8. La stratégie européenne pour les enfants - Interventions de MM. Jean VALLEIX, député (RPR), Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI),  Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) (Mercredi 24 janvier)

Le rapporteur esquisse une stratégie européenne visant à donner aux enfants, considérés comme des citoyens à part entière, des droits et des responsabilités.

Les enfants sont les premières victimes des guerres, de la récession, de la pauvreté et des restrictions budgétaires. Ils sont également exposés à certaines formes d'exploitation  : travail forcé et tourisme sexuel. Leurs préoccupations sont rarement prises en compte lors de l'établissement des budgets, de sorte qu'inévitablement ils sont parcimonieusement servis, surtout en période de récession, ou dans les pays en phase de transition vers l'économie de marché.

Les Gouvernements doivent faire des droits des enfants une priorité politique, déclare le rapporteur. Parmi ses propositions figurent l'institution de médiateurs, l'évaluation des incidences sur les enfants des nouvelles politiques, la garantie de ressources financières suffisantes pour répondre à leurs besoins par l'intermédiaire de l'école, de la télévision et de lignes téléphoniques gratuites, ainsi qu'un réexamen de l'âge auquel les adolescents peuvent bénéficier du droit de vote.

Enfin, le rapporteur exhorte tous les Gouvernements à ratifier la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant et les conventions du Conseil de l'Europe visant à aider les enfants, en particulier la nouvelle convention sur l'exercice des droits des enfants, qui sera ouverte à la signature dans le courant de ce mois.

M. Jean VALLEIX, député (RPR) , est intervenu dans le débat en ces termes :

" Mes chers collègues, je ne vous le cacherai pas, l'orientation du rapport me cause quelques préoccupations.

" Je voudrais vous dire, d'entrée, deux choses.

" D'une part, il faut savoir gré à notre Commission de s'être saisie du sujet, un sujet malheureusement d'actualité et un sujet moralement, j'allais dire affectivement, très important.

" D'autre part, je suis très touché par les remarques très pertinentes de  Mme Alicja Grzeskowiak.

" Je n'ignore pas, à l'instar de chacun de nous ici, que le nombre des familles en situation précaire, sur le plan économique mais aussi sur les plans psychologique et affectif, ne cesse de croître. Cet aspect familial est préoccupant. Cependant, je crains que les dispositions que contiennent le projet de recommandation et le projet de directive n'aillent parfois à l'encontre de l'intérêt des enfants.

" Toutes les observations des psychologues et des psychanalystes corroborent aujourd'hui les idées de la vieille sagesse populaire selon laquelle la famille est le lieu privilégié d'épanouissement de l'enfant. Je regrette à cet égard que le projet de recommandation organise le conflit intrafamilial plutôt qu'il ne cherche à le résoudre.

" Certes, il y a des situations qui imposent de soustraire l'enfant au milieu familial - maltraitance, inceste, par exemple. En revanche, nombre de situations de crise peuvent évoluer, soit vers un apaisement qui maintiendra la cellule familiale, soit vers une dislocation le plus souvent hautement conflictuelle et dont les enfants sont toujours, comme l'observe d'ailleurs notre rapporteur, les premières victimes.

" Or, le projet de recommandation tend tout entier à organiser la recherche d'une solution de la crise familiale comme si le problème était insoluble, en faisant intervenir un ombudsman , des avocats, enfin toute une machinerie judiciaire qui ne peut qu'exacerber les difficultés initiales. Le projet de recommandation vise en effet à renforcer les nouvelles dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme, que notre Comité des ministres a acceptées le 8 septembre dernier, sans trop nous consulter d'ailleurs.

" Je suis d'autant plus à l'aise pour parler de ce sujet que, dans mon pays, la France, il existe une ligne téléphonique gratuite où les enfants peuvent parler des mauvais traitements ou des abus qu'ils subissent. De même, les juridictions comportent des chambres des affaires familiales, point d'aboutissement des procédures malheureusement engagées. Je regrette à nouveau qu'on privilégie la seule approche judiciaire en traitant l'enfant comme une personne miniature, à partir d'une nouvelle vision que je considère fallacieuse.

" Je crois au contraire qu'il faut développer l'aide à la résolution des difficultés familiales et éviter l'éclatement des familles. Est-ce un progrès que dans tel pays d'Europe les divorces l'emportent sur les mariages ? Du point de vue de l'enfant, ce n'est jamais un succès, et c'est même souvent un drame. Nous devrions appliquer beaucoup plus sévèrement les dispositions réprimant l'abandon de famille, par exemple le non-paiement des pensions alimentaires ou les entraves au droit de visite, qu'il s'agisse du père ou de la mère. Il faut privilégier le droit de l'enfant à des relations équilibrées avec son père comme avec sa mère sans se fonder sur le caprice et l'irresponsabilité des adultes qui prennent le masque commode de la liberté individuelle. Nous touchons là à un problème très profond en vérité et dont l'approche par le projet de recommandation me laisse quelque peu sur ma faim et m'inquiète.

" En définitive, il y a, c'est vrai, le droit à la vie. L'enfant a aussi le droit à être défendu, il a droit à l'affection et, pourquoi pas, à l'amour des siens. Bref, l'approche n'est pas vraiment satisfaisante dans le rapport, et je le regrette. Mais tout cela est à la fois amendable et perfectible dans nos travaux futurs.

" En conclusion, je souhaite qu'on puisse prendre ces remarques en considération de façon que nous n'en restions pas là tant le sujet est d'importance et le devoir considérable. C'est une affaire de droit et aussi, ô combien, de cœur ! "

A son tour, M. Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI) , a pris la parole en ces termes :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, si les enfants, en Europe encore plus qu'ailleurs, disposent d'un important arsenal juridique leur reconnaissant des droits, le respect de ces droits et leur connaissance par les enfants restent insuffisants.

" Qu'il s'agisse du travail des mineurs, de leur protection contre les différentes formes de maltraitance, de la non-intégration de l'enfant handicapé dans la société et donc de son accès au marché du travail, de la prise en charge de l'orphelin ou encore des conditions d'adoption, il reste de nombreux droits à réaffirmer et à faire respecter.

" En ce qui concerne le sport de haut niveau, le code européen d'éthique sportive qui rappelle la primauté de la santé, de la sécurité et du bien-être sur la réputation d'un club ou l'autosatisfaction d'un parent est souvent bafoué.

" Dans un monde complexe, en pleine mutation, l'enfant est la principale victime des agressions de cet univers commandé par les adultes. Il faut notamment souligner le scandale que représentent le commerce des enfants et la prostitution infantile, organisée comme une activité de détente pour des occidentaux en manque d'exotisme ou de je ne sais quoi d'autre, sans parler des réseaux télématiques qui se multiplient autour d'Internet, nouveau lieu de la propagande pédophile.

" L'enfant victime des malveillances et des déviances de l'adulte doit disposer d'instruments légaux qui lui assurent une meilleure protection. Il est donc souhaitable que soit renforcée la législation à l'encontre des adultes qui se rendent coupables d'actes portant atteinte à l'intégrité physique et morale de l'enfant.

" Le Conseil de l'Europe se doit de mettre en place une politique de l'enfant en encourageant les Etats membres à accorder une priorité à la question de l'enfant tant au niveau de son éducation qu'à celui de la place qu'il doit occuper dans la société, une priorité qui doit également être donnée à l'intégration politique et culturelle des enfants d'origine étrangère, laquelle passe, notamment, par la scolarité obligatoire, selon les règles de la laïcité, seule garantie de la liberté de l'enfant, et par l'apprentissage prioritaire des langues européennes.

" L'Europe est un continent vieillissant. Les dernières études démographiques montrent d'ailleurs une inquiétante chute de la natalité dans les pays d'Europe centrale et orientale ; il est temps de réagir en déclarant l'enfant comme la priorité du siècle prochain, car il est l'élément moteur de l'avenir du continent.

" Si nous ne savons pas protéger et accueillir les futurs bâtisseurs de l'Europe, il est à craindre que nous ne perdions des batailles importantes dans le domaine culturel et technologique. L'Europe doit donc accroître et promouvoir sa première richesse -sa jeunesse- nouvelle source de lumière pour notre continent.

" La création d'une structure permanente au Conseil de l'Europe, chargée des questions relatives aux enfants, est nécessaire, c'est vrai, mais est-elle indispensable dans la mesure où une telle structure existe déjà à l'ONU ? Notre Assemblée serait mieux inspirée en adoptant une convention européenne relative aux droits de l'enfant plus respectueuse des droits de l'enfant que la Convention de l'ONU qui, par volonté de consensus, a accepté des dispositions très dangereuses pour l'enfant.

" Par exemple, les Européens peuvent-ils se contenter de l'article 38 exigeant que les enfants de moins de 15 ans ne soient pas engagés dans les conflits ? Ne peut-on pas faire mieux en Europe ? Il nous appartient aussi de protéger les enfants des dérives pseudo-religieuses de leurs parents.

" Autre exemple : un enfant retrouvé, une balle dans la tête et calciné, a-t-il réellement exercé son droit à la liberté de pensée, de conscience ou de religion ? Les drames récents concernant différentes sectes suffisent à nous imposer une convention européenne d'une plus grande exigence que celle de l'ONU.

" Enfin, il est un droit de l'enfant que nous transgressons trop souvent et qu'il conviendrait de réaffirmer : celui d'avoir le plus possible près de lui au moins l'un de ses parents, car les parents sont les premiers responsables de l'enfant.

" De même, il est un autre droit de l'enfant sur lequel il conviendrait de réfléchir, celui de connaître ses origines, ses parents, car quand ce droit est bafoué -ce qui est trop souvent le cas- cela entraîne beaucoup de perturbations chez les enfants.

" Mes chers collègues, l'enfant qui naît aujourd'hui sera dans vingt ans un citoyen européen à part entière. La monnaie, le passeport, la culture, tout lui rappellera son appartenance à l'Europe. Les adultes, responsables politiques que nous sommes, doivent préparer son avenir en le protégeant des dangers du monde dans lequel il grandira ".

Enfin, Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) , est intervenue de la façon suivante :

" Madame la Présidente, mes chers collègues, je souhaite vous faire part de ma déception devant la frilosité des propositions qui nous sont soumises, sous le titre pourtant prometteur d'"une stratégie européenne pour les enfants".

" Je note d'ailleurs que le Comité des ministres a achevé la rédaction de la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants le 8 septembre dernier, sans associer véritablement l'Assemblée parlementaire à l'élaboration de ce texte. Cette convention du Conseil de l'Europe a le mérite d'exister, mais elle est totalement inadaptée à l'ampleur des difficultés et des sévices dont souffrent actuellement de trop nombreux enfants, partout dans le monde, y compris en Europe.

" En effet, la convention du Conseil de l'Europe se limite à un renforcement de la procédure pour la mise en œuvre des droits énoncés par la convention des Nations Unies.

" Cette convention de l'ONU a été arrêtée à New York le 26 janvier 1990. Elle constitue un compromis minimal entre des Etats aux coutumes, aux orientations politiques et aux niveaux de développement différents et très hétérogènes.

" Ainsi, les droits énoncés sont le plus petit dénominateur commun pour des Etats qui se réclament certains de la charia, d'autres d'un étatisme fort, d'autres encore de systèmes démocratiques plus équilibrés.

" Bien évidemment, j'approuve l'invitation de notre rapporteur à signer et à ratifier au plus vite cette convention des Nations Unies comme la France l'a d'ailleurs fait, dans un délai de six mois, le 2 juillet 1990.

" Cependant, je ne peux pas, pour ma part, me contenter d'appuyer la mise en œuvre d'un texte insuffisant. Or, c'est bien le seul objet de la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants, et, à mon grand regret, le seul objet également du projet de recommandation qui nous est soumis.

" Pourquoi le Conseil de l'Europe renonce-t-il à imposer des objectifs plus ambitieux et plus élevés que ceux qui ont recueilli un consensus minimal à l'ONU ?

" Pourquoi notre Assemblée renoncerait-elle à inciter nos Gouvernements à améliorer cette convention et à consacrer, dans un document spécifique, des droits dont une expérience récente rend la reconnaissance indispensable ?

" Je citerai quelques exemples.

" Combien d'enfants, mes chers collègues, sont morts dans deux villages suisses au cours de l'incendie qui a dévasté les lieux de réunion de la secte dénommée "Temple solaire" ? Combien sont morts de la même façon, moins d'un an après, dans une forêt des Alpes françaises ?

" Les dispositions de la convention des Nations Unies sur la liberté de pensée des enfants sont totalement inadaptées à la répression de pareilles dérives qui constituent en fait des assassinats individuels et collectifs.

" L'article 14 de la convention de l'ONU énonce : "les Etats Parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion (...). Les Etats respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l'enfant de guider celui-ci dans l'exercice de ce droit d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités". Ces principes sont repris dans l'article 21 de notre rapport.

" Les limites posées par la convention ne visent que certains intérêts de la collectivité elle-même ou encore certains droits d'autrui, mais la convention n'offre aucune base juridique pour empêcher les abus qui résultent de l'enrôlement d'enfants souvent très jeunes dans des sectes.

" Peut-on parler de liberté de religion quand il s'agit des trois enfants de 6 ans, 4 ans et 2 ans, qui ont été tués par balle avant d'être arrosés d'essence et brûlés, au nom des règles des adeptes de la secte du Temple solaire ?

" La liberté de religion des adultes cesse-t-elle devant le droit à la vie des enfants protégés par la collectivité, le cas échéant, contre les parents eux-mêmes ?

" Parmi les droits ignorés par la convention des Nations Unies, il y a aussi la protection de l'intégrité physique des enfants contre des mutilations appliquées au nom de prétendues coutumes culturelles.

" Il y a des millions d'immigrés d'origine africaine installés dans les Etats européens. Beaucoup ont d'ailleurs la nationalité du pays d'accueil, notamment en France. Or, dans les communautés qu'ils constituent par affinités d'origines, ces coutumes se perpétuent. Il y a visiblement dans nos Etats européens une hésitation sur la base juridique d'une éventuelle répression de sévices physiques infligés aux enfants et aux petites filles sans intention de nuire. Il faut que les Gouvernements clarifient l'interprétation des dispositions pénales réprimant les violences à enfants pour que certaines pratiques soient sanctionnées. Et la coutume cédera.

" J'ai cité l'exemple des enfants victimes des sectes et j'ai évoqué la mutilation des petites filles pour démontrer l'inadaptation des textes actuels et par conséquent l'insuffisance d'une recommandation qui ne viserait qu'à un renforcement procédural.

" Il me semble urgent, mes chers collègues, d'élaborer une convention européenne qui affirme une conception des droits des enfants plus exigeante que celle des Nations Unies, quelles que soient l'origine ethnique, les traditions, ou les convictions pseudo-religieuses ou philosophiques de leurs parents.

" Je voterai en faveur du projet de recommandation, mais j'espère que nous ne nous en tiendrons pas à cette démarche trop timide. "

Au terme de ce débat et délibérant du rapport 7436, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1286 et la directive n° 514 .

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