C. LA CONVERGENCE ET L'INTERNATIONALISATION : QUELLE URGENCE ?

La numérisation, avec sa double conséquence attendue, la convergence et l'internationalisation des marchés, est le principal facteur actuel d'évolution du droit de la communication audiovisuelle. Les perspectives concrètes restent cependant vagues et controversées, ce qui ne facilite pas la réflexion du législateur. On sait que des remises en cause auront lieu, mais lesquelles ? L'abandon par le CSA, à la demande du gouvernement, du conventionnement des chaînes étrangères du câble apparaît comme la première irruption significative de la nouvelle donne, en l'occurrence l'internationalisation, dans notre corpus juridique. Cet abandon découle certes de la rigueur récemment manifestée par la Cour européenne de justice dans l'interprétation de la déjà vénérable directive " télévision sans frontière " (TSF), et non à la prise en compte d'un nouvel équilibre économique et technique. Il n'en marque pas moins le début d'une nouvelle étape. Au demeurant, l'internationalisation progresse au moins autant sous l'influence de causes juridiques que sous celle de l'évolution des techniques.

On tentera ici de faire une présentation aussi schématique que possible de cette problématique, en isolant quelques aspects saillants.

1. Un double phénomène

a) La convergence

L'idée d'une convergence de la communication audiovisuelle, des télécommunications et de l'informatique sous l'influence des techniques numériques suscite de nombreuses esquisses de réforme des régimes juridiques correspondants. La Commission européenne a fait paraître en décembre 1997 un livre vert qui analyse ce phénomène et envisage la palette des conséquences à en tirer. En réponse, le CSA a vivement critiqué la conception dynamique de la convergence exprimée dans ce document, estimant l'évolution probable beaucoup plus nuancée. Il semble possible de réduire le débat à quatre hypothèses pas trop sujettes à controverse.

(1) La convergence progressive des réseaux

La production de contenus : programmes de télévision, films, données informatiques, messages de télécommunications, est de plus en plus systématiquement numérisée. En outre, de nombreux stocks de contenus existants sont ou seront numérisés. Présentés sous la forme de signaux numérisés, ces contenus très divers peuvent emprunter l'ensemble des artères de communication accessibles au numérique, et en particulier les " autoroutes de l'information " à large bande qui permettent de démultiplier les flux de données transportées. Les grandes artères de communication seront ainsi le premier lieu de la convergence, transportant au fur et à mesure de la modernisation des réseaux des flux indifférenciés de données empruntant actuellement des réseaux encore largement spécialisés : réseau téléphonique, câble, réseau hertzien terrestre. Les fréquences satellitaires, qui sont à l'avant-garde de la numérisation, illustrent bien la tendance à la convergence des réseaux puisqu'elles transportent indifféremment la plus grande partie de la gamme des contenus, et vont jusqu'à fournir l'accès à internet en dépit de la faible interactivité offerte. Le câble aborde la marché de la téléphonie. Le réseau téléphonique permettra de diffuser des images animées.

Il faut cependant aussi noter que la réalisation de ces perspectives est subordonné d'une part à la numérisation des réseaux existants, lente sur le câble en raison des coûts d'adaptation technique, non commencée sur le réseau hertzien terrestre, et d'autre part à la généralisation de réseaux à large bande dotés des capacités nécessaires au transport de l'image animée. Pour le moment et pour une durée difficile à évaluer, les réseaux restent très largement " dédiés " à des usages spécifiques.

(2) La convergence partielle des contenus

Elle se manifeste avec l'apparition de contenus interactifs et multimédias, c'est à dire incorporant différents types de contenus traditionnels. Ces produits substituent à la diffusion de " point à multipoints " propre à la communication audiovisuelle traditionnelle une communication de " point à point " plutôt typique des télécommunications. La communication audiovisuelle va se transformer sous cette influence. D'ors et déjà, l'essor des contenus multimédias est remarquable sur les bouquets de programmes diffusés par satellite : toutes sortes de services sont associés aux services traditionnels de télévision et de radio. Le type emblématique en est le paiement à la séance, c'est à dire à la commande, de prestations choisies par le téléspectateur : films, programmes sportifs, informations météorologiques... Ultérieurement, la vidéo à la demande permettra d'accéder à domicile à des catalogues de films.

Mais ce type de convergence ne paraît pas s'étendre aux services traditionnels (télévision, radio, téléphonie), qui conservent leurs caractéristiques spécifiques. La convergence des contenus, partielle, ne bouleverse d'ailleurs pas non plus l'articulation actuelle des métiers de la production. On a vu dans la première partie du rapport que les producteurs audiovisuels n'abordent guère le multimédia.

(3) L'absence de convergence des équipements

Il est peu probable que les terminaux utilisés par les consommateurs se fondent à terme dans un terminal unique " tous usages ", à la fois téléphone, télévision, ordinateur, réveille-matin.... L'ordinateur permettra sans doute de recevoir dans d'excellentes conditions les signaux de toutes sortes de services, du téléphone à la vidéo, mais restera, avec son écran de petite taille, voué à l'usage individuel contrairement à la télévision, regardée en famille à quelques mètres de distance ; de même, il sera toujours plus commode de téléphoner avec un combiné portable qu'avec une télévision. Chaque terminal gardera donc vraisemblablement sa spécificité, marquée par sa présence dans une pièce particulière du domicile : on voit mal l'ordinateur trôner au milieu du salon et présider aux agapes familiales. La distinction au sein du foyer des lieux de repos et des lieux de travail contribuera à la perpétuation de la diversité des terminaux.

(4) La convergence douteuse des marchés

La fusion des marchés de l'audiovisuel, des télécommunications et de l'informatique achèverait la convergence que l'on constate à plusieurs étapes de la chaîne de la valeur ajoutée de chaque secteur économique. On n'y est pas encore : si les phénomènes de concentration verticale rappelés dans la première partie du rapport montrent que des évolutions se dessinent, les grands métiers restent bien distincts, on n'est pas prêt de confondre une chaîne de télévision avec un opérateur de téléphonie et si l'on peut imaginer, sur le câble par exemple, la mise au point d'offres commerciales communes de télévision et de téléphonie, chaque marché conservera sa propre logique d'évolution. Du reste, la diversification des groupes de communication se fait généralement par le biais de filiales spécialisées.

b) L'internationalisation

Des raisons techniques et juridiques favorisent l'internationalisation croissante des marchés de la communication audiovisuelle, jusqu'à récemment très centrés sur le cadre national, et rendent de plus en plus aléatoire le fonctionnement des régimes juridiques nationaux.

(1) Aspects techniques

La percée internationale de la diffusion numérique par satellite suscite une tendance à l'éclatement des marchés nationaux de l'audiovisuel, jusqu'à présent protégés des influences extérieures par la faible portée géographique des modes de diffusion les plus courants, réseaux hertziens terrestre et câble. La démultiplication des capacités de transport de signaux et la diminution du coût du transport accentuent cette tendance. Seule l'inertie probable du public, habitué en France à la diffusion hertzienne terrestre et aux chaînes nationales, peut ralentir l'internationalisation effective des marchés.

(2) Aspects juridiques

La directive européenne " télévision sans frontière " du 3 octobre 1989, révisée le 30 juin 1997, a partiellement harmonisé les législations nationales de la communication audiovisuelle sous la forme d'un corps minium de règles s'imposant à tous les Etats membres, afin d'assurer la libre prestation des services dans ce secteur. Elle apparaît comme le premier facteur juridique actuel de l'internationalisation, au plan régional, du marché. La jurisprudence de la Cour européenne de justice, de plus en plus exigeante sur les conséquences à tirer du texte européen, tend en effet à faire du minimum harmonisé un droit commun indépassable par les Etats membres, ce qui fragilise la réglementation française actuelle. Les années 1996 et 1997 ont marqué un tournant à cet égard.

Une décision de septembre 1996 " Commission contre royaume de Belgique ", empêche désormais les Etats membres de soumettre à autorisation préalable la distribution câblée sur leur territoire de chaînes déjà autorisées dans un autre Etat membre. De plus, c'est à l'Etat qui délivre l'autorisation d'émettre, et non à l'Etat de réception, qu'incombe le contrôle du respect des obligations de la directive, à l'exception des dispositions relatives à la protection des mineurs pour lesquelles l'Etat de réception dispose d'un droit de regard. Cette règle est particulièrement gênante pour l'efficacité de la réglementation française, beaucoup plus rigoureuse que les disposition harmonisées de la directive, et appliquées avec une sévérité sans commune mesure avec les pratiques de certains autres Etats membres. La France perd désormais tout moyen de soumettre les chaînes européennes diffusées sur son territoire à sa réglementation.

Les facilités de pénétration des marchés ainsi offertes aux chaînes localisées dans les Etats européens les plus laxistes sur le plan réglementaire sont encore élargies par l'abandon de la jurisprudence " anti-délocalisation " qui offrait la possibilité de soumettre à la réglementation du pays de réception un service destiné à son marché mais juridiquement rattaché à un autre Etat choisi pour les avantages d'une réglementation laxiste. Cette jurisprudence exemptera du respect des réglementations portant sur les règles de diffusion de films, les quotas, la publicité, etc. une chaîne comme RTL 9 destinée essentiellement au marché français mais relevant de la compétence luxembourgeoise. C'est en conséquence de cette jurisprudence que le CSA a cessé de conventionner les chaînes étrangères du câble, à l'invitation du gouvernement. Cette situation provoquera de graves distorsions de concurrence au détriment des opérateurs établis en France.

Le second facteur juridique de l'internationalisation réside dans les différentes négociations internationales poursuivant le démantèlement des obstacles aux échanges commerciaux. C'est ainsi qu'AMI, OMC, NTM et autres instances plus ou moins confidentielles jusqu'à ce que l'opinion publique découvre la portée de leurs activités, remettent inlassablement sur le tapis l'avenir du dispositif français de promotion des industries culturelles.

La France apparaît assez isolée sur ces dossiers, et ses capacités d'entraînement des autres Etats membres semblent s'atténuer, jusqu'à ce que " l'exception française " sur les dossier culturel fasse figure de baroud d'honneur.

Cependant les assises de l'audiovisuel, tenues à Birmingham en avril dernier, ont un peu démenti cette morose perspective. Alors que l'on en attendait une vigoureuse remise en cause des réglementations européennes de l'audiovisuel sous l'impulsion britannique, l'attitude maximalistes de certains opposants à toute intervention publique a favorisé l'apparition d'un consensus en faveur de l'élaboration d'une réglementation des nouveaux services et en faveur des programmes européens d'aide à la production et à la circulation des oeuvres. Ce retournement peut être de bon augure pour les prochaines négociations internationales.

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