C. EXPOSÉ DE M.H. SUYKERBUYK

Le contrôle du Gouvernement et de la réglementation on constitue l'une des tâches essentielles du Parlement dans une démocratie parlementaire. En appliquant ce principe à la convention de Schengen, on s'étonnera non pas de l'existence d'un Comité de ministres exécutif mais, bien au contraire, de l'absence d'un véritable pendant (inter)parlementaire.

Il faut s'interroger sur la nécessité de ce pendant parlementaire. Non pas sous la forme d'une thérapie occupationnelle mais d'un groupe de parlementaires légitimé par tous les parlementaires chargé de contrôler l'évolution du dossier Schengen et de faire rapport à ce sujet aux Parlements, ensuite de quoi ceux-ci sont amenés à prendre leurs responsabilités.

On se demande souvent, à propos des accords de Schengen, si le modèle dit d'intégration -l'Union européenne- n'est pas préférable au modèle dit d'adhésion dans le cadre duquel ces accords s'inscrivent.

La question ne manque certes pas d'intérêt mais le point de vue du comité de ministres exécutif, exprimé le 12 janvier 1994 au Sénat belge par M. Urbain, alors ministre belge des Affaires européennes, me paraît toujours d'actualité M Urbain avait déclaré qu'à la lumière du troisième pilier de Maastricht, les pays de Schengen avaient acquis, sur le plan politique, une avance importante.

Ainsi, le S.I.S. est une réalité Développer parallèlement un système d'information européen (S.I.E.) ne serait pas seulement une source de dépenses importantes. En effet, si, pour quelque raison technique, le SIS devait ne pas fonctionner, le S.I.E. lui-même ne constituerait pas une solution.

Bref, dans le cadre contrôle parlementaire, le souhait d'intégrer Schengen à l'Union européenne est hic et nunc hors de propos.

Mais il y a plus. Politiquement et psychologiquement, l'accord de Schengen n'est pas simple aux yeux du citoyen. Les conventions bilatérales en matière de police et de gendarmerie existent depuis un certain temps déjà. Des accords de coopération ont vu le jour dans ce domaine dès 1890.

Cela peut paraître contradictoire, mais les réglementations détaillées de la convention de Schengen en matière de poursuites et d'observation transfrontalières, complétées par des déclarations distinctes sur le lieu et l'endroit, sont aujourd'hui la cause de difficultés plus nombreuses que prévu en matière d'abandon de souveraineté.

Il faudra se faire à l'idée que la coopération policière en Europe semble plus difficile à réaliser que la coopération économique. Pour des raisons légitimes liées au déficit en matière de sécurité, les citoyens ressentent clairement les effets de Schengen. Si, dès lors, les réglementations sont nécessaires, le contrôle et l'information sérieuse le sont tout autant.

La raison essentielle en est le « déficit démocratique » qui perdure sous une forme plus ou moins affirmée, au sein de l'Union européenne comme dans le contexte de la coopération intergouvernementale.

La coopération intergouvernementale confronte les partisans du contrôle à des difficultés de taille. Si l'on juge la sécurité importante, et c'est le sentiment général, il ne peut être question de s'engager dans la voie périlleuse d'institutions et de décisions incontrôlables.

Je ne citerai qu'un exemple. Interrogé au Sénat de Belgique sur l'emploi des langues dans le cadre du SIS., le ministre Urbain avait répondu que la question concernait en fait les bureaux SIRENE. Mais il n'avait guère été en mesure d'en dire plus sur le fonctionnement de ces bureaux. Voilà où nous en sommes !

Cela ne signifie pas pour autant que le contrôle démocratique soit meilleur dans le cadre de l'Union européenne. Il y a, bien sûr, le parlement européen qui fait bien mieux que remplir sa tâche dans ce domaine. Mais il y a le rôle du Conseil de ministres, qui est assez inusitée. Des représentants du pouvoir exécutif dans leur pays occupent au niveau européen la fonction de législateur. C'est une situation pour le moins extraordinaire !

C'était là une parenthèse mais elle s'inscrit dans la ligne de mon propos : il est difficile pour une institution parlementaire de contrôler des structures de coopération internationales. C'est une raison de ne pas se contenter de réunions interparlementaires sans véritable pouvoir.

Je vais m'efforcer de schématiser un scénario de contrôle.

À mon sens, il y a deux façons de voir les choses du point de vue parlementaire.

Il y a le contrôle vertical. Chaque parlement contrôle son Gouvernement, lequel est responsable des décisions prises au comité exécutif.

Parallèlement, il y a le contrôle horizontal. Il s'agit d'un contrôle des décisions prises dans le cadre de Schengen par le comité exécutif, exercé en commun par les Parlements et tous les membres.

Le contrôle horizontal, qui adopte la forme d'une coopération interparlementaire, présente l'avantage de réduire la différence entre le « Schengen intergouvernemental » et le « Schengen communautaire »

En outre, les représentants interparlementaires sont également membres de leur Parlement national. Ils assument donc déjà une fonction de contrôle.

En même temps, la coopération horizontale constitue une plate-forme de premier ordre en vue de l'échange d'informations et d'expériences.

Cette coopération interparlementaire horizontale n'atteindra toutefois ses objectifs que si un certain nombre de conditions sont réunies :

Les Parlements nationaux devront faire preuve de la discipline requise pour constituer un groupe restreint et, partant, plus efficace. H ne saurait, dès lors, être question de prendre en considération, pour chaque parlement, tous les équilibres envisageables, ce qui aurait pour effet d'accroître l'importance numérique des délégations.

La délégation restreinte doit se composer de membres susceptibles d'assurer au groupe interparlementaire une continuité satisfaisante. Les matières sont à ce point vastes et techniques qu'un organe de contrôle, dont la composition serait soumise à de constantes modifications et dont les membres seraient désignés pour un court terme, n'aurait fatalement aucune maîtrise du très large domaine couvert par Schengen.

Tous les Parlements doivent avoir la volonté d'instituer ce contrôle. J'entends par là une volonté politique, qui implique un soutien technique et logistique suffisant. Ce soutien doit émaner des Parlements mêmes, cl non des Gouvernements ou du secrétariat de Schengen. La mission du parlement exige de l'indépendance. Pour sanctionner, il faut des moyens financiers. Il en va de même pour le recours aux services d'experts. Les Parlements ne pourront donc pas se borner à simplement approuver cette mission de contrôle.

Tous les Parlements doivent laisser une marge « politique » à leurs représentants au sein de l'organe de contrôle afin de soumettre la question de Schengen au processus décisionnel politique Quand je vois l'intérêt que manifestent les Parlements nationaux pour le Benelux, je me dis qu'il n'est pas inutile de souligner ces différentes conditions.

Voilà pour ce qui concerne le « scénario ».

À la lumière de ce que Brice De Ruyver* ( * ) définit comme « danser sur la corde lâche de la liberté individuelle au regard de la sécurité », on pourrait évoquer pour chacun des aspects de Schengen des exemples qui attestent de la nécessité de ce contrôle : trop souvent encore, chacun y va de « sa » vérité.

1. La politique d'asile

Je ne crois pas que les Parlements nationaux, défaut de possibilités de s'informer, de surveiller et de contrôler, soient en mesure aujourd'hui de se prononcer sur les choix politiques.

Ce constat est sans doute osé mais, à supposer même qu'il ne corresponde que pour moitié à la réalité, il n'en demeure pas moins navrant d'un point de vue parlementaire et démocratique.

2. La politique en matière de drogue

Je pèche peut-être par excès mais la situation néanmoins quelque chose d'invraisemblable. Aux Pays-Bas, on considère aujourd'hui que le problème de la drogue ressortit à la santé publique. Quant à la France, elle établit un lien entre les drogues et les routes de la drogue, lesquelles deviennent des routes du crime, alors que la criminalité est un phénomène ancien dans le nord de la France. Entre les deux, il y a la Belgique, qui sert de lieu de transit et subit de ce fait les effets graves du problème de la drogue.

Il pourrait être mis fin à ce dialogue de sourds si un organe de contrôle parlementaire était en mesure de dissocier le fruit de l'imagination de la réalité.

3. Les contrôles frontaliers

Les contrôles frontaliers sont devenus, sans qu'on s'en rende presque compte, des contrôles de zones frontalières. Chacun sait-il de quoi il retourne exactement ? Comment les contrôles aux frontières extérieures autres que les aéroports sont-ils renforcés ? On connaît la situation dans les grands aéroports Mais qu'en est-il dans les nombreux aéroports régionaux ?

4. Le S.I.S.

En dehors des assurances fournies quant au bon fonctionnement du système, des rumeurs font était de fournitures et de mises en oeuvre non conformes, du manque de coopération de certains pays, etc.

En juin 1995, un ministre français déclarait encore que le S.I.S. ne donnait pas satisfaction. Et pas plus tard qu'hier, le secrétaire d'État allemand. M. Regensburger, s'est interrogé sur ce système.

5. Le problème des étrangers

J'ai lu récemment, à propos du problème des étrangers, que le groupe de travail ad hoc « Immigration » prendrait des mesures inapplicables dans la pratique.

Je ne puis pas en juger. Et combien de collègues issus des Parlements nationaux sont-ils en mesure de se faire une opinion ?

Il faut donc un contrôle efficace, exercé par les représentants politiques élus. Ce contrôle ne peut être instauré que si les Parlements ne se contentent plus de le préconiser verbalement mais fournissent des moyens effectifs à cet effet. Des moyens, il en faudra beaucoup. Les Parlements devront apporter la preuve de leur volonté d'y contribuer. Néanmoins, la meilleure sécurité n'est pas celle qu'on impose.

Par ailleurs, en ce qui concerne spécifiquement Schengen, un accord conclu entre des Gouvernements, sans aucune forme d'autorité supranationale contraignant les pays concernés à en respecter les termes, ne tiendra que tant que les pays participants le voudront et dans la mesure où ils le décideront. Si l'un de ces pays ne se conforme pas à l'accord, les autres ne pourront guère que le déplorer en espérant le voir revenir à de meilleurs sentiments.

Voilà sans doute le point faible d'une construction intergouvernementale. Mais personne, j'imagine, n'opère un tel revirement.

C'est pourquoi il faut poursuivre la mise en oeuvre de Schengen. Dans le même temps, il faut améliorer le contrôle parlementaire ou mieux, il faut organiser contrôle interparlementaire. Et si par exemple, le contrôle des actions judiciaires et policières transfrontalières est indispensable, comme on l'a dit hier encore, un contrôle permanent exercé par des représentants issus des Parlements nationaux au sein desquels ils sont législateurs et contrôlent leurs Gouvernements, pourrait être un excellent gardien des mesures de sécurité et concrétiser le souci de ne pas en arriver à une sécurité imposée.

Le libre espace européen ne doit pas s'ouvrir à l'insécurité et à la criminalité.

Il ne faut pas permettre non plus que des milliers de personnes, à l'image d'Alain Peyrefitte, soient arrêtée sans motif sérieux ou que leur liberté soit entravée. L'honneur de la démocratie parlementaire ne s'en accommoderait pas.

3. DÉCLARATION DES PREMIERS MINISTRES DES PAYS NORDIQUES

L'Union nordique des passeports dans un contexte européen

Lors de leur réunion à Reykjavik, le 27 février 1995, les premiers ministres ont fait la déclaration suivante :

La libre circulation transfrontalière est un élément fondamental dans le cadre de la coopération nordique comme de la coopération européenne. La libre circulation engendre des contacts étroits entre les populations ainsi qu'une affinité transfrontalière, deux conditions préalables essentielles du support nécessaire pour une coopération dynamique durable.

Lors de leur réunion à Reykjavik, le 27 février, les premiers ministres ont examiné les possibilités de maintenir la libre circulation des citoyens nordiques dans un contexte européen plus large. Le point de départ des discussions était un rapport rédigé par un groupe de fonctionnaires nordiques à la demande des ministres de la Justice et de l'Intérieur des pays nordiques, où sont esquissées les conditions formelles préalables devant être remplies pour maintenir la libre circulation à l'intérieur des pays nordiques.

Les premiers ministres nordiques ont pris acte du fait que plusieurs États membres de l'UE établissent dans le cadre de la coopération de Schengen, un espace de libre circulation basé sur les mêmes principes que ceux appliqués au sein de l'Union nordique des passeports Celte coopération entre en vigueur le 26 mars de cette année. Le Danemark a posé sa candidature comme membre de la coopération de Schengen

Les premiers ministres nordiques soulignent la nécessité d'une solution nordique en relation avec la coopération de Schengen, afin d'éviter que de nouvelles frontières soient tracées entre les pays nordiques ou entre les pays nordiques et d'autres pays européens

Les premiers ministres notent que les meilleures conditions préliminaires en vue du maintien de la libre circulation dans les pays nordiques, dans le cadre d'une coopération européenne plus poussée en matière de contrôles aux frontières, etc., y compris l'exemption de l'obligation d'être en possession d'un passeport, seront réalisées par l'adoption d'une position positive commune des pays nordiques quant à leur contribution à la coopération de Schengen.

Dans cette optique, les premiers ministres nordiques jugent nécessaire de souligner que la Norvège aussi bien que l'Islande ont exprimé leur intention et leur capacité d'assurer les contrôles requis aux frontières extérieures, dont la nature et l'étendue répond pleinement aux exigences de la convention de Schengen.

En outre, il convient de souligner que les pays nordiques ont établi, depuis de nombreuses années, une coopération dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants, contre la criminalité et l'immigration clandestine. Les nouvelles relations de coopération sous le couvert de la convention de Schengen ne doit pas compromettre les possibilités de combattre effectivement la criminalité transfrontalière.

Les premiers ministres des pays nordiques considèrent comme une responsabilité commune de trouver des solutions, d'une part, dans le cadre de la convention de Schengen, d'autre part, dans le cadre de la coopération nordique en matière de passeports et de contrôles, afin de sauvegarder, dans le cadre d'un contexte européen plus large, les principes fondamentaux de l'Union nordique des passeports en ce qui concerne l'accès libre et l'exemption de passeport dans tous les pays nordiques. Sur cette toile de fond. les premiers ministres sont prêts à entamer des négociations avec les États membres de Schengen pour trouver une solution pratique qui préserve les intérêts des pays nordiques comme des pays de Schengen.

* * Professeur de criminologie à l'Université de Gand (Belgique)

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page