INTRODUCTION
PAR MM. CHARLES DESCOURS ET CLAUDE HURIET
M. LE
PRÉSIDENT
-
Mesdames, Messieurs, mes chers collègues,
j'ai plaisir à vous accueillir pour cette journée d'auditions,
que la commission des Affaires sociales considère comme très
importante, consacrée à la sécurité sanitaire :
état des lieux et perspectives, en France et en Europe.
M. Christian Poncelet, Président du Sénat, a accepté
de clôturer cette journée. Il nous rejoindra dès qu'il aura
terminé de présider la séance publique consacrée
aux questions au Gouvernement.
Avant de donner la parole à MM. Claude Huriet et Charles Descours,
qui sont les " pères " de la loi du
1
er
juillet 1998 et qui vont introduire notre débat, je
vous rappelle que nous avons une journée chargée, avec de
multiples intervenants, qui se déroulera donc à un rythme rapide.
Le dernier intervenant sera M. David Byrne, Commissaire européen
chargé de la protection de la santé et des consommateurs. Ces
auditions feront l'objet d'un compte rendu intégral.
M. Charles DESCOURS
-
Je vais commencer par faire un
historique de cette loi sur la sécurité sanitaire qu'avec Claude
Huriet, nous avons aidé à faire voter par le Parlement.
Il faut bien comprendre que la commission des Affaires sociales du Sénat
s'est intéressée depuis très longtemps à ces
problèmes. En 1992, lorsque l'on nous avait présenté le
projet de loi sur l'Agence Française du Sang, Claude Huriet avait
demandé par amendement la création de l'Agence du
Médicament. En 1994, avec un gouvernement qui avait entre-temps
changé, nous avions également créé, dans les lois
bioéthiques, l'Etablissement Français des Greffes.
En 1996, nous avons créé une mission d'information
consacrée à la sécurité sanitaire ; je tiens
à dire que c'était avant l'épisode
" médiatique " de l'encéphalopathie spongiforme bovine
plus communément appelée la
vache folle
. Ce n'était
donc pas par un effet de mode que la commission des Affaires sociales du
Sénat avait créé cette mission d'information que j'ai eu
l'honneur de présider, et dont Claude Huriet était le rapporteur.
Cette mission s'est rendue aux Etats-Unis en 1996 ; nous sommes
allés voir le fonctionnement de la Food and Drugs Administration (FDA)
et des Centers for Disease Control (CDC) à Atlanta et nous avons
rencontré les parlementaires plus particulièrement
intéressés par les questions de sécurité sanitaire.
Nous avons eu ensuite des contacts, pendant trois ou quatre ans, avec la FDA
qui est venue nous voir ici par l'intermédiaire d'un ou deux de ses
responsables, ces contacts nous ont aidés.
Le rapport de Claude Huriet a été publié au cours de
l'hiver 1996, ainsi que la proposition de loi qui en était issue. Sous
la V
e
République, peu de propositions de loi d'origine
parlementaire sont définitivement adoptées. Nous avons tous
cosigné cette proposition de loi et celle-ci a reçu le soutien du
gouvernement de l'époque, qui était celui d'Alain Juppé.
Elle a eu notamment le soutien actif d'Hervé Gaymard et -ce qui a
été plus difficile parce que l'adhésion n'a pas
été immédiate- du ministre de l'Agriculture de
l'époque, Philippe Vasseur.
Après le changement de gouvernement, le nouveau Premier ministre,
M. Lionel Jospin, a évoqué la création d'une Agence
de Sécurité Sanitaire dans sa déclaration de politique
générale au Parlement. D'ailleurs, pendant que nous
présentions notre proposition de loi sous le gouvernement
précédent, notre ami Bernard Kouchner avait écrit un
article dans lequel il défendait la création d'une seule agence,
alors que nous en proposions deux.
Nous avons écouté ce que disait M. Jospin et, le 12
août, des conseillers de M. Jospin ont demandé à nous
rencontrer pour parler de cette affaire. Cela montre qu'au-delà des
affrontements normaux en démocratie, de grandes questions transcendent
les courants politiques.
Le cabinet du Premier ministre nous a indiqué que notre proposition de
loi figurerait à l'ordre du jour du Parlement.
Ils nous ont cependant suggéré de créer une agence
plutôt que deux. Nous leur avons dit :
" Vous allez voir que
faire une agence est plus compliqué que ce que vous croyez. Si vous
arrivez à faire une agence nous n'en faisons pas une affaire de
paternité, nous voulons bien n'en faire qu'une, mais vous verrez que
vous serez obligés d'en faire deux."
La proposition de loi a été discutée au Sénat et
à l'Assemblée. Les échanges avec les industriels ont
été intéressants, notamment sur les dispositifs
médicaux. Nous avons rencontré quelques réticences de la
part du ministère de l'Agriculture pour créer l'Agence de
Sécurité des Aliments. La loi a été
promulguée le 1
er
juillet 1998.
Nous organisons aujourd'hui cette journée d'auditions parce que nous
voulons vérifier -comme c'est le rôle du Parlement- la
façon dont fonctionnent les agences et la façon dont
évolue la sécurité sanitaire dans notre pays et en Europe,
puisque la présidence française de l'Union européenne sera
peut-être l'occasion de la création d'une agence européenne
de sécurité alimentaire.
M. Claude HURIET
-
Monsieur le Président, mes chers
collègues, Mesdames, Messieurs, l'objet de cette journée
d'auditions publiques consiste à faire le point de la situation et
à avancer quelques réflexions prospectives.
La commission des Affaires sociales, dont Charles Descours vient de rappeler
l'engagement constant en faveur de la sécurité sanitaire, est
très attentive à exercer les missions que les institutions
confient au Parlement, à savoir le contrôle, mais aussi le suivi
et les conditions d'application des textes législatifs votés par
le Parlement.
En effet, nous considérons que le travail du législateur ne
s'arrête pas le jour où la loi a été adoptée.
Quelles que soient les conditions du vote, nous exerçons cette vigilance
et le suivi dans l'application des lois en ce qui concerne le contenu des
textes d'application et les délais de leur publication. Sans doute
aurons-nous l'occasion, au cours de cette journée, d'interroger les
Directeurs Généraux des agences pour savoir où en est la
préparation des textes d'application de la loi non encore
publiés.
Nous n'avons aucune suspicion à l'encontre des Directeurs
Généraux des agences ou du fonctionnement des agences ; le
législateur peut aussi contribuer à les aider dans leur
tâche difficile, car, au fond, une des caractéristiques de cette
loi de juillet 1998 est qu'il s'agit d'un texte innovant.
En effet, nous ne nous sommes pas contentés de procéder à
des ajustements des structures existantes mais nous avons bâti, à
partir des matériaux qui existaient, un ensemble dont chacun
reconnaît qu'il a acquis davantage de cohérence, de
lisibilité et d'efficacité. Nous sommes, là aussi, comme
des partenaires de ceux qui ont à appliquer la loi.
Ces auditions se situent également dans un contexte national et un
contexte européen évolutif. Le contexte national correspond
à la création en cours, telle que l'Assemblée nationale
l'a souhaitée, d'une Agence de Sécurité Sanitaire
Environnementale sur laquelle des questions pourront être posées.
Il semble cependant que le Gouvernement n'envisage pas d'inscrire ce texte
à l'ordre du jour du Sénat avant l'automne. Je crois que nous
évoquerons peut-être les relations éventuelles entre les
agences existantes et l'organisme dont la création est envisagée,
mais je souhaite que ces digressions ne bouleversent pas le bon
déroulement de la journée.
Dans l'évolution du contexte national, je ne peux pas ne pas
évoquer l'explosion du principe de précaution. C'est un sujet
d'une actualité brûlante et peut-être ne serait-il pas
souhaitable d'y consacrer trop de temps. Je voudrais souligner, dès le
départ, qu'il y a pour nous une certaine contradiction entre les efforts
accomplis par le législateur et les responsables de l'organisation
nouvelle, et une application de plus en plus large du principe de
précaution.
C'est pour le moment plus une réflexion qu'une interrogation, mais
à quoi bon renforcer les dispositifs de sécurité de veille
sanitaire si c'est pour amener les décideurs à appliquer le
principe de précaution en oubliant un des critères qui
était inscrit dans la loi Barnier de 1995, à savoir la
proportionnalité de la réponse par rapport au risque réel
ou supposé ?
Le contexte international aussi a évolué, plus
particulièrement en ce qui concerne l'Europe, d'où
l'intérêt d'auditionner à la fin de cette journée un
Commissaire européen qui pourra nous faire connaître le climat
dans lequel évolue la sécurité sanitaire.
J'ai la conviction -et j'espère qu'elle est largement partagée-
que les dispositions législatives françaises et la loi de 1998
ont contribué à faire évoluer les choses en Europe. Je
voudrais prendre deux exemples, la
vache folle
dont nous parlerons tout
à l'heure, et un point qui a été beaucoup plus
délicat concernant les dispositifs médicaux, ce point sera
également évoqué plus loin.
La plupart des interlocuteurs sont d'accord sur le fait que nous devons
considérer que la législation française du 1
er
juillet 1998 avait été mal ressentie par l'industrie des
dispositifs médicaux en France, ce que nous comprenons ; cela avait
aussi fait l'objet de réserves de la part de la Commission. Il semble
désormais que la position française traduisant la
détermination du législateur a contribué à aider la
Commission à s'interroger sur la pertinence et l'efficacité, par
exemple, des organismes notifiés dans les différents pays de
l'Union européenne.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui, les textes d'application
relatifs aux agences sont presque tous publiés, l'organisation est en
place, elle fonctionne bien, j'espère que les Directeurs
Généraux pourront le confirmer. Cependant comme vous pourriez les
taxer d'être de parti pris, nous avons souhaité la participation
d'autres intervenants !
Il nous appartient désormais de voir avec vous, non seulement si nous
avons des motifs de satisfaction, mais aussi quels sont les progrès
à accomplir pour que l'organisation nouvelle puisse connaître sa
pleine efficacité pour répondre aux attentes des consommateurs,
quelquefois raisonnables, quelquefois excessives, face à cette
société sans risque à laquelle ils aspirent. Nous sommes
bien conscients que tous les efforts doivent être faits pour
réduire la proportion des risques, mais que le chemin à parcourir
est encore long. Cette journée pourra peut-être constituer,
grâce à vous, une étape importante dans la recherche de
l'amélioration constante des résultats.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur Huriet. Maintenant, je vais
donner la parole aux différents intervenants. Nous allons tout d'abord
aborder le point de vue des institutions de veille et de sécurité
sanitaires : interviendront successivement M. Martin Hirsch,
Directeur Général de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments, M. Philippe Duneton,
Directeur Général de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé et
M. Jacques Drucker, Directeur Général de l'Institut de
Veille Sanitaire.
Nous entendrons ensuite le point de vue des consommateurs, des industriels, des
médias, des experts, des ministres et de la Commission
européenne.
I. LE POINT DE VUE DES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA VEILLE ET DE LA SÉCURITÉ SANITAIRES
A. AUDITION DE M. MARTIN HIRSCH, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS (AFSSA)
M. Martin HIRSCH - Mesdames et Messieurs les
sénateurs, je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler les
compétences et le rôle de l'Agence, vous les connaissez mieux que
quiconque. Elle a été conçue comme un organisme public
d'évaluation des risques destiné à éclairer le
Gouvernement par l'appui technique qu'elle apporte, les avis qu'elle rend, les
recommandations qu'elle formule, les expertises qu'elle fournit et les
recherches qu'elle mène, avec, pour toutes ces missions, une
finalité unique : la contribution à l'amélioration de la
santé sanitaire.
La sécurité sanitaire est devenue un objectif prioritaire et non
plus une préoccupation subordonnée à la satisfaction
d'autres contraintes d'ordre supérieur. C'est pourquoi l'activité
d'une agence comme la nôtre se situe toujours dans ce chemin
étroit entre l'insuffisance de précautions et l'excès de
précautions, avec leurs effets néfastes, où il faut n'en
faire, ni trop, ni trop peu. C'est pourquoi, avant d'en venir aux principes qui
ont guidé les premiers pas de l'Agence et aux perspectives qui peuvent
être entrevues à ce stade, je ferai quelques remarques sur le
contexte dans lequel se situe cette activité.
Tout d'abord, c'est un contexte dans lequel on attend tout de l'expert, sauf
qu'il se substitue aux politiques et on attend tout d'une agence d'expertise,
sauf qu'elle se substitue aux gestionnaires de risque. Cela impose de rendre
des avis suffisamment clairs, des avis qui ne lient pas l'autorité qui
décide mais l'éclairent.
Par ailleurs, un organisme comme l'AFSSA ne se fonde que sur des
considérations d'ordre sanitaire et scientifique ; toutefois, il
n'est pas neutre d'avoir à rendre un avis lorsque des
conséquences sociales, économiques et diplomatiques lourdes
peuvent en résulter. Si ceci ne conduit pas l'Agence à transiger
avec les risques, cela lui impose, comme l'enjeu sanitaire lui-même, une
particulière rigueur sur la façon dont elle travaille.
Par ailleurs, la science comme les réglementations sanitaires ont
rarement des frontières qui coïncident avec celles des Etats. Cette
dimension internationale est de plus en plus forte, au moment même
où plusieurs pays, dont la France, renforcent leur organisation
nationale dans le domaine de l'évaluation et de la gestion des risques.
De plus, nous attendons des évaluateurs de risques et des organismes
comme l'Agence, de plus en plus de réponses précises et
définitives dans un univers de connaissances de plus en plus incertain,
avec la nécessité de pouvoir conjuguer le temps de la
décision et celui de l'acquisition de la connaissance.
Nous cherchons à réduire les risques, nous cherchons à
traquer le risque évitable alors même que, selon la formule
rituelle, le risque zéro n'existe pas, cette formule rituelle ne devant
d'ailleurs pas être prétexte à considérer que tout
risque est une fatalité. Il n'est pas toujours facile d'expliquer qu'il
est nécessaire de porter une attention soutenue à une
bactérie qui, dans les conditions actuelles de sa maîtrise, ne tue
pas plus en un an que la route en un week-end de mai. C'est dans ce contexte
qu'évolue l'Agence qui a été mise en place avec comme
viatique la loi du 1
er
juillet 1998 et son décret
d'application.
Nous nous sommes efforcés de placer ses premiers pas en respectant
quatre règles cardinales :
- indépendance,
- transparence,
- excellence scientifique de nos experts,
- rapidité.
Ceci tout en nous efforçant de construire une jurisprudence permettant
de guider notre activité et de forger des repères utiles à
l'avenir. Pour cela, l'activité s'est organisée selon les quatre
priorités suivantes :
- Développer d'emblée une capacité à
répondre aux demandes adressées à l'Agence en situation de
crise afin de permettre aux Pouvoirs Publics de fonder leur décision sur
une analyse scientifique des risques.
Cela a été le cas à de nombreuses reprises depuis un an,
qu'il s'agisse, pour citer les plus connues, de la crise de la Dioxine, de la
crise du Coca Cola, de la crise de l'ERIKA. A chaque fois, cela nous a conduits
à rendre plusieurs avis successifs en essayant d'expliquer -en fonction
des connaissances que nous avions au moment où la crise survenait, en
fonction des premières données qui nous étaient
transmises- les premiers éléments d'évaluation du risque
et à préciser les choses dans des avis ultérieurs -lorsque
je dis ultérieurs cela peut être la semaine suivante ou le mois
suivant- pour permettre de prendre des mesures proportionnées.
- Harmoniser les conditions dans lesquelles étaient produits les
avis. Sur les neuf premiers mois de 1999, 180 avis ont été rendus
par l'Agence, dont deux tiers au titre des instances préexistantes dont
nous assurons le secrétariat, et un tiers dans les conditions nouvelles
de saisine de l'Agence.
Nous avons rendu ces avis en nous efforçant de satisfaire aux exigences
de la loi, c'est-à-dire mettre en place une rationalisation de
l'expertise afin de créer, d'ici l'été, les nouveaux
comités d'experts spécialisés qui se substitueront aux
anciennes commissions. A la lumière d'un an d'expérience, nous
avons pu voir quels pouvaient être les avantages et inconvénients
des différentes formules, avec des comités très
hétérogènes dans leur composition, leur mode de
fonctionnement, leur mode de saisine, etc.
- Pouvoir mener des travaux de fond au-delà des réponses
ponctuelles. C'est le cas de travaux qui s'étalent sur huit mois ou un
an, comme ceux sur l'évaluation de l'ensemble des risques sur la
filière alimentation animale, comme le travail sur les apports
nutritionnels conseillés, celui récemment rendu sur la
listéria monocytogenèse, et les dix sujets que nous avons soumis
à notre conseil scientifique pour être lancés en l'an 2000
et ceci en fonction des priorités sanitaires.
- Pouvoir définir des lignes directrices pour les travaux des
laboratoires, qu'il s'agisse des axes thématiques à
développer en relation avec les enjeux sanitaires actuels ou des
conditions dans lesquelles les activités de ces laboratoires
s'inscrivent dans un environnement nouveau.
Nous avons eu à coeur, dès la création de l'Agence, de
faire de celle-ci, malgré l'origine diverse de ses compétences,
un établissement unique fonctionnant comme tel avec des instances
communes, avec des règles directrices communes et des modifications
à apporter à des règles de partenariat. A
côté de ces quatre priorités, il nous a fallu rendre
publics tous les avis de l'Agence, ainsi que la loi l'exige.
Les premiers enseignements qui peuvent en être tirés sont
peut-être les suivants :
- Le rassemblement, dans un même établissement, d'instances
d'évaluation et de laboratoires est un atout très important pour
assurer l'assise scientifique de l'Agence et développer sa
capacité de veille et sa réactivité.
C'est aussi une source de difficultés, cela impose de nouvelles
règles de fonctionnement mais nous nous apercevons, et en particulier
dans les discussions que nous avons avec d'autres instances d'autres pays, de
l'intérêt de pouvoir compter directement sur cette capacité
d'expertise, d'appui technique et de recherche existant dans les laboratoires.
- Les procédures de transmission d'informations prévues par
la loi sont essentielles pour que les travaux de l'Agence ne soient pas
déconnectés des réalités de terrain.
A plusieurs reprises, nous nous sommes fondés sur des résultats
d'enquêtes, des résultats d'inspections, dont nous avons tenu
compte en plus des connaissances scientifiques, pour adapter telle ou telle
date, telle ou telle recommandation, telle ou telle pratique qui, sinon, aurait
fait l'impasse sur des difficultés qu'il pouvait y avoir dans
l'application d'une réglementation.
- Il était important de mettre en chantier une
réorganisation des comités d'experts. Lorsque les experts nous
indiquent que le soutien qu'ils peuvent désormais avoir, que les
relations qu'ils peuvent avoir avec les scientifiques de l'Agence leur
permettent de mieux exercer leur fonction difficile, c'est pour nous un sujet
de satisfaction.
- La publicité des travaux de l'Agence pratiquement en temps
réel est un changement important pour l'ensemble des acteurs dans ce
processus de démocratie sanitaire que vous avez évoqué
tout à l'heure.
Je terminerai par les perspectives. L'Agence a été soumise
à un rythme de travail particulièrement soutenu et nous ne nous
attendons pas à bénéficier d'un répit dans les
années qui viennent, mais nous pensons qu'à la lumière de
ces premiers pas, nous pourrons renforcer notre fonctionnement avec trois
perspectives principales qui sont pour nous autant d'exigences.
- La première est d'être capable d'anticiper les risques.
Nous sommes dans un domaine où des risques nouveaux, des maladies
nouvelles émergent, de nouveaux contaminants sont identifiés.
Nous avons cité la
vache folle
tout à l'heure, mais il y a
aussi certaines maladies moins connues comme la maladie amaigrissante du
porcelet, l'entérocolite du lapin, la maladie de Borna : des
interrogations s'élèvent concernant leurs conséquences
éventuelles.
Il est essentiel de développer une méthodologie permettant
à chaque fois, avec la même rigueur, de se poser des questions.
Ces maladies sont-elles ou non transmissibles à l'homme ? Si elles
l'étaient, les mesures que nous prenons pour éviter d'exposer
l'homme par la voie alimentaire ou parfois par d'autres voies, sont-elles
adaptées à une évolution des connaissances scientifiques
qui irait dans le mauvais sens ?
Il nous faudra travailler, dans les mois qui viennent, dans ce domaine, tant
par les axes de recherche en laboratoire que par les méthodes
d'évaluation.
- La deuxième perspective est la nécessité de pouvoir
maintenir une capacité à développer des travaux
approfondis. Si nous voulons bien guider l'action des Pouvoirs Publics, il faut
pouvoir lancer des réflexions de fond mettant en perspective les
risques, les vulnérabilités, les enjeux.
Il n'y a aujourd'hui aucune situation de crise dans certains domaines où
nous pensons qu'il faut quand même mettre à plat un certain nombre
de sujets : c'est ce que nous faisons par exemple pour l'agriculture
biologique, en nous disant que la situation est suffisamment précoce
pour que l'on soit capable de faire une analyse objective. Si nous n'avions pas
les moyens de mener ces travaux de fond, si tous les moyens étaient
obérés par la réponse aux crises, nous serions revenus
à la case départ.
- La troisième et dernière perspective consiste à se
préparer au nouveau contexte communautaire et international. La
silhouette de l'Autorité alimentaire européenne, telle qu'elle se
dessine dans le Livre blanc de la Commission, présente de très
nombreuses similitudes avec l'AFSSA. Celle-ci doit donc se préparer
à pouvoir être l'un des piliers d'un système d'expertise
fonctionnant en réseaux, et l'expérience que nous aurons acquise
d'ici la mise en place de l'Agence ou de l'Autorité européenne
sera très précieuse dans ce cadre.
Telles sont les principales remarques que je souhaitais faire. J'espère
avoir clairement souligné que le système issu de la loi du
1
er
juillet 1998 était porteur de changements réels et
de nombreuses potentialités dans notre domaine.
L'Agence représente près de 800 personnes et des centaines
d'experts qui se mobilisent pour mettre en oeuvre ce qui est écrit dans
la loi.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur
Général. Je donne la parole à M. Philippe Duneton,
Directeur Général de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.
B. AUDITION DE M. PHILIPPE DUNETON, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS DE SANTÉ (AFSSAPS)
M.
Philippe DUNETON - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je
voudrais en quelques mots rappeler le contexte de la création de
l'AFSSAPS, puisque l'Agence Française de Sécurité
Alimentaire a des particularités que n'a pas l'Agence Française
de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, cette
dernière ayant été bâtie sur les bases de l'Agence
du Médicament. L'AFSSAPS a des compétences plus larges que
l'AFSSA puisque, au-delà de l'évaluation du risque, elle a aussi
en charge la gestion du risque, y compris le contrôle et l'inspection de
l'ensemble des produits de santé.
Après avoir rappelé quelques éléments de
l'environnement et du fonctionnement de l'Agence, je voudrais donner quelques
éclairages en fonction des différents produits. Le
sénateur Huriet m'a notamment invité à faire le point sur
certains textes d'application de la loi.
Je parlerai d'orientations et de perspectives concernant la mise en place d'une
organisation en termes de guichets, de points d'entrée, que j'ai mise en
place au sein de l'Agence, et ensuite du contexte européen.
De façon très schématique, j'ai pris l'habitude de
présenter l'Agence à partir de trois métiers plus un. Les
trois métiers sont l'évaluation, les contrôles et
l'inspection. Le quatrième est un moyen d'action, c'est un
métier, j'y reviendrai lorsque je parlerai des vigilances : il
concerne l'information, c'est-à-dire l'information à la fois
ascendante et descendante chez les professionnels de santé, les
professionnels industriels et évidemment au sein du public.
Mais sans vouloir faire du chiffre trois un chiffre clé de l'Agence,
nous évoluons aussi dans un monde en trois dimensions :
- le premier est l'évaluation scientifique sur le plan du
bénéfice/risque,
- le deuxième que l'Agence assure pour le médicament et
prochainement pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, est
l'évaluation médico-économique avec à la fois
l'évaluation du service médical rendu et la proposition du taux
de remboursement,
- le troisième est évidemment indépendant de l'Agence
puisqu'il concerne la prise de décision en la matière, qui
relève de la compétence des ministres.
Sans trop entrer dans le détail des chiffres, je dirai que l'Agence
compte 833 personnes, dont une centaine sur les dispositifs
médicaux, qui exercent des métiers, d'évaluation, de
contrôle et d'inspection ; c'est aussi un budget de
579 millions de francs , dont 40 % de subvention de l'Etat. Il faut
savoir remarquer que l'accroissement des missions de l'Agence s'est fait par le
biais de l'accroissement de la subvention de l'Etat, qui lui permet de prendre
en charge les nouveaux produits entrant dans son champ de compétences.
Il s'agit aussi de 15 commissions, et de plus de 1.000 experts qui
contribuent à assurer l'évaluation interne sur la base d'une
expertise externe proche du terrain et en particulier du milieu
hospitalo-universitaire.
L'Agence s'est bâtie sur l'Agence du Médicament, c'est toujours
une donnée importante à garder en mémoire. Je rappelle
que, y compris au moment de la création de l'Agence, elle a
continué et a accentué ses travaux dans le domaine des
médicaments et d'autorisation de mise sur le marché, avec un
point plus particulier concernant le développement des
génériques, puisque c'est un axe très important de la
politique du médicament du Gouvernement.
En particulier, nous avons établi un répertoire, bâti sur
les principes de santé publique et ceux du droit de la substitution,
comprenant 800 spécialités, dont 400 inscrites en 1999. En
plus des évaluations, l'Agence a procédé au contrôle
en laboratoire de l'ensemble des spécialités inscrites au
répertoire, ceci était un des premiers objectifs pour 1999.
Un des points importants était bien sûr ce que j'ai
évoqué sur l'évaluation médico-économique
puisque nous allons réaliser, en moins d'un an, la
réévaluation du service médical rendu de l'ensemble des
spécialités inscrites au remboursement, c'est-à-dire 4.000
spécialités. Dans les prochaines semaines nous terminerons la
deuxième vague qui représentera plus des trois quarts du travail
qui restera à accomplir ; nous espérons terminer à la
rentrée.
Pour revenir à des préoccupations de sécurité
sanitaire, je voudrais rappeler le contexte concernant les dispositifs
médicaux et rappeler quelques temps forts.
Comme je l'ai indiqué, les dispositifs entrent désormais dans le
champ de compétences de l'Agence. L'Agence a
bénéficié d'un transfert d'équipes qui
étaient auparavant à la Direction des hôpitaux ; en
effet, l'organisation et la sécurité reposent beaucoup sur des
aspects de vigilance, donc de surveillance après la mise sur le
marché.
En moins de cinq ans, la France a su, en matière de vigilance des
dispositifs médicaux, rejoindre le plus haut niveau européen. Il
y a eu le transfert des équipes, la création d'une inspection
spécifique des dispositifs médicaux, la préparation et la
mise en place de la nouvelle organisation.
Nous travaillons avec les industriels concernant les dispositifs d'alerte et,
grâce au travail mené avec la Direction des hôpitaux, nous
pouvons contacter en moins d'une heure l'ensemble des établissements
publics de santé. Nous avons utilisé ces moyens dans le cadre du
dispositif mis en place pour le passage à l'An 2000.
Mais il est clair que la diversité des types de dispositifs et des
publics concernés, fait que nous avons un chantier, que nous
espérons voir aboutir au cours de cette année, pour adapter les
dispositifs d'alerte à cette diversité de nos publics.
La mise en place d'une commission spécifique est actuellement en cours
et nous allons mettre en place une commission d'évaluation concernant le
service médical rendu. Une troisième commission sera
placée au sein de l'Agence et s'occupera plus spécifiquement de
l'évaluation en termes de sécurité sanitaire et de
contrôle du marché.
Avant même la mise en place de cette commission, qui est plutôt un
groupe de travail, j'ai souhaité que nous travaillions plus
précisément sur les dispositifs implantables qui sont parmi ceux
qui posent le plus de problèmes, puisqu'ils sont à l'origine de
75 % des accidents sérieux. En particulier, des groupes
d'évaluation seront mis en place sur les prothèses de hanches et
les endoprothèses aortiques, des travaux sont d'ailleurs
déjà en cours.
J'ai cité l'inspection, mais il y a aussi le contrôle des
organismes notifiés qui sont contenus dans les directives
européennes transposées en droit français ;
l'inspection de l'organisme notifié français, le GEMED, est en
cours actuellement. Tout cela sera réalisé et terminé dans
quelques semaines.
De la même façon que pour les dispositifs médicaux, le
secteur des réactifs de laboratoire a fait l'objet de différentes
réévaluations. Nous travaillons, là encore, à
regarder comment nous pouvons notifier un organisme pour prendre en charge et
enregistrer, puisque la nouvelle directive entrera en application le 7 juin
prochain.
L'approche française, qui a été très largement
développée et défendue par le Sénat, consistait
à tenir compte d'un certain nombre de particularités, de
l'environnement européen, mais aussi à montrer qu'en
matière de sécurité sanitaire, des avancées
contenues dans la loi devaient être faites.
Cela m'amène à parler de deux textes qui sortiront prochainement,
et qui feront l'objet d'une consultation auprès des professionnels et
auprès de la Commission européenne, puisqu'il est vrai que les
autres Etats membres étaient particulièrement "sourcilleux" sur
cette approche française.
Le texte concernant les dispositifs à risques particuliers est
prêt, il pourra être notifié à la Commission. J'avais
donné consigne aux équipes en charge des dispositifs
médicaux dans mon service, d'aller expliquer -ce qui a été
fait plusieurs fois par mois depuis que l'Agence existe- que ces dispositions
se situaient dans le cadre de l'approche communautaire, et qu'elles
présentaient la particularité de prévoir une notification
de trois mois avant la mise sur le marché de dispositifs particuliers.
Elles constituent une mesure de vigilance, un facteur clef de
sécurité et non pas une entrave à la mise sur le
marché.
Autant il y avait beaucoup de scepticisme, de crainte vis-à-vis des
dispositions prévues dans la loi de juillet 1998, autant maintenant je
pense que la position française est mieux comprise, voire presque
défendue, par la Commission. C'est un changement important et notable
qui a été obtenu en quelques mois, il reste à passer
à l'acte.
De la même manière, un autre décret important pourra
être publié dans les toutes prochaines semaines concernant
l'assurance qualité des dispositifs médicaux.
Cela n'épuise pas le débat parce que bien d'autres enjeux en
matière de dispositifs médicaux sont devant nous. En particulier,
vous connaissez tous les différences d'évaluation clinique qui
existent entre le médicament et les dispositifs médicaux, ceci
à juste titre, puisque la diversité des dispositifs donne lieu
à des risques extrêmement diversifiés, ce qui pose un
certain nombre de problèmes.
Par ailleurs, la Directive prévoit le contrôle des organismes
notifiés. La France fait son travail, il faut s'assurer que, dans
l'ensemble des autres Etats membres, le travail est fait de la même
façon. Nous avons déjà eu des échanges avec les
Etats membres et, dans le cadre de la présidence française,
l'AFSSAPS a pris l'initiative d'organiser au mois de juillet à Paris une
rencontre avec les Etats membres et la Commission sur les problèmes
posés par l'évaluation clinique et le contrôle des
organismes notifiés, point qui est un enjeu important auquel nous serons
tous sensibles.
Je voudrais aussi parler d'autres produits. Je passerai sur les produits
sanguins pour lesquels le transfert s'est fait au premier jour et s'est
développé sans difficulté.
Cela m'amène aux produits biologiques, qui représentent une autre
dimension importante de l'acuité de l'Agence, maintenant
compétente pour exercer les missions d'évaluation, de
surveillance et de contrôle. Nous avons organisé l'inspection des
produits biologiques, mais nous nous sommes trouvés face à un
certain nombre de difficultés quant à la prise des textes
prévus par la loi de 1998.
Concernant les thérapies génique et cellulaire, qui faisaient
déjà l'objet de dispositions législatives de 1996 reprises
dans le cadre de la loi de 1998, nous avons réussi à
préparer un texte d'application. Nous avons rencontré des
difficultés sur la définition des différents types de
produits, en particulier des produits cellulaires -puisqu'il y avait plusieurs
définitions en fonction de leur origine- des produits sanguins, des
produits placentaires et des produits issus de la moelle.
Peut-être faudra-t-il revoir la définition des produits mais, de
mon point de vue, il n'est pas nécessaire d'attendre quoi que ce soit
pour publier les textes d'application puisque nous avons désormais
retenu une approche qui me paraît cohérente.
Malgré la gêne évidente résultant de l'absence des
textes d'application de la loi, l'Agence s'en est préoccupée sans
attendre.
D'une part, cela a permis d'éviter les dérives que nous avons pu
constater sur le continent Nord américain et qui ont été
rappelées par l'actualité le mois dernier et, d'autre part, cela
a malgré tout permis de ne pas bloquer la recherche, comme en
témoignent les avancées notables réalisées au cours
des dernières semaines à Paris avec le professeur Fischer.
Je voudrais terminer sur l'inspection.
J'ai déjà évoqué l'inspection spécifique sur
les produits biologiques et les dispositifs médicaux. Je voudrais citer
un point concernant l'articulation de nos travaux avec ceux des autres
administrations : nous avons ainsi été amenés
à passer une convention avec la Direction Générale de la
Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes.
Même si les frontières sont repoussées, elles existent
toujours, il existe donc des interfaces dans nos champs de compétences
pour lesquelles nous avons à travailler et à définir des
procédures.
De la même façon, en matière d'inspection, nous avons
travaillé avec les services déconcentrés du
ministère de la Santé, et défini un programme d'inspection
qui a été mis en oeuvre avec une circulaire dès le 11 mai
1999.
J'ai évoqué la mise en place de réseaux et de guichets, je
citerais aussi la coordination des vigilances qui est très importante
puisque nous avons huit vigilances différentes. Cela répond
à un objectif de fonctionnement transversal de l'établissement,
c'est-à-dire qu'à partir du moment où une question se
pose, il faut être sûr que les mêmes décisions
puissent être prises, le cas échéant, sur l'ensemble des
produits concernés.
Un autre point important de cette coordination des vigilances est le point
d'entrée avec les autres institutions et agences, en particulier l'AFSSA
; nous avons travaillé de façon concertée sur un certain
nombre de projets.
Je terminerai en évoquant la future présidence française
de l'Union européenne. J'ai rappelé l'importance, en
matière de dispositifs médicaux, des enjeux qui s'attachent
à la bonne compréhension et la bonne intervention
concertée avec les autres Etats membres et la Commission.
J'espère que les positions françaises qui sont
répétées, qui traduisent la volonté du Parlement et
du Gouvernement, seront reprises, en tout cas en Europe.
Dans le domaine du médicament aussi, il existe un enjeu important de la
présidence française : le système d'enregistrement
des médicaments doit en effet être révisé l'an
prochain. Au cours de sa présidence, la France sera donc amenée
à faire des propositions avec les autres Etats membres pour voir comment
nous pouvons améliorer le système d'enregistrement
européen, puisqu'il existe actuellement deux procédures, l'une
centralisée avec l'Agence européenne à Londres et l'autre
dite de reconnaissance mutuelle. De toute façon, les deux
procédures sont basées sur l'expertise qui est faite par les
différentes agences nationales.
Voilà en quelques mots un premier bilan de la mise en place de l'Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Produits de
Santé.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur
Général. Je passe la parole à Jacques Drucker, Directeur
Général de l'Institut de Veille Sanitaire.
C. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT DE VEILLE SANITAIRE (IVS)
M.
Jacques DRUCKER
-
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Mesdames, Messieurs, je souhaitais dans le cadre de cette audition publique
faire le point avec vous, un an après la création de l'Institut
de Veille Sanitaire, sur son organisation, son fonctionnement et les moyens
dont il est doté.
Puis, nous aborderons bien entendu sa production au cours de cette année
et enfin les enseignements que nous pouvons tirer de cette année de
fonctionnement, sans complaisance, en insistant aussi sur les écueils,
puisque c'est souvent très enrichissant pour l'avenir, et en
dégageant les perspectives de développement de l'Institut.
Je rappelle pour mémoire que les décrets d'application de
l'Institut de Veille Sanitaire sont sortis en mars 1999, et que, d'une
façon générique, la mission de l'Institut de Veille
Sanitaire est d'assurer la coordination de la surveillance et l'observation de
la santé de la population française.
Vaste mission, avec deux priorités dans lesquelles nous sommes
engagés de façon très active. La première est une
finalité d'alerte et d'accompagnement, notamment des Pouvoirs Publics,
dans la réponse à la survenue de menaces pour la santé
publique. La seconde est de construire sur le long terme un outil de suivi
épidémiologique permanent de l'état de santé de la
population dans une perspective d'aide à la décision sur
l'élaboration et l'adaptation des politiques de prévention.
L'Institut de Veille Sanitaire possède quelques originalités dans
le dispositif de sécurité sanitaire. Premièrement, son
approche est une approche par la population et non par les produits,
c'est-à-dire que cet Institut est chargé d'ausculter la
population française en permanence. Il s'agit en fait de mettre en place
des systèmes de recueil d'informations sur les pathologies et les
circonstances d'exposition de la population à certains
déterminants de la santé.
La deuxième originalité est l'universalité du champ de
compétences de cet Institut, puisque tous les secteurs de la
santé publique lui sont ouverts sans restriction, quelle que soit la
nature des risques sanitaires et quel que soit leur mode d'expression.
Enfin, le dernier point sur lequel je voulais insister, est, comme le
prévoit le texte de loi, que l'Institut de Veille Sanitaire n'a pas
vocation à être l'opérateur de tous les systèmes
d'information, de tous les systèmes de surveillance qu'il coordonne,
mais a vocation être un animateur, un coordonnateur et le chef
d'orchestre d'un réseau national de santé publique autour des
missions de veille sanitaire.
De par la nature de ses missions, les deux métiers principaux qui sont
développés à l'Institut de Veille Sanitaire sont, d'une
part, les métiers de l'épidémiologie d'intervention, tout
ce qui tourne autour de l'expertise dans les systèmes de surveillance,
l'expertise dans les investigations épidémiologiques, notamment
en situation d'urgence, et d'autre part, là où la méthode
épidémiologique n'est probablement pas la meilleure
réponse pour évaluer certains problèmes de santé,
tout ce qui tourne autour de l'évaluation quantitative des risques
sanitaires, notamment en situation d'incertitude ou en situation de risque
différé sur le long terme qu'il s'agit d'essayer de mieux cerner
sans attendre des données de surveillance tardives.
Un mot sur ses moyens et la configuration de l'Institut de Veille Sanitaire :
l'Institut de Veille Sanitaire dispose de 140 emplois permanents, ce qui est en
augmentation de façon très substantielle par rapport à
l'ancien Réseau National de Santé Publique puisque l'Institut de
Veille Sanitaire a repris les missions de cet ancien Réseau national.
Nous avons ainsi bénéficié de 40 emplois
supplémentaires en l'an 2000, soit une augmentation de 40 % de nos
ressources humaines par rapport à 1999.
Nous sommes dotés d'un budget de 115 millions de francs , dont
100 millions de francs proviennent d'une subvention de l'Etat et le reste
essentiellement de contrats avec la Commission européenne. Là
encore, la subvention de l'Etat a été augmentée de
30 % en 2000 par rapport à la dotation de 1999.
Comment est organisé l'Institut de Veille Sanitaire ?
A proprement parler, il faut le concevoir comme une tête de
réseau. Cette tête de réseau est située à
Saint-Maurice et est organisée en six départements. Depuis la
création de l'Institut de Veille Sanitaire, par rapport à la
situation du Réseau National de Santé Publique, nous avons eu la
possibilité d'ouvrir trois nouveaux départements. Ces six
départements sont les suivants :
- un département des maladies infectieuses chargé de la
surveillance des maladies du même nom,
- un département santé/environnement qui surveille et
évalue les risques d'origine environnementale,
- un département santé/travail, qui est l'un des nouveaux
départements qui s'est ouvert depuis la création de l'Institut de
Veille Sanitaire, chargé de surveiller les risques d'origine
professionnelle,
- un département d'ouverture récente, que nous appelons le
département des maladies chroniques et des traumatismes, chargé
de développer sur le long terme un système d'information sur les
maladies chroniques et les problèmes d'origine accidentelle,
- enfin, deux derniers départements qui sont des
départements en soutien aux départements
précédents. L'un s'appelle le service des systèmes
d'information qui est un peu le système nerveux de l'Institut de Veille
Sanitaire, et l'autre est un département international qui aujourd'hui
accueille -j'y reviendrai tout à l'heure- un certain nombre de projets
européens, dont la coordination a été confiée
à l'Institut de Veille Sanitaire par la Commission européenne.
Nous nous sommes attachés depuis un an à structurer, à
commencer à développer le futur Réseau National de Veille
Sanitaire que doit animer l'Institut. Le premier maillage de ce réseau
s'appuie sur l'héritage du Réseau National de Santé
Publique et, en particulier, sur les cellules inter-régionales
d'épidémiologie qui sont des petites structures techniques venant
en relais de l'action de l'Institut de Veille Sanitaire et permettant de mieux
prendre en compte les spécificités régionales en
matière de veille sanitaire. Aujourd'hui, il existe neuf de ces cellules
avec, dans chacune, deux agents scientifiques : un médecin de
santé publique et un ingénieur du génie sanitaire.
Puis, nous nous sommes attachés à développer
progressivement et à formaliser des partenariats avec les institutions,
les organismes, voire les professionnels de santé qui, chacun à
leur niveau, sont susceptibles de contribuer aux missions de veille sanitaire.
Certains de ces partenariats sont déjà très
opérationnels, bien entendu, je le rappelle pour mémoire, parce
qu'ils l'étaient déjà dans le cadre du Réseau
National de Santé Publique, notamment avec les partenariats avec les
services déconcentrés, avec les DDASS qui sont nos interlocuteurs
de première ligne sur les missions d'intervention. Nous avons aussi
signé un accord de coopération avec l'INSERM, qui nous permet
d'avoir une collaboration pérenne sur les statistiques de
mortalité gérées par l'INSERM et de développer
progressivement tout un programme de veille scientifique prospective sur les
risques sanitaires.
Nous avons également un accord de partenariat avec le réseau des
Observatoires Régionaux de Santé et avec les registres de
morbidité, en particulier les registres de cancer. Parmi les
partenariats en cours, nous avons un accord en voie de finalisation avec l'INRS
sur les problèmes de risques au travail, avec le réseau des
centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales et avec
le réseau de toxicovigilance des centres antipoison.
Enfin, des partenariats sont à l'étude, car un peu plus
complexes, avec notamment le tissu hospitalier français. Nous
étudions en particulier la possibilité, la faisabilité,
d'exploiter le PMSI, le Programme de Médicalisation des Systèmes
d'Information, à des fins épidémiologiques.
Nous avons enfin approché les organismes de protection sociale,
notamment la CNAM, pour étudier de la même façon la
faisabilité d'utiliser à des fins de surveillance des
données comme, par exemple, la base de données des affections de
longue durée.
Bien entendu, il est hors de mon propos de faire la liste exhaustive des
programmes en cours, je distinguerai seulement deux éléments :
l'alerte, d'une part, et les programmes de surveillance, d'autre part.
Nous pouvons dire que le bilan concernant la mission d'alerte de l'Institut de
Veille Sanitaire est aujourd'hui honorable. Nous disposons, notamment dans le
domaine de l'alerte vis-à-vis des maladies infectieuses, du dispositif
probablement le plus performant en Europe. J'en veux pour preuve les nombreux
stagiaires que nos collègues des institutions européennes nous
adressent depuis quelques mois. Nous avons un dispositif qui fonctionne, pas
uniquement grâce à l'Institut de Veille Sanitaire, mais parce que
le dispositif est devenu très performant, en particulier sur les aspects
épidémiologiques coordonnés par l'Institut de Veille
Sanitaire.
Nous répondons, si ce n'est quotidiennement mais de façon
hebdomadaire, à des sollicitations des DDASS sur des alertes
locales ; nous sommes aussi intervenus à de nombreuses reprises sur
des épidémies ou des menaces de dimension nationale comme trois
épidémies de listériose, deux épidémies de
légionellose, plusieurs épidémies de méningite, et
nous sommes intervenus à notre niveau dans le dossier de l'affaire du
Coca-Cola, il y a quelques mois, et plus récemment dans le dossier de
l'ERIKA.
L'alerte est un domaine en pleine expansion, il consomme aujourd'hui à
l'Institut de Veille Sanitaire un tiers des ressources humaines du
département des maladies infectieuses et du département
santé environnement. C'est un de nos enjeux de le renforcer, de le
structurer pour répondre à une demande de plus en plus croissante
dans ce domaine.
Sur les aspects de surveillance, nous gérons le système de
surveillance des maladies à déclaration obligatoire. Nous mettons
en place un système national de surveillance de l'hépatite C en
collaboration avec les pôles de référence hospitaliers sur
cette thématique. Nous avons renforcé ce qui avait
été amorcé par le Réseau National de Santé
Publique, un réseau de surveillance des effets de la pollution
atmosphérique sur la santé dans neuf grandes
agglomérations françaises. Nous avons également mis en
place, depuis un an, un réseau national de surveillance des effets de
l'amiante sur la santé, en particulier du mésotéliome, en
liaison avec de nombreux partenaires.
Puis, nous mettons en place ou nous renforçons des réseaux avec
les professionnels de santé, réseaux dits sentinelles, avec la
médecine générale, avec la médecine du travail, et
des réseaux de médecins hospitaliers. L'activité de
structuration du futur réseau national de veille sanitaire se
développe de façon normale et efficace.
Sur l'aspect des enseignements et des écueils que nous rencontrons dans
la mise en place des missions de l'Institut de Veille Sanitaire, concernant
l'alerte les choses se sont bien structurées. Le dispositif d'alerte
sera complet lorsque le décret sur les conditions d'accès aux
informations couvertes par le secret médical ou industriel qu'a
prévu la loi du 1
er
juillet 1998 sera publié : ce
n'est pas encore le cas, ce décret étant en cours
d'élaboration.
S'agissant des missions d'observation ou de surveillance
épidémiologique, nous avons rencontré quelques
difficultés du fait de l'interruption de la remontée nationale
des déclarations obligatoires liée à un mouvement social
des médecins inspecteurs de santé. Ce mouvement est
terminé depuis quelques jours, mais cela nous oblige maintenant à
rattraper le retard. Cependant, l'information n'est pas perdue, nous sommes
actuellement en train de rattraper les données de l'année 1999
dans les déclarations obligatoires.
S'agissant de cette déclaration obligatoire, vous êtes sans doute
aussi informés des difficultés que nous avons rencontrées
avec le nouveau décret, relatives à la transmission aux
autorités sanitaires des informations liées à la
déclaration obligatoire. Certaines associations se sont en effet
inquiétées de la compatibilité entre ce décret et
la protection des libertés individuelles. Il est actuellement
procédé au réexamen de la compatibilité entre la
rédaction de ce décret et ce qui est prévu dans le
dispositif législatif en matière de protection de l'anonymat.
Concernant la structuration des autres partenariats, nous rencontrons certaines
difficultés qui sont de nature différente. D'abord, il faut
rappeler que la culture de santé publique dans ce pays est relativement
récente et que beaucoup d'organismes, d'institutions, voire des
professionnels de santé, n'ont pas inscrit dans leurs priorités
la contribution à des missions de santé publique.
Par exemple, lorsque nous travaillons avec des laboratoires de recherche en
toxicologie ou en microbiologie sur des missions d'alerte, la
réactivité ou les exigences liées à ces missions de
santé publique ne sont pas toujours inscrites dans leurs
priorités du fait même de la nature de leurs missions de
laboratoires de recherche.
Je rappelle que la France est le seul pays en Europe à ne pas avoir de
laboratoire national de santé publique. C'est un écueil qui,
jusqu'à présent, n'a pas à mon sens de conséquences
importantes parce que nous compensons, en formalisant des partenariats entre
des structures d'épidémiologie et des structures de laboratoires.
D'une autre façon, je pense qu'inscrire des missions de santé
publique en tant que telles au sein d'un certain nombre de laboratoires est une
réflexion à mener dans l'avenir.
De même, nous rencontrons une autre difficulté sur la
nécessité de renforcer les moyens de certains outils sur lesquels
nous nous reposons pour les missions de veille sanitaire, je parle en
particulier des registres de morbidité, des registres de cancer qui sont
des outils de recherche, des outils de santé publique et de
surveillance.
S'agissant du cancer, on estime aujourd'hui -c'est une estimation faite dans le
cadre du comité national des registres- qu'il faudrait doter ces
registres de 15 millions de francs par an pour assurer un fonctionnement
pérenne des missions de surveillance du cancer. Aujourd'hui la dotation
qui leur est octroyée par l'Institut de Veille Sanitaire ou l'INSERM est
à hauteur de 5 millions de francs. Il y a un déficit
à combler et nous demandons de plus en plus à un certain nombre
d'organismes et d'institutions de contribuer aux missions de veille sanitaire.
Autre point, celui de la coordination avec les autres agences. Cette
coordination fonctionne, notamment en situation d'alerte. Elle a aussi
commencé à fonctionner sur des dossiers de plus long terme. C'est
pourquoi, nous avons une collaboration avec l'AFSSAPS sur l'exploitation
commune des données d'hémovigilance dans une perspective de
veille sanitaire et un projet en commun avec l'AFSSA sur l'étude de la
morbidité et de la mortalité d'origine alimentaire.
Je voudrais, pour terminer ce bilan sur les programmes, dire un mot de la
dimension internationale de notre action qui est devenue assez importante,
notamment en Europe. L'Institut de Veille Sanitaire coordonne un certain nombre
de projets stratégiques de la Communauté européenne. Par
exemple, nous assurons la coordination pour toute l'Europe de la surveillance
épidémiologique du SIDA et de l'infection par le VIH et nous
avons la même mission pour l'Europe concernant la surveillance de la
tuberculose. Je ne parle pas ici de l'Europe communautaire, mais de la
région Europe de l'OMS, cela concerne la coordination de cinquante pays.
Nous assurons également pour la Commission européenne la
publication d'un bulletin épidémiologique mensuel sur les
maladies transmissibles et nous coordonnons un programme assez ambitieux de
formation à l'épidémiologie d'intervention des futurs
cadres des instituts équivalents au nôtre dans les autres pays
européens. Il sera d'ailleurs intéressant d'écouter M.
Byrne à ce sujet, en fin d'après-midi.
Nous sommes préoccupés par les difficultés
rencontrées pour mettre en place le réseau européen de
surveillance des maladies transmissibles, créé en 1999. Il
rencontre en effet des difficultés de " décollage ",
notamment concernant ses ressources.
En conclusion, le bilan à un an est plus qu'honorable : l'Institut
de Veille Sanitaire a consolidé les acquis du Réseau National de
Santé Publique, ouvert de nouveaux chantiers correspondants à ses
nouvelles missions, fait un inventaire de l'expertise, évalué les
besoins et la faisabilité des nouveaux systèmes qu'elle doit
développer et repéré un certain nombre d'écueils et
de lacunes à combler.
Concernant les perspectives, aujourd'hui l'Institut de Veille Sanitaire est en
train d'élaborer un contrat d'objectifs et de moyens avec l'Etat qui
doit permettre de couvrir son développement sur les trois prochaines
années, 2001 à 2003, autour de deux axes principaux : d'une
part consolider l'expertise et la réactivité du dispositif
d'alerte et de réponse à ces alertes, et d'autre part
développer une capacité d'analyse, d'anticipation et de
prévision qui est nécessaire pour accompagner et étayer
les politiques publiques de santé.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur
Général. Je suis saisi de plusieurs questions qui s'adressent aux
trois intervenants que nous venons d'entendre.
M. Charles DESCOURS
-
Ma première remarque s'adresse
à M. Hirsch. Monsieur le Directeur Général, le
législateur a créé des agences non seulement pour informer
le Gouvernement et le conseiller, mais aussi pour informer le Parlement et
l'opinion. Nous ne voulons pas qu'elles soient des agences gouvernementales,
c'est bien clair. Nous souhaitons que vous soyez indépendants du
Gouvernement et vous l'êtes. Vous informez le Gouvernement pour qu'il
prenne ses décisions mais vous êtes aussi là pour informer
l'opinion et le Parlement comme le FDA le fait aux Etats-Unis, et c'est ce qui
donnera du poids à vos décisions.
Par ailleurs, vous êtes-vous interrogé sur l'attitude à
avoir vis-à-vis des OGM et notamment sur le colza transgénique
qui vient d'être planté par erreur ? Vous êtes-vous
interrogé pour savoir s'il faut l'arracher ou non ?
Le Conseil National d'Alimentation vient d'être
réactivé ; comment fonctionne-t-il avec vous ?
Nous ne voudrions pas que l'on recommence à créer des agences
parallèles, surtout lorsque l'on connaît les réticences du
ministère de d'Agriculture à créer l'AFSSA. Nous ne
voudrions pas que ce que nous avons obtenu d'un côté soit
détruit de l'autre et que, comme malheureusement trop souvent, les
décrets viennent annuler ce qu'a voulu le législateur.
Monsieur Duneton, vous n'avez pas parlé du contrôle des
allégations santé des aliments. Pourriez-vous nous en dire
quelques mots ?
Dernière question à M. Drucker. Vous avez beaucoup parlé
de réseaux et des difficultés que vous aviez à fonctionner
en réseau. Bravo pour ce que vous avez fait, c'était ce que nous
souhaitions, cependant vous n'avez pas dit un mot de la médecine
scolaire. Cela fonctionne-t-il ou non ?
Travaillez-vous sur les maladies iatrogènes et les infections
nosocomiales ?
M. Claude HURIET - A propos de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments, je voulais interroger le
Directeur Général sur le rattachement des laboratoires
prévu à l'article L. 794-1 de la loi. A notre connaissance,
il y a quelques lourdeurs auxquelles nous nous attendions, mais j'aimerais
savoir si nous sommes en passe de réussir.
Ma deuxième question concerne le CNEVA quant à son mode de
financement à travers des partenaires industriels, d'autant plus que le
CNEVA garde ses attributions premières en matière de recherche.
Il m'a été dit dernièrement que le CNEVA n'avait pas
changé et que le fait de l'avoir mis dans l'AFSSA n'était qu'une
sorte d'illusion, que l'on avait changé l'enveloppe mais que cela
n'avait pas modifié l'exercice de ses missions. Pouvez-vous nous
éclairer sur ce point ?
Concernant l'évolution de l'AFSSA, vous savez combien nous avons
été seulement partiellement satisfaits de voir reconnues à
l'Agence les seules attributions en matière d'évaluation du
risque, à l'exclusion de tout pouvoir de gestion. J'ai eu connaissance
d'un article publié récemment dans un grand journal du soir
où je lis :
" les derniers avis du Comité Dormont
commencent à poser une sérieuse difficulté aux
responsables gouvernementaux. "
Je lis la conclusion que je fais mienne sous forme interrogative :
" du
côté du ministère de l'Agriculture on redoute clairement
qu'une réponse favorable aux propositions du Comité Dormont ne
bouleverse l'équilibre entre analyse et gestion du risque, les
différentes administrations concernées risquant de perdre une
partie de leurs pouvoirs au profit de l'AFSSA et de fait du Comité
Dormont. "
Je souscris aux interrogations du journaliste et j'aimerais
que vous puissiez apporter des éléments de réponse.
Concernant les évolutions en cours, je voudrais citer des propos
récents du Premier ministre :
" le Premier ministre a notamment
souhaité la création d'une autorité alimentaire
indépendante en Europe ".
Sait-on si cette autorité
alimentaire aura exclusivement les pouvoirs d'évaluation ou si, en tant
qu'autorité, elle aura également un pouvoir de gestion, ce qui
rejoint mes observations précédentes ?
Pour l'AFSSAPS, j'ai une question concernant les conséquences du
transfert de l'Etablissement Français du Sang à Lille. Vous avez
parlé de transfert de la partie évaluation de feu l'Agence
Française du Sang dans l'AFSSAPS, tant mieux, c'est ce que nous avons
voulu, mais je parle d'un transfert géographique. Est-ce un
élément qui peut ajouter aux difficultés de fonctionnement
ou non ?
Vous avez évoqué quelques-uns des textes réglementaires
qui sont en attente, êtes-vous étroitement associés
à leur élaboration ?
Concernant l'Institut de Veille Sanitaire, j'ai très peu de questions.
Dans les missions et les moyens à travers le réseau qui s'est mis
en place, conformément à la volonté du législateur,
vous avez parlé du département santé/travail, vous avez
aussi parlé d'une mission de surveillance de l'impact sanitaire des
pollutions. Je suis amené, encore plus que je ne l'ai fait auparavant,
à vous écouter sur l'apport susceptible de résulter de la
création d'une Agence de Sécurité Sanitaire
Environnementale qui, elle aussi, d'après le texte adopté par
l'Assemblée nationale, aurait cette mission concernant la santé
au travail et la mission de surveillance des effets sanitaires des pollutions.
M. François AUTAIN - Une question s'adresse à M.
le Directeur de l'AFSSA et une autre à M. le Directeur de l'AFSSAPS. Ces
deux questions me sont soufflées par l'actualité.
Ce matin, j'ai appris que le Gouvernement allait dédommager les
personnes qui ont été victimes de la vaccination
anti-hépatite B. Aujourd'hui, les experts ont-ils établi un lien
de causalité entre la vaccination anti-hépatite B et la
sclérose en plaques ?
Les juges, quant à eux, s'étaient déterminés en
faveur de cette relation. Les experts disent qu'il n'y a pas de relation de
cause à effet, mais la justice dit le contraire. Je voulais savoir ce
qu'il en était, non pas que je veuille opposer la justice aux experts
car la justice est indépendante, mais si les experts ont établi
une position de cause à effet cela pourrait expliquer la modification de
la position du Gouvernement.
Ma deuxième question concerne les nitrates. Il est établi depuis
très longtemps que la consommation de nitrates est inoffensive chez
l'homme sans limitation de dose. C'est compréhensible puisque la dose
qui a été fixée arbitrairement en 1980 par la Commission
européenne, d'ailleurs sans qu'aucune étude scientifique ne soit
citée pour justifier cette limite, est de 50 mg par litre d'eau.
Je voudrais connaître la position de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments concernant ce problème des
nitrates et savoir s'il fallait continuer à imposer une limitation qui
n'est pas justifiée, d'autant plus que l'on préconise la
consommation de laitues, de betteraves, d'épinards qui en comportent
beaucoup plus, puisqu'il y a 2.000 mg par kilo de betteraves. Il y a là
une contradiction, 50 mg par litre et 2.000 mg par kilo, où est la
cohérence ?
M. LE PRÉSIDENT - Je propose que les intervenants répondent
à cette première série de questions.
M. Martin HIRSCH - M. Descours a eu raison de souligner que
la loi prévoit que l'Agence conseille le Gouvernement et que son
rôle d'information est plus large. Je peux l'assurer qu'il n'y a jamais
eu d'obstacle pendant cette année à l'émission d'un
quelconque avis de l'Agence, même lorsque ces avis étaient
difficiles.
Vis-à-vis des OGM, le fait de savoir si nous arrachons ou pas est une
question qui ne nous concerne pas : nous ne sommes concernés que si
tel ou tel produit est ensuite introduit dans l'alimentation, ce qui n'est pas
à l'ordre du jour, et nous n'avons d'ailleurs pas été
saisis sur ce point particulier.
Le Conseil National de l'Alimentation a été renommé sur le
fondement des textes qui préexistaient, c'est une instance de
concertation dans laquelle nous trouvons des représentants des
consommateurs, des représentants des industriels, des
représentants de différents milieux socio-économiques, qui
permet une concertation plus large sur les problèmes de politique de
l'alimentation et dans des conditions bien distinctes du rôle
scientifique que constitue l'Agence.
Concernant les questions de rattachement des laboratoires, par rapport à
ce que la loi a prévu, a eu lieu ultérieurement
l'intégration d'un laboratoire qui est le laboratoire d'hydrologie.
Celui-ci dépend du ministère de la Santé. Des instances
peuvent aussi être assimilées à des laboratoires, comme
l'Observatoire des Consommations Alimentaires ou le Centre National d'Etudes et
de Recherches ; en revanche, il n'y a pas eu d'autres réflexions
à ce stade sur la façon dont évolueraient les relations
entre des laboratoires d'Etat et l'Agence.
Le CNEVA a été intégré dans l'Agence, il n'existe
plus. Nous avons eu le souci de ne pas déstabiliser des laboratoires qui
rendaient un certain nombre de services essentiels, en particulier dans le
domaine sanitaire, tout en les faisant évoluer. Leur mode de
fonctionnement actuel a été beaucoup influencé par leur
intégration dans l'Agence ; nous avons complètement revu la
liste et les conditions des partenariats pour garantir l'indépendance de
leurs travaux. Nous avons aussi défini des thématiques
prioritaires pour que ces travaux s'inscrivent de plus en plus dans des
problématiques liées aux besoins issus d'évaluations, sans
pour autant qu'ils perdent leurs caractéristiques, lorsqu'ils font par
exemple de la santé animale et qu'ils sont les seuls à rendre ces
services. Nous ne pouvons pas nous déposséder de cette
capacité. Une évolution s'est faite de manière
résolue depuis le départ, sans remise en cause.
Sur l'ESB, ce serait mentir que de dire qu'il n'y a pas de difficulté,
c'est le dossier le plus difficile que nous ayons à traiter. Le
Gouvernement nous a saisis systématiquement, soit sur des points
ponctuels, soit plus largement sur une demande de réévaluation. A
l'issue de ces travaux, beaucoup de choses ont effectivement été
modifiées sur le fondement des travaux scientifiques.
Je ne reviens pas sur l'embargo qui est un élément que tout le
monde a à l'esprit, mais c'est dans ces conditions que les règles
d'abattage des bovins ont été modifiées, c'est dans ces
conditions que la liste des matériaux à risque est
actualisée, c'est aussi dans ces conditions qu'un programme de test a
été mis en place, sur recommandation des experts du comité
présidé avec beaucoup de talent par le professeur Dormont, dans
des conditions beaucoup plus rigoureuses que le programme de base imposé
à chacun des Etats.
Certains avis sont difficiles à élaborer, peut-être parfois
difficiles à suivre, mais, depuis un an, énormément de
changements ont été mis en oeuvre sur le fondement de
recommandations scientifiques. L'autorité européenne aurait,
telle qu'elle est aujourd'hui esquissée, le même type de
compétences que l'AFSSA, elle n'aurait pas de compétences de
réglementation ou d'inspection.
Concernant les nitrates, je ne pourrai pas répondre à
M. Autain. Vous m'avez demandé, Monsieur le Ministre, quelle
était la position de l'Agence, elle n'a pas de position à ce
stade. Lorsque l'Agence a une position, c'est qu'une commission scientifique a
évalué les risques spécifiquement liés à
telle ou telle chose. Nous lançons un travail sur tous les effets des
épandages, d'autres études vont aussi être
lancées ; nous ne remettons pas en cause telle ou telle norme de
manière superficielle.
Cela fait partie des domaines dans lesquels des travaux seront poursuivis afin
de savoir quelles sont effectivement les données toxicologiques les plus
récentes permettant ou non de confirmer ce qui a été
établi par précaution il y a quelques années. Il y a des
divergences d'appréciation dans les milieux scientifiques entre le
risque réel pour l'homme et les taux recommandés, pour les
nitrates comme pour les dizaines ou centaines de molécules que nous
pouvons trouver dans les différents milieux et en particulier dans les
eaux d'alimentation.
M. Philippe DUNETON - La question difficile des
allégations santé renvoie à l'interrogation concernant les
possibilités réelles d'action à la suite du
dépôt a priori exigé pour un certain nombre de
matières, qui n'est pas fait systématiquement : il faudrait
peut-être mieux contrôler a posteriori.
Par ailleurs, cela pose la question du type de produit. Nous sommes
habitués à contrôler et nous sommes parfois saisis par la
DGCCRF ou par les associations de consommateurs. Cela fait partie des actions
" frontière " que nous sommes amenés à engager.
Le fait que, à ma connaissance, un transfert d'une partie du Conseil
Supérieur d'Hygiène Publique de France soit prévu dans les
groupes d'experts évoqués par M. Hirsch -de ce fait cette
question sera reprise en concertation avec les agences- est la meilleure
façon d'aborder ce sujet.
Concernant le transfert de l'Etablissement Français du Sang à
Lille, il n'est pas de ma compétence de porter une appréciation
sur le transfert des Etablissements Publics dans telle ou telle ville. Je peux
constater, en revanche, que je suis chargé du contrôle et de
l'inspection de 14 établissements régionaux ; peu me chaut
la tête, je contrôle tous ses membres.
Concernant la vaccination anti-hépatite B, le rapport des experts est
disponible sur notre site Internet. Cette question avait été
traitée dans le cadre de l'Agence du Médicament, elle a
été reprise par un groupe d'experts internationaux qui a conclu
qu'il n'y avait pas de lien de causalité établi à ce jour,
même si -je n'entre pas dans le calcul statistique- nous ne pouvons
exclure formellement de lien dans une petite catégorie de la population
qui n'est pas identifiable.
Les indemnisations évoquées concernent l'indemnisation des agents
de l'Etat soumis à une vaccination obligatoire. Ce n'est pas la
première fois que ce type d'indemnisation a lieu, cela a
été repris par une commission spécifique mais je ne peux
pas commenter des décisions qui sont au-delà de la
sécurité sanitaire.
M. Jacques DRUCKER - Concernant la médecine scolaire,
nous avons amorcé une collaboration en liaison avec la Direction de la
Recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère de la
Santé, sous la forme d'enquêtes ponctuelles sur des sujets
spécifiques comme par exemple, le statut vaccinal des enfants à
l'âge de 6 ans et de 11 ans, ainsi qu'une enquête qui
démarre sur l'obésité de l'enfant.
Nous espérons à plus long terme, comme nous l'avons fait avec
d'autres institutions, formaliser un partenariat pérenne avec les
établissements scolaires, qui rencontrera probablement l'écueil
qui résulte des moyens limités dont dispose la santé
scolaire, notamment pour participer à des missions de veille sanitaire.
En tout cas, les passerelles ont commencé à s'établir.
Nous avons investi le domaine des infections nosocomiales, surtout dans les
situations d'alerte. Nous sommes intervenus sur l'affaire de la Clinique du
sport, sur des problèmes de foyers d'infection nosocomiaux par
l'hépatite C, nous sommes membres du Comité Technique des
infections nosocomiales, nous participons à l'élaboration du
texte sur le signalement des infections nosocomiales, et un projet devrait
être finalisé d'ici quelques semaines pour assurer la coordination
du réseau et des centres de coordination de la lutte contre les
infections nosocomiales. Nous n'avons pas investi aujourd'hui la surveillance
des risques iatrogènes en dehors des infections nosocomiales.
Vous avez posé une question sur les missions de l'Institut de Veille
Sanitaire dans le domaine santé/travail et environnemental et vous avez
demandé comment elles pourraient s'articuler avec la future Agence. Je
pense que, dans ce domaine comme dans d'autres, la mission universelle de
l'Institut de Veille Sanitaire est d'assurer une surveillance
épidémiologique ou d'évaluer des risques dans la
population, mais nous n'avons pas, au sein de l'Institut de Veille Sanitaire,
d'expertises sur la mesure des polluants environnementaux ni sur la
toxicologie.
Nous ne savons pas avec certitude quels seront la configuration et le
périmètre des missions de l'Agence de l'Environnement mais il est
envisageable d'avoir entre l'Institut de Veille Sanitaire et la future Agence
de l'Environnement les mêmes relations que celles
développées de façon plus limitée avec l'INERIS
dans le cadre du dossier ERIKA où la complémentarité des
expertises entre l'épidémiologie, la modélisation et la
toxicologie a bien fonctionné. Tout dépend de la configuration de
cette future agence.
M. LE PRÉSIDENT - Nous abordons une deuxième série de
questions.
M. Serge FRANCHIS - Monsieur Drucker, vous avez
évoqué ces départements de santé dans
l'environnement, dans le cadre de traumatismes, de maladies chroniques
etc. ; le domaine de la santé psychique entre-t-il dans ces
compétences et avez-vous l'intention de développer le suivi en la
matière ?
M. Francis GIRAUD
-
Vous me permettrez une
réflexion d'ordre général. Je suis impressionné par
les dispositifs que vous venez d'évoquer, des milliers d'experts, des
laboratoires, des relations avec l'INSERM etc., et je pense que mes questions
vont partir de cette réflexion d'ordre général.
Tout d'abord, existe-t-il entre ces organismes des relations institutionnelles
précises, ou bien simplement des relations de travail ?
Vous fonctionnez avec des partenaires variés dans la recherche, dans le
monde de la santé, en ville ou avec les hospitaliers. Pensez-vous que
ces relations avec vos partenaires sont satisfaisantes ou faudrait-il essayer
de les améliorer ?
La répartition sur le territoire national des moyens de la surveillance
sanitaire est-elle équitable ou pensez-vous que les grands centres, les
grandes régions sont au coeur du dispositif et que peut-être
certains territoires ne bénéficient pas d'une surveillance aussi
efficace que les grandes régions ?
Enfin, quel dommage, Monsieur le Président, que tous ces dispositifs
admirables, auxquels s'ajoutent la Conférence Nationale de Santé,
le Haut Comité de la Santé Publique, ne mènent pas
à une réelle politique de santé ! Voilà un
pays qui a tous les ingrédients pour définir une politique de
santé formidable, et qui n'arrive pas à en
" accoucher " dans ses termes...
L'un d'entre vous a dit qu'en France les médecins n'avaient pas une
forte culture de santé publique : c'est tout à fait vrai,
nous n'avons pas été formés comme cela. Pourtant, nous qui
sommes des législateurs et des élus, sommes
intéressés par la santé publique et nous souhaiterions que
la coordination entre ces agences et ces comités puisse permettre une
véritable politique de santé publique, en particulier
centrée sur la prévention.
Mme Marie-Claude BEAUDEAU - Vous nous avez dit tout à l'heure,
Monsieur Drucker, que l'une des missions de l'Institut de Veille Sanitaire
était la surveillance des risques professionnels, et vous avez
cité le département santé/travail.
A la suite du dossier de l'amiante, on voit bien qu'il y a un problème
d'interface entre la connaissance scientifique et l'action. Nous savons que
l'amiante est cancérigène, nous savons aussi que c'est le cas,
entre autres, des éthers de glycol. Je souhaiterais savoir comment on
poursuit et comment on arrête certaines choses.
Par ailleurs, vous nous dites que vous avez obtenu cette année
40 postes supplémentaires : j'ai une question très
précise à ce sujet. Je note que l'Etat met à votre
disposition 100 millions de francs, cela me semble dérisoire au vu de ce
que réalise l'Institut et nous aurons très certainement en tant
que législateurs un rôle à jouer au moment de la loi de
financement de la Sécurité Sociale, mais aussi au moment du vote
du budget.
Dans les 40 postes supplémentaires, combien de postes iront à
l'Institut de Veille Sanitaire pour le département
santé/travail ?
M. François AUTAIN - Je souhaiterais formuler deux
questions complémentaires. Ma première question concerne
l'activité du Comité National de la Sécurité
Sanitaire. J'ai lu dans un rapport sur la création d'une Agence de
Sécurité Sanitaire Environnementale, qui émane de
l'Assemblée nationale, que le Directeur Général de la
santé publique, qui dirige les travaux de ce comité, avait
considéré que, pour les missions à moyen terme, le
Comité pouvait assumer normalement ses fonctions, mais qu'en situation
de crise, sa mission ne pouvait être assurée de façon
satisfaisante. Etes-vous du même avis ou pensez-vous que le Directeur
Général de la santé se trompe ?
Ma deuxième question concerne le problème de l'expertise. C'est
une singularité hexagonale, le nombre d'instances d'expertise est
inversement proportionnel au nombre d'experts, ce qui fait que, dans notre
pays, les experts sont amenés à donner des avis qui sont souvent
les mêmes puisque, siégeant dans une instance, ils ne vont pas
émettre un avis différent dans une autre instance.
Je me suis amusé à relever le nombre d'instances d'expertise qui
existaient dans votre domaine, Monsieur Hirsch, et j'en ai
dénombré dix :
- le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique,
- la Commission d'Etude des Produits destinés à une
Alimentation Particulière,
- la Commission Interministérielle et Professionnelle de
l'Alimentation Animale,
- la Commission de Technologie Alimentaire,
- le Centre National d'Etudes et de Recommandations sur la Nutrition et
l'Alimentation,
- l'Observatoire des Consommations Alimentaires,
- le Visa Préalable de Publicité,
- l'Académie de Médecine,
- le Conseil National de l'Alimentation,
- le Conseil National de la Consommation.
Cette redondance vous pose-t-elle problème ?
Quels rapports entretenez-vous avec ces instances, si tant est que vous
puissiez entretenir des rapports suivis avec un nombre aussi important
d'instances, et est-ce que cela ne vous pose pas des problèmes
d'expertise ?
M. Martin HIRSCH - Je vais commencer par cette question,
Monsieur le Ministre, parce que parmi les instances que vous avez
citées, plusieurs ont été rattachées à
l'Agence, évitant ainsi les redondances, mais aussi les lacunes, et
créant également une plus grande
homogénéité.
Nous avons donc fait un appel public à candidature d'experts pour
pouvoir sélectionner, sur des critères objectifs, ceux qui
siégeront dans des commissions pour lesquelles nous essayons de faire en
sorte qu'il n'y ait pas de zone de recoupement afin de ne pas jouer au
ping-pong avec les instances d'expertise. Nous ferons un rapport au Parlement,
ce qui est prévu dans la loi.
Concernant les partenariats, l'Agence est un nouvel intervenant dans ce
paysage, ce qui nécessite que chacun prenne ses marques ; c'est le
cas avec les Directions d'administrations centrales, qui doivent
désormais travailler avec nous. La ligne fixée est que chacun
joue bien son rôle, qu'il y ait des relations, mais pas de confusion, et
que l'on sache toujours de quel point de vue on se place.
Lorsque l'Agence s'exprime, elle s'exprime d'un point de vue
indépendant, d'un point de vue scientifique, quitte à ce qu'il y
ait eu des échanges et des discussions avec les représentants des
professions, les représentants des consommateurs etc. Mais nos avis ne
sont pas des positions, au sens noble, de compromis entre différentes
considérations. C'est la même chose dans les travaux de recherche
que nous conduisons.
Concernant les relations entre nous, outre le fait qu'elles sont bonnes, nous
nous téléphonons régulièrement, nous
échangeons nos difficultés quotidiennes et nous avons un certain
nombre de rendez-vous institutionnels. Nous nous rencontrons tous les 15 jours
chez le ministre de la Santé et nous avons des instances communes
parfois créées sous forme de convention.
M. Drucker a évoqué une convention qui nous lie pour
effectuer un travail en commun sur la mortalité/morbidité
d'origine alimentaire, de même que nous avons des groupes de travail
communs avec l'AFSSAPS et que nous participons au Comité National de
Sécurité Sanitaire.
M. Charles DESCOURS - On n'en entend pas parler.
M. Martin HIRSCH -
On n'en entend pas parler, je ne sais
pas si c'est bon ou mauvais signe, mais je peux vous dire que les ministres ont
été présents à chaque Comité National de
Sécurité Sanitaire depuis qu'il s'est réuni et que les
membres du Comité National de Sécurité Sanitaire sont
très souvent réunis à l'occasion de crises.
Très souvent, aux différents stades de la mécanique de
décision interministérielle en situation de crise, les agences ou
les administrations centrales concernées ont été
réunies. Ces réunions sont parfois coordonnées par le
ministère de l'Agriculture, quelquefois par le ministère de la
Consommation, quelquefois par le ministère de la Santé, parce que
tous ne sont pas toujours concernés par la même crise mais aucun
n'est oublié lorsqu'il est nécessaire de les rassembler.
M. Jacques DRUCKER
-
Une première question portait
sur la santé mentale et demandait si nous nous intéressions
à la surveillance de ce problème. Oui, cela fait partie de la
réflexion dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de moyens qui
essaie de définir, entre autres, des priorités de l'action de
l'Institut de Veille Sanitaire pour les prochaines années. C'est une des
priorités que nous avons retenue, mais vous savez que c'est un champ
d'action extrêmement important et vaste qui, comme d'autres, va se
construire très progressivement.
Une des vocations de l'Institut de Veille Sanitaire est de s'intéresser
à ce domaine, et nous allons amorcer notre investissement dans le cadre
de ce prochain contrat d'objectifs, c'est-à-dire à partir de 2001.
S'agissant de la construction des réseaux de partenariats, la situation
est-elle satisfaisante ?
La réponse est, globalement non, mais elle est cependant positive
à court terme si l'on veut bien regarder le chemin parcouru en quelques
mois. Nous n'avons pas caché les écueils que nous rencontrons qui
sont de trois ordres :
- la santé publique ne compte pas dans les missions prioritaires de
certains organismes avec lesquels nous souhaitons développer des
partenariats dans une perspective de contribution à la veille
sanitaire ;
- d'autres organismes ou partenaires, avec lesquels nous
développons des collaborations, ont des outils qui ne sont pas
immédiatement opérationnels, qu'il faut adapter ;
j'évoquais par exemple le système hospitalier avec le PMSI, mais
ce sont là des difficultés plus techniques qui trouveront des
solutions ;
- certains partenaires n'ont pas les moyens pour répondre aux
missions et aux exigences de qualité pour participer aux systèmes
de surveillance que nous leur demandons ; j'ai rappelé, à
cet égard, le cas des registres ;
Concernant le domaine de la santé au travail et des risques
professionnels, sur les 40 nouveaux emplois accordés à l'Institut
de Veille Sanitaire, nous en avons utilisé 6 pour renforcer le
département santé/travail, ce qui est très loin du compte
eu égard à l'éventail extrêmement important des
missions entrant dans ce champ de compétence.
Une dotation budgétaire de 100 millions de francs pour l'Institut de
Veille Sanitaire compte tenu de l'éventail de sa mission est-elle
dérisoire ?
Oui et non. Oui, si nous comparons à certaines institutions
européennes équivalentes. Nos collègues anglais, par
exemple, disposent de 200 personnes uniquement pour la surveillance des
maladies transmissibles, ce qui est supérieur aux moyens actuels de
l'Institut de Veille Sanitaire.
Il faut toutefois être prudent dans les comparaisons parce que les
dispositifs ne sont pas les mêmes. L'option qui a été
choisie en France est d'avoir une structure de coordination et d'animation qui
n'a pas vocation à être l'opérateur de tous ces
systèmes, mais qui doit s'appuyer sur un certain nombre d'acteurs du
dispositif de santé publique.
Concernant la question sur le Comité de Sécurité Sanitaire
ou, de façon plus large, l'interaction entre les agences, l'articulation
entre les agences fonctionne à la fois formellement et de façon
plus informelle, mais les relations personnelles sont importantes. La situation
est satisfaisante de mon point de vue sur cet aspect, même en situation
de crise.
Dans le domaine des crises sanitaires, il faut parfois distinguer
l'efficacité et les performances du dispositif sur le plan technique des
difficultés de communication autour de ce dispositif, autour du
contrôle et de la gestion des crises. Il est vrai qu'il est parfois
difficile de comprendre pourquoi une épidémie de
listériose, détectée au troisième cas et dont
l'origine est connue en quelques jours, fait l'objet d'une " crise ".
Cela ne devrait plus être le cas, au sens technique du terme.
Le dispositif d'alerte et de détection de ces menaces de santé
publique est devenu extrêmement performant, notamment dans le domaine des
risques alimentaires. La dimension de crise est à chercher ailleurs que
sur les problèmes de mise en action ou d'activation de dispositifs
techniques.
Mme Gisèle PRINTZ
-
J'aimerais savoir s'il existe un
dispositif étudiant les effets de l'alimentation sur le comportement
humain ?
M. Martin HIRSCH -
Vous me posez une " colle ".
M. Philippe DUNETON
-
Je suis incompétent mais je
vais risquer une réponse. L'alcool a un effet notable dont nous voyons
les dégâts tous les jours.
M. Claude HURIET - Nous le savons.
M. Philippe DUNETON - Oui, mais nous avons tendance à
l'oublier.
Je voudrais rappeler l'importance des questions qui ont été
posées par M. Giraud et par M. Autain concernant l'expertise, parce que
les experts font partie des partenaires. Ils sont des ressources rares,
précieuses, en tout cas pour le Directeur de l'Agence et pour l'ensemble
d'entre nous. Ils sont indispensables et c'est une particularité
française que de mêler évaluation interne et expertise
externe.
L'expertise nous impose une rigueur déontologique accompagnée
d'un travail de fond qui doit aller de pair avec une meilleure prise en compte
de l'indemnisation, pas simplement pécuniaire, mais aussi du travail
intellectuel mené.
Il faut pouvoir conserver cela en France, et peut-être même trouver
des modalités pour en tenir compte sur le plan de la carrière
hospitalo-universitaire. C'est un point que je voulais évoquer car il
est très important pour garantir la qualité de l'expertise.
M. Claude HURIET - Je voudrais attirer l'attention sur les
dévoiements possibles du rôle du Comité National de
Sécurité Sanitaire dont j'ai appris qu'il avait
créé des groupes de travail sur l'évaluation des risques
sanitaires faibles tels que les expositions à la dioxine.
J'ai une deuxième préoccupation concernant le devenir de l'Agence
Française de Sécurité des Aliments, dans la mesure
où vous m'avez confirmé que la future autorité alimentaire
indépendante européenne aurait seulement une mission
d'évaluation des risques. Nous devons nous interroger pour savoir si,
dans une approche européenne de l'évaluation en matière de
risques alimentaires, il y aurait place pour des structures d'évaluation
nationale alors que la tendance logique devrait aller dans le sens d'une
structure d'évaluation européenne.
C'est une observation interrogative dont nous aurons l'occasion de nous
entretenir, mais si cette autorité se met en place -ce qui est
souhaitable- nous serons amenés à reconsidérer le
rôle des structures nationales surtout lorsqu'elles n'ont qu'une mission
d'évaluation.