2. Rupture ou adaptation ?

a) Des urgences

Certaines modifications du droit de la communication audiovisuelle sont appelées par l'urgence. Elles n'impliquent pas en soi le bouleversement de la loi de 1986. C'est le cas de la transposition, en souffrance, de deux directives européennes : cette transposition suppose des ajouts ou des adaptations de portée relativement limitée, impropres à porter atteinte à l'architecture de la loi ou d'en altérer les principes fondateurs. C'est moins manifestement le cas de la réglementation des services satellitaires : celle-ci peut être opérée sans problème par simple adaptation de quelques articles de la loi de 1986, mais elle peut aussi être l'occasion de remettre en cause certains aspects essentiels de droit français, spécialement en matière de procédures d'accès aux fréquences et en matière d'obligations de diffusion, avec des risques non négligeables d'extension ultérieure des nouvelles solutions à l'ensemble des supports de diffusion.

(1) La réglementation des services satellitaires

On n'évoquera ici ce dossier que sous l'angle de l'urgence. Les aspects susceptibles de conduire à la remise en cause de certains principes du droit français de l'audiovisuel, liés à la problématique de l'internationalisation, seront examinés avec cette question dans la troisième partie du rapport.

La réglementation des services satellitaires apparaît comme une urgence manifeste, en raison de l'essor remarquable des services numériques diffusés par satellite. Cette réglementation est actuellement soumise à un régime juridique différent selon que les fréquences utilisées sont gérées par le CSA ou par une autre autorité, le plus souvent le ministre chargé des télécommunications assisté par l'Autorité de régulation des télécommunications, en application des dispositions de la loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996.

Les fréquences gérées par le CSA sont utilisées par les satellites de radiodiffusion directe du type TDF 1 et TDF 2 qui, initialement, devaient seuls diffuser des programmes de télévision directement reçus par les usagers. L'article 31 de la loi de 1986 et son décret d'application prévoient la délivrance des autorisations d'utiliser ces fréquences à l'issue d'une procédure d'appel à candidature diligentée par le CSA, lourde et peu adéquate compte tenu du préfinancement fréquent des projets par les candidats à l'autorisation. En outre, ce régime juridique a été frappé d'obsolescence par l'échec de la filière des satellites de radiodiffusion directe.

La seconde catégorie de fréquences, celles qui ne sont pas gérées par le CSA, est soumise au régime juridique institué par l'article 24 de la loi de 1986, qui s'applique aux satellites de télécommunication diffusant des programmes de radio et de télévision. Cette procédure prévoit la délivrance d'un agrément et le conventionnement des services par le CSA. Le décret d'application qui devait préciser le contenu des conventions n'a cependant pas été pris, dans la crainte de pénaliser, en leur appliquant les obligations de programmation impliquées par la loi, les diffuseurs français par rapport à la concurrence étrangère, et de les inciter à délocaliser leurs activités.

Or, l'essor rapide en France de la diffusion par satellite de services de télévision numériques, est lié à l'utilisation de satellites de télécommunications diffusant sur ces fréquences. Cette évolution profonde du paysage audiovisuel a donc lieu en l'absence de tout régime juridique permettant à l'Etat d'encadrer ce phénomène, et offrant aux opérateurs des informations claires sur leurs marges de manoeuvre.

Il est donc indispensable d'élaborer dans de très brefs délais un cadre juridique abordant en particulier les points suivants : à quelles conditions et selon quelles procédures un opérateur français ou étranger peut utiliser des fréquences satellitaires françaises pour diffuser des programmes de radio ou de télévision ; quelles catégories d'opérateurs, traditionnelles ou nouvelles, sont assujetties à des obligations législatives ; quelles obligations de contenu doivent respecter ces programmes ainsi que les procédures permettant de fixer ces obligations et d'en assurer le contrôle et la sanction ; l'opportunité d'introduire dans le régime des services satellitaires une souplesse tenant compte des contraintes de la concurrence internationale ; le régime anti-concentration applicable à ces services.

(2) La transposition des directives européennes

Deux directives européennes doivent être transposées de façon urgente en application des engagements internationaux de la France.

- La directive 95/47/CE du 24 octobre 1995 relative à l'utilisation de normes pour la transmission de signaux de télévision, prévoit les conditions d'exploitation des systèmes d'accès sous condition. Son dispositif aurait dû être transposé dans le droit français depuis trois ans déjà.

On a fait allusion, dans la première partie de ce rapport, à l'importance de l'objectif de ce texte, qui est de prévenir l'apparition de positions dominantes dans les relations entre fournisseurs de systèmes d'accès conditionnels aux services de télévision payante, et les services de télévision numérique.

Mentionnons brièvement deux aspects saillants de cette question.

D'une part, le marché de la télévision payante, qui apparaît à nombre d'opérateurs comme le principal axe de développement du secteur de la communication audiovisuelle dans les prochaines années, ne peut prendre un réel essor que si les fournisseurs de services désireux de prospecter ces marchés obtiennent la possibilité d'utiliser les logiciels qui permettent de gérer la fonction de contrôle d'accès entre un diffuseur et les utilisateurs. Or les opérateurs de systèmes de contrôle d'accès sont parfois aussi éditeurs de programmes audiovisuels, diffuseurs, opérateurs de bouquets satellitaires et pourraient être tentés, en l'absence de dispositions légales imposant l'ouverture des systèmes de contrôle d'accès aux services concurrents, de faire obstacle à l'entrée de nouveaux intervenants sur le marché. Le premier objectif du projet de loi est d'assurer l'ouverture des systèmes de contrôle d'accès.

D'autre part, le marché de la télévision payante connaîtra une expansion d'autant plus rapide que les manipulations demandées aux utilisateurs pour passer d'un service à un autre seront moins complexes. Dans cette optique, le projet de loi favorise l'adoption par les fabricants de décodeurs de solutions techniques permettant d'offrir aux abonnés l'accès à des bouquets utilisant des systèmes d'accès conditionnels différents, à partir d'un même boîtier de décodage. La logique extrême qui consisterait à imposer un boîtier unique regroupant tous les systèmes d'accès sous condition ou à imposer aux diffuseurs satellitaires l'obligation de transporter avec le signal d'un programme de télévision l'ensemble des logiciels de contrôle d'accès et de gestion des abonnements disponibles sur le marché, n'a pas été retenue : le projet de loi respecte les stratégies industrielles des opérateurs tout en prohibant les comportements anticoncurrentiels.

Nous nous trouvons ainsi face à une double urgence, institutionnelle et économique. En ce qui concerne ce dernier aspect, la directive 95/47/CE du 24 octobre 1995 apporte des solution de portée relativement limitée, comme on le verra, mais qui ont le mérite d'être disponibles.

- La directive Télévision sans frontière du 3 octobre 1986, modifiée le 30 juin 1997, comporte des dispositions qui doivent être transposées en droit interne avant la fin de 1998. Citons la définition des organismes relevant de la compétence d'un Etat membre, la protection de la diffusion non cryptée des événements majeurs, l'identification obligatoire des programmes susceptibles de nuire aux mineurs, la modification du régime juridique de la chronologie des médias.

b) Des choix à faire

On est ici en terrain non stabilisé, soit que le législateur n'ait pas encore parfaitement résolu certaines contradictions latentes, soit que des facteurs exogènes provoquent des contradictions nouvelles, soit que certaines innovations juridiques d'ampleur encore limitée réclament un perfectionnement impliquant le franchissement d'une étape qualitative. Dans ces trois catégories d'hypothèses que nous allons très rapidement illustrer à l'aide d'exemples qui seront développés par la suite, l'équilibre actuel du droit de la communication audiovisuelle peut être profondément remis en question.

(1) L'avenir du secteur public

C'est une première possibilité de rupture avec l'évolution passée du droit de la communication audiovisuelle. Plusieurs éléments sont à prendre en considération.

Le secteur public va se trouver confronté aux défis de l'audiovisuel numérique sans que soient véritablement résolues un certain nombre de contradictions internes qui affectent d'ors et déjà son fonctionnement.

Citons pêle-mêle à ce dernier égard la multiplicité des missions non hiérarchisées assignées aux chaînes ; la création au coup par coup d'organismes nouveaux dotés de missions plus ou moins largement complémentaires de celles des organismes existants ; la valse hésitation toujours en cours entre l'éclatement et le regroupement des organismes ; un mode de financement mixte faisant très largement appel à la publicité et apparemment contradictoire avec une partie des objectifs affirmés ; un partage peu cohérent du contrôle des organismes entre le gouvernement et le CSA, et la situation un peu ubuesque où se trouvent les présidents des organismes, soumis à une tutelle tatillonne sur certains dossiers, abandonnés à leur propre conseil sur d'autres, pratiquement irresponsables en en ce qui concerne la qualité de leur gestion, radicalement limités dans l'exercice de leurs responsabilités d'entrepreneur par la brièveté de leur mandat.

Les défis de l'avenir numérique ne simplifieront pas le règlement de ce legs. Le secteur public va subir en effet de plein fouet les conséquences du basculement dans l'ère numérique, avec l'inconvénient, par rapport aux opérateurs privés, d'une moindre faculté d'adaptation au changement du contexte. Deux aspects doivent être spécialement mentionnés.

On a vu que face à la diversification des métiers de l'audiovisuel, et en raison de la nécessité d'un accès facile aux catalogues de droits de diffusion, les groupes audiovisuels nouaient des alliances et s'engageaient dans un processus de concentration verticale leur assurant la maîtrise technique et commerciale des différentes étapes de la chaîne de production. Une chaîne de télévision ne peut désormais s'isoler dans son statut de diffuseur-éditeur sans s'exclure de la dynamique de développement de la communication audiovisuelle. Notons simplement à cet égard que l'entrée dans une stratégie d'alliance avec d'autres opérateurs, y compris privés, ne correspond guère à la culture du secteur public. Il n'est qu'à considérer les polémiques provoquées par les accords passés avec le bouquet satellitaire TPS, pour se convaincre de cette difficulté.

Or par ailleurs les avantages comparatifs dont la télévision publique bénéficie traditionnellement tendent à s'effacer - c'est le cas de l'accès privilégié aux capacités de diffusion - ou risquent d'être remis en question, c'est le cas de cette ressource régulière et assurée car non soumise à la régulation budgétaire qu'est la redevance.

Notons encore que cette menace sur les ressources des organismes publics intervient au moment où ceux-ci vont devoir mobiliser des financements supplémentaires afin de prendre position sur les nouveaux créneaux de développement, situation susceptible de radicaliser les débats intéressant le " legs du passé " : si le secteur public n'a pas, dans sa configuration actuelle, les moyens d'un développement durable, il pourra être tentant mettre celle-ci en question.

On voit que les perspectives ne sont pas anodines.

(2) Les conséquences de l'internationalisation

Evoquons aussi très sommairement ce facteur de rupture dans l'évolution du droit de la communication audiovisuelle, qui sera approfondi ci-dessous.

Les progrès de la diffusion satellitaire, internationale par nature, vont placer les chaînes hertziennes terrestres en situation de véritable concurrence avec les chaînes thématiques empruntant d'autres modes de diffusion, ce qui conduira à poser la question de l'égalisation des conditions de concurrence.

Une autre conséquence cruciale de l'internationalisation du paysage audiovisuel sera la remise en cause des quotas de diffusion d'oeuvres françaises et européennes et plus généralement des diverses obligations de contenu dont la directive Télévision sans frontière ne garantit pas véritablement le maintien, sous l'influence de deux facteurs.

D'une part, avec la diffusion satellitaire, il faudra envisager d'aligner les règles françaises de contenu sur une moyenne internationale afin d'éviter d'infliger des distorsions de concurrence trop sévères aux entreprises françaises.

D'autre part, la négociation de révision de la directive Télévision sans frontière, qui aurait pu faciliter la " sanctuarisation " du territoire de l'Union européenne face à l'internationalisation de la diffusion, n'a pas permis d'améliorer un texte très laxiste. La condition d'application " chaque fois que cela est réalisable ", une assiette de calcul incluant les émissions de plateau, la possibilité de remplir les quotas aux heures de faible écoute, permettront aux chaînes nord-américaines désireuses d'exploiter le marché européen d'obtenir leur naturalisation dans tel ou tel Etat membre sans subir de graves contraintes d'adaptation. En outre, le recours au lieu d'établissement du siège social de l'organisme comme critère principal de détermination de la compétence des Etats membres sur les chaînes de télévision, conduit un Etat comme la France à renoncer à conventionner des organismes établis dans l'Union et souhaitant être distribués par le câble ou même être diffusés par la voie hertzienne terrestre.

(3) Le rôle de la régulation

L'institution d'un véritable pouvoir de régulation constitue la troisième perspective d'évolution radicale du droit de la communication audiovisuelle. Ce pouvoir existe en germe, étroitement encadré, dans le dispositif actuel de la loi de 1986. L'enjeu qui pourrait se manifester est le passage à une étape décisive de son développement.

Si l'autorité de régulation s'est rapidement imposée comme un acteur incontournable de la communication audiovisuelle en dépit de la rotation des organes mis en place par le législateur, le débat sur la régulation elle-même n'a pas été fermé par l'interprétation très restrictive donnée, comme on l'a vu, en 1989 par le Conseil constitutionnel, de la possibilité de déléguer le pouvoir réglementaire afin d'instituer un véritable pouvoir de régulation dans la communication audiovisuelle.

Nous reviendrons sur la notion de régulation, notons simplement ici que l'évolution du secteur fournit de nouveaux arguments à ses partisans. Avec la perte progressive d'efficacité des réglementations françaises encadrant la diffusion audiovisuelle, ceux-ci estiment en effet de plus en plus opportun d'inventer une autre manière, moins détaillée, plus souple, d'encadrer l'évolution du marché audiovisuel. Il s'agirait de moduler les obligations des diffuseurs en fonction des réalités du marché à un moment donné.

On peut illustrer ce propos avec l'exemple récent d'un projet de chaîne thématique pour enfants qui se trouvait dans l'impossibilité de satisfaire aux obligations de quotas de diffusion faute de programmes français en quantité suffisante sur le marché. Le CSA ne pouvant conventionner cette chaîne dans les termes prévus par la loi, le conventionnement par un pays étranger, donnant la possibilité d'une reprise sur le câble français avec des obligations de contenu beaucoup moins rigoureuses, pouvait apparaître comme la solution la plus rationnelle pour les initiateurs du projet.. Dans ces conditions, il aurait pu être souhaitable que le CSA dispose de la possibilité de négocier avec cette chaîne des conditions particulières de diffusion d'oeuvres d'expression originale française. La possibilité prévue par la loi d'étaler sur cinq ans l'application de la réglementation des quotas était, semble-t-il, insuffisante pour permettre le conventionnement par le CSA.

On envisagera dans la suite de ce rapport les implications juridiques et pratiques de ces propositions dont l'inscription éventuelle dans nos schémas juridiques et administratifs apparaît assez malaisée.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page