12. Les migrations des régions en voie de développement vers les pays européens industrialisés - Interventions de MM. Charles EHRMANN, député (UDF), Bernard SCHREINER, député (RPR), et Daniel HOEFFEL, sénateur (UC) (Vendredi 27 septembre)

Selon le rapporteur, les mouvements migratoires des pays en développement vers les pays industrialisés d'Europe ont eu tendance à s'intensifier ces dernières années, ce qui a eu certaines conséquences négatives à la fois pour les pays d'origine et pour les pays d'accueil.

Le rapport propose une série de mesures pour freiner les mouvements migratoires et parer aux effets du séjour illégal d'un nombre croissant d'immigrés et de l'exclusion de certains groupes de migrants. Ces mesures sont destinées à dissuader les migrants potentiels d'émigrer. Elles comprennent notamment la mise en place d'une politique européenne globale de migration prévoyant la surveillance des axes migratoires, des conflits ethniques et des violations des droits de l'homme, une action directe sur les processus migratoires par une politique de développement économique bien ciblée, axée sur des projets, et une responsabilité commune pour la solution des problèmes régionaux.

Le rapporteur demande également aux Etats membres de prendre des mesures pour améliorer les conditions de vie des migrants dans les pays d'accueil et aborder les problèmes posés par la présence durable des migrants clandestins.

Dans ce débat, M. Charles EHRMANN, député (UDF) , prend la parole en ces termes  :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, des paroles et des écrits récents laissent penser que l'on ignore la position de la grande majorité des Français sur les problèmes des migrations. Je voudrais l'exposer devant les représentants des trente-neuf Etats du Conseil de l'Europe au nom de la délégation française.

" Nous reconnaissons qu'il n'y a pas de race française : on dit qu'en remontant trois générations, quinze millions de Français ont un étrangers dans leurs aïeux. Parfois même, ils étaient très nombreux : Nice en 1911 en avait 45 %, mais ces hommes et des femmes étaient, même s'ils étaient incroyants, de civilisation judéo-chrétienne.

" Si la France est laïque, depuis la séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1904, elle n'oublie pas ses origines et a donné naissance, grâce à ses écoles, à son genre de vie, à un peuple français qui a le sens de l'homme, de ses droits, de ses devoirs à l'égard de son prochain et qui fait la distinction entre Dieu et César, c'est-à-dire entre la religion et l'Etat.

" Elle n'oublie pas ce que ces migrants lui ont apporté sur les plans démographique, économique, intellectuel, mais elle est heureuse de voir qu'ils sont tous, comme le dit la chanson, devenus "d'excellents Français", prouvant par là même le pouvoir d'assimilation de la France.

" Mais le défi devient actuellement presque impossible à relever : n'entre-t-il pas légalement en France chaque année plus de 100 à 120 000 étrangers extra-Européens, dont 60 % d'Africains !

" Depuis quelques décennies, de nouveaux migrants venus d'Asie, des Balkans mais surtout d'Afrique du Nord et d'Afrique centrale se prêtent mal et refusent parfois l'intégration ; ils sont souvent groupés dans des banlieues sans vouloir ou pouvoir travailler et vivent avec leurs nombreux enfants, des secours de l'Etat providence ; quatre millions sont musulmans et représentent la deuxième religion française.

" D'autres, mourant de faim chez eux, croient trouver en France l'Eldorado et ils passent clandestinement la frontière, conduits par des passeurs très bien organisés, et travaillent parfois au noir. Certains volent, vendent de la drogue ; 80 % des dealers à Nice sont des Tunisiens ; les prisons des Alpes-Maritimes sont remplies à 50 % d'étranger, alors qu'ils ne sont que 7 % de la population.

" La présence de quatre millions d'étrangers et de 500 000 à un million de clandestins crée dans la population -surtout là où ils sont nombreux, le Midi de la France par exemple, un sentiment d'hostilité. Les Gouvernements français, surtout modérés, prennent sous la pression de l'opinion, des mesures de plus en plus dures, mais pas assez efficaces encore, par manque de moyens et de coordination. Le renvoi ne dépasse pas 30 % des clandestins.

" Cependant, depuis le 1 er janvier 1996, grâce aux efforts du Gouvernement, les départs ont beaucoup augmenté et les entrées ont diminué, les clandestins étant prévenus de cette nouvelle façon d'agir.

" De plus, la lutte contre le travail clandestin, visant à la fois les employeurs et les travailleurs, s'est beaucoup intensifiée.

" Sera-ce suffisant ? En effet, le drame est de penser que l'Afrique du Nord, du Maroc au Liban, a doublé sa population en trente ans et atteint aujourd'hui 200 millions. Qu'en sera-t-il dans trois décennies ?

" Aussi, l'Europe industrialisée a-t-elle le devoir d'aider, vous venez de le dire, au développement rapide de l'économie surtout rurale de ces pays, à l'affranchissement social de la femme, en leur consacrant davantage de crédits. La France donne déjà 0,45 % de son produit national brut, soit près de 40 milliards de francs, beaucoup plus que les Etats-Unis -sinon l'Europe succombera sous le flot des immigrants comme Rome a disparu sous les attaques des Barbares en 476 après J.C.

" Notre politique est d'intégrer et d'assimiler les quatre millions d'étrangers qui vivent légitimement sur notre sol, en leur rappelant qu'ils ont des droits, mais aussi des devoirs ; de renvoyer les clandestins ; d'aider les pays en voie de développement, afin que leurs peuples restent chez eux.

" La délégation française votera contre le rapport de la Commission sur les migrations, qui ne tient pas assez compte du fait que la France est un Etat laïque, que la République est une et indivisible et que sa politique à l'égard des migrants relève de sa seule souveraineté. "

M. Bernard SCHREINER, député (RPR) , s'exprime à son tour de la façon suivante  :

" D'emblée, je vous dirai que ce rapport sur un thème particulièrement sensible pour la plupart de nos pays me laisse perplexe.

" Les formulations sont si floues que chacun peut y mettre ce que bon lui semble. Ainsi, nous recommanderions au Comité des ministres, je cite : "d'étudier des mesures propres à empêcher ou réduire les migrations illégales". Nous lui recommanderions également, je cite toujours : "d'étudier les problèmes que posent les présences durables des migrants clandestins dans les Etats membres".

" De même, nous inviterions les Etats membres "à envisager des accords qui permettraient de laisser entrer un certain nombre de migrants pour des séjours de courte durée, et cela dans des conditions bien définies, non autrement précisées ; ou encore "à prendre des mesures appropriées visant à modérer les mouvements migratoires".

" Exhortations excellentes ! Mais sans contenu réel...

" L'exposé des motifs, s'il n'est guère plus précis, développe une vision iréniste, et malheureusement irréaliste, de l'immigration vers l'Europe.

" Peut-on sérieusement inférer de la suppression des visas à l'égard de la Pologne et d'autres pays d'Europe centrale, qui n'a en effet pas suscité d'afflux de migrants vers les Etats de l'Europe de l'Ouest, pour décider une généralisation de la libre circulation du Sud vers le Nord ?

" Pourtant, le rapport ne propose rien de moins. Que dire également de l'invitation à élaborer des politiques d'hébergement des immigrés clandestins ? Les Etats ne sont-ils pas fondés à appliquer leur loi sur les conditions d'entrée et de séjour et doivent-ils, non seulement avaliser les entrées frauduleuses, mais encore dégager des subventions pour offrir des logements ?

" Quelle puissante incitation à migrer vers des pays qui, non seulement supprimeraient tout contrôle, mais fourniraient logement et aides diverses à tout arrivant, régulier ou non.

" Mais il est une proposition que je voudrais combattre fermement. Le rapport nous présente en effet l'ethnisation progressive de nos sociétés, sous l'effet de l'immigration récente non européenne comme une contribution positive, notamment, je cite : "pour vaincre les conceptions nationalistes désuètes de l'homogénéité culturelle".

" Dans cette logique, le rapport dénigre l'ancienne "théorie prévalente de l'assimilation" au profit, je cite : d'un "processus de socialisation autonome" à l'intérieur de communautés d'immigrés organisées sur une base ethnique, politique et culturelle.

" Je le dis tout net : je suis scandalisé que dans la Maison des droits de l'homme, on prononce l'éloge de l'ethnisation progressive des sociétés qui s'oppose directement au principe d'universalité des droits de l'homme.

" J'ai lu et relu le rapport. Je n'y ai pas trouvé un mot en faveur des droits des femmes. Comment ne pas voir pourtant que là est le point essentiel et fondamental ? Le rapporteur constate l'échec des programmes démographiques. Pourtant, la Conférence du Caire, comme la Conférence de Pékin ont montré que si un malthusianisme indiscret échoue toujours, en revanche, il y a une corrélation indiscutable entre l'éducation des filles et la taille des familles. Vous savez comme moi que les prévisions de l'ONU font entrevoir un Nigeria de 300 millions d'habitants. Le Mali et le Sénégal, d'où viennent la plupart des immigrés clandestins en France, connaissent des taux d'accroissement annuel de plus de 3 % de leur population.

" Face à cet immense problème, nous pouvons répondre de deux façons : soit nier les difficultés et entonner un hymne irresponsable à une "polyethnicité" chatoyante. Il faut savoir alors que la conséquence sera très directement l'explosion de la xénophobie et de l'extrémisme dans nos pays qui ne peuvent, comme l'a dit un grand penseur du socialisme en France "accueillir toute la misère du monde".

" L'autre réponse s'appuie sur la diffusion sans complexe de l'idéal des droits de l'homme, c'est-à-dire de la promotion individuelle et d'abord de la promotion des femmes. Cette promotion, je la souhaite tant au bénéfice des immigrés dans nos propres pays que des populations poussées à l'exil par la misère.

" Dans nos pays, l'ethnisation préférée à l'homogénéité culturelle, c'est-à-dire -ne nous le cachons pas- à l'égalité des droits, est une régression scandaleuse. Voulez-vous permettre l'excision, le mariage forcé, la claustration, la stigmatisation vestimentaire, et en général l'inégalité des droits ?

" Dans les pays d'émigration, la même promotion des femmes doit être privilégiée sur tout autre programme d'assistance. Alors, la démographie étant maîtrisée, le développement pourra s'enclencher et les familles pourront s'épanouir sur leur terre natale.

" Mon choix va à ces attitudes responsables, conformes à nos principes de l'égalité et de l'universalité des droits de l'homme. Je ne pourrai donc pas approuver le projet de recommandation, et cela à mon grand regret. "

La recommandation n° 1306 contenue dans le rapport 7628 est adoptée, amendée.

M. Daniel HOEFFEL, sénateur (UC)
, pour expliquer ce vote, a formulé les observations suivantes :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai voté pour le texte même de la recommandation, présenté par la Commission : je le crois réaliste et raisonnable.

" Je tiens à remercier M. Junghanns pour ses explications et sa proposition, mais je veux aussi éviter toute équivoque et c'est dans ce souci que, tout à l'heure, avec mes collègues de la délégation française, j'ai voté le renvoi en Commission.

" Je tiens donc à préciser que mon approbation de la recommandation présentée par M. Junghanns ne saurait en aucun cas signifier approbation des termes mêmes du rapport, particulièrement des paragraphes 24 et 25. Ces derniers sont manifestement d'une philosophie et d'une inspiration qui ne sont pas exactement celles qui imprègnent la recommandation proprement dite.

" Par conséquent, je me suis prononcé en faveur de la recommandation, sans pour autant approuver l'exposé des motifs des paragraphes 24 et 25.

" Je tenais à apporter ces précisions afin de clarifier ma position. "

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