2. De sombres perspectives
L'analyse des causes du chômage suggère que celui-ci ne pourra pas naturellement diminuer.
a) Le poids du facteur démographique
La
progression du chômage est tout d'abord liée à la forte
croissance de la population active que ne compense pas un trop faible nombre de
créations d'emplois.
Du fait de la structure démographique, la population active a
augmenté de 63 % depuis 1986.
Evolution de la population active
1986 |
1993 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
37,5 |
46,3 |
53,8 |
56,1 |
58,8 |
61 |
(en
milliers) Source : INSEE
Mais la population active occupée n'a augmenté que plus
faiblement : 48 % entre 1986 et 1998.
Evolution de la population occupée
1986 |
1993 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
30,2 |
35,1 |
41,4 |
43,6 |
43,8 |
44,9 |
(en
milliers) Source : INSEE
Ces dernières années, la part de la population active
occupée a même tendance à diminuer, celle-ci passant de
76,9 % de la population active en 1995 à 73,5 % en 1998.
Or, l'arrivée massive de jeunes sur le marché du travail dans les
prochaines années va contribuer à augmenter la population active.
Il faudrait alors créer environ 20.000 emplois d'ici 2006 pour
seulement stabiliser le taux de chômage.
Cela équivaut alors
au doublement des effectifs salariés du secteur privé.
b) La faiblesse de la formation et des qualifications
L'employabilité dépend du niveau de formation.
Or,
celui-ci est particulièrement faible en Guyane.
On estime que l'illettrisme touche environ 40 % de la population.
Moins
de 15 % de la population possède un diplôme de niveau
supérieur au baccalauréat et 60 % n'a aucun diplôme
déclaré (contre respectivement 30 % et 37 % en
métropole).
Cette faiblesse est encore plus évidente parmi les demandeurs d'emplois.
Environ 60 % d'entre eux ont un niveau inférieur ou égal au
niveau V bis
3(
*
)
, cette proportion
n'étant toutefois que de 42 % pour les jeunes de moins de 26 ans.
Dans ce contexte, les perspectives d'une amélioration rapide et
significative du niveau de formation susceptible de contrecarrer la progression
du chômage est faible. Ainsi, s'agissant de la formation initiale,
l'explosion de la population scolarisée risque de ralentir
l'amélioration des performances du système éducatif. Entre
1995 et 2003, les effectifs des collèges doivent progresser de 60 %,
ceux des lycées professionnels de 30 % et ceux des lycées
généraux et technologiques de 270 %.
c) Les conséquences néfastes d'une dépendance économique
La
Guyane souffre actuellement d'une triple dépendance
économique :
- vis-à-vis de la métropole, le taux de couverture des
importations par les exportations (hors activités spatiales) diminue
régulièrement pour ne plus représenter que 17,3 % en
1998 ;
- vis-à-vis du secteur spatial, qui représentait en 1998
30 % du produit intérieur brut guyanais (voire 50 % en 1999)
et près de 25 % de la population active (12.000 emplois lui
étant directement rattachés) ;
- vis-à-vis du secteur public, lequel représentait en 1997
56 % du total des emplois salariés.
La structure de l'emploi reflète globalement cette dépendance
économique :
un quart de la population active travaille dans le
secteur spatial, un quart dans la fonction publique, un quart est au
chômage, le quart restant travaillant dans le secteur privé
.
Cette structure de l'activité, liée à cette
dépendance, n'est alors pas sans conséquence sur l'avenir de
l'emploi local.
L'emploi public ne constitue pas un gisement d'emploi pour l'avenir.
Déjà considérés comme
" pléthoriques ", les effectifs du secteur public ne peuvent
continuer à se développer indéfiniment. Les
collectivités locales qui sont les principaux employeurs sont
confrontées à une grave crise financière et ne pourront
pas, à l'évidence, supporter durablement une charge
supplémentaire à moins d'augmenter la fiscalité qui est
déjà élevée. Le risque d'éviction sur le
secteur marchand serait alors important.
De la même manière, la dépendance extrême
vis-à-vis du secteur spatial n'est pas saine.
M. Michel Mignot,
ancien directeur du centre spatial guyanais (CSG) estime déjà que
le spatial a déjà beaucoup trop d'importance dans le paysage
économique guyanais.
" Représenter 50 % de
l'économie, et près de deux tiers des emplois avec la fonction
publique, est même dangereux. L'idéal serait de réduire ce
poids de moitié pour que le spatial soit considéré comme
une filière économique comme une autre et pas seulement comme
celui qui distribue les chèques "
4(
*
)
.
La délégation partage cette analyse et estime que le
développement de la Guyane passe désormais par l'essor de
nouveaux secteurs d'activité. Elle observe d'ailleurs que l'impact du
spatial sur l'emploi local semble avoir aujourd'hui atteint un seuil, que le
niveau général de la formation des Guyanais ne permettra que
difficilement de dépasser. A l'heure actuelle, la moitié des
emplois de la base et une forte proportion des emplois des entreprises de
sous-traitance sont d'ores et déjà occupés par des
Guyanais.
Mais l'extrême dépendance vis-à-vis de la
métropole rend aujourd'hui délicate l'émergence de ces
nouveaux secteurs d'activité.
Ainsi, les grands projets
économiques ne sont pas actuellement maîtrisés par les
Guyanais et sont de fait montés depuis la métropole. Aussi, en ne
se fondant pas sur l'initiative locale, il n'est pas sûr qu'ils
permettent une réelle diversification de l'activité
économique, ni surtout d'importantes créations d'emplois locales.
Trois exemples de " grands projets " sont à cet égard
éclairants.
Le "
projet sucrier
" est sans doute le plus symptomatique.
Depuis 1995, est étudiée la faisabilité d'un projet
d'investissement de plus de 900 millions de francs visant à
produire quelque 60.000 tonnes d'équivalent sucre blanc. Ce projet
permettrait de créer 200 emplois permanents et 450 emplois
saisonniers.
Il est néanmoins actuellement bloqué, sa faisabilité
définitive dépendant de critères sur lesquels les
investisseurs n'ont pas de prise : l'octroi d'un quota sucrier permettant
l'écoulement de la production vers l'Europe, l'attribution d'aides
publiques et le maintien du système européen de prix garantis
afin d'assurer la rentabilité économique du projet dans un
contexte de marasme des cours mondiaux.
L'exploitation industrielle aurifère
pourrait également se
développer. L'or constitue en effet la première ressource
d'exportation guyanaise, après le spatial, avec une production de
2.440 kg en 1998. La production aurifère reste cependant une
activité largement artisanale, voire clandestine. A l'issue d'une
campagne exhaustive d'inventaire du potentiel minier de la Guyane, une
compagnie minière internationale vient de déposer une demande de
concession pour développer une activité industrielle de
production.
Mais, là encore, les perspectives en termes d'emplois restent faibles
d'autant plus que la baisse continue du cours mondial de l'or depuis plusieurs
années fragilise la rentabilité économique du projet.
Le développement de la
pêche crevettière
offre
également des perspectives. Deuxième poste d'exportation, cette
activité pourrait constituer un important gisement d'emploi car un
emploi en mer induit cinq emplois à terre.
Mais la pêche crevettière souligne également les paradoxes
de la situation de l'emploi en Guyane. D'une part, son développement est
encadré par des quotas de pêche de 4.000 tonnes par an qui ne
permettent pas de faire de cette activité ni un pôle de
développement, ni un réel gisement d'emplois. D'autre part, il
s'avère que les emplois créés ne profitent pas aux
Guyanais, 90 % des emplois embarqués étant pourvus par des
étrangers (Surinamiens et Brésiliens essentiellement).