B. UNE LONGUE PÉRIODE DE CROISSANCE FORTE ET CONTINUE

Le programme de développement économique engagé par le régime du général Soeharto dès la fin des années soixante s'est appuyé sur une action volontariste de l'Etat et sur une importante aide étrangère. Vingt-cinq années plus tard, le décollage économique de l'Indonésie a suscité, jusqu'à il y a quelques mois, bien des appréciations élogieuses, alors qu'aux côtés de résultats flatteurs ont subsisté certaines zones d'ombre, annonciatrices des déboires futurs.

1. Une action volontariste en faveur du développement économique

L'autorité politique a incontestablement donné l'impulsion décisive à la mise en oeuvre du développement économique de l'Indonésie depuis la fin des années soixante, illustrant une conception dirigiste qui ne s'est guère atténuée au fil du temps. Avec méthode et constance, elle a défini des plans de développement à long terme, couvrant une période de vingt-cinq ans, eux-mêmes décomposés en cinq plans quinquennaux, assortis d'objectifs en termes d'investissements et de croissance.

Le premier plan à long terme a couvert la période 1969-1994. Un deuxième plan a été défini pour la période 1994-2019 et il a été amorcé par le 6e plan quinquennal 1994-1999.

Au travers de ces plans, trois orientations ont successivement été mises en oeuvre, avec des concours financiers extérieurs : la mise en valeur des ressources naturelles du pays , le développement d'une industrie nationale et enfin, l'ouverture à l'extérieur et l'insertion dans l'économie internationale .

L' aide extérieure a essentiellement transité par le groupe intergouvernemental sur l'Indonésie, devenu groupe consultatif sur l'Indonésie . Le Japon, les Etats-Unis et la Banque mondiale en sont les principaux bailleurs de fonds. Cette aide s'est maintenue à un haut niveau et représentait encore ces dernières années plus de cinq milliards de dollars par an.

L' ouverture aux investissements étrangers a été engagée par une loi de 1967. Il s'agissait essentiellement à l'époque de faire appel aux capitaux étrangers pour l'exploitation des ressources énergétiques et minières.

A partir de 1973, l'Etat a favorisé la création de joint-ventures entre partenaires étrangers et locaux afin de développer une industrie nationale, tournée vers la satisfaction des besoins du marché intérieur.

Enfin, les années 1980 voient se réduire les ressources tirées du pétrole, en raison de la chute des cours, imposant la nécessité d'une diversification de l'économie et le développement, toujours grâce à des capitaux étrangers, d'industries exportatrices, en particulier dans le textile, la transformation du bois, les produits alimentaires et la chimie.

Ainsi, à partir des années 1980, le développement économique, jusqu'alors marqué par l'emprise de l'Etat et un certain protectionnisme, s'oriente davantage vers la libéralisation de l'économie et l'ouverture aux marchés internationaux.

D'importantes réformes structurelles ont été engagées pour réviser le système fiscal, déréglementer le secteur financier, ce qui s'est traduit par un développement très rapide du réseau bancaire, lever un grand nombre de restrictions aux investissements étrangers, et réduire progressivement les protections tarifaires et non tarifaires, en particulier pour les produits en provenance de l'ASEAN. C'est ainsi qu'ont été abaissés, en mai 1995, les droits de douane sur 6 000 produits, ce qui a permis une réduction immédiate du taux tarifaire moyen, ramené de 19,5 % à 15 %. En ce qui concerne le régime préférentiel commun de l'ASEAN, l'objectif est de ramener le taux tarifaire moyen à 7 % en 2003.

Bien que se déroulant à un rythme plutôt lent, ce processus de déréglementation a été continu depuis quelques années, en grande partie à la suite d'orientations définies dans le cadre de l'ASEAN.

L'Indonésie est jusqu'à présent restée prudente en matière de privatisations , se limitant à ouvrir le capital de quelques entreprises publiques à des intérêts privés.

2. Des résultats flatteurs

Année après année, l'Indonésie a reçu les satisfecit des autorités internationales et des observateurs pour les résultats de sa politique économique. Ainsi, dans son rapport annuel 1997, le Fonds Monétaire International soulignait qu e "ces dernières années, l'Indonésie est parvenue à maintenir le rythme de développement économique impressionnant atteint dans les années 70 et 80 grâce à des réformes axées sur le marché". Il précisait que "les administrateurs ont félicité les autorités pour les résultats économiques de l'Indonésie au cours des dernières années, en particulier la réduction appréciable de la pauvreté et l'amélioration de nombreux indicateurs sociaux, ainsi que la moindre dépendance à l'égard des secteurs du pétrole et du gaz et la libéralisation d'importants secteurs de l'économie".

Dans le même esprit, la Banque Mondiale dans son rapport annuel sur l'Indonésie publié en juin 1997 soulignait la forte croissance, la modération de l'inflation, la vigueur des investissements, tant nationaux qu'étrangers, l'excédent des finances publiques, le haut niveau des réserves de change, autant de facteurs qui semblaient garantir de bons "fondamentaux " à l'économie indonésienne.

De fait, selon les chiffres cités par la Banque Mondiale, le taux de croissance annuel moyen qui était de 6,1 % sur la période 1980-1990 est passé à 7,6 % sur la période 1990-1995 .

L'effet premier de ce dynamisme de l'activité économique a été de permettre un recul spectaculaire de la pauvreté. La proportion des habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté a été ramenée, selon la Banque Mondiale, de 56 % en 1970 à 15 % en 1990. Au début de l'année 1997, elle n'était plus que de 11 % d'après les autorités indonésiennes. Le PNB par habitant , qui était de 70 dollars en 1969, était de 970 dollars en 1995 et a franchi la barre symbolique du millier de dollars (1 125 dollars) en 1996. Les indicateurs sociaux tels que la mortalité infantile, l'espérance de vie, le taux de scolarisation, se sont considérablement améliorés durant la même période.

Parallèlement, l'Indonésie a atteint en 1984 son autosuffisance en riz , principal ingrédient du régime alimentaire indonésien, et elle est parvenue depuis lors à le maintenir malgré l'accroissement de la population.

En troisième lieu, l'Indonésie a entrepris avec succès la diversification de son économie, en réduisant sa dépendance à l'égard des exportations en pétrole et en gaz. Les ressources tirées des exportations d'hydrocarbures, qui représentaient 80 % des ressources en devises en 1969 et encore 75 % en 1980, n'en représentent qu'à peine plus de 20 % à l'heure actuelle. Ce recul est lié à la chute des cours, qui a réduit le volume des ressources pétrolières, mais également à la forte progression des autres activités, reflétant la transition d'une économie essentiellement fondée sur l'exploitation des ressources naturelles vers une économie créatrice de valeur ajoutée. Cette diversification a permis l'émergence de nouveaux secteurs tels que le textile, la transformation de bois (contreplaqué, pâte à papier, meubles) et du caoutchouc, le petit appareillage électrique, l'industrie de la chaussure ou encore les produits chimiques.

3. Les limites du décollage économique et les signes avant-coureurs de difficultés

La première limite du décollage économique de l'Indonésie réside dans la très inégale répartition des dividendes de la croissance , qu'il s'agisse d'une inégalité géographique, entre l'ouest de l'archipel, essentiellement Java, et les provinces orientales, qui demeurent assez largement à l'écart du processus de développement, on d'inégalités sociales, qui se sont creusées.

La deuxième limite tient aux goulets d'étranglement qui freinent les possibilités d'expansion : une sous-qualification de la population active , notamment en ce qui concerne les techniciens et les cadres intermédiaires, et un fort retard en matière d'infrastructures routières et ferroviaires et d'alimentation en eau et en électricité.

Enfin, l'importance de la corruption, à tous les niveaux, et le maintien, dans de multiples secteurs d'activités, de monopoles ou de privilèges peu justifiés faussent le jeu du marché et ne contribuent pas à assainir les structures de l'économie.

Au-delà de ces facteurs structurels, les bons résultats affichés par les indicateurs macroéconomiques ont quelque peu occulté les signes avant-coureurs de difficultés. Le développement non contrôlé du secteur bancaire a entraîné une expansion très rapide du crédit au secteur privé, pour le financement de projets ou d'entreprises ne présentant pas toujours les meilleures garanties de rentabilité. La dette extérieure du pays s'est rapidement accrue, dans des proportions encore plus fortes -et sous-estimées par les autorités financières du pays- pour le secteur privé que pour le secteur public.

Enfin, la détérioration de la balance des paiements courants, à partir de 1996, témoignait d'une dépendance persistante de l'économie indonésienne vis-à-vis de l'extérieur . L'épargne nationale, tant publique que privée, s'est en effet révélée très inférieure au niveau requis pour réaliser les investissements qui ont permis le développement économique. Le recours à l'emprunt extérieur demeure essentiel et pèse lourdement sur la dette extérieure, en accroissant sa composante à court terme.

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