II. 15 000 PLACES SUPPLÉMENTAIRES EN DÉTENTION ET 20 NOUVEAUX CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS EN 2027, MISSION IMPOSSIBLE ?

Si l'engagement des deux plans de 15 000 places de détention supplémentaires et de 20 nouveaux CEF est à saluer au regard de l'impératif d'améliorer la prise en charge des détenus et des mineurs ainsi que des conditions de travail des intervenants, la mise en oeuvre des précédents programmes immobiliers pénitentiaires aurait certainement pu inciter le Gouvernement à limiter ses effets d'annonce et à faire preuve de davantage de prudence.

Dès le lancement de ces programmes, une communication malheureuse et malencontreuse a conduit la plupart des observateurs à considérer que le président de la République s'était engagé à créer 15 000 places de détention supplémentaires d'ici 2022. Les plus informés savaient que c'était impossible, tant les contraintes à surmonter sont élevées, les délais de passation de marché et de livraison longs et l'inertie forte pour les grands projets d'investissement. Une plus grande prudence avait été de mise pour l'annonce de la construction des 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), qui devaient être livrés à compter de 2021, sur un calendrier échelonné.

Ce n'est donc pas au prisme de ces annonces ambitieuses que doivent être évalués les progrès du plan 15 000 et de la création des 20 CEF, mais bien à celui des engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice20(*). 7 000 places nettes de détention devaient être créées en 2022 et 8 000 ensuite d'ici 2027, pour un coût total initial de 4,3 milliards d'euros.

Le programme comprenait 50 opérations de construction, de rénovation ou mixtes. À l'issue du plan 15 000, la France devrait disposer de 75 000 places de détention, une capacité probablement insuffisante au regard de la forte croissance de la population carcérale ces dernières années.

A. UN IMPÉRATIF POUR LA POLITIQUE PUBLIQUE PÉNITENTIAIRE, NE PAS ABANDONNER LES PERSONNELS ET LES DÉTENUS

Dans son rapport d'activité 202221(*), la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Dominique Simonnot, a durement critiqué l'inertie de l'État dans la prise en charge des « enfants enfermés » et des détenus, tirant le constat d'un « sentiment d'un abandon de l'État ». Ce rapport intervient 22 ans après que le Sénat a qualifié l'état des prisons « d'humiliation pour la République »22(*).

« Réservées aux « courtes peines » et aux prévenus, présumés innocents jusqu'au jugement - [les maisons d'arrêt] affichent un surpeuplement jusqu'à 250 %, infligent aux prisonniers de vivre à trois par cellule, 21 heures sur 24 - dans moins d'1 m² d'espace vital par personne - d'être grignotés par les punaises, envahis par les cafards et les rats. Contraints, pour 2 100 d'entre eux à dormir sur un matelas au sol. Tous les efforts pour améliorer quoique ce soit s'y avèrent vains. Tout est contraint par le nombre et par le temps. [...] Sans cesse et sans souci est bafouée la loi imposant un emprisonnement visant à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d'éviter la commission de nouvelles infractions »23(*).

En plus de conduire à des conditions indignes de détention, pour lesquelles l'État a déjà été condamné en France comme par la Cour européenne des droits de l'homme, la surpopulation carcérale et l'état du parc immobilier pénitentiaire conduisent à des conditions de travail elles aussi indignes pour les personnels de l'administration pénitentiaire. Comme l'ont indiqué plusieurs surveillants pénitentiaires au rapporteur lors de la visite du centre de Bordeaux-Gradignan, « comment voulez-vous qu'on en veuille aux détenus qui se battent alors qu'il fait plus de 36 °C dans les cellules du 6e étage et qu'ils passent quasiment toute leur journée dans une cellule insalubre de 9m² à deux voire à trois ? » Dans ce contexte, même les actes du quotidien deviennent des prises de risque : « au regard du nombre de détenus et du nombre de surveillants pénitentiaires, il faut environ 45 minutes pour amener les détenus du 6e étage à la cour de promenade ».

Ces éléments sont loin d'être anecdotiques. Dans son avis sur le plan 15 000 et dans le cadre de la contre-expertise du dossier d'évaluation socio-économique du programme24(*), le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) avait retenu, en bénéfices attendus, une estimation financière liée au nombre de suicides évités parmi les détenus (« gain » d'1,793 milliard d'euros) ainsi qu'à la réduction des violences et des arrêts de travail du personnel pénitentiaire, avec un gain estimé respectivement à 1,1 milliard d'euros et 100 millions d'euros. Sur ce dernier aspect, il est frappant de noter qu'entre 2018 et 2022, les absences des surveillants pénitentiaires pour motif médical ont augmenté de 2,46 points, le taux d'absence passant de 7,52 % à 9,98 %25(*).

C'est donc également à l'aune de l'ensemble de ces données que le rapporteur entend analyser et apprécier la mise en oeuvre du plan 15 000 et du plan de création des 20 nouveaux CEF.


* 20 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 21 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport d'activité 2022, 23 juin 2023.

* 22 Rapport n° 449 (1999-2000) de M. Guy-Pierre Cabanel, rapporteur de la commission d'enquête, «  Prisons : une humiliation pour la République », juin 2000.

* 23 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, op. cit.

* 24 Secrétariat général pour l'investissement, Avis sur la procédure de contre-expertise du dossier d'évaluation socio-économique du programme immobilier pénitentiaire 15 000 places, 14 octobre 2019.

* 25 D'après les données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

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