CHAPITRE I

RENFORCER LA SÉCURITÉ JURIDIQUE DE L'ACTION PUBLIQUE LOCALE

I. UNE DÉGRADATION PRÉOCCUPANTE DES CONDITIONS D'EXERCICE DES RESPONSABILITÉS LOCALES SOUS L'EFFET D'UNE INSÉCURITÉ JURIDIQUE CROISSANTE

A. UN ENVIRONNEMENT JURIDIQUE COMPLEXE ET INCERTAIN

1. La réglementation : entre l'excès et le " flou "

a) L'inflation normative

Si les collectivités locales s'administrent " librement par des conseils élus ", c'est " dans les conditions fixées par loi ". Cette règle essentielle posée par l'article 72 de la Constitution devrait revêtir pour nos collectivités le double caractère d'une contrainte et d'une protection : contrainte résultant de leur soumission à l'ordonnancement juridique mais aussi protection en ce que leur liberté d'initiative devrait se développer dans un cadre juridique clairement défini leur permettant de bien identifier le champ de leurs responsabilités.

Or, la réalité s'est malheureusement éloignée de ce schéma théorique, la règle de droit se faisant de plus en plus contraignante et de moins en moins protectrice pour les collectivités locales.

Sur un plan général, le constat de l'inflation normative est désormais bien établi. Elle atteint les collectivités locales et leurs responsables comme tous les citoyens.

L'étude menée par le Conseil d'Etat sur la sécurité juridique en 1991 (rapport public pour 1991) avait évalué à 7.500 le nombre de lois applicables (sans compter les lois de codification, les lois purement modificatives et les loi portant approbation de traités et conventions internationales, lesquelles intègrent néanmoins des centaines d'articles dans le droit interne). La même étude estimait à 82.000 le nombre de décrets réglementaires. En outre, chaque année les autorités centrales émettent 10 à 15.000 circulaires relayées à deux ou trois niveaux successifs par les autorités déconcentrées.

Au droit national, s'ajoute le droit communautaire de plus en plus présent : l'étude du Conseil d'Etat évaluait à 21.000 le nombre de règlements émis par les institutions européennes, compte non tenu des directives reprises dans la législation et la réglementation interne (lesquelles représenteraient environ 10 % des projets de loi et décrets présentés aux sections administratives). D'ores et déjà, les collectivités locales ressentent le poids croissant des textes d'origine communautaire, notamment dans le domaine de l'environnement.

Cette inflation normative est le signe d'une très grande instabilité des règles , qui ne peut que contribuer à renforcer l'insécurité juridique de l'action publique locale.

Lors du colloque organisé par le Sénat " sécurité juridique et action publique locale ", notre ancien collègue, M. Camille Vallin, président de la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte a indiqué que depuis la loi de 1983 qui a fixé le statut de ces sociétés, 35 lois et règlements étaient intervenus.

Dans une autre étude, réalisée en 1993 (" Décentralisation et ordre juridique ", rapport public pour 1993), le Conseil d'Etat avait considéré que 3.000 articles constituaient les textes de base applicables aux collectivités locales.

Le processus de codification -qui n'est pas achevé- a mieux souligné encore le double constat d'inflation et d'instabilité de la règle juridique.

Si le code de l'administration communale, élaboré en 1957, regroupait 300 articles , le code des communes de 1977 rassemblait, pour sa part, quelque 700 articles .

Le code général des collectivités territoriales promulgué en 1996 -qui, outre la commune, couvre également le département, la région et les structures de coopération- compte à ce jour 1.798 articles . La partie réglementaire, toujours pas achevée, pourrait en compter le double.

Depuis 1996, 18 lois ont modifié le code général des collectivités territoriales. Elles ont modifié, créé ou abrogé 131 articles ; 44 % des dispositions sont totalement nouvelles, 56 % sont des modifications. Lors de sa publication, le code comptait 1.750 articles . Mais quatre ans plus tard, il en compte 1798.

Pour important soit-il, cet effort de codification est loin d'avoir concerné l'ensemble des domaines intéressant la vie des collectivités locales. Code institutionnel et financier et non pas code de compétences, le code général des collectivités territoriales se démarque de ses prédécesseurs en ce qu'il laisse de côté toute une partie du droit des collectivités locales qui sera traitée dans de futurs codes (code de l'éducation, notamment).

Tant que l'ensemble de ce processus de codification ne sera pas achevé, les collectivités locales resteront donc confrontées à l'insécurité juridique résultant de l'éparpillement des normes qu'elles sont chargées de mettre en oeuvre, sous peine de voir leur responsabilité engagée.

b) Le " flou " juridique

Au-delà du volume des règles juridiques applicables, l'insécurité juridique peut aussi résulter du contenu des mêmes règles, soit que trop générales ou trop techniques , elles ne permettent pas aux élus locaux d'identifier clairement l'étendue de leurs obligations, soit qu'en décalage avec les conditions dans lesquelles l'action publique locale s'exerce, elles n'assurent plus à celle-ci la sécurité juridique nécessaire.

Interrogés, dans le cadre des Etats généraux des Elus locaux, organisés à l'initiative de M. Christian Poncelet, président du Sénat, 36 % des élus de la région Nord-Pas-de-Calais, invoquent la complexité croissante du droit applicable comme la deuxième cause de la judiciarisation accrue de l'action publique locale derrière la tendance plus grande de nos concitoyens à saisir les tribunaux ( 56 % ). La quasi-unanimité ( 99 % ) des élus locaux de Nord-Pas-de-Calais considèrent que leur action s'inscrit de plus en plus dans un contexte d'insécurité juridique. Près de 70 % d'entre eux cite l'inflation des normes nationales et communautaires comme l'un des facteurs explicatifs.

La généralité de certaines règles juridiques constitue une première difficulté à laquelle les élus locaux peuvent être confrontés

Dans son rapport précité " Démocratie locale et responsabilité ", notre collègue Pierre Fauchon avait, à juste titre, donné l'exemple de la pollution de l'eau, réprimée par l'article L. 232-2 du code rural et par l'article 22 de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau. Ces dispositions ne constituent pas, en effet, un " guide suffisant " permettant de déterminer les responsabilités en cas de défaillance d'un service public qui peut résulter de difficultés financières ou organisationnelles complexes impliquant de multiples intervenants.

De même, tel qu'il est formulé par les articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales , le pouvoir de police municipale peut rendre compte de la mission générale qui est confiée au maire pour assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques. Mais peut-il -sans que lui soit donnée une portée disproportionnée avec les moyens d'action dont disposent effectivement les élus locaux- servir de point d'appui à la recherche d'une responsabilité individuelle ? Pourtant, dans les affaires ayant donné lieu à la mise en cause de maires pour des infractions non intentionnelles, l'abstention dans la mise en oeuvre de ce pouvoir de police constitue un motif fréquemment invoqué.

Certaines infractions pénales peuvent également encourir la critique d'une précision insuffisante. Devant la mission d'information, Me Régis de Castelnau a fait valoir que les critères d'incrimination prévus par le nouveau code pénal ( articles 221-6 et suivants ) pour les infractions non intentionnelles étaient trop larges.

Il a de même considéré que les infractions de délit de favoritisme dans les marchés publics ou de prise illégale d'intérêt étaient trop largement définies.

A l'inverse, la difficulté d'application de certaines règles de droit par les collectivités locales peut provenir de leur technicité excessive.

A cet égard, Me Régis de Castelnau a rappelé que l'Etat produisait des normes juridiques dont l'application ne lui appartenait pas, particulièrement dans le domaine de la sécurité, ce qui entraînait la déresponsabilisation des producteurs de normes. .

Le colloque " Sécurité juridique et action publique locale ", organisé par le Sénat le 29 avril dernier, a bien mis en évidence que le domaine des marchés publics et délégations de service public - pourtant essentiel pour la gestion locale était particulièrement exposé à ce risque de " flou " synonyme d'insécurité juridique.

62 % des élus du Nord-Pas-de-Calais interrogés dans le cadre des Etats généraux des élus locaux estiment que les marchés publics constituent la source d'insécurité juridique la plus importante avant l'environnement ( 43 % ) et l'urbanisme ( 41 % ).

Comme l'a rappelé le professeur Jean-Bernard Auby, ce domaine par essence contractuel, a subi au cours des vingt dernières années toutes sortes d'apports juridiques d'origines extrêmement diverses qui ont constitué un "choc perturbateur " dans beaucoup de cas. Des règles nouvelles se sont entassées, venant soit de l'ordre juridique interne, soit de l'ordre communautaire, soit de textes généraux, soit de textes particuliers comme la loi dite "Sapin " du 29 janvier 1993 . Les règles se sont entrechoquées au point que le droit est devenu une mosaïque assez complexe en matière contractuelle.

On ne peut donc que déplorer que la réforme des marchés publics qui, à l'issue de réflexions approfondies, avait pourtant fait l'objet d'un projet de loi déposé à la fin de la précédente législature, n'ait à ce jour toujours pas été soumise au Parlement.

Plusieurs exemples cités à l'occasion de ce colloque témoignent des interrogations juridiques qui, affectant cette matière, fragilisent la gestion locale.

Ainsi , il est souvent admis que les conventions de mandat passées par les personnes publiques ne doivent pas être traitées comme des marchés publics et que, par conséquent, le code des marchés publics ne leur est pas applicable. Or, cette idée est susceptible à terme d'être remise en cause par le droit communautaire, en particulier par la directive " services ".

Dans le même esprit, la loi du 29 janvier 1993 a considéré que quatre type de contrats devraient être considérés comme des délégations de service public : les concessions, les affermages, les régies intéressées et les gérances .

Or, par un arrêt du 7 avril 1999 commune de Guilherand-Granges , la Conseil d'Etat a considéré qu'un contrat de gérance était en réalité un marché public en raison du mode de rémunération du co-contractant.

Quant à la distinction entre les marchés publics et les délégations de service public, le Conseil d'Etat -par un arrêt du 15 avril 1996 Préfet des Bouches-du-Rhône - a retenu une " frontière " qui correspond à la conception qu'a la commission européenne. Pour autant, les critères retenus -notamment " le fait que la rémunération soit substantiellement assurée " par tel ou tel moyen- peuvent être difficiles à manier dans la gestion locale.

L'égalité de traitement des candidats tout au long de la procédure de passation des contrats peut également soulever, dans la pratique, de réelles difficultés.

En particulier, l'égalité de traitement vise l'information des candidats, lesquels doivent être placés dans des conditions de connaissance de ce qui leur sera demandé de façon égalitaire et non discriminatoire.

Par un arrêt du 13 mars 1998 S.A. Transports Galiero , le Conseil d'Etat a sanctionné le défaut de délivrance d'informations essentielles notamment sur les caractéristiques qualitatives et quantitatives du service, lorsqu'il s'agit d'une délégation ; en l'espèce la collectivité n'avait pu transmettre à un candidat à propos d'un transport scolaire et urbain, le kilométrage du service et les effectifs qui étaient à reprendre par les candidats.

Par un arrêt du 29 juillet 1998 Société " Genicorp " , la Haute juridiction a considéré que le fait qu'un candidat disposait d'informations qui pourraient paraître privilégiées -en l'espèce, le candidat avait réalisé en amont des études sur la conception d'un système informatique- ne pouvait suffire à l'écarter du marché. Il fallait juger sur pièces, in concreto , pour savoir si les informations qu'il détenait étaient de nature à entraîner une discrimination entre les candidats.

La collectivité locale intéressée doit donc " ajuster " sa démarche entre ces deux écueils : l'insuffisance ou l'excès d'informations détenues par tel ou tel candidat. La question peut être particulièrement sensible dans les cas de renouvellement de délégations de service public où les informations essentielles, notamment quant aux effectifs salariés, sont en pratique détenues par l'entreprise délégataire en place.

Le décalage entre le " corpus " normatif en vigueur et les conditions réelles d'exercice de l'action publique locale constitue une autre source de difficulté, génératrice d'insécurité juridique.

L'efficacité de l'action publique locale repose sur la capacité d'initiative et d'innovation des responsables territoriaux. Elle exige bien souvent une capacité d'adaptation à des réalités mouvantes. Cette exigence suppose que le cadre juridique auquel l'action publique locale est soumise ménage une certaine souplesse. Or, trop souvent ce cadre juridique apparaît au contraire comme un " carcan " dans lequel des projets locaux se trouvent entravés.

Ce décalage peut tout d'abord concerner les structures permettant aux collectivités locales de conduire certaines actions.

Cette situation est à l'origine d'un certain nombre de " démembrements " administratifs, à travers notamment la multiplication d'associations para-administratives. Or si ces formules restituent à l'action publique locale la souplesse nécessaire, elles exposent aussi dangereusement les élus locaux à travers la sanction de la gestion de fait qui peut conduire à leur inéligibilité .

La lecture des recommandations formulées par le juge des comptes met en évidence que certaines précautions peuvent permettre de prévenir ce risque, notamment la signature d'une convention qui précise les obligations réciproques entre l'association subventionnée et la collectivité publique, ainsi que les modalités de production annuelle des comptes d'emploi des subventions reçues et, le cas échéant, de reversement du solde inemployé.

Le code des juridictions financières ( article L. 221-8 ) et le code général des collectivités territoriales ( article L. 1611-4 ) ouvrent par ailleurs à chaque commune la faculté de contrôler toute association qui a reçu une subvention et rendent obligatoire la production des budgets et des comptes des associations subventionnées.

Dans le même esprit, l' article L. 2313-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que, dans les communes de 3.500 habitants et plus, les documents budgétaires doivent être assortis d'annexes relatives à la liste des concours attribués par la commune aux associations, sous forme de prestations en nature et de subventions, ainsi qu'un bilan certifié conforme du dernier exercice connu des organismes ayant perçu une subvention supérieure à 500.000 F ou représentant plus de 50 % du budget de l'organisme.

Quelle que soit l'utilité de ces précautions qui peuvent prévenir la survenance d'une gestion de fait, reste néanmoins posée la question de l'adéquation des structures institutionnelles auxquelles les collectivités locales peuvent recourir aux actions qu'elles sont chargées de mettre en oeuvre.

Il importe en outre de rappeler, à la suite du rapport précité de notre collègue Jacques Oudin au nom du groupe de travail sur les chambres régionales des comptes, que la procédure de gestion de fait a pour finalité essentielle de rétablir la règle fondamentale de la comptabilité publique de séparation entre les ordonnateurs et les comptables .

Dans ces conditions, et de l'avis même des magistrats financiers entendus par le groupe de travail, le caractère automatique de la sanction d'inéligibilité apparaît largement inadapté .

En outre, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a clairement établi que " le principe de nécessité des peines implique que l'incapacité d'exercer une fonction élective ne peut être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l'espèce " (décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999).

Le décalage entre les règles et la réalité concerne également le fond des règles applicables à tel ou tel secteur d'activité.

Le domaine des interventions économiques en fournit une parfaite illustration, bien mise en lumière par le rapport particulier établi par la Cour des Comptes en 1996 et par le rapport de notre collègue Daniel Hoeffel au nom du groupe de travail de la commission des lois sur la décentralisation, présidé par M. Jean-Paul Delevoye 3 ( * ) . Pour ne citer que quelques exemples du " flou " juridique actuel, on relèvera que le dispositif en vigueur ne définit pas la distinction entre aides directes et aides indirectes ni le critère de l'entreprise en difficulté alors que l'un et l'autre fondent une distinction de régime.

En outre, la liberté des aides indirectes n'a aucun fondement en droit communautaire, la commission européenne ne prenant en compte que le montant cumulé des aides publiques, quelle qu'en soit la nature, pour fixer les règles d'autorisation et de notification. Une circulaire récente a précisé les conditions d'application au plan local des règles communautaires 4 ( * ) .

Il faut, là encore, déplorer que les réflexions engagées sous la précédente législature n'aient à ce jour pas abouti à un projet de loi soumis au Parlement.

Le colloque " Sécurité juridique et action publique locale " a également souligné la très grande complexité qui affecte le droit de l'urbanisme à travers la superposition des normes et la diversité des procédures qui amplifie la complexité normative.

Devant la mission d'information, M. Jean-Bernard Auby, président de l'association française du droit des collectivités territoriales, prenant exemple des solutions dégagées en droit anglais, allemand ou belge, a suggéré que le contrat joue un rôle plus important dans ce domaine.

c) De nouveaux champs d'intervention juridiquement mal définis

Le colloque " Sécurité juridique et action publique locale " a mis en lumière la carence du cadre juridique en vigueur pour régir les nouveaux champs d'intervention des collectivités locales. Pour pallier ces lacunes, les collectivités locales ont été conduites à développer des pratiques nouvelles, en dehors des textes. Dès lors, des risques juridiques inédits peuvent surgir quant aux modalités et aux limites de leur intervention, même si certains principes généraux tels que la liberté du commerce et de l'industrie ou la libre concurrence peuvent permettre d'encadrer les initiatives locales.

Dans le domaine ferroviaire , l'article 67 de la loi d'orientation du 4 février 1995 a prévu -donnant ainsi une traduction législative aux recommandations du rapport établi en 1994 par notre collègue Hubert Haenel- qu'à l'issue d'une période d'expérimentation, une loi instituerait la région comme autorité organisatrice et préciserait les modalités d'organisation et de financement des transports collectifs d'intérêt régional. Or, dans le silence du législateur, les régions ont dû créer elles-mêmes les mécanismes juridiques nécessaires à l'exercice de leurs nouvelles responsabilités.

Dans le domaine de l'électricité , l'adoption du projet de loi de transposition en droit français de la directive européenne d'ouverture à la concurrence aura pour effet de modifier le cadre juridique de l'action des collectivités locales, fixé, depuis la libération et la nationalisation de l'électricité et du gaz, par la loi du 8 avril 1946. De nouvelles dispositions seraient ainsi introduites dans le code général des collectivités territoriales ( articles L. 2224-31 à L. 2224-34 ), relatives à la production et à la distribution d'électricité par les collectivités locales. A noter que, pour des raisons d'affichage politique, le texte initial du projet de loi gouvernemental se refusait d'abroger les dispositions de l'article 8 de la loi de 1946, relatif notamment au régime d'autorisation des collectivités pour la production d'électricité, alors même qu'il mettait en place un nouveau système d'autorisation, prenant le relais de celui de 1946. Lors de la première lecture du texte, le Sénat a tenu à clarifier cette situation en abrogeant les anciennes dispositions. Ce texte contient, en outre, des dispositions relatives à la responsabilité pénale des personnes morales, qui seraient susceptibles de s'appliquer aux collectivités distributrices ou productrices d'électricité (en cas d'exploitation d'une installation de production sans autorisation, par exemple).

En matière de télécommunications , avec la fin du monopole de France Télécom et le développement des nouvelles technologies, de nombreuses collectivités locales ont pris l'initiative de déployer un réseau d'infrastructures leur permettant tout à la fois de mieux maîtriser leur facture téléphonique et de mettre des services de télécommunications - souvent à hauts débits, c'est-à-dire offrant plus de possibilités que le réseau téléphonique traditionnel - à la disposition des services municipaux, voire d'opérateurs de télécommunications offrant à leur tour des services aux entreprises et aux administrés. Or, ces initiatives, dans un secteur d'activité nouveau, s'inscrivent dans un cadre juridique incertain, comme l'a mis en évidence la remise en cause par le juge administratif 5 ( * ) d'un projet de la communauté urbaine du Grand Nancy. Faisant suite à l'adoption d'un amendement du Sénat à la loi d'aménagement du territoire 6 ( * ) , un nouvel article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales a tenté de fixer le droit en la matière, même si la rédaction finalement adoptée par l'Assemblée nationale, qui a refusé de suivre les propositions de la Haute assemblée, plus favorables aux collectivités locales, paraît à la fois relativement imprécise et exagérément restrictive pour ces dernières. Les collectivités concernées ont d'ailleurs fait part de leur intention de saisir la Commission européenne, jugeant incompatibles ces dispositions avec le droit européen de la concurrence. L'incertitude juridique est donc loin d'être levée.

Les débats du colloque tenu au Sénat sur la sécurité juridique de l'action publique locale ont montré que la même problématique se retrouvait en ce qui concerne le câble .

2. Une clarification insuffisante des responsabilités

a) Les effets du " brouillage " des compétences

Devant la mission d'information, M. Jean-Bernard Auby, président de l'Association française du droit des collectivités territoriales, a fait valoir que l'inachèvement du processus de décentralisation pouvait expliquer en grande partie la confusion actuelle dans l'exercice des compétences locales, source d'insécurité juridique. Le transfert des compétences aux collectivités locales a, en effet, parallèlement ménagé la faculté d'intervention de l'Etat, cette superposition d'intervenants constituant un obstacle à la nécessaire clarification.

Une confusion entretenue ? L'exemple des plans de prévention des risques naturels

La politique de prévention des risques naturels est un bon exemple de la confusion qu'entraîne la superposition des interventions. Rappelons que l'environnement et l'urbanisme, où les interférences sont fréquentes, sont d'ailleurs respectivement classés en deuxième et troisième positions par les élus du Nord-Pas-de-Calais comme facteurs d'insécurité juridique.

Lors des récentes et dramatiques inondations, sans équivalent historique connu depuis plusieurs siècles, qui ont touché, à la mi-novembre, les départements de l'Aude, des Pyrénées orientales et du Tarn, les médias ont en effet hâtivement incriminé les collectivités locales, qui n'auraient pas mis en oeuvre de politique de prévention appropriée, voire qui auraient aggravé, par des opérations d'aménagement inconsidérées, l'exposition des populations aux risques naturels.

Fait plus révélateur encore de la confusion des compétences, cette critique a, dans un premier temps, été alimentée par certains hauts responsables nationaux, même si la vive et légitime réaction des élus a, ensuite, permis de rétablir la vérité des faits.

Car malgré les propos accusateurs tenus à l'encontre des collectivités, les textes établissent très clairement la compétence de l'Etat.

Aux termes de la loi 7 ( * ) : " L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones " .

Les plans de prévention sont pris par arrêté préfectoral , après consultation des communes et enquête publique. Le représentant de l'Etat dispose même, en cas d'urgence, du pouvoir de rendre immédiatement applicable un plan en cours d'élaboration. Annexé au plan d'occupation des sols, ce plan entraîne, suivant l'exposition au risque qu'il définit, par type de zones, des prescriptions urbanistiques qui répondent, en matière d'inondations, aux trois principes suivants : interdire toute nouvelle construction dans les zones d'aléas les plus forts ; contrôler strictement l'extension de l'urbanisation dans les zones d'expansion des crues ; éviter tout endiguement ou remblaiement nouveau, sauf pour protéger les lieux fortement urbanisés.

S'il est loisible de s'étonner, comme l'a d'ailleurs fait une partie de la doctrine 8 ( * ) , que la loi du 2 février 1995 ait renforcé, à l'encontre de la logique de décentralisation, les prérogatives de l'Etat en matière de prévention des risques naturels, il est en revanche impossible de rendre les collectivités locales responsables du mauvais exercice d'une compétence dont elles ne disposent pas !

Les élus auraient-ils, comme cela a parfois été dit 9 ( * ) , pratiqué une quelconque obstruction à l'exercice de sa mission de prévention par l'Etat ?

Un examen objectif des faits ne peut qu'amener une réponse négative à cette question.

En ce qui concerne les récentes inondations, soulignons que Mme la ministre chargée de l'environnement a publiquement reconnu que les services de l'Etat n'avaient pu faire état d'aucune réticence particulière de la part des élus des communes concernées quant à l'élaboration de plans de prévention des risques naturels.

Bien au contraire, si 2.000 communes seulement, sur les 10.000 répertoriées comme présentant des risques, à des degrés divers, sont actuellement couvertes par un plan de prévention, n'est-ce-pas plutôt par insuffisance des crédits que l'Etat consacre à cette tâche qu'en raison de la soi-disant mauvaise volonté des élus locaux ?

Certes, les crédits du budget de l'Etat relatifs à l'élaboration des plans de prévention ont été augmentés de 50 % en 1999 et leur montant devrait atteindre 75,5 millions de francs en 2000, contre 67,5 millions de francs en 1999. Pourtant, comme en convenait récemment Mme Dominique Voynet, en réponse 10 ( * ) à une question posée par M. Serge Mathieu, sénateur, l'accroissement de l'enveloppe financière en 1999 " ne suffit pas pour répondre positivement à toutes les demandes " .

Alors, à qui la faute ?

Un " brouillage " renforcé par le foisonnement des procédures contractuelles

La promotion des formules contractuelles pour rechercher une complémentarité des interventions des différents niveaux d'administration expose l'action des collectivités locales à une plus grande fragilité juridique que l'action unilatérale.

Si un dommage survient, la responsabilité de l'élu pourra être engagée quand bien même l'action de la collectivité n'aura constitué qu'un élément d'un écheveau complexe associant une pluralité d'acteurs.

Une très grande ambiguïté qui marque les missions des services déconcentrés de l'Etat

Ainsi que l'a rappelé à la mission d'information M. Jean-Bernard Auby, la fonction des services déconcentrés est désormais marquée par une très grande ambiguïté . Bien que la décentralisation ait fait évoluer leurs missions vers le contrôle et la régulation, ces services continuent à mener des actions dans un grand nombre de domaines et exercent une fonction de conseil souvent demandée par les collectivités de petite taille.

Or, les règles applicables en matière de responsabilité administrative dans le cas du concours d'un service de l'Etat à une collectivité locale sont clairement établies : la collaboration entre collectivités publiques ne conduisant pas à une substitution de responsabilité, la commune reste responsable des dommages causés à des tiers ( Conseil d'Etat, 2 octobre 1968, Ministère de l'Equipement et du Logement c/ Commune de la Chapelle-Vieille Forêt ). Dans le cas de la lutte contre les incendies la responsabilité éventuelle est supportée par la commune même si les moyens d'action relèvent d'autorités supra-communales ( Conseil d'Etat, 21 février 1964, Compagnie d'assurances " La Paternelle " et Ville de Wattrelos ).

b) Une répartition ambiguë des rôles entre les différents acteurs au sein même des collectivités locales

En théorie, la répartition des compétences entre le maire et le conseil municipal ressort assez clairement des dispositions du code général des collectivités territoriales.

En application de l'article L. 2121-29 " Le Conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune " . Cette compétence de droit commun permet au conseil municipal de prendre des décisions dans les domaines les plus divers. Le conseil municipal peut, en outre, charger le maire de prendre par délégation des décisions relevant de certaines matières ( article L. 2122-22 ). Les décisions prises par les maires sont alors soumises aux mêmes règles que celles applicables aux délibération du conseil municipal portant sur le même objet. Le maire doit rendre compte à chacune des réunions obligatoires du conseil, lequel peut toujours mettre fin à la délégation.

Le maire est, pour sa part, chargé d'exécuter les décisions du conseil municipal ( article L. 2122-21 ) sous le contrôle de ce dernier et sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département.

Il détient, par ailleurs, en matière de police , des pouvoirs propres qu'il exerce, au nom de la commune, à titre exclusif. Une décision prise par le conseil municipal en matière de police municipale est considérée comme illégale comme portant sur un objet étranger à ses attributions ( Conseil d'Etat, 24 juillet 1934, Souillac ).

A ce schéma théorique correspond une pratique moins cloisonnée . Certaines décisions locales peuvent, en effet, être prises soit pour des motifs de police, soit pour des motifs relevant de la compétence du conseil municipal. Le pouvoir de police du maire ne fait pas obstacle à l'exercice de ses compétences par le conseil municipal.

D'autres décisions soulignent l'imbrication étroite des pouvoirs de police du maire et des compétences du conseil municipal. Ainsi s'il revient au maire, en application de l' article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales de prévenir les pollutions de toute nature en vertu de son pouvoir de police, l'accomplissement de cette mission sera bien souvent subordonnée à la réalisation de certains travaux, lesquels supposeront l'intervention préalable du conseil municipal.

Sur un plan politico-administratif, une telle imbrication du rôle de l'exécutif et de celui de l'assemblée délibérante apparaît assez naturel et ne soulève pas de difficultés particulières. Il n'en va pas de même sur le plan pénal où le rôle de chacun des acteurs est examiné, sa responsabilité pouvant être engagée dès lors que par son action ou son omission il a pu, d'une manière ou d'une autre, concourir à la réalisation du dommage. Telle décision de justice reprochera à un maire de ne pas avoir exercé son pouvoir de police pour prévenir une pollution, sans prendre en considération que cet objectif impliquait des travaux importants dont la réalisation était subordonnée à des investissements lourds associant plusieurs collectivités et l'Etat. Telle autre reprochera au maire de ne pas avoir soumis au conseil municipal une délibération pour réaliser les travaux nécessaires, sans considération pour le coût que de tels travaux pourraient revêtir pour le budget communal.

La même ambiguïté est susceptible d'apparaître dans le régime des délégations que l'exécutif local peut consentir.

Conformément à l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales , " le maire est seul chargé de l'administration mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et, en l'absence ou en cas d'empêchement des adjoints, à des membres du conseils municipal. " L'arrêté du maire accordant une délégation est un acte réglementaire ( Conseil d'Etat, 29 juin 1990, de Marin ).

Or, la délégation n'a pas pour effet de priver le maire de ses pouvoirs. Le maire demeure libre d'exercer les attributions qu'il a déléguées. Il doit contrôler et surveiller la façon dont les adjoints ou conseillers remplissent les fonctions qui leur sont déléguées ( réponse du ministère de l'intérieur à une question écrite du 24 avril 1989, n° 12074, JO, AN, questions, 3 juillet 1989, p. 3029 ).

Ce régime de délégations conduit à s'interroger sur la possibilité de transposer aux exécutifs territoriaux la solution dégagée par la jurisprudence judiciaire en ce qui concerne les chefs d'entreprise.

La Cour de cassation admet, en effet, qu'un chef d'entreprise puisse s'exonérer de sa responsabilité pénale en établissant " qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller à l'observation des dispositions en vigueur " ( Chambre criminelle, 19 janvier 1988 ).

Implicitement, la Cour de cassation semble avoir admis la transposition de cette jurisprudence aux maires qui ont délégué certaines fonctions, en maintenant la condamnation d'un adjoint au maire du chef d'homicide involontaire commis dans l'exercice de ses fonctions, cependant que le maire n'avait pas été poursuivi ( Chambre criminelle, 26 septembre 1989).

Le schéma des délégations peut en outre être compliqué par la faculté pour le maire de consentir des délégations de signature au secrétaire général et au directeur des services techniques ( article L. 2122-19 du code général des collectivités territoriales). Ces délégations qui ne sont pas limitées à des objets déterminés peuvent intervenir en toutes matières. Or, il n'est pas certain que le juge judiciaire tire de ces délégations de signature (et non de fonctions) les mêmes conséquences qu'en présence d'une délégation de fonctions accordée à un élu.

Au total, cette combinaison de compétences et de délégations peut aboutir à une confusion des rôles -pas nécessairement choquante au plan du fonctionnement administratif- mais source d' insécurité juridique dès lors qu'une responsabilité pénale est recherchée.

3. La superposition des contrôles

Depuis plusieurs années déjà, le Sénat a fait valoir que les contrôles auxquels les collectivités locales sont soumises ne jouent pas leur rôle dans les meilleurs conditions. Garants du respect de l'Etat de droit et contrepartie naturelle des importantes responsabilités exercées par les collectivités locales, ils devraient assurer à ces dernières une vision claire des limites juridiques dans lesquelles leur action s'insère. Tel n'est malheureusement pas le cas.

a) Les insuffisances du contrôle de légalité

L' article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales confie au représentant de l'Etat la responsabilité de déférer au tribunal administratif les actes qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission.

Cette compétence préfectorale constitue une conséquence logique de la réforme de 1982 qui, supprimant la tutelle administrative des collectivités locales, a remplacé le contrôle a priori pouvant s'appuyer le cas échéant sur des motifs d'opportunité par un contrôle a posteriori fondé exclusivement sur le respect de la légalité et qui a transféré au seul juge administratif le pouvoir de censurer des actes méconnaissant le droit en vigueur.

Par un arrêt du 25 janvier 1991 Brasseur , le Conseil d'Etat a admis que la décision du préfet de ne pas déférer au tribunal administratif un acte litigieux avait un caractère discrétionnaire. De cette façon, la Haute juridiction a retiré au contrôle de légalité tout caractère automatique.

Les statistiques mettent en évidence que les préfets ont pleinement utilisé la faculté qui leur a été reconnue.

En 1997, 6 145 000 actes ont été transmis aux autorités chargées du contrôle de légalité. Celles-ci ont adressé 178 748 observations aux auteurs des actes alors que le nombre de déférés devant le tribunal administratif s'est limité à 1 623 , chiffre réduit à 1 117 après les désistements préfectoraux faisant suite à la réformation ou au retrait de l'acte entaché d'illégalité.

Depuis 1986, le nombre d'actes transmis a augmenté de 58,2%, le nombre d'observations de 93,6 % et le nombre de recours déposés de 7,8%. 948 jugements ont été notifiés par les juridictions administratives en 1997, dont plus de la moitié sur des recours déposés dans les années antérieures. 643 jugements ont annulé tout ou partie de la décision attaquée. Les préfets ont interjeté appel de 64 jugements.

Si la concertation préalable entre le représentant de l'Etat et l'autorité territoriale permet, dans bien des cas, de remédier aux illégalités décelées, force est de constater que le contrôle de légalité n'apporte pas aux actes des collectivités locales la sécurité juridique nécessaire. 55 % des élus locaux interrogés dans le cadre des Etats généraux adressent ce reproche au contrôle de légalité.

Comme l'a souligné devant la mission d'information M. Hubert Blanc, conseiller d'Etat, il apparaît tout à la fois lacunaire et tatillon n'assurant pas une égalité de traitement sur l'ensemble du territoire.

Or, les élus locaux peuvent à bon droit considérer que dès lors qu'un acte n'a pas suscité d'observations de la part du contrôle de légalité, sa valeur juridique ne pourrait être mise en cause ultérieurement. Tel n'est pas le cas.

La responsabilité de la collectivité territoriale, voire la responsabilité personnelle des élus, pourra être mise en cause pour ce même acte.

Notons néanmoins qu'une évolution jurisprudentielle récente tend à reconnaître la responsabilité de l'Etat en cas d'abstention prolongée du préfet à déférer au tribunal administratif des actes aux illégalités facilement décelables ( Cour administrative d'appel de Marseille, ministre de l'Intérieur c/ commune de Saint-Florent et autres, 21 janvier 1999 ).

b) L'absence d'articulation entre les différents contrôles

Déjà soulevée par le Sénat à travers différents groupes de travail de ses commissions permanentes, en dernier lieu par le groupe de travail sur les chambres régionales des comptes, les contradictions entre les appréciations sur un même acte portées par les différents niveaux de contrôle constituent une source majeure d'insécurité juridique pour les collectivités locales.

Comme le soulignait notre collègue Daniel Hoeffel, rapporteur au nom du groupe de travail sur la décentralisation, on aboutit ainsi à une sorte de confusion dans la définition et la mise en oeuvre du champ des contrôles juridictionnels exercés respectivement par le juge administratif, le juge répressif et le juge financier.

Selon la procédure à laquelle il sera confronté, l'élu local pourra se voir reprocher l'illégalité d'un acte, sans pouvoir opposer l'appréciation contraire faite pour le même acte par une autre instance.

Une telle situation heurte les principes mêmes de l'Etat de droit qui, fondé sur le principe de sûreté individuelle, doit assurer à chacun la prévisibilité de la sanction de tel ou tel comportement.

*
* *

Inquiétante dans les conséquences qu'elle entraîne pour le fonctionnement de la démocratie locale, la dégradation des conditions d'exercice des mandats locaux sous l'effet d'une insécurité juridique croissante se produit dans un contexte marqué par la montée en puissance du risque pénal.

B. LA MONTÉE EN PUISSANCE DU RISQUE PÉNAL

1. Une mise en cause trop fréquente de la responsabilité personnelle des élus locaux pour des faits inhérents à la gestion locale

a) Un constat inquiétant

Déjà établi par le Sénat en 1995 (cf. rapport n° 328 de M. Pierre Fauchon au nom du groupe de travail de la commission des Lois " Démocratie locale et responsabilité "), le constat d'une mise en cause plus fréquente des élus locaux devant le juge pénal pour des faits d'imprudence ou de négligence doit malheureusement être confirmé .

Quelques exemples récents cités par certains de nos collègues dans le cadre de la discussion de la question orale avec débat de M. Hubert Haenel, le 28 avril 1999, mettent en lumière que la responsabilité personnelle des décideurs locaux peut désormais être recherchée pour toute sorte d'incidents susceptibles de se produire sur le territoire communal.

1 er exemple : Un maire est condamné à deux mois de prison avec sursis, après la mort d'un adolescent dans une cascade pendant un stage de formation. Le tribunal a estimé que le maire, qui avait confié le soin de mettre un panneau au centre de formation, aurait dû vérifier qu'il était bien en place.

2 ème exemple : Un crime se produit dans la rue d'une ville, le maire est accusé de ne pas avoir pris les mesures suffisantes pour assurer la sécurité des personnes.

3 ème exemple : Un maire est traduit devant le tribunal correctionnel par une association de pêcheurs pour avoir utilisé une pelle mécanique afin de protéger la station d'épuration de sa commune lors de fortes crues, sans avoir prévenu au préalable l'administration compétente ; il a en outre compromis ainsi la reproduction des poissons.

Certes, la lecture des données statistiques pourrait laisser croire que ce phénomène n'a pas l'ampleur qu'on lui prête. Une statistique de la Chancellerie portant sur 27 cours d'appel avait mis en évidence qu'entre 1990 et 1995, 36 élus locaux avaient été mis en cause pour des faits d'imprudence involontaires. Selon les indications données par Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, garde des Sceaux, le 28 avril dernier devant le Sénat, une enquête effectuée auprès de 33 parquets généraux a révélé que, depuis le 1 er juin 1995, 54 élus ont été mis en examen pour délit involontaire, 48 décisions sur le fond étant rendues dont 21 décisions de relaxe ou de non-lieu et 27 condamnations.

Les statistiques les plus récentes établies par le ministère de la Justice et reprises dans le rapport du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, sont reproduites dans le tableau ci-dessous.

Mise en cause d'élus locaux pour des infractions non-intentionnelles

Décisions au fond prononcées de mai 1995 à avril 1999

48

dont

condamnations

dont ( certaines condamnations cumulent plusieurs infractions ) :

- homicides involontaires 10

- blessures involontaires 2

- infractions au droit de l'environnement 5

Classement sans suite

Non-lieu ou relaxe

Sens de la décision non précisé

Mis en examen au 1 er avril 1999

14

5

19

10

54

L'observatoire des risques juridiques des collectivités territoriales a pour sa part recensé 850 élus et fonctionnaires territoriaux mis en examen en 1999 (contre 300 en 1996). 50 % des élus concernés avaient été mis en examen pour diffamation, 16 % pour atteinte à l'environnement, 13 % en matière de marchés publics et 10 % dans le cadre des pouvoirs de police. Les procédures liées à des fautes intentionnelles telles que la corruption ou les malversations n'avaient qu'une place marginale ( 1,5 % pour la corruption ; 1,5 % pour délit de faux en écriture).

b) Une menace pour la démocratie locale

Aussi utile soit-elle, l'approche statistique -qu'il serait souhaitable de perfectionner- ne saurait suffire à rendre compte de l'impact de la mise en cause pénale des élus locaux sur le fonctionnement de la démocratie locale. En premier lieu, sur le plan personnel et humain, le fait de pouvoir être poursuivi devant le tribunal correctionnel pour des faits non intentionnels qui peuvent mettre en cause tel ou tel aspect de l'administration communale est légitimement perçu comme infamant par des élus qui consacrent une grande partie de leur temps bénévolement au service de la collectivité.

En deuxième lieu, la médiatisation croissante de la société donne à ces affaires une portée tout à fait disproportionnée. Dès sa mise en examen, l'élu est désigné comme coupable aux yeux de l'opinion publique avant même qu'il ait pu présenter le moindre argument pour sa défense.

Enfin, ces mises en cause conduisent à créer un climat tout à fait néfaste pour le fonctionnement de la démocratie locale.

La montée en puissance du risque pénal pourrait, en effet, inciter les élus locaux à privilégier la question du " risque pénal zéro " sur l'initiative qui fait pourtant la richesse de notre démocratie locale. Ainsi, tel élu préférera fermer une aire de jeu pour prévenir tout risque pénal, la mise aux normes représentant un investissement dépassant largement les moyens financiers de la commune. Tel autre préférera supprimer une fête pourtant traditionnelle afin d'éviter que des incidents éventuels ne l'exposent pénalement. A l'inverse, le souci de se couvrir pourra conduire l'élu à privilégier des mesures de sécurité pourtant superflues dans le seul but de prévenir le risque pénal. Paradoxalement, l'excès de judiciarisation aboutit ainsi à la déresponsabilisation.

Alors même que les évolutions économiques et sociales placent en permanence les élus locaux en situation de prendre des initiatives dans les domaines les plus divers pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens, une telle paralysie de la gestion locale par le risque pénal serait lourde de conséquences.

Elle ne pourrait en outre qu'aboutir à un tarissement des vocations . Comment en effet inciter nos concitoyens, notamment les plus jeunes, à s'engager dans l'exercice de responsabilités locales s'ils n'ont pas la garantie que leur vocation au service public ne les conduira pas au prétoire pour le moindre incident survenu dans leur commune. Si, comme l'a très justement souligné devant la mission d'information M. Daniel Hoeffel au nom de l'Association des Maires de France, il convient de demeurer prudent sur les motifs pouvant inciter un maire à ne pas solliciter le renouvellement de son mandat, force est néanmoins de constater qu'un tiers d'entre eux ont fait un tel choix lors du dernier renouvellement municipal.

Une telle évolution -si elle devait se poursuivre- exposerait la démocratie locale au risque d'une professionnalisation des mandats , remettant en cause le principe de gratuité constamment affirmé depuis la grande loi municipale du 5 avril 1884 . Les exigences croissantes pesant sur les élus locaux conduiraient à réserver l'exercice du mandat à des techniciens . C'est alors le principe même de la démocratie locale qui veut que tout citoyen puisse briguer un mandat local qui serait remis en cause.

2. Des facteurs bien identifiés de renforcement du risque pénal

a) La suppression des régimes de " garanties "

Les maires ont pendant longtemps bénéficié du régime dit de " garantie des fonctionnaires ". L'article 13 des lois des 16 et 24 août 1790 interdisait, en effet, de manière très claire au juge de mettre en cause la responsabilité des administrateurs à raison de leurs fonctions en disposant que " les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ". Le décret du 16 fructidor an III fit, pour sa part, " défenses itératives (...) aux tribunaux de connaître des actes d'administration, de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit. " Si la Constitution du 22 primaire an VII admit par la suite que les agents du Gouvernement autres que les ministres, en particulier les maires qui étaient pour partie des " agents du Gouvernement ", puissent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions, elle subordonnait néanmoins les poursuites à une autorisation donnée par le Conseil d'Etat , habilitant les tribunaux ordinaires à connaître de l'affaire. Le Conseil d'Etat ne donnait cette autorisation que si les poursuites étaient fondées sur un fait personnel de l'agent mais la refusait lorsque l'infraction paraissait liée au service.

Le système de " garantie des fonctionnaires " fut abrogé par un décret du 19 septembre 1870 qui autorisa, en conséquence, la " liberté des poursuites " contre les agents publics, notamment les maires.

Dans ce nouveau contexte, les tribunaux opérèrent une distinction, pour ce qui est de la responsabilité civile , entre la faute de service et la faute personnelle. En ce qui concerne la responsabilité pénale , l'agent public n'était condamné que pour autant que les faits incriminés pouvaient lui être reprochés en tant qu'homme et non en sa seule qualité d'agent public agissant pour le compte du service : une faute personnelle était donc exigée pour que sa responsabilité pénale fût mise en cause. A cet effet, l'élément intentionnel -qui caractérise l'aspect moral de la faute pénale- revêtait une importance particulière. Cette distinction entre le fait personnel et le fait des services était opérée par les particuliers eux-mêmes qui ne recherchaient la responsabilité pénale de l'agent public que dans le premier cas.

Cette identité entre le schéma général de la responsabilité pénale des agents publics et celui de la responsabilité civile qui repose sur la distinction entre la faute personnelle et la faute de service fut remise en cause par une jurisprudence du tribunal des conflits. Par un arrêt du 14 janvier 1935 Thépaz , celui-ci a admis que l'infraction pénale commise par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions n'était pas nécessairement constitutive d'une faute personnelle et pouvait être considérée comme une faute de service engageant la seule responsabilité civile de l'administration. Il s'agissait de faciliter la réparation civile du préjudice subi par la victime dès lors que cette réparation pouvait être obtenue plus fréquemment auprès de l'administration et non de son agent à l'origine du dommage. Confirmée peu de temps après par la chambre criminelle de la Cour de cassation ( arrêt du 3 avril 1942 Leroutier ), cette nouvelle jurisprudence, en distinguant nettement responsabilité civile et responsabilité pénale, a remis en cause l' unité de raisonnement appliquée par les tribunaux et autorisé un découplage entre les deux responsabilités. En conséquence, une faute n'ayant aucun caractère intentionnel traduisant un mauvais fonctionnement du service public qui, au plan civil, engage la responsabilité de la seule collectivité publique, peut entraîner une condamnation pénale de l'agent public.

Par la suite, la loi n° 74-646 du 18 juillet 1974 , étendant des dispositions déjà applicables aux magistrats, fit bénéficier les maires et certains fonctionnaires publics de garanties de procédure . Lorsque ces agents publics étaient mis en cause pour des crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, l'affaire était obligatoirement renvoyée par le procureur de la République devant la chambre criminelle de la Cour de cassation afin que celle-ci désigne la chambre d'accusation chargée de l'instruction. Il revenait au procureur général près la cour d'appel désignée, s'il estimait qu'il y avait lieu à poursuivre, de requérir l'ouverture d'une information, laquelle pouvait également être ouverte à la demande de la partie lésée. Ces dispositions -codifiées aux articles 681 et 687 du code de procédure pénale- permettaient également un déplacement du lieu d'exercice territorial de la poursuite, évitant ainsi à l'élu d'être poursuivi dans la circonscription même où il était territorialement compétent.

Ce régime des garanties de procédure -qui, en toute hypothèse, ne réglait pas le problème de fond de la responsabilité pénale des élus locaux- fut abrogé par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993.

b) Le contexte issu de la réforme du code pénal

La réforme du code pénal a introduit dans notre droit plusieurs innovations qui ont pu avoir un effet sur le régime de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits involontaires. Si certaines d'entre elles ont paru marquer une aggravation de ce régime (institution d'une responsabilité pénale des personnes morales, création d'un délit de mise en danger délibérée d'autrui), d'autres en revanche ont marqué un meilleur discernement (suppression des délits matériels, consécration de l'erreur de droit).

La responsabilité pénale des personnes morales (à l'exclusion de l'Etat) a constitué, à l'évidence, une innovation majeure.

Consacrant la responsabilité pénale des collectivités locales, l' article 121-2 du code pénal la soumet néanmoins à des conditions précises.

Cette responsabilité est, en premier lieu, subordonnée à la réunion des conditions communes à toutes les personnes morales. Il doit tout d'abord exister un texte (loi ou règlement) prévoyant une telle responsabilité. Tel est le cas en particulier de l'homicide involontaire ( article 221-7 du code général ), des blessures involontaires ( article 222-21 ) de la mise en danger d'autrui ( article 223-2 ), des destructions ou dégradations ( article 322-17 ) ou encore des infractions relatives au service extérieur des pompes funèbres ( article L.2223-36 du code général des collectivités territoriales). En outre, l'infraction doit avoir été commise par les organes ou représentants de la personne morale, soit -dans le cas des collectivités locales- l'assemblée délibérante et les responsables de l'exécutif. Enfin, l'infraction doit avoir été commise pour le compte de la personne morale.

A ces trois conditions communes à toutes les personnes morales, s'ajoute une condition supplémentaire propre aux collectivités locales.

L' article 121-2 du code pénal limite, en effet, leur responsabilité pénale " aux infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public ". En conséquence, l'exercice des prérogatives de puissance publique (police administrative, état civil ...) ne saurait engager la responsabilité pénale des collectivités locales. A l'inverse, cette responsabilité pourrait être recherchée à raison d'infractions commises dans le cadre de l'exploitation de régies de services susceptibles d'être délégués, tels que la distribution de l'eau ou le ramassage des ordures ménagères.

Cette restriction marque bien l'objectif poursuivi par le législateur : c'est parce que les activités en cause pouvaient donner lieu à la mise en cause pénale des entreprises délégataires en cas d'infraction que le législateur a jugé nécessaire de prévoir la responsabilité pénale de la collectivité locale dans le cas où les mêmes activités seraient directement exploitées sous la forme d'une régie. Le champ de cette responsabilité a ainsi été clairement circonscrit.

Les peines susceptibles d'être prononcées à l'encontre d'une collectivité locale sont énoncées par les articles 131-37 et suivants du code pénal. L'amende est toujours encourue : elle peut aller jusqu'au quintuple du taux maximum prévu pour les personnes physiques. Force est néanmoins de constater que certaines de ces peines (l'interdiction d'exercer certaines activités professionnelles par exemple) sont inadaptées aux spécificités des collectivités locales. En outre, l'amende elle-même est en définitive supportée par le contribuable local à travers la fiscalité qu'il acquitte.

Comme le précise expressément le troisième alinéa de l' article 121-2 , la responsabilité pénale de la collectivité locale n'est pas exclusive de celle des élus locaux. Sur le plan pratique, elle paraît être néanmoins de nature à atténuer cette dernière, dès lors que les faits reprochés relèveraient plus d'une carence de la gestion communale que d'une faute directement imputable à une seule personne physique.

La réforme du code pénal a, par ailleurs, introduit une double innovation dans la définition des délits.

L' article 121-3 du code pénal affirme, en effet, qu' " il n'a a point de délit sans intention de le commettre ", n'autorisant une dérogation à cette règle que dans les cas d' imprudence , de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.

Il en est résulté la suppression des délits dits " matériels " , délits qui sous l'empire de l'ancien code pénal, étaient constitués en l'absence de toute intention de les commettre mais aussi de toute imprudence ou négligence : la simple réalisation matérielle des faits incriminés suffisait à caractériser l'infraction. L' article 339 de la loi du 16 décembre 1992, dite " loi d'adaptation ", a précisé que " tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l'entrée en vigueur de la présente loi (soit au 1 er mars 1994) demeurent constitués en cas d'imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément ". Ainsi la constitution du délit de pollution des rivières, délit matériel sanctionné par l' article 232-2 du code rural est désormais subordonnée à la preuve d'une imprudence ou d'une négligence commise par le prévenu.

La mise en danger délibérée d'autrui , nouvelle faute pénale, constitue une autre innovation de la réforme. Cette nouvelle faute pénale a eu avant tout pour objet de mieux réprimer les comportements les plus dangereux dans le domaine de la circulation routière. Elle n'en est pas moins susceptible de s'appliquer aux élus locaux. Supposant un comportement " délibéré ", c'est-à-dire l'acceptation de faire courir un risque à autrui en toute connaissance de cause, elle se distingue de la simple faute par imprudence ou négligence.

En vertu du code pénal, cette faute peut être soit une condition permettant de constater la réalisation de l'infraction (tel est notamment le cas pour l'ensemble des anciens délits matériels en vertu de l' article 339 de la loi du 16 décembre 1992 précitée), soit une circonstance aggravante (en application de l' article 221-6 , l'homicide involontaire est ainsi sanctionné de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende " en cas de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement " au lieu de trois ans et 300 000 F d'amende en cas de simple imprudence ou négligence), soit un délit en elle-même, indépendamment de tout dommage ( article 223-1 du code pénal).

Enfin, le nouveau code pénal, sur la proposition de notre regretté collègue Marcel Rudloff, rapporteur de la commission des Lois, a consacré l' erreur de droit ( article 122-3 ) qui permet d'exonérer de sa responsabilité pénale la personne qui justifie avoir cru, en raison de cette erreur qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte incriminé.

c) La perte de spécificité de la sanction pénale

Dans sa philosophie même, la sanction pénale a pour objet de réformer des comportements moralement condamnables. Or les évolutions récentes ont concouru à priver la sanction pénale de ce qui devrait pourtant demeurer sa spécificité.

En premier lieu, le législateur a eu tendance à multiplier le nombre des infractions pénales.

Ce faisant, il a vu dans la sanction pénale le moyen le plus efficace d'assurer le respect des prescriptions qu'il édicte. Le domaine de l'environnement offre une bonne illustration de cette pratique : les lois du 3 janvier 1992 relative à l'élimination des déchets et du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement ont créé de nouvelles infractions susceptibles d'entraîner la condamnation d'élus locaux et d'agents publics pour des faits involontaires. Telle fut la situation des maires de trois communes d'Ille-et-Vilaine condamnés à des peines d'amendes pour les dommages causés par la pollution des eaux, pollution due au mauvais fonctionnement des stations locales d'épuration ( Cour d'appel de Rennes, 8 décembre 1994 ).

• En outre, comme l'avait relevé le Conseil d'Etat dans son étude sur " la responsabilité pénale des agents publics en cas d'infractions non intentionnelles ", de nombreuses poursuites reposent sur une méconnaissance d'une règle de droit public qui engage la responsabilité d'agents ayant pris une décision, s'étant abstenu d'en prendre ou encore ayant méconnu une obligation de sécurité . L'infraction à l'origine du dommage est alors souvent constituée par la seule existence objective d'un manquement à une prescription légale ou réglementaire.

Plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information ont fait observer que l'attitude des victimes constitue un autre facteur non négligeable de la pénalisation de la vie locale.

Le procès pénal est, en effet, de plus en plus mis en mouvement pour obtenir la réparation d'un dommage qui aurait pu être obtenue par d'autres voies.

Me Régis de Castelnau, président de l'Association française des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales, a ainsi estimé devant la mission d'information que 70 % des affaires mettant en cause des élus avaient pour origine une constitution de partie civile par un particulier ou une association.

La victime peut, en effet, s'associer, par voie d'intervention, à la mise en mouvement de l'action publique par le parquet. Elle peut surtout mettre d'elle-même en mouvement l'action publique, palliant ainsi l'éventuelle abstention du parquet, par voie d'action, soit en citant directement l'auteur présumé de l'infraction devant le juge pénal, soit en se constituant partie civile devant le juge d'instruction.

Souvent, elle recherche dans la sanction pénale de l'auteur présumé de l'infraction une réparation plus complète de son préjudice que celle résultant de l'indemnisation des dommages corporel, matériel et moral qu'elle a pu subir.

Si l'évolution du droit de la responsabilité administrative s'est traduite par une protection renforcée des victimes, notamment à travers l'extension de la faute de service par rapport à la faute personnelle, le développement des cas de responsabilité sans faute ou la suppression de l'exigence de la faute lourde, cette évolution n'a pu satisfaire la demande croissante d'une individualisation de la responsabilité. L'élargissement de la responsabilité administrative pèse en effet sur la collectivité publique et non sur ses agents.

La recherche de la responsabilité pénale de l'agent public est ainsi privilégiée par la victime par rapport à l'assurance d'être indemnisée par la collectivité publique.

Paradoxalement, l'effet même de la jurisprudence Thépaz précitée qui, en distinguant le problème de la faute pénale de celui de la faute civile, permettait à la victime d'être indemnisée civilement par la collectivité publique quand bien même la responsabilité pénale de l'agent aurait été engagée, perd de son intérêt aux yeux des victimes, davantage soucieuses de la sanction pénale que de la réparation du dommage subi.

Encore faut-il souligner que les délais excessifs de jugement devant la juridiction administrative ne permettent pas un règlement suffisamment rapide de la réparation matérielle du dommage de nature à enlever de son intérêt à une procédure pénale.

S'ajoutent à ce facteur le moindre coût de la procédure pénale, souligné par plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information, ainsi que certains avantages de la procédure pénale, notamment quant aux pouvoirs du magistrat instructeur.

Dans ce mouvement de pénalisation, le rôle des associations ne doit pas être sous-estimé ainsi qu'ont tenu à le souligner plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information.

Dans les années récentes, le législateur a favorisé le rôle des associations dans les procédures juridictionnelles, aboutissant à multiplier les " porteurs privés de l'intérêt public ". En l'absence d'une sanction effective des recours abusifs, cette évolution conduit -selon l'expression retenue devant la mission d'information par M. Gérard Christol, président de la Conférence des Bâtonniers- à une certaine " atomisation de la République ", chacun s'octroyant le droit de perturber, au nom d'un intérêt réputé collectif, le fonctionnement régulier de l'action publique.

II. LES ORIENTATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION : UN ENVIRONNEMENT JURIDIQUE RÉNOVÉ ET UNE CONCILIATION NÉCESSAIRE ENTRE LES EXIGENCES DU MANDAT LOCAL ET LA PÉNALISATION ACCRUE DE LA SOCIÉTÉ

A. RÉNOVER L'ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DES COLLECTIVITÉS LOCALES : DES RÈGLES DU JEU CLAIRES POUR DES ÉLUS RESPONSABLES

1. Pour une clarification normative

a) La codification et la simplification des textes

Les missions confiées aux élus locaux dans l'application des textes législatifs et réglementaires rendent d'autant plus nécessaires qu'ils puissent disposer de textes facilement accessibles et clairs dans leur formulation.

La codification permet de répondre à la première de ces exigences en rassemblant des textes épars dans un seul et même document après les avoir classés et hiérarchisés.

La parution, en 1996, de la partie législative du code général des collectivités territoriales a de ce point de vue constitué un progrès incontestable. Cet effort de codification des textes applicables aux collectivités locales, doit être poursuivi et approfondi . D'une part, la publication de la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales doit constituer une priorité. Pour les élus locaux, qui doivent pouvoir disposer d'un texte d'ensemble, la codification des textes réglementaires est, en effet, aussi importante que celle du corpus législatif.

En outre, le code général des collectivités territoriales étant un code institutionnel, il ne prétend pas rassembler l'ensemble des dispositions applicables aux collectivités locales. Dans ces conditions, la parution des codes " sectoriels " intéressant les compétences (élaboration d'un code de l'éducation, refonte du code de l'urbanisme, par exemple) doit contribuer à faciliter l'accès des élus locaux au droit.

Enfin, à la suite du groupe de travail sur la responsabilité pénale des élus locaux, la mission d'information doit souligner l'intérêt de la codification en matière pénale , afin de remédier à la dispersion excessive des incriminations. Le législateur s'est d'ailleurs engagé dans cette voie en prévoyant de consacrer un livre V du code pénal au droit pénal spécial. Ce livre pourrait utilement rassembler des dispositions éparses, notamment celles relatives à l'environnement.

Au-delà de la codification, c'est la clarification et la simplification du droit applicable aux collectivités locales qui doivent être poursuivies.

Ce n'est que sous cette condition que pourrait être satisfait l'objectif d' accessibilité et d' intelligibilité de la loi qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle ( Conseil constitutionnel, décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 ).

La clarification doit non seulement concerner certains domaines d'intervention, en particulier les interventions économiques, pour lesquelles le droit applicable apparaît en décalage avec la réalité et avec les exigences communautaires mais aussi les nouveaux champs d'intervention des collectivités locales (télécommunications,...) pour lesquels l'absence de règles claires soumet les initiatives locales à une très grande insécurité juridique.

La simplification des textes constitue une autre exigence que le travail préalable de codification à droit constant doit permettre de réaliser dans de meilleurs conditions.

En cherchant à unifier dans un " tronc commun ", comme l'avait suggéré le groupe de travail de la commission des Lois sur la décentralisation, certaines règles applicables aux structures intercommunales, la loi du 12 juillet1999 témoigne de cet effort de simplification.

Pour autant, force est de constater à la lecture de ces dispositions que l'objectif n'est encore qu' imparfaitement atteint . La matière financière et fiscale est en particulier marquée par une complexité excessive qui risque, contrairement aux principes démocratiques, de dessaisir l'élu au profit du technicien.

b) Une nouvelle approche des normes techniques

La suppression de la tutelle technique a constitué l'un des grands acquis des lois de décentralisation.

Seules peuvent être opposées aux collectivités locales les prescriptions et procédures techniques prévues par une loi ou un décret d'application. En outre, l'attribution d'un prêt, d'une subvention ou d'une aide par l'Etat ne peut être subordonnée au respect de prescriptions ou de conditions qui ne répondent pas à ces règles ( article L. 111-5 du code général des collectivités territoriales). Le législateur de 1982 a en outre prévu que les prescriptions et procédures techniques seraient réunies dans un code des prescriptions et procédures techniques particulières aux collectivités locales ( articles L. 1111-6 ).

Or, ce travail de codification n'a pas été réalisé et la multiplication des normes techniques susceptibles de s'appliquer à la vie locale constitue une préoccupation majeure pour les élus locaux : les normes techniques sont non seulement à l'origine de contentieux mettant en cause la collectivité voire l'exécutif local personnellement mais elle ont, en outre, des conséquences importantes sur le niveau et l'orientation de l'investissement public.

Deux types de normes doivent être distingués : les normes issues de textes législatifs ou réglementaires, d'une part, les normes professionnelles, issues d'une démarche volontaire et établies par l'Association française de normalisation (AFNOR), d'autre part. A ces deux grandes catégories doivent être ajoutées les normes établies par les fédérations sportives, qui jouent un rôle important dans l'homologation des terrains de sports.

Une autre distinction paraît devoir être faite entre les normes de sécurité stricto sensu dont la prise en compte paraît indispensable, le cas échéant de manière échelonnée pour en étaler le coût, et celles qui reflètent le dernier état des connaissances mais dont l'intégration dans les équipements apparaît moins urgente.

Selon les indications données devant la mission d'information par M. Alain Larangé, inspecteur général de l'administration, coauteur, à la demande du ministre de l'intérieur, d'un rapport sur les conséquences des normes techniques sur les collectivités locales, le stock de normes établies par l'AFNOR -qui toutes ne concernent pas les collectivités locales- s'élève à 20 000 et s'enrichit de 1 800 normes nouvelles chaque année. 85 % des nouvelles normes de l'AFNOR ont une origine européenne ou internationale.

Si les normes les plus coûteuses pour les collectivités locales semblent d'origine législative ou réglementaire, notamment en matière d'environnement ou de sécurité, il n'existe néanmoins pas d'étude globale permettant d'évaluer précisément les conséquences financières des normes. Les chiffrages disponibles sont, selon le rapport de l'Inspection générale de l'administration, soit sous-évalués, car ils ne prennent pas en compte le coût de l'entretien des équipements, soit surévalués car ils retiennent le coût global des équipements et pas seulement le surcoût lié aux normes.

Une étude réalisée par la Fédération des maires de villes moyennes (FMVF) a évalué entre 130 et 140 milliards de francs le surcoût de la mise aux normes pour l'ensemble des communes. Les dépenses d'environnement sont prépondérantes dans les investissements restant à financer (90 à 100 milliards de francs).

Or face à ce surcoût considérable, les collectivités locales ne bénéficient pas d'évaluations préalables suffisamment précises et doivent, en outre, subir dans certains cas des modifications unilatérales de la part de l'Etat des modalités de financement, comme l'illustre la politique des déchets.

LA POLITIQUE DES DÉCHETS : LES ÉLUS DEVANT LE FAIT ACCOMPLI

Chargées par la loi du service d'élimination des déchets ménagers, les collectivités locales supportent les dépenses correspondantes.

Une facture alourdie à la charge des collectivités locales...

La loi du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets , qui a transposé la directive communautaire du 18 mars 1991 sur le sujet, est venue renforcer la réglementation en matière de traitement et de valorisation. Outre la mise en place d'une planification, autour de plans départementaux d'élimination des déchets , la loi a fixé de nouvelles exigences en matière de traitement et de valorisation des déchets, interdisant, à compter du 1 er juillet 2002, la mise en décharge , sauf pour les déchets " ultimes " 11 ( * )

L'investissement mis à la charge des collectivités locales était estimé, au moment de l'adoption de la loi, à 22 milliards de francs en 10 ans . Mais depuis, l'accroissement des exigences environnementales, s'agissant notamment de la réduction des émissions polluantes des installations d'incinération des déchets, a sensiblement renchéri la facture : tenir l'objectif de 2002 demanderait aux collectivités d'investir 60 milliards de francs 12 ( * ) en 10 ans ! 16 milliards de francs ayant déjà été engagés, l'effort à accomplir reste considérable.

Des difficultés spécifiques liées à la ruralité qui ne sont pas prises en compte...

Le coût de la collecte et du traitement des déchets ménagers est globalement passé de 170 francs par habitant en 1990 à 300 francs en 1997 , sous l'effet de l'augmentation de la quantité de déchets produite mais également du durcissement de la réglementation environnementale. On estime ainsi qu'une mise en décharge " hors norme " coûte de 50 à 70 francs par tonne, alors qu'une mise en décharge " aux normes " revient à 250 ou 300 francs par tonne.

Les collectivités locales situées en milieu rural sont confrontées à des difficultés particulières au regard de l'obligation fixée par la loi de 1992, du fait notamment de coûts plus importants liés à la faible densité de population, ou de la nécessité de mettre en place des installations de niveau supracommunal compte tenu de l'investissement requis pour certaines installations. De plus, cette activité est souvent exercée en régie en milieu rural, ce qui prive les collectivités du bénéfice du taux réduit de TVA sur les prestations de collecte, de tri et de traitement des déchets. 13 ( * )

Une baisse du soutien de l'Etat décidée en 1999 : les élus devant le fait accompli.

Devant l'afflux des dossiers de la part des collectivités locales, le dispositif d'aide de l'Etat, via l'ADEME, pour le financement de la politique de gestion des déchets ménagers a brutalement été revu 14 ( * ) à la baisse . En moyenne, et alors que l'essentiel de l'effort reste à accomplir, les taux de subvention sont réduits de 38 %, ce qui aura un impact très négatif sur la dynamique de traitement et de valorisation des déchets. Les mesures favorables prises en 1999 (baisse de la TVA et augmentation des barèmes de soutien d'EcoEmballages) ne compenseront pas l'effet négatif de ce changement des règles du jeu.

Les collectivités qui ont souhaité respecter le butoir de 2002 et ont planifié de lourds investissements se trouvent fragilisées par la baisse du soutien de l'Etat.

D'après un sondage récent, 73% des maires pensent que l'objectif de suppression des décharges en 2002 ne sera pas réalisé.

Les études d'impact obligatoirement jointes aux projets de loi et aux décrets en Conseil d'Etat devraient donc s'appuyer sur une méthodologie rigoureuse permettant d'évaluer a priori l'impact financier d'une nouvelle règle.

La procédure d'étude d'impact devrait concerner l'évaluation des normes émises au niveau communautaire.

Le processus de production des normes est en outre dominé par une logique technicienne , fortement sectorisée, dans lequel les intérêts des collectivités locales ne sont pas représentés. Paradoxalement, le payeur final est absent de l'élaboration des règles qui sont à l'origine des coûts.

La mission d'information juge nécessaire une plus grande association des collectivités locales au processus d'élaboration des normes techniques.

Si pour l'élaboration des normes techniques édictées par la voie législative ou réglementaire, des organes de concertation existent dans certains secteur sensibles -tels que le comité national de l'eau et le conseil national du bruit- une concertation plus systématique devrait être mise en oeuvre dans les autres domaines intéressant les compétences locales.

Comme l'a suggéré M. Alain Larangé, les collectivités locales pourraient en outre être associées aux comités d'orientation stratégique de l'AFNOR ainsi qu'aux groupes de travail organisés par l'AFNOR, parallèlement à ceux du comité européen de normalisation. Des représentants des élus locaux pourraient également siéger au comité d'orientation et de programmation de l'AFNOR, en constituant un pré-comité d'orientation stratégique transversal propre aux collectivités locales et en instituant un système de "veille" entre l'AFNOR et les associations d'élus.

Devant votre mission d'information, notre collègue Philippe Adnot, rapporteur du groupe de travail constitué au sein du comité des finances locales, a évoqué également la possibilité d'une plus grande association des collectivités locales aux travaux de la commission centrale des marchés ainsi que l'examen par la commission nationale du sport de haut niveau des modifications apportées aux normes en vigueur par les fédérations sportives.

Une meilleure maîtrise des normes techniques opposables aux collectivités locales pourrait par ailleurs passer par une plus grande participation de ces dernières aux travaux d'élaboration des cahiers des clauses techniques générales applicables dans les marchés publics, étant rappelé que les collectivités ont toujours la faculté de déroger aux normes non obligatoires dans le cadre des cahiers des clauses techniques particulières.

L'instabilité des normes techniques constitue également un motif légitime de préoccupation pour les élus locaux. Il n'est, en effet pas rare que les normes soient modifiées entre le début et la fin de réalisation d'un équipement.

L'absence de révision, sauf raison impérieuse de sécurité, avant la fin de la période d'amortissement " comptable " des équipements concernés pourrait être envisagée afin de remédier à cet inconvénient.

Enfin, l' information et la formation sur les normes applicables devraient être renforcées, notamment en rendant disponibles sur internet les listes des principales normes intéressant des collectivités locales, en établissant des fiches thématiques à l'intention des collectivités et en développant la formation des agents. Ces formations pourraient, selon la proposition faite par M. Philippe Adnot, concerner les autorités chargées du contrôle des collectivités locales afin de les sensibiliser à ces questions.

M. Philippe Adnot a, en outre, suggéré devant la mission d'information la tenue d'une réunion annuelle destinée à dresser un bilan en matière de normes et à diffuser l'information sur les normes envisagées au niveau communautaire ainsi que l'établissement d'un rapport annuel sur l'application des normes aux collectivités locales.

2. Pour une clarification des responsabilités

a) Les relations avec l'Etat

Le "brouillage" actuel des compétences, souligné par le groupe de travail de la commission des Lois sur la décentralisation, constitue à l'évidence une source d'insécurité juridique majeure pour les collectivités locales.

La sollicitation croissante de l'Etat pour faire financer certaines de ses compétences par les collectivités locales s'est notamment traduite dans le recours à des techniques contractuelles à la portée juridique incertaine tant dans la définition des missions de chacun des acteurs que dans la réalité de l'engagement contractuel de l'Etat.

Une clarification doit donc être recherchée à la fois dans la répartition des compétences et dans les modalités de leur exercice.

Comme l'a souligné devant la mission d'information M. Jean-Marie Pontier, professeur de droit public à l'Université d'Aix-Marseille III, la terminologie employée est elle-même source de confusion. Ainsi, la notion de " contrat local de sécurité " est inappropriée puisqu'elle sous-entend une égalité des parties qui n'existe pas, l'Etat faisant prendre en charge, par cette procédure, une partie de ses responsabilités par des collectivités locales.

S'agissant des contrats de plan, il a estimé que le législateur pourrait parfaitement prévoir qu'en cas de manquement d'un des cocontractants - notamment l'Etat - à ses obligations, des sanctions pécuniaires lui soient infligées.

Si la logique contractuelle peut apparaître comme un instrument obligé de la décentralisation, la relation contractuelle suppose le respect d'un certain nombre de principes, notamment l'égalité des parties et l'expression de leur liberté.

La clarification doit aussi être recherchée dans les missions confiées aux services de l'Etat , à la fois acteurs de la décentralisation, contrôleurs et le cas échéant conseils des collectivités locales. La réforme de l'Etat apparaît ainsi comme l'un des facteurs à prendre en compte en vue de rétablir la sécurité juridique de l'action publique locale.

b) L'organisation des collectivités territoriales

La clarification de la répartition des compétences entre les collectivités locales constitue une autre exigence en vue d'une plus grande sécurité juridique de l'action publique locale. Cette clarification implique aussi de mieux définir les modalités selon lesquelles les collectivités locales peuvent mettre en commun leurs moyens , notamment par la voie de conventions. La mission d'information formulera des propositions répondant à cet objectif dans le cadre d'une réflexion spécifique sur les compétences.

En outre, une plus grande clarification des responsabilités pourrait être recherchée dans le fonctionnement même des collectivités.

Cet impératif a notamment été souligné devant la mission d'information par M. Jacques Fournier, membre honoraire du Conseil d'Etat, auteur du rapport du Conseil d'Etat sur la responsabilité pénale des agents publics en cas d'infractions non intentionnelles.

Comme l'avait suggéré ce rapport, cette préoccupation pourrait être satisfaite à la fois par une meilleure information illustrée par des organigrammes détaillés et constamment tenus à jour, une adéquation des moyens aux compétences confiées à des agents subordonnés afin de leur permettre de faire face à leurs missions et une désignation claire des compétences respectives des agents et des services. En outre, les délégations devraient être clairement formalisées et correspondre à un transfert de compétences effectif pour permettre, le cas échéant, au juge judiciaire d'en tirer toutes les conséquences quant aux responsabilités en cause.

Enfin, le renforcement des moyens de contrôle propres aux collectivités apparaît nécessaire pour mieux prévenir les " risques " juridiques ou financiers.

Telle fut l'une des conclusions du groupe de travail sur les chambres régionales des comptes, auxquelles la proposition de loi (n° 84, 1999-2000) tendant à réformer les conditions d'exercice des compétences locales et les procédures applicables devant les chambres régionales des comptes, dont nos collègues Jacques Oudin et Jean-Paul Amoudry sont les premiers signataires, tend à donner une traduction législative.

Parmi un ensemble de dispositions destinées à renforcer la sécurité juridique de l'action publique locale, la proposition de loi prévoit la création d'un groupement d'intérêt public (GIP) d'aide à la gestion des collectivités locales. Composé de représentants du Parlement et des collectivités locales, du comité des finances locales et de personnalités qualifiées, de groupement serait chargé de renforcer l'information juridique des collectivités locales et de répondre aux différentes interrogations des élus locaux sur la gestion de leurs collectivités. L'action de ce GIP serait relayée dans chaque département par des missions juridiques qui pourraient être consultées par les exécutifs territoriaux à la demande de l'organe délibérant ou pour l'exercice de leurs attributions.

Les réponses au questionnaire élaboré dans le cadre des Etats généraux des élus locaux témoignent de l'intérêt de ces derniers pour un renforcement des procédures propres aux collectivités. Ainsi, 40 % des élus de Nord-Pas-de-Calais et 38% des élus de Basse-Normandie sont favorables à l'instauration d'agences intercommunales de conseil gérées par les élus locaux et composés d'agents de la fonction publique territoriale. 72 % des élus d'Alsace se prononcent pour cette solution.

La reconnaissance de la fonction de juriste dans le cadre des " filières " de la fonction publique territoriale pourrait contribuer également à une meilleure prévention des " risques " juridiques.

3. Pour une rénovation des contrôles

Le rétablissement de la sécurité juridique des actes des collectivités locales suppose de remédier aux divergences trop fréquentes d'appréciation pour un même acte entre les différents niveaux de contrôle.

a) Un contrôle de légalité mieux assuré, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat

Le contrôle de légalité a fait l'objet depuis plusieurs années de réflexions qui en ont souligné certaines insuffisances.

A la suite des groupes de travail sur la décentralisation et sur les chambres régionales des comptes, la mission d'information doit réaffirmer son attachement à ce que le contrôle de légalité continue à être exercé dans les préfectures .

Le cadre dans lequel ce contrôle de légalité est exercé pourrait néanmoins être rénové .

A cet effet, la formation des agents chargés de ce contrôle mérite une attention particulière.

Devant la mission d'information, M. Hubert Blanc, conseiller d'Etat, a souligné l'insuffisante qualification de ces agents, remarquant néanmoins qu'après le " désarroi " initial, la formation était en nette amélioration depuis quinze ans grâce à la mise en place d'un recrutement par la voie des instituts régionaux d'administration (IRA).

En outre, les services concernés devraient être dotés des outils d'analyse nécessaires. Cette orientation impliquerait d'approfondir les actions déjà entreprises par la direction générale des collectivités locales du ministère de l'Intérieur à travers l'établissement de recueils de jurisprudence, les réponses à des questions ponctuelles ou l'organisation de sessions de formation sur les marchés publics et sur l'instruction comptable M14.

Enfin, ces moyens pourraient être renforcés par l'apport de compétences extérieures aux préfectures, en provenance notamment des services déconcentrés. La même assistance pourrait être apportée par des magistrats financiers, judiciaires et administratifs détachés à cet effet. Ce " pôle de compétences " rattaché au préfet pourrait permettre à celui-ci, seul décideur, d'exercer dans les meilleures conditions le contrôle de légalité, faisant ainsi de ce dernier un facteur de sécurité juridique.

En contrepartie, il paraîtrait logique que la défaillance du contrôle de légalité soit susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Une telle responsabilité peut apparaître comme une conséquence des dispositions de l'article 72 de la Constitution qui confie au délégué du Gouvernement dans les départements et les territoires la " charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois " .

Comme cela a déjà été signalé, le juge administratif s'est engagé dans cette voie, dans le cas d'une abstention prolongée dans l'exercice du contrôle de légalité face à des illégalités facilement décelables ( Cour administrative d'appel de Marseille, ministre de l'intérieur c/commune de Saint-Florent et autres, 21 janvier 1999 ).

La défaillance du contrôle de légalité constatée à la suite de la mise en cause ultérieure de l'acte pourrait donc obliger l'Etat à une réparation pécuniaire au profit de la collectivité concernée.

Pourrait-on aller plus loin en envisageant, afin de marquer clairement le caractère unitaire de l'Etat, un mécanisme de coresponsabilité dans lequel, dès lors qu'il a exercé le contrôle de légalité, l' Etat puisse à son tour assumer la responsabilité de l'acte?

A ce stade de ses réflexions, la mission d'information n'a pas jugé possible de retenir une telle orientation qui s'accorde mal avec les principes de la décentralisation.

b) Une modernisation du contrôle financier

Enfin, la question de la sécurité juridique des actes des collectivités locales ne peut être dissociée des conditions dans lesquelles le contrôle financier est exercé par les chambres régionales des comptes.

Le rapport établi par notre collègue Jacques Oudin au nom du groupe de travail commun à la commission des Lois et à la commission des Finances a parfaitement mis en évidence que les conditions dans lesquelles ce contrôle était exercé pouvaient en pratique aboutir à fragiliser les actes des collectivités locales, notamment dans le cadre de l'examen de la gestion.

La mission d'information souscrit pleinement aux suggestions formulées par le groupe de travail qui ont été formalisées dans la proposition de loi (n° 84, 1999-2000) précitée dont nos collègues Jacques Oudin et Jean-Paul Amoudry sont les premiers signataires.

Les dispositions regroupées dans cette proposition de loi ont pour objet de rénover les conditions de l'examen de la gestion des collectivités locales par l'établissement d'un " code du bon usage du contrôle " et une définition légale de l'objet de cette procédure, par un renforcement des garanties dont bénéfice le contrôlé, par une modernisation du fonctionnement des chambres régionales des comptes et, enfin, par l'adaptation du régime des sanctions de la gestion de fait à leur véritable objet afin de rétablir la règle fondamentale et intangible de séparation des ordonnateurs et des comptables.

En outre, le groupe de travail a formulé des propositions destinées à renforcer la sécurité publique des actes des collectivités locales qui rejoignent les préoccupations exprimées ci-dessus : une clarification de certains aspects de la législation, une amélioration du contrôle de légalité, un renforcement des procédures de contrôle interne.

B. CONCILIER LES EXIGENCES DU MANDAT LOCAL ET LA PÉNALISATION ACCRUE DE LA SOCIÉTÉ

Si la pénalisation accrue de la société doit être constatée, cette évolution doit être conciliée avec les exigences propres à l'exercice du mandat local.

Tel a été l'objet des réflexions de la mission d'information qui a néanmoins entendu écarter toute solution qui reviendrait à faire bénéficier les élus locaux d'un régime dérogatoire au droit commun.

Au cours de ses travaux, la mission d'information a pris connaissance avec intérêt des réflexions menées dans le cadre du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, placé sous la présidence de M. Jean Massot, Conseiller d'Etat, et des propositions qu'il a formulées dans un rapport au garde des Sceaux, en date du 16 décembre 1999.

Avant d'examiner les aménagements des règles de procédure et des règles de fond susceptibles d'être privilégiées, il est utile, à titre de comparaison :

- de présenter le résumé des propositions formulées par le groupe d'étude présidé par M. Massot, dont les préoccupations rejoignaient en partie celles de la mission ;

- de faire état des solutions retenues par quelques pays voisins, dans lesquels la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels semble constituer un phénomène marginal.

1. Les propositions du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics

Groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics

Résumé des propositions

I. Réduire le champ des délits non intentionnels

Redéfinir certains infractions ou notions figurant au code pénal :

1. Modifier les articles 221-6 et 222-19 (homicide involontaire, blessures involontaires) pour y introduire la notion de lien direct entre la faute et le dommage, ce qui revient à la fois sur les théories de l'équivalence des conditions et de l'unicité des fautes civile et pénale. Celui qui n'aura causé le dommage que de façon indirecte ne ser responsable pénalement que si " son comportement révèle une action ou une omission constitutives d'une faute grave ". Cette réforme concernerait l'ensemble des citoyens.

2. Harmoniser les rédactions du code pénal (art. 121-2) et du code général des collectivités territoriales (art. L. 2123-34 ; L. 3123-28 ; L. 4135-28) pour :

- y confirmer l'exigence d'apprécier le comportement de l'élu eu égard aux difficultés propres aux missions que la loi lui confie ;

- mettre à la charge de l'accusation la preuve du délit.

3. Modifier la terminologie : manquement aux obligations de prudence et de sécurité prévues par la loi ou " le règlement " (et non plus " les règlements ").

II. Etendre la responsabilité pénale des personnes morales publiques

1. Examen des souhaits réitérés de certains élus d'ouvrir plus largement la responsabilité pénale des personnes publiques.

2. Constat des objections soulevées par un tel bouleversement du droit pénal.

3. Proposition d'ouverture limitée de la responsabilité pénale des personnes morales pour remédier aux cas les plus sensibles :

* Dans la seule hypothèse du manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ;

* Sans distinguer parmi les activités des collectivités locales, celles qui sont ou non susceptibles de délégation ;

* Maintien de la mise en cause concurrente de la personne morale et de la personne physique (en sachant qu'en pratique la responsabilité de la personne morale sera recherchée prioritairement), sauf en cas de manquement " délibéré ", où seule la responsabilité de la personne physique pourrait être recherchée ;

* Suppression de l'exclusion de l'Etat, par souci de l'égalité entre agents publics.

III. Enrayer la création de nouvelles infractions sanctionnées pénalement

Constat de la pénalisation excessive de notre droit

1. Proposition d'un moratoire d'un an sur l'introduction de toute infraction pénale nouvelle par voie législative ou réglementaire.

2. Au cours de cette période, réexamen par chaque ministère de la pertinence des sanctions pénales existantes, en recherchant d'autres formes de sanctions plus adaptées.

IV. Ramener les manquements les moins graves au Code des marchés publics au niveau de la contravention

1. Distinguer, en matière de délit de favoritisme, les actes graves et les actes les moins graves.

2. Rejet de l'introduction d'un élément intentionnel ou de la notion de " faute administrative " pour lui préférer l'introduction d'un seuil financier en deça duquel les infractions seraient des contraventions.

3. Conserver en l'état le délit de prise illégale d'intérêt.

V. Limiter les recours abusifs au juge pénal

1. Introduire des conditions plus strictes de recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile :

- à terme, octroyer au juge d'instruction le pouvoir de se prononcer sur la recevabilité des plaintes, en exigeant de la personne qui se prétend lésée d'établir l'existence de l'infraction et la réalité d'un préjudice ;

- pas de limitation du droit des associations à se constituer partie civile.

2. Réaffirmer ou renforcer les sanctions à l'encontre des auteurs de plaintes avec constitution de partie civile abusives (rappel systématique des risques encourus par elles aux personnes qui déposent plainte en se constituant partie civile ; incitation des parquets à utiliser davantage l'article 91 du code de procédure pénale).

3. Favoriser le droit de réponse de la personne dont la mise en examen est parue dans un organe de presse (en cas de non-lieu ou de relaxe, et au profit des intéressés qui le souhaiteraient, obliger l'organe de presse à l'insertion, à la place où était relatée la mise en cause, de l'annonce de ce non-lieu ou cette relaxe).

VI. Rendre la mise en examen moins systématique et moins traumatisante

1. Eviter les mises en examen trop précoces et systématiques et favoriser l'information des magistrats sur des éléments de droit public (améliorer l'information du juge d'instruction sur le fonctionnement de l'administration à laquelle appartient la personne mise en cause ; la proposition du ministère de l'intérieur de créer une commission administrative placée auprès de chaque procureur général n'a pas été retenue).

2. Favoriser l'usage de la procédure du témoin assisté.

3. Exiger une réelle motivation des mises en examen, notamment lorsqu'elles sont notifiées par correspondance (article 80-1 du code de procédure pénale).

4. Rappeler la possibilité de délocalisation de certaines affaires.

5. Moduler les conditions de la garde à vue selon la dangerosité des personnes.

VII. Favoriser les modes de règlement des conflits autres que pénaux

1. Inciter les administrations à user de la transaction.

2. Faciliter la saisine du Médiateur de la République (actuellement, sa saisine est alternative de celle du juge).

3. Améliorer l'information des victimes et de leurs avocats (pour les diriger vers le juge administratif).

4. Renforcer la pratique des sanctions disciplinaires :

- à l'égard des fonctionnaires et agents publics : les utiliser plus fréquemment ; les médiatiser davantage ;

- à l'égard des élus : étendre les hypothèses où les élus peuvent être suspendus ou révoqués ; étendre les compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.

5. Faciliter l'orientation précoce des victimes vers la juridiction compétente (abrogation législative de la jurisprudence issue du TC 6.10.1989, selon laquelle le conflit ne peut être élevé sur l'action civile au stade de l'instruction).

6. Rendre la justice administrative plus efficace et plus rapide (encourager une application effective du nouveau référé administratif ; accroître les pouvoirs d'instruction du juge administratif).

VIII. Mieux armer juridiquement les décideurs publics

A) Propositions applicables à l'ensemble des décideurs publics :

1. Préciser les compétences, les moyens et les responsabilités impartis à chaque agent en généralisant la pratique des fiches de poste.

2. Améliorer la formation des élus et agents publics :

- poursuivre les initiatives de formation des agents publics ;

- pas d'obligation, mais simple incitation, des élus à se former (pas de modification du droit applicable).

3. Favoriser la mobilité des agents entre la fonction publique et la magistrature.

4. Généraliser aux élus la protection que l'administration doit déjà à ses agents mis en cause pénalement (et réexaminer périodiquement les mesures de suspension des agents).

5. Exiger un bilan écrit de faisabilité avant l'introduction de toute nouvelle norme technique.

B) Propositions propres aux collectivités locales

1. Développer des capacités d'expertise juridique des collectivités locales (par des établissements publics exerçant cette compétence, plutôt que par des conventions de mise à disposition des services des grandes collectivités au profit des petites).

2. Renforcer la qualité du contrôle de légalité ; renforcer ses moyens, sachant que :

- beaucoup de mises en cause pénales, dues à un comportement et non à un acte, ne dépendent pas du contrôle de légalité, fût-il plus efficace ;

- l'absence d'observations de la part du contrôle de légalité ne vaudra jamais garantie d'absence d'infraction pénale.

(la proposition de créer un parquet administratif est écartée).

2. La mise en cause pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels dans les Etats voisins : un phénomène marginal

Une étude 15 ( * ) des systèmes juridiques de cinq Etats membres de l'Union européenne fait ressortir que, même en l'absence de dispositions protectrices, la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels constitue un phénomène marginal.

La responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels

(extraits) 16 ( * )

Cette analyse permet de mettre en évidence que :

- en Allemagne, en Espagne et au Portugal, en l'absence de prescriptions spécifiques relatives à la responsabilité pénale des élus locaux, ces derniers peuvent être mis en examen pour négligence ;

- la loi danoise exclut que les élus locaux soient mis en cause uniquement pour négligence ;

- la tradition d'immunité des élus locaux anglais a été confortée par la loi.

1) En Allemagne, en Espagne et au Portugal, aucune prescription spécifique relative à la responsabilité pénale des élus locaux n'empêche leur mise en examen pour négligence

Dans ces trois pays, ni le code pénal ni les textes sur les collectivités locales ne comportent de dispositions particulières à la responsabilité pénale des élus locaux.

En effet, la loi espagnole de 1985 sur les fondements du régime local précise que les élus locaux répondent civilement et pénalement des actes réalisés pendant l'exercice de leurs fonctions, ainsi que de leurs omissions, et que leur responsabilité est recherchée par les tribunaux compétents conformément à la procédure de droit commun.

De même, la loi portugaise de 1987 portant statut des élus locaux prévoit que les collectivités doivent supporter les frais relatifs aux procès où les élus sont impliqués par suite de l'exercice de leur mandat, sauf s'il y a eu négligence ou dol de leur part. Ceci signifie implicitement que la responsabilité pénale des élus locaux portugais est recherchée selon les règles du droit commun.

En revanche, le droit allemand n'évoque pas du tout le cas des élus locaux. Tout au plus leur qualité de " dépositaire de l'autorité publique " justifie-t-elle que les juges usent de leur pouvoir d'appréciation pour les sanctionner plus sévèrement.

Dans ces trois pays, l'absence de dispositions spécifiques relatives à la responsabilité pénale des élus locaux n'empêche donc pas ces derniers d'être mis en examen pour négligence. Ainsi, la catastrophe du lac de Banyoles en Catalogne, en octobre 1998, s'est traduite par la mise en examen du conseiller chargé de l'environnement, pour homicide par imprudence grave, ainsi que pour coups et blessures par imprudence grave. En revanche, en Allemagne les atteintes à l'environnement, semblent constituer le motif le plus fréquent de mise en examen des élus locaux. Toutefois, la recherche de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels paraît exceptionnelle. Au Portugal, aucun élu local n'a été mis en cause pour négligence à ce jour.

2) La loi danoise exclut que la responsabilité des élus locaux soit mise en cause uniquement pour négligence

La loi de 1998 sur les organes des collectivités locales reprend une disposition introduite en 1984 à la suite de quelques cas graves, à l'occasion desquels l'opinion publique s'était émue devant l'impossibilité de toute intervention. La loi énonce désormais que : " Les membres des conseils qui se rendent coupables de manquements graves aux devoirs que leur mandat implique sont punis d'une amende. La négligence simple n'est pas punie. "

De plus, elle précise que seule l'autorité qui contrôle les actes des collectivités locales peut engager une action contre les élus locaux.

Ces règles législatives ont été précisées par une circulaire du ministre de l'Intérieur, qui apparaît assez protectrice pour les élus locaux, dans la mesure où elle souligne que la faiblesse des pouvoirs de contrôle des élus locaux sur l'administration locale devrait limiter les cas de " manquements graves ". La circulaire justifie également que, de façon générale, les élus prennent leurs décisions sur la base des travaux de l'administration locale, à moins que le caractère erroné ou lacunaire de ces travaux n'apparaissent de façon évidente.

3) La tradition d'immunité des élus locaux anglais a été confortée par la loi

En règle générale, la responsabilité des collectivités locales anglaises est recherchée sur le terrain civil, en application de la notion de responsabilité extra-contractuelle, et non sur le terrain pénal.

Distincte de la responsabilité des collectivités, celle des élus à titre individuel pourrait en théorie également être engagée. Cependant, cette possibilité n'a jamais été clairement établie, de sorte que les élus jouissent traditionnellement de l'immunité contre tout type de responsabilité.

Cette tradition a été confortée dès la fin du XIXème siècle par la loi sur la santé publique, qui excluait que la responsabilité personnelle des élus locaux fût recherchée dans le cadre de l'application de cette loi par les collectivités locales, dans la mesure où tous les actes qui s'y rapportaient avaient été accomplis de bonne foi. En 1976, une loi sur les collectivités locales a étendu cette immunité pour couvrir les actes se rapportant à l'exécution de toutes les lois.

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* *

Même en l'absence de dispositions protectrices, la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels semble donc constituer un phénomène marginal dans les cinq pays étudiés.

3. Un aménagement des règles de procédure

a) L'idée d'un " filtre " préalable ?

Cette idée peut elle-même revêtir deux formes : d'une part, revenir partiellement sur l'abrogation des articles 679 et suivants du code de procédure pénale opérée par la loi du 4 janvier 1993 ; d'autre part, prévoir une exception préjudicielle devant le juge administratif afin de déterminer si la faute commise est ou non détachable du service.

La première solution reviendrait à rétablir la saisine préalable de la Cour de cassation à toute mise en examen d'un élu local pour crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions.

Il s'agirait par cette procédure de " dépayser " l'affaire en soumettant des agents publics d'autorité à des juridictions situées en dehors du territoire dans lequel ceux-ci exercent leurs fonctions.

Deux séries de critiques ont pu être formulées à l'encontre d'une telle procédure : d'une part, elle pourrait être perçue comme instituant des garanties particulières de nature à remettre en cause l'égalité devant la justice ; d'autre part, à l'instar de la procédure abrogée en 1993, elle pourrait être regardée comme un moyen de ralentir le cours de la justice, notamment parce qu'elle multiplierait les risques de nullité des procédures.

Dans le cadre du projet de loi relatif à la présomption d'innocence ( article 9 septies nouveau ) le Sénat a rétabli une procédure particulière qui permettrait, à la demande du procureur de la République, à la chambre criminelle de la Cour de cassation de désigner la chambre d'accusation chargée de l'information. Celle-ci pourrait, le cas échéant, à l'issue de l'instruction, renvoyer l'intéressé devant un juridiction correctionnelle du premier degré ou une Cour d'assises autre que celle dans le ressort de laquelle l'accusé exerce ses fonctions.

La seconde solution résulterait d'une extension au droit pénal de la notion de faute détachable , appliquée de longue date par la jurisprudence administrative.

Cette transposition impliquerait, en effet, l'instauration d'une exception préjudicielle dans la mesure où pour chaque affaire mettant en cause en élu local, le juge pénal devrait saisir la juridiction administrative aux fins d'apprécier si les faits reprochés au prévenu constituent une faute détachable. La décision du juge répressif serait alors soumise à l'appréciation du juge administratif.

Cette solution rétablirait la situation antérieure à la jurisprudence du tribunal des conflits Thépaz de 1935, situation qui se caractérisait par une identité entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile.

Elle peut donc encourir deux reproches, d'une part, mettre en cause la plénitude de juridiction du juge répressif ; d'autre part, mêler deux problèmes distincts, celui de la sanction d'une faute pénale et celui de la réparation d'un préjudice.

Sur la proposition de M. Alain Vasselle, le Sénat a néanmoins retenu, lors de l'examen du projet de loi relatif à la présomption d'innocence un mécanisme de ce type ( article 5 quater nouveau ).

Dès qu'un maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu délégation serait susceptible d'être mise en cause pénalement, le Conseil d'Etat serait saisi sans délai par le procureur de la République afin de désigner dans les soixante douze heures un tribunal administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses fonctions. Si le tribunal administratif concluait (dans le délai d'un mois) à l'existence d'une faute détachable, l'élu concerné pourrait être mis en cause dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au tribunal administratif compétent qu'il reviendrait de connaître de l'affaire.

La mission d'information ne peut pas préjuger de la suite qui sera réservée au cours de la " navette " législative aux dispositions votées par le Sénat, concernant tant le " dépaysement " de la procédure judiciaire que l'intervention préalable de la juridiction administrative.

Elle rappelle néanmoins l'existence des dispositions de l'article 665 du code de procédure pénale qui, de portée générale, permet " le renvoi (...) dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, par la chambre criminelle, soit sur requête du procureur général près la Cour de cassation, soit sur requête du procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle la juridiction saisie a son siège, agissant d'initiative ou sur demande des parties. "

La mission d'information souscrit à la suggestion du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics qui a souhaité que ces dispositions puissent, chaque fois que les circonstances le justifient, produire leur plein effet.

b) La mise en mouvement de l'action publique

Le droit reconnu à la victime de mettre en mouvement l'action publique est la contrepartie des pouvoirs du parquet, lequel apprécie l'opportunité des poursuites et peut donc les empêcher.

Dans ces conditions, il peut paraître difficile de réserver au ministère public l'action publique contre un élu municipal pour une faute d'imprudence commise dans l'exercice de ses fonctions.

Pour autant, le développement dans la période récente du nombre d'associations habilitées à exercer des poursuites pénales a conduit, en multipliant les " porteurs privés de l'intérêt public " à un émiettement de l'action publique, source d'une très grande insécurité juridique.

Enoncées principalement aux articles 2 et suivants du code de procédure pénale, ces associations ainsi habilitées à représenter l'intérêt public sont également mentionnées dans des textes épars, par exemple le code rural pour les associations de protection de la nature.

La mission d'information s'est donc préoccupée du risque que ce rôle reconnu aux associations ne mette en cause la cohérence de l'action publique et n'aboutisse à une confusion entre l'intérêt public et des intérêts purement catégoriels.

Or, comme l'a fort justement observé le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, l'intérêt à agir des parties civiles est largement admis par la jurisprudence de la Cour de cassation. Cependant, les associations, qui défendent un intérêt collectif spécifique, n'étant jamais directement et personnellement lésées par les infractions qui portent indirectement atteinte à cet intérêt, ne devraient donc pas pouvoir se porter partie civile. Elles tirent ce droit des textes spécifiques dont il a été fait mention ci-dessus.

Notre collègue député M. Jean-Pierre Albertini, dans son rapport (n° 343, 1998-1999) établi au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation sur " l'exercice de l'action civile par les associations ", a suggéré que la recevabilité de l'action pourrait être subordonnée à l'existence d'un préjudice causé directement à l'objet statutaire de l'association par les faits incriminés. Il reviendrait à l'association d'apporter des indices suffisants dans ce sens.

Le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics a, pour sa part, proposé d'octroyer au juge d'instruction le pouvoir de se prononcer sur la recevabilité des plaintes qui lui sont soumises, en lui permettant d'exiger d'une personne qui se prétend lésée par une infraction à la loi pénale qu'elle apporte des indices suffisants de nature à permettre d'établir, d'une part, l'existence d'une infraction et, d'autre part, la réalité d'un préjudice en lien direct avec cette dernière, et ceci à peine d'irrecevabilité.

La mission d'information souhaite que ces pistes de réforme soient approfondies pour aboutir à une modification des textes en vigueur . En effet, dès lors que, comme l'envisage le projet de loi sur les relations entre le parquet et la Chancellerie, un recours serait ouvert contre les décisions de classement sans suite, les associations plaignantes bénéficieraient d'une garantie contre des classements qu'elles jugeraient abusifs. Il pourrait, en conséquence, être envisagé de mieux définir les conditions qu'elles doivent réunir pour se porter partie civile et de préciser l'étendue de leur droit d'agir.

En outre, la procédure pénale devrait dissuader les requérants de présenter des recours abusifs .

Outre les dispositions du code civil qui tendent à protéger la présomption d'innocence ( article 9-1 du code civil), le code pénal sanctionne la dénonciation calomnieuse ( articles 226-10 et 226-12 ). Le code de procédure pénale ( article 91 ) permet, pour sa part, à la personne qui a bénéficié d'un non lieu de réclamer, par voie de citation directe devant le tribunal, des dommages et intérêts à la partie civile qui a agi de façon abusive ou dans un but dilatoire. Depuis la loi n° 93-2 du 3 janvier 1993 , le ministère public peut citer la partie civile devant le tribunal devant lequel l'affaire a été instruite. Dans le cas où la constitution de partie civile est jugée abusive ou dilatoire , le tribunal peut prononcer une amende civile d'un montant maximum de 100 000 francs.

Ces dispositions devraient être appliquées de manière plus affirmée afin de dissuader les recours abusifs.

M. Yves Charpenel, directeur des Affaires criminelles et des grâces, a également suggéré, lors de son audition, que la procédure pénale s'inspire des dispositions de l' article 700 du nouveau code de procédure civile qui permettent au juge de mettre à la charge de la partie perdante une somme qu'il détermine au titre des frais exprès et non compris dans les dépens.

c) Le déroulement de la procédure judiciaire

Dans la société de l'information qui est la nôtre, la mise en examen d'un élu local équivaut le plus souvent à sa " condamnation " médiatique avant même que sa culpabilité ne soit établie. Ce constat ne peut évidemment être dissocié de la question pendante depuis plusieurs années du respect de la présomption d'innocence , à laquelle la commission des lois a consacré des réflexions approfondies 17 ( * ) et qui fait actuellement l'objet d'un projet de loi en cours d'examen devant le Parlement.

Il pose le problème de la situation de l'élu local au cours de la procédure judiciaire en raison de sa particulière exposition au risque pénal qui résulte de la très grande diversité de ses missions.

• Comme l'a relevé devant la mission d'information, M. Yves Charpenel, directeur Des affaires criminelles et des grâces, le statut de témoin assisté pourrait permettre d'éviter la mise en examen " automatique ", particulièrement traumatisante lorsque les faits reprochés constituent des fautes non intentionnelles.

Le statut de témoin assisté est consacré par le projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes. Il permet au juge d'instruction d'accorder à une personne qu'il estime ne pas devoir mettre en examen les mêmes droits qu'à la personne mise en examen, en particulier le droit d'être assisté par un avocat. Actuellement, ce statut ne peut être accordé qu'aux personnes nommément visées par un réquisitoire du procureur de la République ou par une plainte avec constitution de partie civile.

Elargies par le Sénat, ces dispositions doivent permettre de prévenir les conséquences particulièrement graves pour des élus locaux d'une mise en examen au regard de la présomption d'innocence.

• Comme l'a souhaité le Sénat, ces dispositions devraient être complétées par une modification des conditions de la mise en examen. Celle-ci ne devrait être possible que lorsqu'il existe contre une personne des indices graves ou concordants laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou comme complice, à une infraction. Une personne ne devrait plus pouvoir être mise en examen sans avoir eu la possibilité d'être entendue par le juge d'instruction. De portée générale, ces mesures auraient un intérêt particulier dans le cas des fautes non intentionnelles reprochées à des élus locaux dans l'exercice de leurs fonctions, en évitant que le moindre agissement ne conduise à une mise en examen et en permettant un débat contradictoire préalable.

Elles pourraient être complétées par des dispositions clarifiant les conditions de la garde à vue. Le code de procédure pénale ne comporte, en effet, aucune précision sur le traitement de la personne placée sous ce régime et sur le type de mesures qui peuvent être prises pendant le déroulement de la garde à vue. Or, comme l'a fort justement souligné le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, devrait prévaloir, dans ce domaine, une règle de proportionnalité entre les mesures susceptibles d'être prises et la dangerosité des intéressés ou la nécessité de les faire bénéficier de mesures de protection spécifiques.

Enfin, lors de l'examen du projet de loi relatif à la présomption d'innocence, le Sénat a notamment élargi le champ d'application de l'article 9-1 du code civil qui permet de faire cesser par référé toute atteinte à la présomption d'innocence.

Dans l'état actuel du droit, la protection juridictionnelle de l'élu ne peut être assurée par la commune.

Lorsqu'ils subissent un préjudice dans l'exercice de leurs fonctions municipales, les maires sont normalement indemnisés par la commune, ce type de risque devant être couvert par l'assurance de la commune.

L'assurance personnelle doit, pour sa part, permettre à l'élu de prendre en compte le risque d'engagement de sa responsabilité civile et administrative ou de mise en cause personnelle devant le juge pénal. Dans ce dernier cas, l'assurance personnelle ne peut couvrir les condamnations pénales. En revanche, elle peut prendre en charge les frais d'avocat et de défense dans le cadre d'une police " assistance juridique " (ou " défense pénale " ou " protection juridique ").

Or l'assurance personnelle doit être payée par l'élu et non par la commune.

Le juge administratif considère que les frais de procédure liés à défense de l'élu dans le cadre d'une procédure contentieuse ne sauraient être pris en charge par la collectivité dès lors que de telles dépenses ne peuvent être engagées dans l'intérêt de la commune ( Tribunal administratif d'Orléans, 7 décembre 1989, Fontaine ). Le conseil municipal ne peut légalement mettre à la charge du budget communal les frais exposés pour la défense du maire faisant l'objet de poursuites pénales que si les faits commis par le maire ne sont pas détachables de l'exercice des fonctions ( Cour administrative d'appel de Bordeaux, 25 mai 1998, André ).

Comme l'a suggéré devant la mission d'information, notre collègue M. Daniel Hoeffel, au nom de l'Association des Maires de France, il conviendrait de permettre la prise en charge par la commune de la cotisation d'assurance personnelle du maire dans le cadre de l'exercice de son mandat.

Cette disposition devrait être complétée -comme l'a souhaité le Sénat, sur la proposition de notre collègue Michel Charasse, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale- par la possibilité pour les associations départementales de maires d'exercer les droits reconnus à la partie civile dans toutes les instances introduites par les élus municipaux à la suite d' injures, d' outrages , de menaces ou d' agressions à raison de leurs fonctions.

• Lors de l'examen du projet de loi relatif à la présomption d'innocence, le Sénat a par ailleurs étendu aux maires et élus municipaux les suppléant, lorsqu'ils agissent au nom de l'Etat, les mécanismes de protection prévus par le statut des fonctionnaires qui ont notamment pour effet d'obliger la collectivité publique à couvrir un fonctionnaire des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire ( article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ).

Cette protection devrait être étendue aux cas où l'élu agit au nom de la collectivité . Assurée par cette dernière, elle pourrait également se traduire par la prise en charge des frais de procédure ou encore par la mise à disposition des services d'un avocat.

d) L'extension de la responsabilité pénale des collectivités territoriales ?

Dès lors qu'une faute non intentionnelle est reprochée à un élu local dans l'exercice de ses fonctions, il pourrait sembler logique de privilégier la recherche de la responsabilité de la collectivité locale, personne morale. Tel est d'ailleurs le schéma qui prévaut en matière de responsabilité administrative.

Il pourrait, à cette fin, être envisagé de subordonner le cumul de responsabilités de la collectivité et de l'élu à une faute d'une particulière gravité commise par la personne physique.

Dans cette perspective, les poursuites devraient d'abord être dirigées contre la personne morale pour le compte de laquelle l'élu exerçait ses fonctions lorsqu'il a commis les faits reprochés. Ce n'est qu'à l'issue de l'instruction, si celle-ci a révélé que l'élu a commis une faute grave, qu'il pourrait être mis en examen.

Cependant, toute solution tendant à privilégier la responsabilité pénale de la collectivité personne morale impliquerait une extension du champ d'application de cette responsabilité en ce qui concerne les collectivités locales. Dans l'état actuel du droit, cette responsabilité est, en effet, limitée aux " infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de convention de délégation de service public " ( article 121-2 du code pénal ), ce qui exclut notamment toute condamnation de la collectivité locale pour des faits liés à l'exercice des pouvoirs de police administrative qui sont à l'origine de nombreuses mises en cause d'élus locaux. Dans une proposition de loi n° 9 rectifié (1999-2000) tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, notre collègue M. Pierre Fauchon propose de supprimer les limites actuelles à la responsabilité pénale des collectivités locales.

Certaines personnes auditionnées par la mission d'information ont émis des doutes sur la portée d'une sanction pénale, s'agissant d'une collectivité locale, notamment parce que les peines appliquées aux personnes morales apparaissent peu adaptées aux collectivités locales et parce que les frais résultant de la condamnation prononcée par une décision de justice étaient en fait supportés par le contribuable local.

En outre, il n'est pas inutile de relever que la responsabilité pénale des personnes morales n'est pas communément admise dans les Etats européens. Le droit allemand prévoit cependant une procédure digne d'intérêt. Bien que les personnes morales ne soient pas responsables pénalement, elles peuvent être sanctionnées à la suite d'une faute commise par leur représentant légal. En effet, le droit allemand connaît, à côté des crimes et des délits, une autre catégorie d'infractions : les " infractions administratives ". Dépourvues de tout caractère pénal, elles sont sanctionnées par une amende et régies par une loi spécifique. La procédure contre la personne morale se cumule en principe avec la procédure, administrative ou pénale selon la nature de l'infraction, contre la personne physique, la loi sur les infractions administratives énumérant limitativement les cas où la procédure contre la personne morale exclut celle contre la personne physique. Dans la pratique, cependant, le cumul constitue l'exception, car les poursuites contre la personne physique ne sont engagées que si elles semblent absolument nécessaires .

e) La revalorisation de la voie civile

Même si le recours à la voie pénale par nombre de victimes peut répondre à la volonté d'obtenir une sanction du comportement à l'origine du dommage, il n'en demeure pas moins que le sentiment qu'il sera plus difficile d'obtenir une réparation par le voie civile contribue à la pénalisation excessive de la vie sociale. Or, la réparation des dommages causés involontairement par des fautes d'imprudence ou de négligence commises dans le cadre de la gestion locale devrait être recherchée sur le plan civil, le procès pénal devant avoir pour objet de faire sanctionner une faute morale.

A cette fin, la revalorisation de la voie civile doit constituer une priorité.

Il convient tout d'abord de rappeler que, dès lors que la faute incriminée constitue une faute de service, la réparation civile ne peut être obtenue que devant le juge administratif.

Depuis une jurisprudence du tribunal des conflits de 1989 ( 6 octobre 1989, Préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, préfet des bouches-du-Rhône c/ Mme Laplace ), le préfet ne peut plus élever le conflit à tout moment, y compris devant le juge d'instruction, comme l'admettait la jurisprudence antérieure.

Or, ce n'est qu'après avoir statué sur la responsabilité pénale que la juridiction pénale, se prononçant sur la demande de dommages et intérêts, détermine la nature de la faute afin de renvoyer au juge administratif en cas de faute de service et statuer lui-même si la faute est personnelle. Dans ce dernier cas, le préfet peut élever le conflit pour faire reconnaître la compétence du juge administratif s'il estime que la faute est une faute de service.

La mission d'information souscrit pleinement à la suggestion du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics qui tend à autoriser à nouveau le préfet à élever le conflit, dès la phase d'instruction pénale. Ce retour au principe qui prévalait avant 1989 permettrait, en effet, d'orienter sans délai les victimes vers la juridiction compétente pour assurer la réparation civile de leur dommage.

Au-delà de cette amélioration de la procédure, la réparation civile en dehors du procès pénal doit être encouragée par d'autres voies.

M. Yves Charpenel, directeur des affaires criminelles et des grâces, a estimé, devant la mission d'information, que l'indemnisation au civil devrait précéder le procès pénal, lequel serait ainsi abordé dans des conditions plus sereines avec un moindre souci de vengeance. En effet, l'absence de réparation du dommage perturbe le bon déroulement du procès pénal, l'indemnisation au civil n'étant pas possible si la faute n'est pas reconnue au pénal.

Le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics a notamment suggéré un recours accru à la transaction dont l'intérêt avait également été souligné par une étude du Conseil d'Etat 18 ( * ) .

Un grand nombre de textes ont par ailleurs institué des procédures facilitant l'indemnisation des victimes d'infractions. On citera notamment la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 qui a prévu des règles accélérant les procédures d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation, la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme qui a mis en place un système d'indemnisation intégral des victimes d'attentats. Il existe, en outre, depuis 1977 un système d'indemnisation des victimes d'infractions pénales. Conçu à l'origine pour indemniser les victimes lorsque l'auteur de l'infraction est inconnu ou insolvable, cette procédure est devenue un système d'indemnisation autonome avec la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990.

La loi du 5 avril 1937 a pour sa part prévu un dispositif substituant la responsabilité de l'Etat chaque fois que la responsabilité des membres de l'enseignement public est engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait ou d'un dommage commis soit par des enfants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit à ces enfants.

L'amélioration des droits des victimes -qui a donné lieu aux réflexions d'un groupe de travail interministériel confié en 1998 à Mme Marie-Noëlle Lienemann et qui fait l'objet de dispositions du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes- peut contribuer à restituer au procès pénal sa véritable finalité .

Il pourrait donc être envisagé d'appliquer à la réparation des dommages causés par des fautes d'imprudence ou de négligence commises par des élus locaux dans l'exercice de leurs fonctions des procédures accélérées inspirées des dispositifs existants.

En outre, l'accélération des procédures devant la juridiction administrative est un préalable pour que la mise en jeu de la responsabilité administrative puisse retrouver toute sa place. Le projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives, récemment adopté par le Sénat a poursuivi cette finalité.

4. Un aménagement des règles de fond

a) La loi du 13 mai 1996 : un progrès incontestable

Issue des réflexions approfondies menées au sein de la commission des Lois par le groupe de travail sur la responsabilité pénale des élus locaux, la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence a incontestablement permis une meilleure évaluation de la responsabilité pour des faits non volontaires, en invitant le juge à apprécier in concreto la faute d'imprudence ou de négligence.

Issu de cette loi, la nouvelle rédaction de l' article 121-3 du code pénal prévoit qu'il y a délit en cas d'imprudence ou de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité " sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ".

Il est certes encore trop tôt pour mesurer précisément les effets de cette loi.

Devant le Sénat, le 28 avril dernier, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, garde des Sceaux, a néanmoins estimé " qu'après l'entrée en vigueur de la loi de 1996, la motivation sur les circonstances concrètes est devenue plus détaillée ". Son application a pu conduire à des relaxes, notamment dans le cas de la mise en examen d'un maire à la suite de manifestations taurines (tribunal de grande instance de Nîmes, 22 mai 1997 ; cour d'appel de Nîmes, 11 mars 1999).

Devant la mission d'information, M. Yves Charpenel a souligné l'impact positif sur le comportement des parquets de la circulaire prise en application de la loi du 13 mai 1996, qui appelait leur attention sur la nécessité d'un examen approfondi " in concreto " afin d'apprécier si l'élu mis en examen pour délit non intentionnel avait eu les moyens matériels et financiers lui permettant de prendre toutes les précautions utiles.

La formulation insérée à l'article 121-3 du code pénal par la loi du 13 mai 1996 pourrait néanmoins être améliorée. Elle fait, en effet, peser sur la personne poursuivie la preuve de l'accomplissement des diligences normales. Il conviendrait, au contraire, d'établir que la charge de la preuve du défaut de diligence revient à l'accusation. Cette solution - qui paraît logique dès lors que le défaut de diligence est un élément constitutif du délit - a été clairement fixée par la loi du 13 mai 1996 dans les textes ( articles L. 2123-34, 3123-28 et 4135-28 du code général des collectivités territoriales, article 11 bis A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) qui, comme l'avait voulu le Sénat, ont " décliné " le principe d'appréciation de la faute involontaire inscrit à l'article 121-3 du code pénal. Il suffirait donc d'harmoniser la rédaction du code pénal avec ces textes de " déclinaison ". Telle est l'une des propositions formulées par le rapport au garde des Sceaux du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics.

b) Une caractérisation de la faute involontaire pouvant engager la responsabilité personnelle

En dépit du progrès qu'a constitué l'entrée en vigueur de la loi du 13 mai 1996, il paraît souhaitable d'approfondir la démarche engagée afin de rendre sa vocation à la sanction pénale qui est de réprimer une faute morale .

Cette finalité résulte clairement de l' article 121-3 du code pénal qui affirme qu'en principe " il n'est point de crime ou de délit sans intention de le commettre ".

Constituant une exception à ce principe, les délits involontaires doivent, en conséquence, être plus précisément délimités .

A cette fin, il conviendrait de modifier la définition des infractions d'homicide involontaire et de blessures involontaires, prévues par les articles 221-6 et 222-19 du code pénal. Pour que l'infraction soit caractérisée, il suffit actuellement qu'il y ait une faute -une simple négligence notamment- et qu'il existe un lien de causalité entre cette faute et le dommage (décès ou blessures). Il n'est pas exigé que le lien de causalité soit direct ni que la faute soit caractérisée.

Dans sa proposition n° 9 rectifiée (1999-2000), notre collègue Pierre Fauchon propose que soient désormais distinguées deux situations constitutives de l'homicide involontaire ou des blessures involontaires :

- le fait de causer directement la mort d'autrui (ou des blessures) par maladresse, imprudence, intention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence (les peines seraient aggravées en cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou des règlements) ;

- le fait de causer indirectement la mort d'autrui (ou des blessures) par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité imposée par la loi ou les règlements.

En conséquence, une faute simple continuerait à être exigée lorsqu'un lien direct existe entre la faute et le décès (ou les blessures). Au contraire, la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence serait nécessaire pour caractériser le délit lorsque le lien n'est qu'indirect entre la faute et le dommage. Une simple imprudence ne constituerait plus un délit en cas de lien indirect entre cette imprudence et le dommage.

Ces nouveaux critères d'appréciation de la faute involontaire pourraient également figurer à l'article 121-3 du code pénal qui fixe les principes généraux de la responsabilité pénale.

La mission souscrit à ces propositions de réforme de portée générale, susceptibles de concerner l'ensemble des citoyens et les élus locaux en particulier. Le groupe d'étude sur la responsabilité des décideurs publics est parvenu, sur ce point, à des conclusions de même nature.

c) Une limitation du nombre des incriminations pénales

A la suite du groupe de travail de la commission des Lois sur la responsabilité pénale des élus locaux, la mission d'information a constaté que la multiplication des dispositions législatives et réglementaires incriminant des comportements d'imprudence ou de négligence est en partie à l'origine de la pénalisation excessive des rapports sociaux.

Selon le rapport du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics qui cite des statistiques produites par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, le nombre de textes ayant une incidence pénale est, en effet, passé de 37 en 1984 à 946 en 1999. Selon les mêms sources, le nombre d'infractions en vigueur, qui s'élevait à 8 805 en 1989, a atteint 10 029 en novembre 1999.

Le souci de la mission d'information de rendre à la sanction pénale sa fonction première l'a conduite à s'interroger sur le recours excessif à une telle sanction pour incriminer des comportements qui, pour être fautifs, ne revêtent aucune intention de nuire.

Elle juge donc nécessaire qu'il soit procéder à un examen systématique des sanctions pénales existantes afin d'évaluer leur bien fondé au regard du comportement qu'elles ont pour objet de réprimer.

Cet examen devrait conduire à " déclasser " certaines sanctions pénales pour leur préférer d'autres formes de sanctions ou pour s'en tenir à des réparations civiles . Tel devrait notamment être le cas pour certains manquements au code des marchés publics qui sont imputables à des élus de bonne foi ayant commis des erreurs matérielles ou de procédure.

Lors de l'examen du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, le Sénat, sur la proposition de notre collègue Michel Charasse, a complété l'article 432-14 du code pénal afin de préciser que les violations du code des marchés publics ne peuvent donner lieu qu'à réparations civiles quand elles n'ont pas été commises intentionnellement dans un but d'enrichissement personnel de leurs auteurs ou de leurs bénéficiaires.

Le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics propose, pour sa part, que pour les manquements relatifs à des marchés publics restés en deçà d'un seuil qui resterait à déterminer, soit opéré un déclassement en contraventions, punies par l'amende la plus élevée, celle de la cinquième classe.

En outre, le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines exige que les infractions soient définies en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ( Conseil constitutionnel 84-176 DC du 25 juillet 1984 ).

Force est d'observer que tel n'est pas le cas d'un certain nombre d'infractions. Ainsi, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, garde des Sceaux, a reconnu devant le Sénat, le 28 avril dernier, que les contours du " délit de favoritisme " dans les marchés publics étaient jugés trop complexes par les élus locaux, ce qui avait justifié une circulaire de sa part aux juridictions, au vu d'une étude exhaustive de la jurisprudence. Il revient néanmoins au législateur d'apporter les clarifications nécessaires.

* 3 " La décentralisation : Messieurs de l'Etat, encore un effort ! " (n° 239, 1996-1997).

* 4 Circulaire du 8 février 1999 relative à l'application au plan local des règles communautaires relatives aux aides publiques (parue au Journal officiel du 27 février 1999).

* 5 Décision du tribunal administratif de Nancy du 18 mars 1999, SA France Télécom c/ communauté urbaine du grand Nancy

* 6 Loi n°99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

* 7 En l'espèce, l'article 40-1 de la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile, introduit par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement.

* 8 Voir notamment l'article de M. Joël Carton, de l'université Paris XIII, dans la revue juridique de l'environnement, n° 2, 1995, page 247 et s : " les plans de prévention des risques naturels prévisibles : quelles améliorations du dispositif juridique de prévention ? ".

* 9 Voir notamment l'article de Nice Matin, le 15 novembre 1999 : " Dominique Voynet met en cause les constructions en zones inondables ".

* 10 Question écrite n° 16235. La réponse figure au Journal officiel des questions, Sénat, en date du 16 décembre 1999, page 3064.

* 11 La définition a varié. On peut considérer qu'il s'agit d'un déchet résultant d'un traitement approprié, qui n'est plus susceptible d'être traité dans les conditions économiques et techniques du moment

* 12 D'après l'ADEME

* 13 Pour les collectivités signataires d'un contrat avec une société agréée telle Ecoemballages ou Adelphe, à compter de la loi de finances pour 1999.

* 14 Par le conseil d'administration de l'ADEME, le 12 juillet dernier

* 15 Cette étude a été réalisée par la Division des études et de législation comparée du Service des affaires européennes du Sénat (Les documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 66, décembre 1999).

* 16 L'encadré reproduit la note de synthèse de l'étude précitée.

* 17 Voir notamment : " Le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction : une journée de réflexion organisée par la commission des Lois " rapport (n° 602, 1993-1994) de M. Jacques Larché; " Justice et transparence " rapport (n° 247, 1995-1996) de M. Charles Jolibois au nom de la mission d'information présidée par M. Jacques Bérard

* 18 " Régler autrement les conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière administrative ", La Documentation française, collection Les études du Conseil d'Etat, 1993.

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