La place de l'Europe et de la France dans l'économie multimédia de demain dépend pour une large part des télécommunications

Un enjeu considérable

D'après les études de l'observatoire mondial des systèmes de communication (OMSYC), rassemblées, les industries multimédias (à savoir l'audiovisuel, l'informatique et les télécommunications) représentaient, en 1995, près de 7.000 milliards de francs 6( * ) dans le monde et pesaient déjà plus lourd que l'ensemble du marché de l'automobile. En d'autres termes, aujourd'hui, pour 1.000 dollars de produit brut mondial, 59 dollars sont déjà générés directement ou indirectement par le secteur des " infocommunications ".

En l'an 2000, dans quatre ans, ce secteur devrait générer plus de 9.600 milliards de francs , ce qui correspond à une progression de 37 % en 5 ans. Plus du double du taux de croissance prévu pour le reste de l'économie mondiale !

Ni la France, ni l'Europe ne peuvent se permettre d'être absente d'un tel marché ou d'être réduites à y occuper des places secondaires.

Or, l'étude précitée d'Apredia montre que sur le total des alliances multimédias déjà nouées, les opérateurs de télécommunications sont présents dans 41 % des cas, loin devant les détenteurs de droits sur les programmes audiovisuels (31 %), les éditeurs de logiciels (29 %), les constructeurs de matériels informatiques (22 %), les fabricants d'électronique grand public (20 %) et les câblo-opérateurs (18 %).

La concurrence sur le marché du multimédia met en effet en présence deux forces principales : les acteurs qui fournissent les " contenants " (les réseaux électroniques) et ceux qui fournissent les " contenus " (les produits audiovisuels ou informatiques), la jonction entre ces deux catégories d'acteurs étant réalisée grâce aux éditeurs de logiciels. Les fabricants de terminaux (micro-ordinateur ou poste de télévision) sont en retrait par rapport aux acteurs précédents, mais continuent néanmoins, en raison de leurs liens de proximité avec l'utilisateur final, de tenir un rang non négligeable dans le concert des alliances.

La Sillicon Valley domine le monde de l'informatique. Hollywood domine le monde de l'image. Face à l'hégémonie américaine en informatique et en audiovisuel, il faut prendre les moyens de défendre l'exception culturelle européenne. L'obtention de positions européennes fortes dans l'industrie multimédia passe donc par le développement de stratégies articulées autour des télécommunications et de la richesse du patrimoine culturel. Néanmoins, si tous les grands pays du Vieux Continent paraissent avoir adopté une telle attitude, ils ne sont pas dans des situations identiques.

Des situations nationales contrastées

L'Allemagne dispose d'un marché important et de puissants groupes industriels.

En Allemagne, deux acteurs principaux jouent un rôle dans l'industrie du multimédia : d'une part le groupe Bertelsman 7( * ) , qui se place parmi les trois premiers groupes mondiaux avec Time Warner et Walt Disney en termes de fournisseurs de " contenus  ", et, d'autre part, Deutsche Telekom, troisième opérateur mondial de télécommunications.

Deutsche Telekom mise sur le transport de programmes multimédia et sur le développement des logiciels nécessaires à ce transport. L'opérateur aspire à réaliser 20 % de son chiffre d'affaires pour de tels services d'ici à l'an 2000.

Notre partenaire d'outre-Rhin a déjà commencé à mettre en oeuvre cette ambition.

Dans le domaine de la clientèle résidentielle, Deutsche Telekom, propriétaire du plus important réseau câblé d'Europe (16 millions de foyers), a créé au début de l'année 1995 une filiale spécialisée dans les services multimédias, Multimédias Software Gmbh (MSG). Installée à Dresde, dotée d'un capital de 27 millions de francs, elle s'appuie sur les sociétés de vente par correspondance, Otto et Quelle, et l'éditeur Bertelsmann. Depuis juin 1995, Deutsche Telekom a également entrepris de tester un premier projet pilote de multimédia dans les villes de Berlin, Hambourg, Cologne/Bonn, Stuttgart, Leipzig, Munich et Nuremberg avec les collectivités territoriales. Ce projet est mené en coopération avec Alcatel-Sel, la filiale allemande d'Alcatel, Bosch-ANT, Hewlett-Packard et IBM.

Dans le domaine des applications professionnelles, Deutsche Telekom mise sur des perspectives de croissance très fortes ; cet optimisme peut expliquer l'entrée à hauteur de 5 % dans le capital du fournisseur d'accès à Internet, America on Line (AOL), et la prise de 30 % des parts dans l'alliance AOL-Bertelsmann. En échange, ces derniers se sont portés acquéreurs de 30 % de T-On Line, le service en ligne de Deutsche Telekom. T-On Line est plutôt destiné aux professionnels et AOL s'attaquera plutôt au marché des particuliers. Depuis fin novembre 1995, le serveur en ligne commun de Bertelsmann et de AOL a fait son démarrage commercial à partir de 51 points d'accès en Allemagne. Notons ici que ce rapprochement fait actuellement l'objet d'investigations de la part de la Commission européenne qui souhaite vérifier qu'il n'y a pas là abus de position dominante.

En Grande-Bretagne, les alliances ont surtout été le fait des opérateurs de télécommunications et des câblo-opérateurs.

L'alliance entre l'opérateur britannique BT et l'opérateur américain longue distance MCI, si elle souhaite dans un premier temps répondre aux besoins en télécommunications des entreprises multinationales, se veut une alliance multimédia globale.

Cette alliance devrait à terme pouvoir bénéficier de l'accord noué entre MCI et le groupe australien de Ruppert Murdoch Nexs Corp, qui s'est concrétisé par l'entrée de MCI dans le capital de son nouvel associé pour 2 milliards de dollars. Cet accord devrait permettre à l'opérateur américain de télécommunications de développer sa stratégie en matière de contenu, puis d'en faire profiter l'alliance BT-MCI. Dès le début 1996, devrait ainsi être mis sur le marché un service en ligne directement sur Internet.

Une caractéristique du marché britannique est également la domination du marché du câble par les câblo-opérateurs d'origine américaine : ils détiennent ainsi plus des deux tiers des franchises. Ce phénomène est d'autant plus important qu'on assiste à une concentration du marché : 75 % des foyers britanniques sont abonnés à l'un des cinq premiers câblo-opérateurs. Cependant, leur développement est actuellement freiné par le monopole de fait du réseau de chaîne à péage BskyB, détenu à 50 % par l'australien Murdoch. Après avoir trusté la quasi totalité des droits dans le sport et le cinéma, il impose ses tarifs aux câblo-opérateurs.

En Italie, les alliances s'organisent autour d'opérateurs de télécommunications.

La société commune constituée par France Télécom et Olivetti ambitionne de devenir le deuxième opérateur de télécommunications du pays.

Dédiée dans un premier temps aux services à valeur ajoutée de télécommunications aux entreprises, déjà ouverts à la concurrence, la nouvelle société commune sera détenue à 51 % par Olivetti et Bell Atlantic et à 49 % par France Télécom. Les partenaires prévoient d'investir 600 millions de francs sur les deux années à venir dans cette nouvelle joint-venture. Cet accord touchera tous les segments du secteur des télécommunications, y compris le câblage sur réseau large bande ou le satellite.

En parallèle, Fininvest, le pôle audiovisuel du groupe Berlusconi est à la recherche d'un opérateur de télécommunications. BT a notamment été pressenti récemment pour entrer dans le capital de Mediaset, filiale audiovisuelle de Fininvest. BT pourrait, en l'espèce, s'appuyer sur sa filiale italienne Albacom, joint-venture avec la banque publique italienne BNL, destinée à opérer dans le secteur déjà libéralisé des services avancés de télécommunications.

En France, les télécommunications constituent un axe central

Dans le domaine des " contenus ", la France dispose de deux groupes puissants dont l'implication dans le multimédia ne fait aucun doute.

Le groupe Havas , dans le capital duquel France Télécom a pris une participation de 5,6 %, affiche une politique volontariste. La faiblesse d'Havas est cependant de n'être majoritaire dans aucune télévision. De ce fait, la stratégie audiovisuelle du groupe n'apparaît pas complètement homogène.

Le groupe Matra-Hachette utilise le savoir-faire de sa filiale américaine Grolier Electronic comme point de départ de sa stratégie multimédia. Il dispose ainsi d'un studio d'une centaine de personnes et étudie actuellement trente à cinquante produits pour une sortie d'ici à deux ou trois ans.

France Télévision de son côté s'est rapprochée du groupe Time Warner. Elle a passé un accord global de coopération de trois ans qui porte à la fois sur les programmes, la musique, les chaînes câblées et satellites ainsi que sur la distribution vidéo.

Dans le domaine des terminaux, Thomson, grâce à des technologies télévisuelles et numériques de pointe, affiche de belles réussites dans le secteur du multimédia et exporte son savoir-faire, notamment aux États-Unis, avec son offre de système de télévision numérique par satellite (DDS).

Le succès de ce service a permis de conclure, en septembre 1995, un contrat de un milliard de dollars pour la fourniture de décodeurs à Tele-TV, un consortium réunissant trois opérateurs de télécommunications : Bell Atlantic, Nynex et Pacific Telesis. Le groupe Thomson doit par ailleurs construire un réseau câblé sans fil qui permettra au consortium de proposer des films et des jeux à domicile.

Néanmoins, à l'analyse, c'est France Télécom qui constitue, pour la France, la meilleure chance d'occuper une place satisfaisante dans l'économie multimédia qui dominera le monde de demain.

D'abord, le groupe occupe le secteur où, nous l'avons vu, l'Europe dispose de la meilleure spécialisation internationale (les télécommunications). Ensuite, il est de tous nos " champions du multimédia " celui qui dispose de l'assise financière la plus large. Son chiffre d'affaires est quatre fois supérieur à celui d'Havas, son bénéfice dix fois plus important 8( * ) et sa capacité d'investissement considérable.

Enfin, il manifeste une volonté résolue de s'impliquer dans le développement du marché naissant du multimédia.

Cette stratégie repose sur une politique sélective de partenariats de services non exclusifs avec d'autres acteurs du marché. Ainsi, pour les supports, France Télécom a choisi quatre industriels : Alcatel, Matra Ericsson, Sat et Siemens et, pour les contenus, l'entreprise a conclu un accord cadre de trois ans avec France Télévision. De cette manière, elle participera au cofinancement de films, destinés à une exploitation " pay-per-view ", à des chaînes thématiques diffusant des programmes interactifs.

Pour que la France puisse être de ceux qui atteindront et dépasseront cette " nouvelle frontière " du multimédia, elle a donc besoin de France Télécom. On ne doit jamais l'oublier quand on se préoccupe de l'avenir du groupe.

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