besoins en centres seraient extrêmement importants : le rapporteur spécial estime qu'il serait nécessaire d'en disposer entre 2 100 et 2 800 au total, et entre 1 400 et 1 867 en simultané pour parvenir à accueillir l'ensemble des jeunes effectuant le séjour de cohésion.

Il est estimé que les lycées français comportent 220 000 places d'internat 28 ( * ) , mais ce nombre doit être fortement relativisé. En effet, toutes ces places ne sont pas disponibles en même temps : des internats font l'objet de travaux de rénovation, d'autres sont utilisés pour l'accueil de personnes en difficulté, certains continuent d'accueillir des élèves hors de la période scolaire, et enfin la taille de certains internats est trop faible pour organiser un séjour de cohésion.

Il est donc vraisemblable qu'il faille diviser ce nombre par deux, voire davantage, pour obtenir le nombre de places réellement utilisables pour un séjour de cohésion.

Le nombre de places disponibles est ainsi manifestement très inférieur à ce qui serait nécessaire pour accueillir entre 210 000 et 280 000 jeunes par période de séjour . Les centres de vacances libres hors période scolaires ne sont pas non plus en nombre suffisant pour permettre d'accueillir les jeunes restants.

Ce constat était déjà formulé dans le rapport du groupe d'étude sur le SNU, qui n'envisageait pas la généralisation du service national universel hors temps scolaire sans recourir à des constructions nouvelles 29 ( * ) . Le groupe d'étude sur le SNU se fondait certes sur l'hypothèse d'un séjour de cohésion qui durerait un mois, mais les retours d'expérience des expérimentations qui ont été menées jusqu'à présent montrent que cette conclusion est tout aussi valable pour un séjour de cohésion de deux semaines.

3. Trouver suffisamment de centres de vacances pour accueillir les jeunes dans le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire comporte des coûts importants et présente des difficultés majeures

Dans le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire, il ne serait pas nécessaire de disposer d'autant de centres d'hébergement, mais leur nombre n'en resterait pas moins très important. Le rapporteur spécial estime qu'entre 748 et 862 centres seraient nécessaires au total, et entre 374 et 431 centres en simultané .

De plus, l'organisation des séjours de cohésion sur le temps scolaire soulève des difficultés spécifiques par rapport au scénario d'une généralisation hors temps scolaire.

Les internats ne seraient plus disponibles , à l'exception du mois de juin, et l'organisation du service national universel reposerait donc très majoritairement sur les centres de vacances . Les divers établissements de formation seraient également écartés pour la plupart. Or, les établissements de formation et les établissements scolaires représentent aujourd'hui entre le tiers et la moitié des bâtiments utilisés pour accueillir les séjours de cohésion. À l'heure actuelle, il est difficile de concevoir comment le service national universel pourrait être généralisé en se privant de l'essentiel de ces lieux.

Il faut aussi rappeler que tous les centres de vacances ne sont pas « vides » hors de la période estivale. Des vacanciers partent régulièrement en séjour hors saison, et certains centres sont utilisés, au même titre que les internats, pour l'hébergement de travailleurs ou de publics fragiles. En outre, la répartition des centres de vacances sur le territoire est inégale, et leur accessibilité en transport peut fortement différer.

Surtout, les centres de vacances sont loin d'avoir tous la taille requise pour accueillir des séjours de cohésion . À ce sujet, le rapport de l'IGESR relatif au bâti nécessaire à l'organisation des séjours de cohésion indique qu'il sera difficile de trouver des sites d'une taille supérieure à 150 places.

Alors que l'objectif est de 200 jeunes par centre, l'INJEP précise que l'effectif moyen des accueils collectifs de mineurs (ACM) est inférieur à 30 mineurs par séjour, mais ce chiffre inclut des structures légères, comme des campings 30 ( * ) . La capacité moyenne de la totalité des locaux avec hébergement déclarant des ACM est de 96 jeunes hébergés par centre, et 80 % des sites ont une capacité inférieure à 200 places par site.

Même si l'objectif du nombre de jeunes par centre devait être abaissé à 150, ce qui correspond au nombre moyen de jeunes par centre constaté au cours de l'expérimentation, il resterait particulièrement difficile à atteindre. Or, la nécessité de recourir à des centres de petite taille conduirait à multiplier le nombre de centres, ce qui augmenterait les coûts du séjour de cohésion .

Enfin, recourir davantage aux centres de vacances comporte également le risque de rendre l'État trop dépendant d'acteurs privés dans l'organisation des séjours de cohésion , ce qui se traduirait par une augmentation des coûts, et des incertitudes sur la disponibilité des centres d'une année à l'autre.

4. La rénovation de centres d'hébergement serait nécessaire pour accueillir les séjours de cohésion, mais son coût n'est pas chiffré, et son opportunité politique interroge

La secrétaire d'État chargée du service national universel a évoqué la rénovation de centres existants, qui ne sont plus aux normes voire qui ont fermé, comme un levier pour atteindre le nombre de centres suffisant pour accueillir les jeunes accomplissant le séjour de cohésion .

La rénovation des centres aurait également l'avantage de rendre l'État moins dépendant des acteurs extérieurs, si la rénovation est subventionnée en contrepartie d'un droit d'accès.

La rénovation des centres a toutefois un coût, qui n'est chiffré nulle part. D'après les informations transmises au rapporteur spécial, il apparaît à ce stade que les préfets sont en train d'identifier les centres qui pourraient être utilisés et éventuellement être réhabilités pour accueillir des jeunes du séjour de cohésion.

De plus, les rénovations peuvent prendre plusieurs années. Elles ne sont donc pas compatibles avec un scénario de généralisation rapide du service national universel .

Enfin, la mise en oeuvre d'une politique globale de rénovation des centres de vacances pour accueillir 840 000 jeunes au cours d'une année peut susciter des critiques, alors que l'on compte 300 000 personnes sans domicile fixe en France, et plus généralement 4,1 millions de personnes mal logées 31 ( * ) .


* 24 Rapport relatif à la création d'un service national universel, Groupe de travail sur le service national universel, Daniel Ménaouine, avril 2018, page 18.

* 25 Rapport relatif d'un service national sur le service national universel, Groupe de travail sur le service national universel, Daniel Ménaouine, avril 2018, page 18.

* 26 Mission d'information sur « La redynamisation de la culture citoyenne : Jeunesse et citoyenneté, une culture à réinventer », Stéphane Piednoir (Président) et Henri Cabanel (Rapporteur), juin 2022, page 132.

* 27 Le groupe de travail sur SNU relevait déjà cette limite dans son rapport de 2018, page 19 : « On ne doit pas ignorer les oppositions ou critiques que susciterait un effort de construction de capacités nouvelles : alors que le parc existant ne suffit pas, et de loin, à répondre aux exigences du droit au logement opposable, alors que l'hébergement d'urgence des populations privées de toit n'a pas suffisamment de capacité alors que les demandeurs d'asile pèsent sur le logement d'urgence, des capacités neuves financées et rapidement construites pourraient apparaitre comme un privilège paradoxal ».

* 28 Rapport d'information sur le service national universel, Marianne Dubois et Émilie Guerel, Assemblée nationale, février 2018, page 84.

* 29 Rapport relatif d'un service national sur le service national universel, Groupe de travail sur le service national universel, Daniel Ménaouine, avril 2018, page 19.

* 30 Données de l'INJEP sur l'année 2020-2021 ( https://injep.fr/donnee/accueils-collectifs-de-mineurs-colonies-et-centres-de-vacances-centres-aeres-et-de-loisirs-scoutisme-2020-2021/#tab01 )

* 31 Chiffres tirées du 27 ème rapport sur l'état du mal-logement en France de la Fondation Abbé Pierre, 2022.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page