C. TRAITER LE NOMBRE OU TRAITER LES PARCOURS ? L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE FACE À LA CONCILIATION DE PRIORITÉS CONTRADICTOIRES

Dans la conception de leurs programmes immobiliers, l'administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) doivent concilier deux impératifs qui peuvent s'avérer contradictoires : la nécessité de créer un nombre de places suffisant pour remédier à la saturation des capacités d'accueil et la nécessité d'innover dans les modalités de prise en charge, dans l'objectif d'adapter les structures aux parcours des détenus et de favoriser leur réinsertion.

Les choix opérés par le Gouvernement pour le plan 15 000 ont conduit à retenir cinquante projets, pour un coût prévisionnel initial de 3,6 milliards d'euros, rehaussé à 4,287 milliards dès la présentation du programme. Ce dernier devait s'articuler autour de deux phases, avec la livraison d'une première tranche de 7 000 places en 2022 et la livraison d'une seconde tranche de 8 000 places en 2027.

Les 50 opérations du « plan 15 000 » avec leur localisation
ainsi que leurs calendrier et coût initiaux

Première tranche

Localisation

Type d'établissement

Coût initial
(en millions d'euros)

Calendrier initial

Nombre de places nettes

Baumettes 2

Centre pénitentiaire

170,4

2017

- 572

Papéari

Centre de détention

118,4

2017

410

Saint-Martin- Boulogne

Quartier de semi-liberté

6,4

2017

50

Aix 2

Centre pénitentiaire

131,5

2018

735

Draguignan

Maison d'arrêt

97,7

2018

504

La Santé

Maison d'arrêt

7,7

2019

707

Nanterre

Quartier de semi-liberté

13,8

2019

92

Lutterbach

Centre pénitentiaire

110,2

2021

155

Koné

Centre de détention

40,0

2022

120

Caen

Centre pénitentiaire

127,1

2022

282

Le Mans - Coulaines

Structure d'accompagnement vers la sortie

21,1

2022

90

Caen

Structure d'accompagnement vers la sortie

20,8

2022

90

Montpellier

Structure d'accompagnement vers la sortie

27,6

2022

150

Troyes-Lavau

Maison d'arrêt

108,3

2023

278

Osny

Structure d'accompagnement vers la sortie

63,8

2023

180

Meaux

Structure d'accompagnement vers la sortie

2023

180

Toulon

Structure d'accompagnement vers la sortie

83,2

2023

180

Avignon

Structure d'accompagnement vers la sortie

2023

120

Valence

Structure d'accompagnement vers la sortie

2023

120

Fleury

Centre pénitentiaire

75,4

2023

408

Bordeaux-Gradignan

Centre pénitentiaire

149,1

2023

251

Noisy le Grand

Structure d'accompagnement vers la sortie

29,5

2023

120

Colmar

Structure d'accompagnement vers la sortie

20,4

2023

120

Orléans

Structure d'accompagnement vers la sortie

22,8

2023

120

Nîmes

Maison d'arrêt

35,2

2024

150

Wallis-et-Futuna

Centre pénitentiaire

6,0

2024

10

Ducos

Structure d'accompagnement vers la sortie

40,8

2024

120

Baie-Mahault

Centre pénitentiaire

57,3

2025

300

Lille - Loos

Centre pénitentiaire

128,9

2025

720

Lille

Structure d'accompagnement vers la sortie

2025

120

Basse-Terre

Maison d'arrêt

63,0

2025

71

Baumettes 3

Centre pénitentiaire

110,4

2025

740

Châlons

Structure d'accompagnement vers la sortie

35,3

2027

90

Total

33 projets

1 921,6

-

7 211

Seconde tranche

Localisation

Type d'établissement

Coût initial
(en millions d'euros)

Calendrier initial

Nombre de places nettes

Arras

InSERRE

39,0

2025

180

Saint Laurent du Maroni

Centre pénitentiaire

187,2

2026

495

Tremblay en France

Centre pénitentiaire

195,7

2026

705

Rivesaltes (Perpignan)

Centre pénitentiaire

152,7

2026

515

Toul

InSERRE

50,0

2026

100

Donchéry

InSERRE

50,0

2026

100

Toulouse Muret

Centre pénitentiaire

149,6

2026

615

Entraigues (Avignon)

Centre de détention

112,5

2027

400

Trélazé (Angers)

Centre pénitentiaire

115,0

2027

584

Pau

Centre pénitentiaire

88,3

2027

3

Noiseau (Val de Marne)

Centre pénitentiaire

203,6

2027

800

Le Muy

Centre pénitentiaire

152,7

2027

650

Vannes

Centre pénitentiaire

125,6

2027

498

Bernes sur Oise

Centre pénitentiaire

179,0

2027

600

Crisenoy

Centre pénitentiaire

235,7

2027

1 000

Magnanville

Centre pénitentiaire

195,0

2027

700

Nîmes

Centre pénitentiaire

133,4

2027

700

Total

17 projets

2 364,9

-

8 645

Source : commission des finances, d'après les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur

Au total, le plan 15 000 devrait conduire à la création de 15 856 places nettes, réparties dans 50 établissements (construction et/ou rénovation). Les opérations ont été sélectionnées en s'appuyant sur les projections d'évolution de la population carcérale par département et du nombre de places dans les établissements existants.

Le plan de construction des 20 nouveaux centres éducatifs fermés, dits de « deuxième génération », a également été présenté à l'automne 2018. D'un coût prévisionnel initial de 30 millions d'euros, il devait conduire à l'ouverture de 240 places nettes, chaque CEF ne pouvant accueillir que 12 mineurs maximum. Ces 20 centres doivent s'ajouter aux 51 établissements existants.

Les 20 opérations du plan de création de CEF de deuxième génération,
avec leur localisation ainsi que leurs calendrier et coût initiaux

Localisation

Gestion

Coût initial
(en millions d'euros)

Calendrier initial

Nombre de places nettes

Épernay

Secteur associatif habilité

4,5

2021

12

Bergerac

Secteur public

4,5

2022

12

Saint-Nazaire

Secteur associatif habilité

4,5

2022

12

Montsinéry-Tonnegrande

Secteur associatif habilité

4,5

2024

12

Rochefort

Secteur public

4,5

2024

12

Le Vernet

Secteur associatif habilité

4,5

2024

12

Amillis

Secteur associatif habilité

4,5

2024

12

Digne

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Bléré

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Bellengreville

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Apt

Secteur associatif habilité

4,5

2025

12

Lure

Secteur public

4,5

2026

12

Liancourt

Secteur public

Pas d'estimation

2027

12

Malamani

Secteur public

Pas d'estimation

2026

12

Varennes-le-Grand

Secteur associatif habilité

Pas d'estimation

2027

12

Saint-Omer

Secteur public

4,5

Pas de date

12

Mérignies

Secteur associatif habilité

4,5

Pas de date

12

Andrézieux-Bouthéon

Secteur associatif habilité

Pas d'estimation

Pas de date

12

Yvelines (en attente d'un lieu)

Secteur associatif habilité

4,5

Pas de date

12

Savoie (en attente d'un lieu)

Secteur public

4,5

Pas de date

12

Total

76,5

-

252

Source : commission des finances, d'après les données transmises en réponse au questionnaire du rapporteur

À noter, les données transmises au rapporteur indiquent qu'un 21e centre serait envisagé, à Villeneuve-Loubet. Il aurait été ajouté au programme en 2021 et confirmé par la municipalité au printemps 2023.

1. La politique immobilière pénitentiaire doit répondre à deux impératifs, traiter le volume des détenus et personnaliser les parcours

Illustrant la volonté initiale du ministère de la justice de ne pas résumer le plan 15 000 à la seule question du traitement de la surpopulation carcérale, ce nouveau programme de politique publique immobilière inclut la construction d'établissements aux mesures de sécurité allégées et d'établissements « innovants », notamment en matière de réinsertion.

Les établissements pénitentiaires

Le terme générique d'établissements pénitentiaires recouvre plusieurs types d'établissements :

- les centres pénitentiaires, qui sont des établissements mixtes comprenant au moins deux quartiers à régime de détention différents ;

- les maisons d'arrêts, qui reçoivent les prévenus et les condamnés dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans ;

- les centres de détention, qui reçoivent les détenus condamnés à des peines de détention de plus de deux ans et considérés comme présentant les perspectives de réinsertion les meilleures ;

- les maisons centrales, qui sont des établissements mixtes recevant des condamnés à de longues peines, avec un régime de détention essentiellement axé sur la sécurité ;

- les centres de semi-liberté, qui reçoivent les condamnés admis au régime de la semi-liberté ou du placement à l'extérieur sans surveillance ;

- les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), qui sont des quartiers rattachés à des établissements existants et qui ont vocation à accueillir des personnes détenues ayant une condamnation ou un reliquat de peine inférieur ou égal à deux ans, afin que celles-ci se concentrent sur la préparation à la sortie (recherche de logement et d'emploi, régularisation de la situation administrative, prise en charge sociale ou médicale destinée à se poursuivre à l'extérieur). Le niveau de sûreté est allégé et les SAS se situent généralement à proximité d'une agglomération.

- les établissements InSERRE (Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi), qui sont des établissements à visée expérimentale centrés sur la formation et le travail. Ils ont vocation à accueillir des personnes détenues avec un reliquat de peine allant d'un an à trois ans.

Source : ministère de la justice

Le plan 15 000 comprend ainsi la construction de 142 places en quartier de semi-liberté, de 1 800 places en structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et de 380 places en structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi (InSERRE). 1 710 places devaient également être construites en maisons d'arrêt ou dans des quartiers maison d'arrêt. Il s'agit d'un impératif au regard des conditions de détention et de travail dans la plupart de ces établissements, avec des taux de surpopulation inédits.

Classification des opérations du plan 15 000 
par nature d'établissement

(par nombre de projets et de places)

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice

Les centres pénitentiaires sont des structures mixtes, qui accueillent au moins deux quartiers aux modalités de détention différentes. Ils sont donc, en nombre d'opérations comme en nombre de places, prépondérants dans le plan 15 000. Par ailleurs, le fait que la part des structures de détention plus « souples » dans le nombre des opérations ne se reflète pas dans le nombre de places créées résulte du fait que ces structures accueillent moins de détenus, avec des exigences de suivi renforcées, s'agissant par exemple de la prise en charge médicale ou de la réinsertion.

Ainsi, à l'instar des annonces qui ont accompagné la présentation des plans de création de nouvelles places de détention supplémentaires depuis 20 ans, le plan 15 000 a été présenté comme une politique publique immobilière répondant à des enjeux à la fois quantitatifs et qualitatifs : traiter une population carcérale exponentielle et mieux adapter les établissements aux profils et aux parcours des détenus.

Le rapporteur a par exemple visité le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, mis en service au mois de nombre 2021. Dit à « sûreté adaptée », cet établissement accueille des détenus ne présentant pas un haut niveau de dangerosité. Composé de 22 bâtiments, le centre pénitentiaire accueille un « quartier de confiance », inspiré des « modules de respect » espagnols. Les locaux sont aménagés pour favoriser l'autonomie, la responsabilité et l'interaction des personnes détenues, à l'intérieur comme à l'extérieur et les détenus disposent de leur clef de cellule en journée. D'après les informations qui ont été transmises au rapporteur, les centres pénitentiaires de Troyes-Lavau et de Caen-Ifs se sont inspirés de ce modèle. Le premier a été inauguré le 25 octobre par le garde des Sceaux tandis que le second devrait être livré d'ici la fin de l'année.

2. Un plan de création de centres éducatifs fermés destinés à accompagner la mise en place de centres dits « de deuxième génération »18(*)

Particularité de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la gestion des modalités de prise en charge des mineurs relève soit du secteur public (direction de la PJJ), soit du secteur associatif habilité (SAH).

Le rapporteur a pu constater que la gestion par l'un ou par l'autre n'était pas source de différences de traitement. Pour reprendre les termes de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, il existe « le pire comme le meilleur » dans les CEF gérés par le secteur public comme dans les CEF gérés par le SAH.

La prise en charge des mineurs
par la protection judiciaire de la jeunesse

La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) coordonne les mesures de placement mais également de milieu ouvert et d'insertion pour les mineurs qu'elle prend en charge.

Parmi les mesures de milieu ouvert, les professionnels de la PJJ interviennent dans :

- les services territoriaux éducatifs de milieu ouvert (STEMO), à partir du lieu de vie du mineur. Ces services comprennent les unités éducatives de milieu ouvert ;

- les services territoriaux éducatifs et d'insertion (STEI), avec une prise en charge permanente autour d'activités de jour mises en oeuvre par les unités éducatives d'activités de jour (UEAJ).

D'autres mesures relèvent du placement dans les établissements de la PJJ :

- les établissements de placement éducatifs (EPE) ou foyers, qui comprennent au moins deux unités parmi lesquelles une unité éducative d'hébergement collectif, qui accueille les mineurs sous mandat judiciaire ; une unité éducative d'hébergement diversifié, qui regroupe des situations aussi diverses que l'hébergement en foyers de jeunes travailleurs, en résidence sociale, en famille d'accueil ou en logement autonome ; une unité centre éducatif renforcé, qui a vocation à accueillir au maximum huit adolescents pour des sessions de trois à six mois. Le centre éducatif renforcé doit préparer à l'insertion sociale et professionnelle, avec des activités intensives ;

- les centres éducatifs fermés, qui constituent une alternative à l'incarcération. Les mineurs bénéficient d'un accompagnement éducatif et médico-psychologique renforcé. Ces centres accueillent au maximum 12 jeunes âgés de 13 ans à 18 ans ayant commis des crimes ou des délits, multi-récidivistes ou réitérants, pour une durée de six mois renouvelable une fois.

Enfin, certains jeunes peuvent être placés en détention. Ils représentent environ 1 % de la population carcérale et doivent être suivis par le service éducatif de l'établissement pénitentiaire pour mineurs ou un service de milieu ouvert s'ils sont dans le quartier mineur d'une maison d'arrêt.

Source : ministère de la justice, dossier de presse «  Création de 20 centres éducatifs fermés », septembre 2018

Les CEF de deuxième génération se distinguent par un cahier des charges architectural entièrement révisé, que ce soit s'agissant de l'aménagement des chambres, de la création de maisons familiales19(*) ou de l'accroissement des espaces collectifs et extérieurs, ainsi que par une localisation plus proche des villes et des « bassins de vie ».

Le cahier des charges des CEF « nouvelle génération »

Les CEF de deuxième génération ont vocation à intégrer plusieurs éléments architecturaux nouveaux :

- un espace parental pour accueillir temporairement les familles ;

- des dispositifs de protection et de sécurité intégrés dès la conception du bâtiment (mur d'enceinte, entrée unique, interphone, caméras) ;

- une construction à proximité des centres urbains et économiques pour favoriser le maintien des liens familiaux et l'insertion des mineurs.

Ce cahier des charges « architectural » doit s'accompagner de mesures destinées à faciliter la transition entre le CEF et l'extérieur, avec la possibilité de mettre en place un accueil dans un autre type de placement ou d'accompagner le retour en famille.

Source : ministère de la justice, dossier de presse «  Création de 20 centres éducatifs fermés », septembre 2018

Pour les CEF, il convient toutefois de noter que les niveaux d'occupation sont bien moindres que ceux observés dans le parc immobilier pénitentiaire : ils oscillent entre 65 % et 75 %, avec une cible fixée à 85 % en 2024. C'est donc davantage la logique qualitative « d'adaptation » qui a présidé à l'élaboration de ce programme immobilier.


* 18 Il ne s'agit ici pas de se prononcer sur cette forme de prise en charge mais sur l'exécution du plan immobilier. Concernant les interrogations sur l'opportunité de développer des CEF de deuxième génération, parmi d'autres modes de prise en charge, le lecteur est invité à se reporter au rapport d'information n° 885 (2021-2022) de la mission conjointe d'information de la commission des lois et de la commission de la culture du Sénat sur la prévention de la délinquance des mineurs (septembre 2022).

* 19 Espace d'accueil temporaire à l'intérieur du centre éducatif fermé et destiné à accueillir les familles du mineur placé dans le centre.

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