B. ASSOCIER LES PARLEMENTS NATIONAUX

Une situation dans laquelle les instances communautaires sont finalement seuls juges des compétences de l'Union européenne ne peut être considérée comme satisfaisante pour l'application du principe de subsidiarité, dès lors que ces instances n'ont pas en règle générale intérêt à appliquer celui-ci.

Si l'on veut que l'exigence de subsidiarité soit effectivement prise en compte, il est donc nécessaire de s'appuyer à cet effet sur les Parlements nationaux qui ont, quant à eux, intérêt à son respect, car leur rôle et leurs compétences y sont en jeu.

La solution, proposée par certains, de s'appuyer dans le même but sur le Comité des régions ne peut être retenue : en effet, tel qu'il est défini par le Traité, le principe de subsidiarité ne s'applique qu'aux relations entre l'Union européenne et les Etats membres, et de ce fait ne concerne pas les prérogatives des régions ou, plus généralement, des collectivités locales.

C'est donc à juste titre que le Gouvernement français a proposé, dans le cadre de la CIG, la création d'un " Haut Conseil parlementaire " composé de délégués des Parlements nationaux et chargé de donner au Conseil des avis sur l'application du principe de subsidiarité.

Précisons, tout d'abord, que le débat sur cette proposition française ne doit pas être arrêté par les mots. Certains de nos partenaires, après une lecture peut-être un peu rapide, ont exprimé la crainte que le " Haut Conseil parlementaire " ne soit une institution supplémentaire, qui alourdirait et compliquerait le fonctionnement de l'Union, voire risquerait de paralyser le processus de décision.

Ces inquiétudes ne sont pas fondées.

Le sens de la proposition française est de permettre une expression collective des Parlements nationaux sur l'application du principe de subsidiarité. Cette expression pourrait être assurée par une instance ad hoc ; mais, puisqu'il existe déjà un organisme de concertation entre les Parlements nationaux - la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) - il est également possible d'utiliser ce cadre, à la condition d'apporter certaines améliorations à son fonctionnement .

Il n'est donc pas nécessaire de créer une nouvelle institution pour impliquer les Parlements nationaux dans le respect de la subsidiarité : un renforcement de la COSAC peut tout aussi bien convenir. La Délégation du Sénat s'est au demeurant déjà prononcée sur la forme que pourrait prendre ce renforcement de la COSAC : celle-ci devrait pouvoir voter, à la majorité, des résolutions ou des recommandations ; d'autre part, elle devrait se doter de deux formations spécialisées - l'une traitant des questions de subsidiarité, l'autre des questions relevant du " troisième pilier " de l'Union (justice et affaires intérieures) - afin d'assurer la continuité de ses travaux dans l'intervalle de ses réunions plénières. Aucune lourdeur institutionnelle dans une telle formule. Quant au risque de paralysie du processus de décision communautaire, une telle inquiétude est à l'évidence sans fondement, s'agissant d'un organisme à caractère consultatif.

La " COSAC renforcée ", ainsi suggérée, pourrait recevoir en matière de subsidiarité trois tâches principales :

- tout d'abord, elle pourrait être saisie de textes précis en cours d'examen, soit à la demande du Conseil, soit à la demande des organes spécialisés dans les affaires communautaires d'au moins deux assemblées parlementaires ne relevant pas du même Etat membre ; dans ce cas, elle devrait, dans un délai déterminé, donner un avis sur la conformité de ce texte au principe de subsidiarité.

- ensuite, elle aurait à débattre, sans être enfermée dans un délai, de la manière dont pourrait être précisée et complétée, pour chaque grand domaine d'action, la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres ; elle pourrait adopter dans ce sens des recommandations. Ainsi des points de repère seraient-ils proposés au Conseil pour l'appréciation de la subsidiarité ;

- enfin, elle devrait se prononcer sur le rapport annuel de la Commission européenne au sujet de l'application du principe de subsidiarité.


Il convient par ailleurs d'écarter l'objection, avancée semble-t-il par certains pays, selon laquelle une COSAC renforcée ne pourrait valablement "engager " les Parlements nationaux. Il n'est en effet nullement question, s'agissant d'un organisme consultatif, d' " engager " les Parlements des Etats membres et encore moins de se substituer à eux. Les délégués à la COSAC renforcée auraient le même statut juridique que les délégués à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ou à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, ou encore à l'Assemblée de l'Atlantique Nord. La représentation de Parlements nationaux au sein d'une Assemblée parlementaire internationale à caractère consultatif est une pratique bien établie et dont la légitimité n'a jamais été jusqu'à présent contestée. De telles instances ne concurrencent pas les Parlements nationaux, n'" engagent " pas ceux-ci et nul n'a jamais exprimé la crainte qu'elles ne les remplacent : elles ont pour but de favoriser le dialogue entre parlementaires nationaux sur des questions déterminées, afin d'essayer de favoriser une approche commune et une compréhension réciproque, d'où peuvent, dans certains cas, se dégager des avis majoritaires ayant éventuellement une certaine valeur politique, qui sont adressés aux instances intergouvernementales correspondantes. De même, une COSAC renforcée aurait pour but principal d'instaurer notamment, sur la mise en oeuvre de la subsidiarité, un dialogue entre parlementaires rompus aux questions européennes, de manière à faire peu à peu apparaître, autant que possible, une culture commune susceptible d'inspirer l'action des Gouvernements réunis au sein du Conseil.

On voit qu'une telle instance consultative n'aurait ni la mission, ni d'ailleurs la possibilité, de remplacer le contrôle exercé à l'échelon national par chaque Parlement sur l'action européenne de son Gouvernement. Elle aurait plutôt pour fonction de compléter ce contrôle, d'en améliorer les conditions, en favorisant le dialogue et l'échange des expériences dans un domaine où il est nécessaire que se dégage une approche commune, une sensibilité commune. On ne peut en effet avoir quinze conceptions très différentes de la subsidiarité, ou alors ce principe n'aura jamais de véritable portée : ce n'est qu'en mettant en commun les problèmes tels que les appréhendent les différentes assemblées que l'on pourra parvenir à une conception de la subsidiarité ayant une valeur opératoire et pouvant de ce fait influencer les travaux du Conseil.

Enfin, l'intérêt de cette instance serait de contribuer à réintégrer les Parlements nationaux dans la vie de l'Union européenne. Depuis l'élection du Parlement européen au suffrage direct, le lien qui unissait les Parlements nationaux aux activités de la Communauté s'est trouvé rompu, et cette coupure a favorisé un certain éloignement vis-à-vis des citoyens et une faiblesse chronique du contrôle démocratique, au moment même où le construction européenne s'approfondissait et s'étendait à de nouveaux domaines. Associer davantage les Parlements nationaux, notamment en ce qui concerne l'application du principe de subsidiarité, pourrait aider à réconcilier les opinions publiques et la construction européenne, en incitant le Conseil à faire entrer davantage dans les faits l'idéal, proclamé par le Traité de Maastricht, d'une Union où les décisions sont prises " le plus près possible des citoyens " .

Certains soulignent, à juste titre, que la tâche des Parlements nationaux est d'abord de contrôler l'action européenne de leurs Gouvernements respectifs, y compris en matière de subsidiarité. Mais la qualité d'un tel contrôle ne pourra qu'être améliorée si les Parlements nationaux disposent d'un cadre où échanger leurs expériences, prendre conscience de la diversité des préoccupations selon les pays, et s'efforcer de parvenir à une approche commune.

Il y aurait d'ailleurs quelque paradoxe, alors que la construction européenne a désormais pénétré tous les domaines d'activité et se trouve au coeur des vies politiques des Etats membres, à ce que les Parlements nationaux restent en dehors de l'effort de concertation, alors que certaines des questions qu'ils ont à traiter se posent à chacun d'entre eux, certes dans des contextes nationaux spécifiques, mais dans des termes comparables.

Comment, d'ailleurs, des Parlements totalement séparés les uns des autres pourraient-ils avec toute l'efficacité et la pertinence souhaitables contrôler des Gouvernements qui eux, travaillent ensemble et doivent en permanence rechercher des compromis ? Loin de s'opposer à l'exigence de contrôle à l'échelon national, la concertation interparlementaire paraît être un complément nécessaire de celle-ci, notamment sur un thème comme celui de la subsidiarité où l'avènement d'une culture commune doit être recherché.

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