II. LA GÉNÉRALISATION DU SÉJOUR DE COHÉSION POSERAIT DES DIFFICULTÉS MAJEURES EN TERMES D'HÉBERGEMENT, D'ENCADREMENT ET DE COÛT, QUI PLAIDENT POUR SON REPORT

A. LA GÉNÉRALISATION DU SERVICE NATIONAL UNIVERSEL IMPLIQUE LA CRÉATION D'UNE « FILIÈRE » DE L'ENCADREMENT DU SÉJOUR DE COHÉSION

1. La généralisation du service national universel implique une véritable stratégie de recrutement du personnel, qui n'existe pas aujourd'hui dans la phase expérimentale

La généralisation du service national universel sera impossible sans la mise en place d'une véritable stratégie de recrutement du personnel . Quel que soit le scénario retenu, la généralisation hors du temps scolaire ou sur la période scolaire, les modalités de recrutement qui sont aujourd'hui mises en oeuvre durant la phase expérimentale ne pourront pas être répliquées à large échelle.

En effet, d'après le témoignage des acteurs de terrain, les recrutements se font aujourd'hui en grande partie par le « bouche à oreille » et les réseaux existants. L'INJEP confirme par ailleurs ce constat dans son évaluation du service national universel en 2021 : « Confrontées à des délais contraints, les équipes de direction ont, comme en 2019, souvent dû privilégier « le bouche-à-oreille » et « le réseau » pour recruter la majeure partie des équipes encadrantes. » 19 ( * ) . Si ces méthodes peuvent convenir pour une session accueillant 50 000 jeunes, elles ne sont plus suffisantes dans l'optique d'une généralisation du SNU .

En 2022, ont été recrutés 5 460 encadrants (507 pour février, 2 377 pour juin et 2 576 pour juillet) pour 32 416 jeunes ayant effectué un service national universel.

Participation et encadrement des jeunes
dans les séjours de cohésion en 2022

Cible de jeunes participant au séjour de cohésion

Nombre de dossiers validés

Jeunes ayant participé au séjour de cohésion

Nombre d'encadrants recrutés

Février

4 000

3 000

2 450

507

Juin

23 000

16 801

14 962

2 377

Juillet

23 000

19 917

15 004

2 576

Total

50 000

39 718

32 416

5 460

Taux d'accomplissement

(jeunes ayant participé / cible de jeunes en %)

Taux de participation

(jeunes ayant participé / dossiers validés en %)

Taux d'encadrement prévisionnel

(dossiers validés / nombre d'encadrants)

Taux d'encadrement effectif

(jeunes ayant participé au séjour de cohésion / nombre d'encadrants)

Février

61,2 %

81,7 %

5,9

4,8

Juin

65,1 %

89,1 %

7,1

6,3

Juillet

65,2 %

75,3 %

7,7

5,8

Total

64,8 %

81,6 %

7,3

6,0

Source : réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial

Note : le « total » des taux d'encadrement est obtenu en faisant la moyenne des taux pondérée par le nombre de jeunes accomplissant le séjour.

Le taux d'encadrement effectif au cours de la session est environ d'un adulte pour six jeunes , ce qui est un taux meilleur que celui fixé dans les objectifs du service national universel (un adulte pour huit jeunes), mais qui s'explique en partie par les désistements : environ 20 % des jeunes qui ont eu leur dossier validé ne sont pas rendus au séjour de cohésion.

Si l'on prend en compte les dossiers effectivement validés, alors le taux d'encadrement est d'un adulte pour sept jeunes. Ce taux, à nouveau meilleur que les objectifs, s'explique quant à lui par un nombre de dossiers déposés inférieur à la cible retenue en 2022 (50 000 jeunes).

Pour 2023, le nombre d'encadrants prévus est de 6 500, pour une cible de jeunes participants au séjour de cohésion de 64 000, ce qui donne un taux d'encadrement de près d'un adulte pour dix jeunes. Le taux d'encadrement plus faible en prévision que l'objectif d'encadrement d'un adulte pour huit jeunes laisse à penser qu'il est une nouvelle fois anticipé un nombre de jeunes effectuant le séjour de cohésion inférieur aux prévisions.

Si les problèmes liés à la discipline et à l'encadrement sont relativement rares dans le séjour de cohésion, il faut rappeler que la participation au séjour de cohésion repose à l'heure actuelle sur le volontariat . Il y a certes des jeunes qui ont été contraints par leurs parents de participer au séjour, mais ils représentent une petite minorité : pour la session de 2021, l'INJEP estime à 10 % la part des jeunes qui ont participé au séjour de cohésion contre leur gré 20 ( * ) .

Le passage d'un public de « volontaires » à « non-volontaires » aura de véritables conséquences à la fois en termes de discipline, et en termes d'acceptabilité sociale du SNU. La mission d'information de l'Assemblée nationale sur le service national universel relevait déjà, en se basant certes sur un scénario d'un mois, que « l'ensemble des personnes entendues par vos rapporteures a pointé la probable faible acceptabilité par les jeunes d'un tel scénario, qui viendrait heurter les parcours universitaires et professionnels . » 21 ( * )

2. La généralisation du service national universel implique la création d'une « filière » de l'encadrement du séjour de cohésion, qui nécessite plusieurs années pour être construite
a) Le statut des encadrants devra évoluer pour tenir compte de l'augmentation de leur temps de travail sur l'année

La capacité à recruter suffisamment de personnel interroge dans la perspective d'une généralisation du SNU.

Dans le scénario d'une généralisation hors temps scolaire, le nombre de personnes recrutées devrait être compris entre 39 375 et 52 500 . Les services de la secrétaire d'État chargée du service national universel n'ont pas fourni d'estimations pour ce scénario. Il est évident que le recrutement d'un nombre aussi important de personnes sur un temps court est très difficilement réalisable.

Concernant le scénario d'une généralisation du SNU sur le temps scolaire, les services de la secrétaire d'État chargée du service national universel estiment les besoins de recrutement à 15 000 encadrants, ce qui correspond aux estimations du rapporteur spécial (entre 14 000 et 16 153 encadrants selon le tableau supra ).

Il faut souligner que l'hypothèse retenue dans les estimations du rapporteur spécial, c'est-à-dire que chaque encadrant accomplirait entre 6 et 8 séjours de cohésion par an, doit être considérée comme optimiste. En effet, chaque séjour de cohésion correspond au minimum à 15 jours de travail, et les journées sont particulièrement intenses : les encadrants sont mobilisés en continu pendant l'ensemble de la durée du séjour, bien au-delà des heures légales de travail 22 ( * ) . Les témoignages des encadrants indiquent qu'il s'agit d'un « engagement total » pendant la période du séjour de cohésion.

Emploi du temps type d'une journée du séjour de cohésion

Heure

Jour d'arrivée

Jours complets

Jour de départ

7h-8h

Lever / Petit Déjeuner

8h-8h15

Lever des couleurs

8h30-9h30

Activités physiques et sportives

Cérémonie de clôture

9h30-12h30

Arrivées

Prise en charge par les tuteurs

Présentation du site

Activités

12h30-14h

Déjeuner

Déjeuner en un seul ou plusieurs services

14h30-18h30

Arrivées

Prise en charge par les tuteurs

Présentation du site

Activités

Départ

18h30-19h

Temps libre

19h-20h30

Dîner en un seul ou plusieurs services

20h30-21h30

Démocratie interne

21h30-22h30

Temps libre

Coucher

Source : réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial

Ces conditions de travail sont admises par les encadrants dans la mesure où, dans la phase expérimentale du SNU, seuls quelques séjours de cohésion sont organisés par an. En revanche, il n'est pas certain que les encadrants soient en mesure d'effectuer, par exemple, 8 séjours de cohésion au cours d'une année.

Quoiqu'il en soit, la généralisation du SNU sur le temps scolaire supposerait de recruter et de former des encadrants longtemps à l'avance, et de leur accorder un statut qui leur permette d'être investis dans l'organisation du séjour de cohésion tout au long de l'année .

À l'heure actuelle, les encadrants sont recrutés principalement sous contrat d'engagement éducatif, dont les principales caractéristiques sont décrites aux articles L. 432-1 à L. 432-6 du code de l'action sociale et des familles. Or, l'article L. 432-4 dispose que « Le nombre de jours travaillés par une personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif ne peut excéder un plafond de quatre-vingts jours, apprécié sur chaque période de douze mois consécutifs », alors que, dans les estimations réalisées dans le cadre de ce contrôle, le nombre de jours travaillés dans l'année en moyenne par les encadrants serait d'au moins 90 jours.

Le statut des encadrants du SNU est également prévu par l'ordonnance n° 2021-1159 du 8 septembre 2021 relative aux conditions de recrutement et d'emploi des personnes chargées d'encadrer les volontaires du service national universel. Toutefois, l'objet de l'ordonnance est surtout de faciliter la mise à disposition de fonctionnaires pour exercer des fonctions d'encadrement ou de support au séjour de cohésion, et elle ne fonde donc pas un véritable « statut » des encadrants du SNU.

La secrétaire d'État chargée du service national universel a d'ailleurs affirmé devant le rapporteur spécial que le contrat d'engagement éducatif n'est pas satisfaisant dans la perspective d'une généralisation du service national universel, a fortiori sur le temps scolaire, et qu'il serait nécessaire de mettre en place un nouveau statut. Les caractéristiques de ce statut ne sont pas encore définies.

Il est néanmoins certain qu'une « filière » du service national universel nécessitera plusieurs années pour être opérationnelle . En effet, effectuer entre 6 et 8 séjours de cohésion au cours d'une année suppose que les encadrants soient formés à cet effet, et qu'ils soient en mesure de consacrer une part majeure de leur activité à l'année au SNU. Cela impliquerait de poursuivre pendant plusieurs années l'expérimentation de la montée en charge progressive du SNU.

b) La généralisation du service national universel sur le temps scolaire permettrait d'impliquer davantage l'éducation populaire, mais elle comporte dans le même temps le risque de rendre l'Etat trop dépendant du secteur privé

La généralisation du service national universel sur le temps scolaire pose également la question du profil des encadrants.

La DJEPVA a indiqué que les chefs de centre du séjour de cohésion de février 2022 étaient « issus à 34 % des corps en uniforme, 22 % de l'éducation nationale et à 38 % de l'éducation populaire » 23 ( * ) .

Or, la généralisation du SNU sur le temps scolaire impliquerait de fortement diminuer la part des corps en uniforme et de l'éducation nationale au profit de l'encadrement populaire, et plus généralement de services issus du secteur privé.

La mobilisation du personnel de l'éducation populaire et de structures d'accueils pour jeunes présente l'avantage que l'encadrement des jeunes en centre d'hébergement constitue le coeur du métier de ces acteurs . L'éducation populaire joue un rôle fondamental dans la cohésion du pays, et le séjour de cohésion peut être l'occasion de renforcer les liens entre éducation nationale et éducation populaire . De plus, cela permettrait de véritablement ancrer le SNU dans le domaine de l'engagement citoyen, et d'atténuer les critiques portant sur son « militarisme ».

Des représentants de l'éducation populaire ont d'ailleurs déclaré devant le rapporteur spécial qu'ils préféraient le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire à celui d'une généralisation hors temps scolaire. En effet, leurs encadrants n'ont pas vocation à travailler de manière temporaire, mais de manière continue .

Toutefois, la réduction de la part des encadrants relevant de l'administration présente également des risques . En effet, les compétences et les moyens humains requis pour l'organisation du séjour de cohésion, si le SNU venait à être généralisé sur le temps scolaire, sont très spécifiques : il faut des organisations qui puissent être capables de mobiliser des encadrants tout au long de l'année, en période « hors saison », ce qui peut amener à des surcoûts .


* 19 « Déploiement du Service national universel sur l'ensemble du territoire français en 2021, enseignements de l'évaluation des séjours de cohésion », INJEP, janvier 2022, page 56.

* 20 « Déploiement du Service national universel sur l'ensemble du territoire français en 2021, enseignements de l'évaluation des séjours de cohésion », INJEP, janvier 2022, page 135.

* 21 Rapport d'information sur le service national universel, Marianne Dubois et Émilie Guerel, Assemblée nationale, février 2018, page 42.

* 22 Au titre de l'article L. 432-4 du code de l'action sociale et des familles, la totalité des heures de travail accomplies au titre du contrat d'engagement éducatif ne peut excéder 48 heures par semaine, mais cette limite est régulièrement dépassée dans la pratique.

* 23 Réponses de la DJEPVA au questionnaire du rapporteur spécial.

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