INTRODUCTION
PAR MM. CHARLES DESCOURS ET CLAUDE HURIET

M. LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, j'ai plaisir à vous accueillir pour cette journée d'auditions, que la commission des Affaires sociales considère comme très importante, consacrée à la sécurité sanitaire : état des lieux et perspectives, en France et en Europe.

M. Christian Poncelet, Président du Sénat, a accepté de clôturer cette journée. Il nous rejoindra dès qu'il aura terminé de présider la séance publique consacrée aux questions au Gouvernement.

Avant de donner la parole à MM. Claude Huriet et Charles Descours, qui sont les " pères " de la loi du 1 er juillet 1998 et qui vont introduire notre débat, je vous rappelle que nous avons une journée chargée, avec de multiples intervenants, qui se déroulera donc à un rythme rapide.

Le dernier intervenant sera M. David Byrne, Commissaire européen chargé de la protection de la santé et des consommateurs. Ces auditions feront l'objet d'un compte rendu intégral.

M. Charles DESCOURS - Je vais commencer par faire un historique de cette loi sur la sécurité sanitaire qu'avec Claude Huriet, nous avons aidé à faire voter par le Parlement.

Il faut bien comprendre que la commission des Affaires sociales du Sénat s'est intéressée depuis très longtemps à ces problèmes. En 1992, lorsque l'on nous avait présenté le projet de loi sur l'Agence Française du Sang, Claude Huriet avait demandé par amendement la création de l'Agence du Médicament. En 1994, avec un gouvernement qui avait entre-temps changé, nous avions également créé, dans les lois bioéthiques, l'Etablissement Français des Greffes.

En 1996, nous avons créé une mission d'information consacrée à la sécurité sanitaire ; je tiens à dire que c'était avant l'épisode " médiatique " de l'encéphalopathie spongiforme bovine plus communément appelée la vache folle . Ce n'était donc pas par un effet de mode que la commission des Affaires sociales du Sénat avait créé cette mission d'information que j'ai eu l'honneur de présider, et dont Claude Huriet était le rapporteur.

Cette mission s'est rendue aux Etats-Unis en 1996 ; nous sommes allés voir le fonctionnement de la Food and Drugs Administration (FDA) et des Centers for Disease Control (CDC) à Atlanta et nous avons rencontré les parlementaires plus particulièrement intéressés par les questions de sécurité sanitaire. Nous avons eu ensuite des contacts, pendant trois ou quatre ans, avec la FDA qui est venue nous voir ici par l'intermédiaire d'un ou deux de ses responsables, ces contacts nous ont aidés.

Le rapport de Claude Huriet a été publié au cours de l'hiver 1996, ainsi que la proposition de loi qui en était issue. Sous la V e République, peu de propositions de loi d'origine parlementaire sont définitivement adoptées. Nous avons tous cosigné cette proposition de loi et celle-ci a reçu le soutien du gouvernement de l'époque, qui était celui d'Alain Juppé. Elle a eu notamment le soutien actif d'Hervé Gaymard et -ce qui a été plus difficile parce que l'adhésion n'a pas été immédiate- du ministre de l'Agriculture de l'époque, Philippe Vasseur.

Après le changement de gouvernement, le nouveau Premier ministre, M. Lionel Jospin, a évoqué la création d'une Agence de Sécurité Sanitaire dans sa déclaration de politique générale au Parlement. D'ailleurs, pendant que nous présentions notre proposition de loi sous le gouvernement précédent, notre ami Bernard Kouchner avait écrit un article dans lequel il défendait la création d'une seule agence, alors que nous en proposions deux.

Nous avons écouté ce que disait M. Jospin et, le 12 août, des conseillers de M. Jospin ont demandé à nous rencontrer pour parler de cette affaire. Cela montre qu'au-delà des affrontements normaux en démocratie, de grandes questions transcendent les courants politiques.

Le cabinet du Premier ministre nous a indiqué que notre proposition de loi figurerait à l'ordre du jour du Parlement.

Ils nous ont cependant suggéré de créer une agence plutôt que deux. Nous leur avons dit : " Vous allez voir que faire une agence est plus compliqué que ce que vous croyez. Si vous arrivez à faire une agence nous n'en faisons pas une affaire de paternité, nous voulons bien n'en faire qu'une, mais vous verrez que vous serez obligés d'en faire deux."

La proposition de loi a été discutée au Sénat et à l'Assemblée. Les échanges avec les industriels ont été intéressants, notamment sur les dispositifs médicaux. Nous avons rencontré quelques réticences de la part du ministère de l'Agriculture pour créer l'Agence de Sécurité des Aliments. La loi a été promulguée le 1 er juillet 1998.

Nous organisons aujourd'hui cette journée d'auditions parce que nous voulons vérifier -comme c'est le rôle du Parlement- la façon dont fonctionnent les agences et la façon dont évolue la sécurité sanitaire dans notre pays et en Europe, puisque la présidence française de l'Union européenne sera peut-être l'occasion de la création d'une agence européenne de sécurité alimentaire.

M. Claude HURIET - Monsieur le Président, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, l'objet de cette journée d'auditions publiques consiste à faire le point de la situation et à avancer quelques réflexions prospectives.

La commission des Affaires sociales, dont Charles Descours vient de rappeler l'engagement constant en faveur de la sécurité sanitaire, est très attentive à exercer les missions que les institutions confient au Parlement, à savoir le contrôle, mais aussi le suivi et les conditions d'application des textes législatifs votés par le Parlement.

En effet, nous considérons que le travail du législateur ne s'arrête pas le jour où la loi a été adoptée. Quelles que soient les conditions du vote, nous exerçons cette vigilance et le suivi dans l'application des lois en ce qui concerne le contenu des textes d'application et les délais de leur publication. Sans doute aurons-nous l'occasion, au cours de cette journée, d'interroger les Directeurs Généraux des agences pour savoir où en est la préparation des textes d'application de la loi non encore publiés.

Nous n'avons aucune suspicion à l'encontre des Directeurs Généraux des agences ou du fonctionnement des agences ; le législateur peut aussi contribuer à les aider dans leur tâche difficile, car, au fond, une des caractéristiques de cette loi de juillet 1998 est qu'il s'agit d'un texte innovant.

En effet, nous ne nous sommes pas contentés de procéder à des ajustements des structures existantes mais nous avons bâti, à partir des matériaux qui existaient, un ensemble dont chacun reconnaît qu'il a acquis davantage de cohérence, de lisibilité et d'efficacité. Nous sommes, là aussi, comme des partenaires de ceux qui ont à appliquer la loi.

Ces auditions se situent également dans un contexte national et un contexte européen évolutif. Le contexte national correspond à la création en cours, telle que l'Assemblée nationale l'a souhaitée, d'une Agence de Sécurité Sanitaire Environnementale sur laquelle des questions pourront être posées.

Il semble cependant que le Gouvernement n'envisage pas d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat avant l'automne. Je crois que nous évoquerons peut-être les relations éventuelles entre les agences existantes et l'organisme dont la création est envisagée, mais je souhaite que ces digressions ne bouleversent pas le bon déroulement de la journée.

Dans l'évolution du contexte national, je ne peux pas ne pas évoquer l'explosion du principe de précaution. C'est un sujet d'une actualité brûlante et peut-être ne serait-il pas souhaitable d'y consacrer trop de temps. Je voudrais souligner, dès le départ, qu'il y a pour nous une certaine contradiction entre les efforts accomplis par le législateur et les responsables de l'organisation nouvelle, et une application de plus en plus large du principe de précaution.

C'est pour le moment plus une réflexion qu'une interrogation, mais à quoi bon renforcer les dispositifs de sécurité de veille sanitaire si c'est pour amener les décideurs à appliquer le principe de précaution en oubliant un des critères qui était inscrit dans la loi Barnier de 1995, à savoir la proportionnalité de la réponse par rapport au risque réel ou supposé ?

Le contexte international aussi a évolué, plus particulièrement en ce qui concerne l'Europe, d'où l'intérêt d'auditionner à la fin de cette journée un Commissaire européen qui pourra nous faire connaître le climat dans lequel évolue la sécurité sanitaire.

J'ai la conviction -et j'espère qu'elle est largement partagée- que les dispositions législatives françaises et la loi de 1998 ont contribué à faire évoluer les choses en Europe. Je voudrais prendre deux exemples, la vache folle dont nous parlerons tout à l'heure, et un point qui a été beaucoup plus délicat concernant les dispositifs médicaux, ce point sera également évoqué plus loin.

La plupart des interlocuteurs sont d'accord sur le fait que nous devons considérer que la législation française du 1 er juillet 1998 avait été mal ressentie par l'industrie des dispositifs médicaux en France, ce que nous comprenons ; cela avait aussi fait l'objet de réserves de la part de la Commission. Il semble désormais que la position française traduisant la détermination du législateur a contribué à aider la Commission à s'interroger sur la pertinence et l'efficacité, par exemple, des organismes notifiés dans les différents pays de l'Union européenne.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui, les textes d'application relatifs aux agences sont presque tous publiés, l'organisation est en place, elle fonctionne bien, j'espère que les Directeurs Généraux pourront le confirmer. Cependant comme vous pourriez les taxer d'être de parti pris, nous avons souhaité la participation d'autres intervenants !

Il nous appartient désormais de voir avec vous, non seulement si nous avons des motifs de satisfaction, mais aussi quels sont les progrès à accomplir pour que l'organisation nouvelle puisse connaître sa pleine efficacité pour répondre aux attentes des consommateurs, quelquefois raisonnables, quelquefois excessives, face à cette société sans risque à laquelle ils aspirent. Nous sommes bien conscients que tous les efforts doivent être faits pour réduire la proportion des risques, mais que le chemin à parcourir est encore long. Cette journée pourra peut-être constituer, grâce à vous, une étape importante dans la recherche de l'amélioration constante des résultats.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur Huriet. Maintenant, je vais donner la parole aux différents intervenants. Nous allons tout d'abord aborder le point de vue des institutions de veille et de sécurité sanitaires : interviendront successivement M. Martin Hirsch, Directeur Général de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, M. Philippe Duneton, Directeur Général de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé et M. Jacques Drucker, Directeur Général de l'Institut de Veille Sanitaire.

Nous entendrons ensuite le point de vue des consommateurs, des industriels, des médias, des experts, des ministres et de la Commission européenne.

I. LE POINT DE VUE DES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA VEILLE ET DE LA SÉCURITÉ SANITAIRES

A. AUDITION DE M. MARTIN HIRSCH, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS (AFSSA)

M. Martin HIRSCH - Mesdames et Messieurs les sénateurs, je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler les compétences et le rôle de l'Agence, vous les connaissez mieux que quiconque. Elle a été conçue comme un organisme public d'évaluation des risques destiné à éclairer le Gouvernement par l'appui technique qu'elle apporte, les avis qu'elle rend, les recommandations qu'elle formule, les expertises qu'elle fournit et les recherches qu'elle mène, avec, pour toutes ces missions, une finalité unique : la contribution à l'amélioration de la santé sanitaire.

La sécurité sanitaire est devenue un objectif prioritaire et non plus une préoccupation subordonnée à la satisfaction d'autres contraintes d'ordre supérieur. C'est pourquoi l'activité d'une agence comme la nôtre se situe toujours dans ce chemin étroit entre l'insuffisance de précautions et l'excès de précautions, avec leurs effets néfastes, où il faut n'en faire, ni trop, ni trop peu. C'est pourquoi, avant d'en venir aux principes qui ont guidé les premiers pas de l'Agence et aux perspectives qui peuvent être entrevues à ce stade, je ferai quelques remarques sur le contexte dans lequel se situe cette activité.

Tout d'abord, c'est un contexte dans lequel on attend tout de l'expert, sauf qu'il se substitue aux politiques et on attend tout d'une agence d'expertise, sauf qu'elle se substitue aux gestionnaires de risque. Cela impose de rendre des avis suffisamment clairs, des avis qui ne lient pas l'autorité qui décide mais l'éclairent.

Par ailleurs, un organisme comme l'AFSSA ne se fonde que sur des considérations d'ordre sanitaire et scientifique ; toutefois, il n'est pas neutre d'avoir à rendre un avis lorsque des conséquences sociales, économiques et diplomatiques lourdes peuvent en résulter. Si ceci ne conduit pas l'Agence à transiger avec les risques, cela lui impose, comme l'enjeu sanitaire lui-même, une particulière rigueur sur la façon dont elle travaille.

Par ailleurs, la science comme les réglementations sanitaires ont rarement des frontières qui coïncident avec celles des Etats. Cette dimension internationale est de plus en plus forte, au moment même où plusieurs pays, dont la France, renforcent leur organisation nationale dans le domaine de l'évaluation et de la gestion des risques.

De plus, nous attendons des évaluateurs de risques et des organismes comme l'Agence, de plus en plus de réponses précises et définitives dans un univers de connaissances de plus en plus incertain, avec la nécessité de pouvoir conjuguer le temps de la décision et celui de l'acquisition de la connaissance.

Nous cherchons à réduire les risques, nous cherchons à traquer le risque évitable alors même que, selon la formule rituelle, le risque zéro n'existe pas, cette formule rituelle ne devant d'ailleurs pas être prétexte à considérer que tout risque est une fatalité. Il n'est pas toujours facile d'expliquer qu'il est nécessaire de porter une attention soutenue à une bactérie qui, dans les conditions actuelles de sa maîtrise, ne tue pas plus en un an que la route en un week-end de mai. C'est dans ce contexte qu'évolue l'Agence qui a été mise en place avec comme viatique la loi du 1 er juillet 1998 et son décret d'application.

Nous nous sommes efforcés de placer ses premiers pas en respectant quatre règles cardinales :

- indépendance,

- transparence,

- excellence scientifique de nos experts,

- rapidité.

Ceci tout en nous efforçant de construire une jurisprudence permettant de guider notre activité et de forger des repères utiles à l'avenir. Pour cela, l'activité s'est organisée selon les quatre priorités suivantes :

- Développer d'emblée une capacité à répondre aux demandes adressées à l'Agence en situation de crise afin de permettre aux Pouvoirs Publics de fonder leur décision sur une analyse scientifique des risques.

Cela a été le cas à de nombreuses reprises depuis un an, qu'il s'agisse, pour citer les plus connues, de la crise de la Dioxine, de la crise du Coca Cola, de la crise de l'ERIKA. A chaque fois, cela nous a conduits à rendre plusieurs avis successifs en essayant d'expliquer -en fonction des connaissances que nous avions au moment où la crise survenait, en fonction des premières données qui nous étaient transmises- les premiers éléments d'évaluation du risque et à préciser les choses dans des avis ultérieurs -lorsque je dis ultérieurs cela peut être la semaine suivante ou le mois suivant- pour permettre de prendre des mesures proportionnées.

- Harmoniser les conditions dans lesquelles étaient produits les avis. Sur les neuf premiers mois de 1999, 180 avis ont été rendus par l'Agence, dont deux tiers au titre des instances préexistantes dont nous assurons le secrétariat, et un tiers dans les conditions nouvelles de saisine de l'Agence.

Nous avons rendu ces avis en nous efforçant de satisfaire aux exigences de la loi, c'est-à-dire mettre en place une rationalisation de l'expertise afin de créer, d'ici l'été, les nouveaux comités d'experts spécialisés qui se substitueront aux anciennes commissions. A la lumière d'un an d'expérience, nous avons pu voir quels pouvaient être les avantages et inconvénients des différentes formules, avec des comités très hétérogènes dans leur composition, leur mode de fonctionnement, leur mode de saisine, etc.

- Pouvoir mener des travaux de fond au-delà des réponses ponctuelles. C'est le cas de travaux qui s'étalent sur huit mois ou un an, comme ceux sur l'évaluation de l'ensemble des risques sur la filière alimentation animale, comme le travail sur les apports nutritionnels conseillés, celui récemment rendu sur la listéria monocytogenèse, et les dix sujets que nous avons soumis à notre conseil scientifique pour être lancés en l'an 2000 et ceci en fonction des priorités sanitaires.

- Pouvoir définir des lignes directrices pour les travaux des laboratoires, qu'il s'agisse des axes thématiques à développer en relation avec les enjeux sanitaires actuels ou des conditions dans lesquelles les activités de ces laboratoires s'inscrivent dans un environnement nouveau.

Nous avons eu à coeur, dès la création de l'Agence, de faire de celle-ci, malgré l'origine diverse de ses compétences, un établissement unique fonctionnant comme tel avec des instances communes, avec des règles directrices communes et des modifications à apporter à des règles de partenariat. A côté de ces quatre priorités, il nous a fallu rendre publics tous les avis de l'Agence, ainsi que la loi l'exige.

Les premiers enseignements qui peuvent en être tirés sont peut-être les suivants :

- Le rassemblement, dans un même établissement, d'instances d'évaluation et de laboratoires est un atout très important pour assurer l'assise scientifique de l'Agence et développer sa capacité de veille et sa réactivité.

C'est aussi une source de difficultés, cela impose de nouvelles règles de fonctionnement mais nous nous apercevons, et en particulier dans les discussions que nous avons avec d'autres instances d'autres pays, de l'intérêt de pouvoir compter directement sur cette capacité d'expertise, d'appui technique et de recherche existant dans les laboratoires.

- Les procédures de transmission d'informations prévues par la loi sont essentielles pour que les travaux de l'Agence ne soient pas déconnectés des réalités de terrain.

A plusieurs reprises, nous nous sommes fondés sur des résultats d'enquêtes, des résultats d'inspections, dont nous avons tenu compte en plus des connaissances scientifiques, pour adapter telle ou telle date, telle ou telle recommandation, telle ou telle pratique qui, sinon, aurait fait l'impasse sur des difficultés qu'il pouvait y avoir dans l'application d'une réglementation.

- Il était important de mettre en chantier une réorganisation des comités d'experts. Lorsque les experts nous indiquent que le soutien qu'ils peuvent désormais avoir, que les relations qu'ils peuvent avoir avec les scientifiques de l'Agence leur permettent de mieux exercer leur fonction difficile, c'est pour nous un sujet de satisfaction.

- La publicité des travaux de l'Agence pratiquement en temps réel est un changement important pour l'ensemble des acteurs dans ce processus de démocratie sanitaire que vous avez évoqué tout à l'heure.

Je terminerai par les perspectives. L'Agence a été soumise à un rythme de travail particulièrement soutenu et nous ne nous attendons pas à bénéficier d'un répit dans les années qui viennent, mais nous pensons qu'à la lumière de ces premiers pas, nous pourrons renforcer notre fonctionnement avec trois perspectives principales qui sont pour nous autant d'exigences.

- La première est d'être capable d'anticiper les risques. Nous sommes dans un domaine où des risques nouveaux, des maladies nouvelles émergent, de nouveaux contaminants sont identifiés. Nous avons cité la vache folle tout à l'heure, mais il y a aussi certaines maladies moins connues comme la maladie amaigrissante du porcelet, l'entérocolite du lapin, la maladie de Borna : des interrogations s'élèvent concernant leurs conséquences éventuelles.

Il est essentiel de développer une méthodologie permettant à chaque fois, avec la même rigueur, de se poser des questions. Ces maladies sont-elles ou non transmissibles à l'homme ? Si elles l'étaient, les mesures que nous prenons pour éviter d'exposer l'homme par la voie alimentaire ou parfois par d'autres voies, sont-elles adaptées à une évolution des connaissances scientifiques qui irait dans le mauvais sens ?

Il nous faudra travailler, dans les mois qui viennent, dans ce domaine, tant par les axes de recherche en laboratoire que par les méthodes d'évaluation.

- La deuxième perspective est la nécessité de pouvoir maintenir une capacité à développer des travaux approfondis. Si nous voulons bien guider l'action des Pouvoirs Publics, il faut pouvoir lancer des réflexions de fond mettant en perspective les risques, les vulnérabilités, les enjeux.

Il n'y a aujourd'hui aucune situation de crise dans certains domaines où nous pensons qu'il faut quand même mettre à plat un certain nombre de sujets : c'est ce que nous faisons par exemple pour l'agriculture biologique, en nous disant que la situation est suffisamment précoce pour que l'on soit capable de faire une analyse objective. Si nous n'avions pas les moyens de mener ces travaux de fond, si tous les moyens étaient obérés par la réponse aux crises, nous serions revenus à la case départ.

- La troisième et dernière perspective consiste à se préparer au nouveau contexte communautaire et international. La silhouette de l'Autorité alimentaire européenne, telle qu'elle se dessine dans le Livre blanc de la Commission, présente de très nombreuses similitudes avec l'AFSSA. Celle-ci doit donc se préparer à pouvoir être l'un des piliers d'un système d'expertise fonctionnant en réseaux, et l'expérience que nous aurons acquise d'ici la mise en place de l'Agence ou de l'Autorité européenne sera très précieuse dans ce cadre.

Telles sont les principales remarques que je souhaitais faire. J'espère avoir clairement souligné que le système issu de la loi du 1 er juillet 1998 était porteur de changements réels et de nombreuses potentialités dans notre domaine.

L'Agence représente près de 800 personnes et des centaines d'experts qui se mobilisent pour mettre en oeuvre ce qui est écrit dans la loi.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur Général. Je donne la parole à M. Philippe Duneton, Directeur Général de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.

B. AUDITION DE M. PHILIPPE DUNETON, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS DE SANTÉ (AFSSAPS)

M. Philippe DUNETON - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je voudrais en quelques mots rappeler le contexte de la création de l'AFSSAPS, puisque l'Agence Française de Sécurité Alimentaire a des particularités que n'a pas l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, cette dernière ayant été bâtie sur les bases de l'Agence du Médicament. L'AFSSAPS a des compétences plus larges que l'AFSSA puisque, au-delà de l'évaluation du risque, elle a aussi en charge la gestion du risque, y compris le contrôle et l'inspection de l'ensemble des produits de santé.

Après avoir rappelé quelques éléments de l'environnement et du fonctionnement de l'Agence, je voudrais donner quelques éclairages en fonction des différents produits. Le sénateur Huriet m'a notamment invité à faire le point sur certains textes d'application de la loi.

Je parlerai d'orientations et de perspectives concernant la mise en place d'une organisation en termes de guichets, de points d'entrée, que j'ai mise en place au sein de l'Agence, et ensuite du contexte européen.

De façon très schématique, j'ai pris l'habitude de présenter l'Agence à partir de trois métiers plus un. Les trois métiers sont l'évaluation, les contrôles et l'inspection. Le quatrième est un moyen d'action, c'est un métier, j'y reviendrai lorsque je parlerai des vigilances : il concerne l'information, c'est-à-dire l'information à la fois ascendante et descendante chez les professionnels de santé, les professionnels industriels et évidemment au sein du public.

Mais sans vouloir faire du chiffre trois un chiffre clé de l'Agence, nous évoluons aussi dans un monde en trois dimensions :

- le premier est l'évaluation scientifique sur le plan du bénéfice/risque,

- le deuxième que l'Agence assure pour le médicament et prochainement pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, est l'évaluation médico-économique avec à la fois l'évaluation du service médical rendu et la proposition du taux de remboursement,

- le troisième est évidemment indépendant de l'Agence puisqu'il concerne la prise de décision en la matière, qui relève de la compétence des ministres.

Sans trop entrer dans le détail des chiffres, je dirai que l'Agence compte 833 personnes, dont une centaine sur les dispositifs médicaux, qui exercent des métiers, d'évaluation, de contrôle et d'inspection ; c'est aussi un budget de 579 millions de francs , dont 40 % de subvention de l'Etat. Il faut savoir remarquer que l'accroissement des missions de l'Agence s'est fait par le biais de l'accroissement de la subvention de l'Etat, qui lui permet de prendre en charge les nouveaux produits entrant dans son champ de compétences. Il s'agit aussi de 15 commissions, et de plus de 1.000 experts qui contribuent à assurer l'évaluation interne sur la base d'une expertise externe proche du terrain et en particulier du milieu hospitalo-universitaire.

L'Agence s'est bâtie sur l'Agence du Médicament, c'est toujours une donnée importante à garder en mémoire. Je rappelle que, y compris au moment de la création de l'Agence, elle a continué et a accentué ses travaux dans le domaine des médicaments et d'autorisation de mise sur le marché, avec un point plus particulier concernant le développement des génériques, puisque c'est un axe très important de la politique du médicament du Gouvernement.

En particulier, nous avons établi un répertoire, bâti sur les principes de santé publique et ceux du droit de la substitution, comprenant 800 spécialités, dont 400 inscrites en 1999. En plus des évaluations, l'Agence a procédé au contrôle en laboratoire de l'ensemble des spécialités inscrites au répertoire, ceci était un des premiers objectifs pour 1999.

Un des points importants était bien sûr ce que j'ai évoqué sur l'évaluation médico-économique puisque nous allons réaliser, en moins d'un an, la réévaluation du service médical rendu de l'ensemble des spécialités inscrites au remboursement, c'est-à-dire 4.000 spécialités. Dans les prochaines semaines nous terminerons la deuxième vague qui représentera plus des trois quarts du travail qui restera à accomplir ; nous espérons terminer à la rentrée.

Pour revenir à des préoccupations de sécurité sanitaire, je voudrais rappeler le contexte concernant les dispositifs médicaux et rappeler quelques temps forts.

Comme je l'ai indiqué, les dispositifs entrent désormais dans le champ de compétences de l'Agence. L'Agence a bénéficié d'un transfert d'équipes qui étaient auparavant à la Direction des hôpitaux ; en effet, l'organisation et la sécurité reposent beaucoup sur des aspects de vigilance, donc de surveillance après la mise sur le marché.

En moins de cinq ans, la France a su, en matière de vigilance des dispositifs médicaux, rejoindre le plus haut niveau européen. Il y a eu le transfert des équipes, la création d'une inspection spécifique des dispositifs médicaux, la préparation et la mise en place de la nouvelle organisation.

Nous travaillons avec les industriels concernant les dispositifs d'alerte et, grâce au travail mené avec la Direction des hôpitaux, nous pouvons contacter en moins d'une heure l'ensemble des établissements publics de santé. Nous avons utilisé ces moyens dans le cadre du dispositif mis en place pour le passage à l'An 2000.

Mais il est clair que la diversité des types de dispositifs et des publics concernés, fait que nous avons un chantier, que nous espérons voir aboutir au cours de cette année, pour adapter les dispositifs d'alerte à cette diversité de nos publics.

La mise en place d'une commission spécifique est actuellement en cours et nous allons mettre en place une commission d'évaluation concernant le service médical rendu. Une troisième commission sera placée au sein de l'Agence et s'occupera plus spécifiquement de l'évaluation en termes de sécurité sanitaire et de contrôle du marché.

Avant même la mise en place de cette commission, qui est plutôt un groupe de travail, j'ai souhaité que nous travaillions plus précisément sur les dispositifs implantables qui sont parmi ceux qui posent le plus de problèmes, puisqu'ils sont à l'origine de 75 % des accidents sérieux. En particulier, des groupes d'évaluation seront mis en place sur les prothèses de hanches et les endoprothèses aortiques, des travaux sont d'ailleurs déjà en cours.

J'ai cité l'inspection, mais il y a aussi le contrôle des organismes notifiés qui sont contenus dans les directives européennes transposées en droit français ; l'inspection de l'organisme notifié français, le GEMED, est en cours actuellement. Tout cela sera réalisé et terminé dans quelques semaines.

De la même façon que pour les dispositifs médicaux, le secteur des réactifs de laboratoire a fait l'objet de différentes réévaluations. Nous travaillons, là encore, à regarder comment nous pouvons notifier un organisme pour prendre en charge et enregistrer, puisque la nouvelle directive entrera en application le 7 juin prochain.

L'approche française, qui a été très largement développée et défendue par le Sénat, consistait à tenir compte d'un certain nombre de particularités, de l'environnement européen, mais aussi à montrer qu'en matière de sécurité sanitaire, des avancées contenues dans la loi devaient être faites.

Cela m'amène à parler de deux textes qui sortiront prochainement, et qui feront l'objet d'une consultation auprès des professionnels et auprès de la Commission européenne, puisqu'il est vrai que les autres Etats membres étaient particulièrement "sourcilleux" sur cette approche française.

Le texte concernant les dispositifs à risques particuliers est prêt, il pourra être notifié à la Commission. J'avais donné consigne aux équipes en charge des dispositifs médicaux dans mon service, d'aller expliquer -ce qui a été fait plusieurs fois par mois depuis que l'Agence existe- que ces dispositions se situaient dans le cadre de l'approche communautaire, et qu'elles présentaient la particularité de prévoir une notification de trois mois avant la mise sur le marché de dispositifs particuliers. Elles constituent une mesure de vigilance, un facteur clef de sécurité et non pas une entrave à la mise sur le marché.

Autant il y avait beaucoup de scepticisme, de crainte vis-à-vis des dispositions prévues dans la loi de juillet 1998, autant maintenant je pense que la position française est mieux comprise, voire presque défendue, par la Commission. C'est un changement important et notable qui a été obtenu en quelques mois, il reste à passer à l'acte.

De la même manière, un autre décret important pourra être publié dans les toutes prochaines semaines concernant l'assurance qualité des dispositifs médicaux.

Cela n'épuise pas le débat parce que bien d'autres enjeux en matière de dispositifs médicaux sont devant nous. En particulier, vous connaissez tous les différences d'évaluation clinique qui existent entre le médicament et les dispositifs médicaux, ceci à juste titre, puisque la diversité des dispositifs donne lieu à des risques extrêmement diversifiés, ce qui pose un certain nombre de problèmes.

Par ailleurs, la Directive prévoit le contrôle des organismes notifiés. La France fait son travail, il faut s'assurer que, dans l'ensemble des autres Etats membres, le travail est fait de la même façon. Nous avons déjà eu des échanges avec les Etats membres et, dans le cadre de la présidence française, l'AFSSAPS a pris l'initiative d'organiser au mois de juillet à Paris une rencontre avec les Etats membres et la Commission sur les problèmes posés par l'évaluation clinique et le contrôle des organismes notifiés, point qui est un enjeu important auquel nous serons tous sensibles.

Je voudrais aussi parler d'autres produits. Je passerai sur les produits sanguins pour lesquels le transfert s'est fait au premier jour et s'est développé sans difficulté.

Cela m'amène aux produits biologiques, qui représentent une autre dimension importante de l'acuité de l'Agence, maintenant compétente pour exercer les missions d'évaluation, de surveillance et de contrôle. Nous avons organisé l'inspection des produits biologiques, mais nous nous sommes trouvés face à un certain nombre de difficultés quant à la prise des textes prévus par la loi de 1998.

Concernant les thérapies génique et cellulaire, qui faisaient déjà l'objet de dispositions législatives de 1996 reprises dans le cadre de la loi de 1998, nous avons réussi à préparer un texte d'application. Nous avons rencontré des difficultés sur la définition des différents types de produits, en particulier des produits cellulaires -puisqu'il y avait plusieurs définitions en fonction de leur origine- des produits sanguins, des produits placentaires et des produits issus de la moelle.

Peut-être faudra-t-il revoir la définition des produits mais, de mon point de vue, il n'est pas nécessaire d'attendre quoi que ce soit pour publier les textes d'application puisque nous avons désormais retenu une approche qui me paraît cohérente.

Malgré la gêne évidente résultant de l'absence des textes d'application de la loi, l'Agence s'en est préoccupée sans attendre.

D'une part, cela a permis d'éviter les dérives que nous avons pu constater sur le continent Nord américain et qui ont été rappelées par l'actualité le mois dernier et, d'autre part, cela a malgré tout permis de ne pas bloquer la recherche, comme en témoignent les avancées notables réalisées au cours des dernières semaines à Paris avec le professeur Fischer.

Je voudrais terminer sur l'inspection.

J'ai déjà évoqué l'inspection spécifique sur les produits biologiques et les dispositifs médicaux. Je voudrais citer un point concernant l'articulation de nos travaux avec ceux des autres administrations : nous avons ainsi été amenés à passer une convention avec la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes. Même si les frontières sont repoussées, elles existent toujours, il existe donc des interfaces dans nos champs de compétences pour lesquelles nous avons à travailler et à définir des procédures.

De la même façon, en matière d'inspection, nous avons travaillé avec les services déconcentrés du ministère de la Santé, et défini un programme d'inspection qui a été mis en oeuvre avec une circulaire dès le 11 mai 1999.

J'ai évoqué la mise en place de réseaux et de guichets, je citerais aussi la coordination des vigilances qui est très importante puisque nous avons huit vigilances différentes. Cela répond à un objectif de fonctionnement transversal de l'établissement, c'est-à-dire qu'à partir du moment où une question se pose, il faut être sûr que les mêmes décisions puissent être prises, le cas échéant, sur l'ensemble des produits concernés.

Un autre point important de cette coordination des vigilances est le point d'entrée avec les autres institutions et agences, en particulier l'AFSSA ; nous avons travaillé de façon concertée sur un certain nombre de projets.

Je terminerai en évoquant la future présidence française de l'Union européenne. J'ai rappelé l'importance, en matière de dispositifs médicaux, des enjeux qui s'attachent à la bonne compréhension et la bonne intervention concertée avec les autres Etats membres et la Commission. J'espère que les positions françaises qui sont répétées, qui traduisent la volonté du Parlement et du Gouvernement, seront reprises, en tout cas en Europe.

Dans le domaine du médicament aussi, il existe un enjeu important de la présidence française : le système d'enregistrement des médicaments doit en effet être révisé l'an prochain. Au cours de sa présidence, la France sera donc amenée à faire des propositions avec les autres Etats membres pour voir comment nous pouvons améliorer le système d'enregistrement européen, puisqu'il existe actuellement deux procédures, l'une centralisée avec l'Agence européenne à Londres et l'autre dite de reconnaissance mutuelle. De toute façon, les deux procédures sont basées sur l'expertise qui est faite par les différentes agences nationales.

Voilà en quelques mots un premier bilan de la mise en place de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur Général. Je passe la parole à Jacques Drucker, Directeur Général de l'Institut de Veille Sanitaire.

C. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT DE VEILLE SANITAIRE (IVS)

M. Jacques DRUCKER - Mesdames, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je souhaitais dans le cadre de cette audition publique faire le point avec vous, un an après la création de l'Institut de Veille Sanitaire, sur son organisation, son fonctionnement et les moyens dont il est doté.

Puis, nous aborderons bien entendu sa production au cours de cette année et enfin les enseignements que nous pouvons tirer de cette année de fonctionnement, sans complaisance, en insistant aussi sur les écueils, puisque c'est souvent très enrichissant pour l'avenir, et en dégageant les perspectives de développement de l'Institut.

Je rappelle pour mémoire que les décrets d'application de l'Institut de Veille Sanitaire sont sortis en mars 1999, et que, d'une façon générique, la mission de l'Institut de Veille Sanitaire est d'assurer la coordination de la surveillance et l'observation de la santé de la population française.

Vaste mission, avec deux priorités dans lesquelles nous sommes engagés de façon très active. La première est une finalité d'alerte et d'accompagnement, notamment des Pouvoirs Publics, dans la réponse à la survenue de menaces pour la santé publique. La seconde est de construire sur le long terme un outil de suivi épidémiologique permanent de l'état de santé de la population dans une perspective d'aide à la décision sur l'élaboration et l'adaptation des politiques de prévention.

L'Institut de Veille Sanitaire possède quelques originalités dans le dispositif de sécurité sanitaire. Premièrement, son approche est une approche par la population et non par les produits, c'est-à-dire que cet Institut est chargé d'ausculter la population française en permanence. Il s'agit en fait de mettre en place des systèmes de recueil d'informations sur les pathologies et les circonstances d'exposition de la population à certains déterminants de la santé.

La deuxième originalité est l'universalité du champ de compétences de cet Institut, puisque tous les secteurs de la santé publique lui sont ouverts sans restriction, quelle que soit la nature des risques sanitaires et quel que soit leur mode d'expression.

Enfin, le dernier point sur lequel je voulais insister, est, comme le prévoit le texte de loi, que l'Institut de Veille Sanitaire n'a pas vocation à être l'opérateur de tous les systèmes d'information, de tous les systèmes de surveillance qu'il coordonne, mais a vocation être un animateur, un coordonnateur et le chef d'orchestre d'un réseau national de santé publique autour des missions de veille sanitaire.

De par la nature de ses missions, les deux métiers principaux qui sont développés à l'Institut de Veille Sanitaire sont, d'une part, les métiers de l'épidémiologie d'intervention, tout ce qui tourne autour de l'expertise dans les systèmes de surveillance, l'expertise dans les investigations épidémiologiques, notamment en situation d'urgence, et d'autre part, là où la méthode épidémiologique n'est probablement pas la meilleure réponse pour évaluer certains problèmes de santé, tout ce qui tourne autour de l'évaluation quantitative des risques sanitaires, notamment en situation d'incertitude ou en situation de risque différé sur le long terme qu'il s'agit d'essayer de mieux cerner sans attendre des données de surveillance tardives.

Un mot sur ses moyens et la configuration de l'Institut de Veille Sanitaire : l'Institut de Veille Sanitaire dispose de 140 emplois permanents, ce qui est en augmentation de façon très substantielle par rapport à l'ancien Réseau National de Santé Publique puisque l'Institut de Veille Sanitaire a repris les missions de cet ancien Réseau national. Nous avons ainsi bénéficié de 40 emplois supplémentaires en l'an 2000, soit une augmentation de 40 % de nos ressources humaines par rapport à 1999.

Nous sommes dotés d'un budget de 115 millions de francs , dont 100 millions de francs proviennent d'une subvention de l'Etat et le reste essentiellement de contrats avec la Commission européenne. Là encore, la subvention de l'Etat a été augmentée de 30 % en 2000 par rapport à la dotation de 1999.

Comment est organisé l'Institut de Veille Sanitaire ?

A proprement parler, il faut le concevoir comme une tête de réseau. Cette tête de réseau est située à Saint-Maurice et est organisée en six départements. Depuis la création de l'Institut de Veille Sanitaire, par rapport à la situation du Réseau National de Santé Publique, nous avons eu la possibilité d'ouvrir trois nouveaux départements. Ces six départements sont les suivants :

- un département des maladies infectieuses chargé de la surveillance des maladies du même nom,

- un département santé/environnement qui surveille et évalue les risques d'origine environnementale,

- un département santé/travail, qui est l'un des nouveaux départements qui s'est ouvert depuis la création de l'Institut de Veille Sanitaire, chargé de surveiller les risques d'origine professionnelle,

- un département d'ouverture récente, que nous appelons le département des maladies chroniques et des traumatismes, chargé de développer sur le long terme un système d'information sur les maladies chroniques et les problèmes d'origine accidentelle,

- enfin, deux derniers départements qui sont des départements en soutien aux départements précédents. L'un s'appelle le service des systèmes d'information qui est un peu le système nerveux de l'Institut de Veille Sanitaire, et l'autre est un département international qui aujourd'hui accueille -j'y reviendrai tout à l'heure- un certain nombre de projets européens, dont la coordination a été confiée à l'Institut de Veille Sanitaire par la Commission européenne.

Nous nous sommes attachés depuis un an à structurer, à commencer à développer le futur Réseau National de Veille Sanitaire que doit animer l'Institut. Le premier maillage de ce réseau s'appuie sur l'héritage du Réseau National de Santé Publique et, en particulier, sur les cellules inter-régionales d'épidémiologie qui sont des petites structures techniques venant en relais de l'action de l'Institut de Veille Sanitaire et permettant de mieux prendre en compte les spécificités régionales en matière de veille sanitaire. Aujourd'hui, il existe neuf de ces cellules avec, dans chacune, deux agents scientifiques : un médecin de santé publique et un ingénieur du génie sanitaire.

Puis, nous nous sommes attachés à développer progressivement et à formaliser des partenariats avec les institutions, les organismes, voire les professionnels de santé qui, chacun à leur niveau, sont susceptibles de contribuer aux missions de veille sanitaire.

Certains de ces partenariats sont déjà très opérationnels, bien entendu, je le rappelle pour mémoire, parce qu'ils l'étaient déjà dans le cadre du Réseau National de Santé Publique, notamment avec les partenariats avec les services déconcentrés, avec les DDASS qui sont nos interlocuteurs de première ligne sur les missions d'intervention. Nous avons aussi signé un accord de coopération avec l'INSERM, qui nous permet d'avoir une collaboration pérenne sur les statistiques de mortalité gérées par l'INSERM et de développer progressivement tout un programme de veille scientifique prospective sur les risques sanitaires.

Nous avons également un accord de partenariat avec le réseau des Observatoires Régionaux de Santé et avec les registres de morbidité, en particulier les registres de cancer. Parmi les partenariats en cours, nous avons un accord en voie de finalisation avec l'INRS sur les problèmes de risques au travail, avec le réseau des centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales et avec le réseau de toxicovigilance des centres antipoison.

Enfin, des partenariats sont à l'étude, car un peu plus complexes, avec notamment le tissu hospitalier français. Nous étudions en particulier la possibilité, la faisabilité, d'exploiter le PMSI, le Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information, à des fins épidémiologiques.

Nous avons enfin approché les organismes de protection sociale, notamment la CNAM, pour étudier de la même façon la faisabilité d'utiliser à des fins de surveillance des données comme, par exemple, la base de données des affections de longue durée.

Bien entendu, il est hors de mon propos de faire la liste exhaustive des programmes en cours, je distinguerai seulement deux éléments : l'alerte, d'une part, et les programmes de surveillance, d'autre part.

Nous pouvons dire que le bilan concernant la mission d'alerte de l'Institut de Veille Sanitaire est aujourd'hui honorable. Nous disposons, notamment dans le domaine de l'alerte vis-à-vis des maladies infectieuses, du dispositif probablement le plus performant en Europe. J'en veux pour preuve les nombreux stagiaires que nos collègues des institutions européennes nous adressent depuis quelques mois. Nous avons un dispositif qui fonctionne, pas uniquement grâce à l'Institut de Veille Sanitaire, mais parce que le dispositif est devenu très performant, en particulier sur les aspects épidémiologiques coordonnés par l'Institut de Veille Sanitaire.

Nous répondons, si ce n'est quotidiennement mais de façon hebdomadaire, à des sollicitations des DDASS sur des alertes locales ; nous sommes aussi intervenus à de nombreuses reprises sur des épidémies ou des menaces de dimension nationale comme trois épidémies de listériose, deux épidémies de légionellose, plusieurs épidémies de méningite, et nous sommes intervenus à notre niveau dans le dossier de l'affaire du Coca-Cola, il y a quelques mois, et plus récemment dans le dossier de l'ERIKA.

L'alerte est un domaine en pleine expansion, il consomme aujourd'hui à l'Institut de Veille Sanitaire un tiers des ressources humaines du département des maladies infectieuses et du département santé environnement. C'est un de nos enjeux de le renforcer, de le structurer pour répondre à une demande de plus en plus croissante dans ce domaine.

Sur les aspects de surveillance, nous gérons le système de surveillance des maladies à déclaration obligatoire. Nous mettons en place un système national de surveillance de l'hépatite C en collaboration avec les pôles de référence hospitaliers sur cette thématique. Nous avons renforcé ce qui avait été amorcé par le Réseau National de Santé Publique, un réseau de surveillance des effets de la pollution atmosphérique sur la santé dans neuf grandes agglomérations françaises. Nous avons également mis en place, depuis un an, un réseau national de surveillance des effets de l'amiante sur la santé, en particulier du mésotéliome, en liaison avec de nombreux partenaires.

Puis, nous mettons en place ou nous renforçons des réseaux avec les professionnels de santé, réseaux dits sentinelles, avec la médecine générale, avec la médecine du travail, et des réseaux de médecins hospitaliers. L'activité de structuration du futur réseau national de veille sanitaire se développe de façon normale et efficace.

Sur l'aspect des enseignements et des écueils que nous rencontrons dans la mise en place des missions de l'Institut de Veille Sanitaire, concernant l'alerte les choses se sont bien structurées. Le dispositif d'alerte sera complet lorsque le décret sur les conditions d'accès aux informations couvertes par le secret médical ou industriel qu'a prévu la loi du 1 er juillet 1998 sera publié : ce n'est pas encore le cas, ce décret étant en cours d'élaboration.

S'agissant des missions d'observation ou de surveillance épidémiologique, nous avons rencontré quelques difficultés du fait de l'interruption de la remontée nationale des déclarations obligatoires liée à un mouvement social des médecins inspecteurs de santé. Ce mouvement est terminé depuis quelques jours, mais cela nous oblige maintenant à rattraper le retard. Cependant, l'information n'est pas perdue, nous sommes actuellement en train de rattraper les données de l'année 1999 dans les déclarations obligatoires.

S'agissant de cette déclaration obligatoire, vous êtes sans doute aussi informés des difficultés que nous avons rencontrées avec le nouveau décret, relatives à la transmission aux autorités sanitaires des informations liées à la déclaration obligatoire. Certaines associations se sont en effet inquiétées de la compatibilité entre ce décret et la protection des libertés individuelles. Il est actuellement procédé au réexamen de la compatibilité entre la rédaction de ce décret et ce qui est prévu dans le dispositif législatif en matière de protection de l'anonymat.

Concernant la structuration des autres partenariats, nous rencontrons certaines difficultés qui sont de nature différente. D'abord, il faut rappeler que la culture de santé publique dans ce pays est relativement récente et que beaucoup d'organismes, d'institutions, voire des professionnels de santé, n'ont pas inscrit dans leurs priorités la contribution à des missions de santé publique.

Par exemple, lorsque nous travaillons avec des laboratoires de recherche en toxicologie ou en microbiologie sur des missions d'alerte, la réactivité ou les exigences liées à ces missions de santé publique ne sont pas toujours inscrites dans leurs priorités du fait même de la nature de leurs missions de laboratoires de recherche.

Je rappelle que la France est le seul pays en Europe à ne pas avoir de laboratoire national de santé publique. C'est un écueil qui, jusqu'à présent, n'a pas à mon sens de conséquences importantes parce que nous compensons, en formalisant des partenariats entre des structures d'épidémiologie et des structures de laboratoires. D'une autre façon, je pense qu'inscrire des missions de santé publique en tant que telles au sein d'un certain nombre de laboratoires est une réflexion à mener dans l'avenir.

De même, nous rencontrons une autre difficulté sur la nécessité de renforcer les moyens de certains outils sur lesquels nous nous reposons pour les missions de veille sanitaire, je parle en particulier des registres de morbidité, des registres de cancer qui sont des outils de recherche, des outils de santé publique et de surveillance.

S'agissant du cancer, on estime aujourd'hui -c'est une estimation faite dans le cadre du comité national des registres- qu'il faudrait doter ces registres de 15 millions de francs par an pour assurer un fonctionnement pérenne des missions de surveillance du cancer. Aujourd'hui la dotation qui leur est octroyée par l'Institut de Veille Sanitaire ou l'INSERM est à hauteur de 5 millions de francs. Il y a un déficit à combler et nous demandons de plus en plus à un certain nombre d'organismes et d'institutions de contribuer aux missions de veille sanitaire.

Autre point, celui de la coordination avec les autres agences. Cette coordination fonctionne, notamment en situation d'alerte. Elle a aussi commencé à fonctionner sur des dossiers de plus long terme. C'est pourquoi, nous avons une collaboration avec l'AFSSAPS sur l'exploitation commune des données d'hémovigilance dans une perspective de veille sanitaire et un projet en commun avec l'AFSSA sur l'étude de la morbidité et de la mortalité d'origine alimentaire.

Je voudrais, pour terminer ce bilan sur les programmes, dire un mot de la dimension internationale de notre action qui est devenue assez importante, notamment en Europe. L'Institut de Veille Sanitaire coordonne un certain nombre de projets stratégiques de la Communauté européenne. Par exemple, nous assurons la coordination pour toute l'Europe de la surveillance épidémiologique du SIDA et de l'infection par le VIH et nous avons la même mission pour l'Europe concernant la surveillance de la tuberculose. Je ne parle pas ici de l'Europe communautaire, mais de la région Europe de l'OMS, cela concerne la coordination de cinquante pays.

Nous assurons également pour la Commission européenne la publication d'un bulletin épidémiologique mensuel sur les maladies transmissibles et nous coordonnons un programme assez ambitieux de formation à l'épidémiologie d'intervention des futurs cadres des instituts équivalents au nôtre dans les autres pays européens. Il sera d'ailleurs intéressant d'écouter M. Byrne à ce sujet, en fin d'après-midi.

Nous sommes préoccupés par les difficultés rencontrées pour mettre en place le réseau européen de surveillance des maladies transmissibles, créé en 1999. Il rencontre en effet des difficultés de " décollage ", notamment concernant ses ressources.

En conclusion, le bilan à un an est plus qu'honorable : l'Institut de Veille Sanitaire a consolidé les acquis du Réseau National de Santé Publique, ouvert de nouveaux chantiers correspondants à ses nouvelles missions, fait un inventaire de l'expertise, évalué les besoins et la faisabilité des nouveaux systèmes qu'elle doit développer et repéré un certain nombre d'écueils et de lacunes à combler.

Concernant les perspectives, aujourd'hui l'Institut de Veille Sanitaire est en train d'élaborer un contrat d'objectifs et de moyens avec l'Etat qui doit permettre de couvrir son développement sur les trois prochaines années, 2001 à 2003, autour de deux axes principaux : d'une part consolider l'expertise et la réactivité du dispositif d'alerte et de réponse à ces alertes, et d'autre part développer une capacité d'analyse, d'anticipation et de prévision qui est nécessaire pour accompagner et étayer les politiques publiques de santé.

M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur Général. Je suis saisi de plusieurs questions qui s'adressent aux trois intervenants que nous venons d'entendre.

M. Charles DESCOURS - Ma première remarque s'adresse à M. Hirsch. Monsieur le Directeur Général, le législateur a créé des agences non seulement pour informer le Gouvernement et le conseiller, mais aussi pour informer le Parlement et l'opinion. Nous ne voulons pas qu'elles soient des agences gouvernementales, c'est bien clair. Nous souhaitons que vous soyez indépendants du Gouvernement et vous l'êtes. Vous informez le Gouvernement pour qu'il prenne ses décisions mais vous êtes aussi là pour informer l'opinion et le Parlement comme le FDA le fait aux Etats-Unis, et c'est ce qui donnera du poids à vos décisions.

Par ailleurs, vous êtes-vous interrogé sur l'attitude à avoir vis-à-vis des OGM et notamment sur le colza transgénique qui vient d'être planté par erreur ? Vous êtes-vous interrogé pour savoir s'il faut l'arracher ou non ?

Le Conseil National d'Alimentation vient d'être réactivé ; comment fonctionne-t-il avec vous ?

Nous ne voudrions pas que l'on recommence à créer des agences parallèles, surtout lorsque l'on connaît les réticences du ministère de d'Agriculture à créer l'AFSSA. Nous ne voudrions pas que ce que nous avons obtenu d'un côté soit détruit de l'autre et que, comme malheureusement trop souvent, les décrets viennent annuler ce qu'a voulu le législateur.

Monsieur Duneton, vous n'avez pas parlé du contrôle des allégations santé des aliments. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Dernière question à M. Drucker. Vous avez beaucoup parlé de réseaux et des difficultés que vous aviez à fonctionner en réseau. Bravo pour ce que vous avez fait, c'était ce que nous souhaitions, cependant vous n'avez pas dit un mot de la médecine scolaire. Cela fonctionne-t-il ou non ?

Travaillez-vous sur les maladies iatrogènes et les infections nosocomiales ?

M. Claude HURIET - A propos de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, je voulais interroger le Directeur Général sur le rattachement des laboratoires prévu à l'article L. 794-1 de la loi. A notre connaissance, il y a quelques lourdeurs auxquelles nous nous attendions, mais j'aimerais savoir si nous sommes en passe de réussir.

Ma deuxième question concerne le CNEVA quant à son mode de financement à travers des partenaires industriels, d'autant plus que le CNEVA garde ses attributions premières en matière de recherche. Il m'a été dit dernièrement que le CNEVA n'avait pas changé et que le fait de l'avoir mis dans l'AFSSA n'était qu'une sorte d'illusion, que l'on avait changé l'enveloppe mais que cela n'avait pas modifié l'exercice de ses missions. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Concernant l'évolution de l'AFSSA, vous savez combien nous avons été seulement partiellement satisfaits de voir reconnues à l'Agence les seules attributions en matière d'évaluation du risque, à l'exclusion de tout pouvoir de gestion. J'ai eu connaissance d'un article publié récemment dans un grand journal du soir où je lis : " les derniers avis du Comité Dormont commencent à poser une sérieuse difficulté aux responsables gouvernementaux. "

Je lis la conclusion que je fais mienne sous forme interrogative : " du côté du ministère de l'Agriculture on redoute clairement qu'une réponse favorable aux propositions du Comité Dormont ne bouleverse l'équilibre entre analyse et gestion du risque, les différentes administrations concernées risquant de perdre une partie de leurs pouvoirs au profit de l'AFSSA et de fait du Comité Dormont. " Je souscris aux interrogations du journaliste et j'aimerais que vous puissiez apporter des éléments de réponse.

Concernant les évolutions en cours, je voudrais citer des propos récents du Premier ministre : " le Premier ministre a notamment souhaité la création d'une autorité alimentaire indépendante en Europe ". Sait-on si cette autorité alimentaire aura exclusivement les pouvoirs d'évaluation ou si, en tant qu'autorité, elle aura également un pouvoir de gestion, ce qui rejoint mes observations précédentes ?

Pour l'AFSSAPS, j'ai une question concernant les conséquences du transfert de l'Etablissement Français du Sang à Lille. Vous avez parlé de transfert de la partie évaluation de feu l'Agence Française du Sang dans l'AFSSAPS, tant mieux, c'est ce que nous avons voulu, mais je parle d'un transfert géographique. Est-ce un élément qui peut ajouter aux difficultés de fonctionnement ou non ?

Vous avez évoqué quelques-uns des textes réglementaires qui sont en attente, êtes-vous étroitement associés à leur élaboration ?

Concernant l'Institut de Veille Sanitaire, j'ai très peu de questions. Dans les missions et les moyens à travers le réseau qui s'est mis en place, conformément à la volonté du législateur, vous avez parlé du département santé/travail, vous avez aussi parlé d'une mission de surveillance de l'impact sanitaire des pollutions. Je suis amené, encore plus que je ne l'ai fait auparavant, à vous écouter sur l'apport susceptible de résulter de la création d'une Agence de Sécurité Sanitaire Environnementale qui, elle aussi, d'après le texte adopté par l'Assemblée nationale, aurait cette mission concernant la santé au travail et la mission de surveillance des effets sanitaires des pollutions.

M. François AUTAIN - Une question s'adresse à M. le Directeur de l'AFSSA et une autre à M. le Directeur de l'AFSSAPS. Ces deux questions me sont soufflées par l'actualité.

Ce matin, j'ai appris que le Gouvernement allait dédommager les personnes qui ont été victimes de la vaccination anti-hépatite B. Aujourd'hui, les experts ont-ils établi un lien de causalité entre la vaccination anti-hépatite B et la sclérose en plaques ?

Les juges, quant à eux, s'étaient déterminés en faveur de cette relation. Les experts disent qu'il n'y a pas de relation de cause à effet, mais la justice dit le contraire. Je voulais savoir ce qu'il en était, non pas que je veuille opposer la justice aux experts car la justice est indépendante, mais si les experts ont établi une position de cause à effet cela pourrait expliquer la modification de la position du Gouvernement.

Ma deuxième question concerne les nitrates. Il est établi depuis très longtemps que la consommation de nitrates est inoffensive chez l'homme sans limitation de dose. C'est compréhensible puisque la dose qui a été fixée arbitrairement en 1980 par la Commission européenne, d'ailleurs sans qu'aucune étude scientifique ne soit citée pour justifier cette limite, est de 50 mg par litre d'eau.

Je voudrais connaître la position de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments concernant ce problème des nitrates et savoir s'il fallait continuer à imposer une limitation qui n'est pas justifiée, d'autant plus que l'on préconise la consommation de laitues, de betteraves, d'épinards qui en comportent beaucoup plus, puisqu'il y a 2.000 mg par kilo de betteraves. Il y a là une contradiction, 50 mg par litre et 2.000 mg par kilo, où est la cohérence ?

M. LE PRÉSIDENT - Je propose que les intervenants répondent à cette première série de questions.

M. Martin HIRSCH - M. Descours a eu raison de souligner que la loi prévoit que l'Agence conseille le Gouvernement et que son rôle d'information est plus large. Je peux l'assurer qu'il n'y a jamais eu d'obstacle pendant cette année à l'émission d'un quelconque avis de l'Agence, même lorsque ces avis étaient difficiles.

Vis-à-vis des OGM, le fait de savoir si nous arrachons ou pas est une question qui ne nous concerne pas : nous ne sommes concernés que si tel ou tel produit est ensuite introduit dans l'alimentation, ce qui n'est pas à l'ordre du jour, et nous n'avons d'ailleurs pas été saisis sur ce point particulier.

Le Conseil National de l'Alimentation a été renommé sur le fondement des textes qui préexistaient, c'est une instance de concertation dans laquelle nous trouvons des représentants des consommateurs, des représentants des industriels, des représentants de différents milieux socio-économiques, qui permet une concertation plus large sur les problèmes de politique de l'alimentation et dans des conditions bien distinctes du rôle scientifique que constitue l'Agence.

Concernant les questions de rattachement des laboratoires, par rapport à ce que la loi a prévu, a eu lieu ultérieurement l'intégration d'un laboratoire qui est le laboratoire d'hydrologie. Celui-ci dépend du ministère de la Santé. Des instances peuvent aussi être assimilées à des laboratoires, comme l'Observatoire des Consommations Alimentaires ou le Centre National d'Etudes et de Recherches ; en revanche, il n'y a pas eu d'autres réflexions à ce stade sur la façon dont évolueraient les relations entre des laboratoires d'Etat et l'Agence.

Le CNEVA a été intégré dans l'Agence, il n'existe plus. Nous avons eu le souci de ne pas déstabiliser des laboratoires qui rendaient un certain nombre de services essentiels, en particulier dans le domaine sanitaire, tout en les faisant évoluer. Leur mode de fonctionnement actuel a été beaucoup influencé par leur intégration dans l'Agence ; nous avons complètement revu la liste et les conditions des partenariats pour garantir l'indépendance de leurs travaux. Nous avons aussi défini des thématiques prioritaires pour que ces travaux s'inscrivent de plus en plus dans des problématiques liées aux besoins issus d'évaluations, sans pour autant qu'ils perdent leurs caractéristiques, lorsqu'ils font par exemple de la santé animale et qu'ils sont les seuls à rendre ces services. Nous ne pouvons pas nous déposséder de cette capacité. Une évolution s'est faite de manière résolue depuis le départ, sans remise en cause.

Sur l'ESB, ce serait mentir que de dire qu'il n'y a pas de difficulté, c'est le dossier le plus difficile que nous ayons à traiter. Le Gouvernement nous a saisis systématiquement, soit sur des points ponctuels, soit plus largement sur une demande de réévaluation. A l'issue de ces travaux, beaucoup de choses ont effectivement été modifiées sur le fondement des travaux scientifiques.

Je ne reviens pas sur l'embargo qui est un élément que tout le monde a à l'esprit, mais c'est dans ces conditions que les règles d'abattage des bovins ont été modifiées, c'est dans ces conditions que la liste des matériaux à risque est actualisée, c'est aussi dans ces conditions qu'un programme de test a été mis en place, sur recommandation des experts du comité présidé avec beaucoup de talent par le professeur Dormont, dans des conditions beaucoup plus rigoureuses que le programme de base imposé à chacun des Etats.

Certains avis sont difficiles à élaborer, peut-être parfois difficiles à suivre, mais, depuis un an, énormément de changements ont été mis en oeuvre sur le fondement de recommandations scientifiques. L'autorité européenne aurait, telle qu'elle est aujourd'hui esquissée, le même type de compétences que l'AFSSA, elle n'aurait pas de compétences de réglementation ou d'inspection.

Concernant les nitrates, je ne pourrai pas répondre à M. Autain. Vous m'avez demandé, Monsieur le Ministre, quelle était la position de l'Agence, elle n'a pas de position à ce stade. Lorsque l'Agence a une position, c'est qu'une commission scientifique a évalué les risques spécifiquement liés à telle ou telle chose. Nous lançons un travail sur tous les effets des épandages, d'autres études vont aussi être lancées ; nous ne remettons pas en cause telle ou telle norme de manière superficielle.

Cela fait partie des domaines dans lesquels des travaux seront poursuivis afin de savoir quelles sont effectivement les données toxicologiques les plus récentes permettant ou non de confirmer ce qui a été établi par précaution il y a quelques années. Il y a des divergences d'appréciation dans les milieux scientifiques entre le risque réel pour l'homme et les taux recommandés, pour les nitrates comme pour les dizaines ou centaines de molécules que nous pouvons trouver dans les différents milieux et en particulier dans les eaux d'alimentation.

M. Philippe DUNETON - La question difficile des allégations santé renvoie à l'interrogation concernant les possibilités réelles d'action à la suite du dépôt a priori exigé pour un certain nombre de matières, qui n'est pas fait systématiquement : il faudrait peut-être mieux contrôler a posteriori.

Par ailleurs, cela pose la question du type de produit. Nous sommes habitués à contrôler et nous sommes parfois saisis par la DGCCRF ou par les associations de consommateurs. Cela fait partie des actions " frontière " que nous sommes amenés à engager.

Le fait que, à ma connaissance, un transfert d'une partie du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France soit prévu dans les groupes d'experts évoqués par M. Hirsch -de ce fait cette question sera reprise en concertation avec les agences- est la meilleure façon d'aborder ce sujet.

Concernant le transfert de l'Etablissement Français du Sang à Lille, il n'est pas de ma compétence de porter une appréciation sur le transfert des Etablissements Publics dans telle ou telle ville. Je peux constater, en revanche, que je suis chargé du contrôle et de l'inspection de 14 établissements régionaux ; peu me chaut la tête, je contrôle tous ses membres.

Concernant la vaccination anti-hépatite B, le rapport des experts est disponible sur notre site Internet. Cette question avait été traitée dans le cadre de l'Agence du Médicament, elle a été reprise par un groupe d'experts internationaux qui a conclu qu'il n'y avait pas de lien de causalité établi à ce jour, même si -je n'entre pas dans le calcul statistique- nous ne pouvons exclure formellement de lien dans une petite catégorie de la population qui n'est pas identifiable.

Les indemnisations évoquées concernent l'indemnisation des agents de l'Etat soumis à une vaccination obligatoire. Ce n'est pas la première fois que ce type d'indemnisation a lieu, cela a été repris par une commission spécifique mais je ne peux pas commenter des décisions qui sont au-delà de la sécurité sanitaire.

M. Jacques DRUCKER - Concernant la médecine scolaire, nous avons amorcé une collaboration en liaison avec la Direction de la Recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère de la Santé, sous la forme d'enquêtes ponctuelles sur des sujets spécifiques comme par exemple, le statut vaccinal des enfants à l'âge de 6 ans et de 11 ans, ainsi qu'une enquête qui démarre sur l'obésité de l'enfant.

Nous espérons à plus long terme, comme nous l'avons fait avec d'autres institutions, formaliser un partenariat pérenne avec les établissements scolaires, qui rencontrera probablement l'écueil qui résulte des moyens limités dont dispose la santé scolaire, notamment pour participer à des missions de veille sanitaire. En tout cas, les passerelles ont commencé à s'établir.

Nous avons investi le domaine des infections nosocomiales, surtout dans les situations d'alerte. Nous sommes intervenus sur l'affaire de la Clinique du sport, sur des problèmes de foyers d'infection nosocomiaux par l'hépatite C, nous sommes membres du Comité Technique des infections nosocomiales, nous participons à l'élaboration du texte sur le signalement des infections nosocomiales, et un projet devrait être finalisé d'ici quelques semaines pour assurer la coordination du réseau et des centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales. Nous n'avons pas investi aujourd'hui la surveillance des risques iatrogènes en dehors des infections nosocomiales.

Vous avez posé une question sur les missions de l'Institut de Veille Sanitaire dans le domaine santé/travail et environnemental et vous avez demandé comment elles pourraient s'articuler avec la future Agence. Je pense que, dans ce domaine comme dans d'autres, la mission universelle de l'Institut de Veille Sanitaire est d'assurer une surveillance épidémiologique ou d'évaluer des risques dans la population, mais nous n'avons pas, au sein de l'Institut de Veille Sanitaire, d'expertises sur la mesure des polluants environnementaux ni sur la toxicologie.

Nous ne savons pas avec certitude quels seront la configuration et le périmètre des missions de l'Agence de l'Environnement mais il est envisageable d'avoir entre l'Institut de Veille Sanitaire et la future Agence de l'Environnement les mêmes relations que celles développées de façon plus limitée avec l'INERIS dans le cadre du dossier ERIKA où la complémentarité des expertises entre l'épidémiologie, la modélisation et la toxicologie a bien fonctionné. Tout dépend de la configuration de cette future agence.

M. LE PRÉSIDENT - Nous abordons une deuxième série de questions.

M. Serge FRANCHIS - Monsieur Drucker, vous avez évoqué ces départements de santé dans l'environnement, dans le cadre de traumatismes, de maladies chroniques etc. ; le domaine de la santé psychique entre-t-il dans ces compétences et avez-vous l'intention de développer le suivi en la matière ?

M. Francis GIRAUD - Vous me permettrez une réflexion d'ordre général. Je suis impressionné par les dispositifs que vous venez d'évoquer, des milliers d'experts, des laboratoires, des relations avec l'INSERM etc., et je pense que mes questions vont partir de cette réflexion d'ordre général.

Tout d'abord, existe-t-il entre ces organismes des relations institutionnelles précises, ou bien simplement des relations de travail ?

Vous fonctionnez avec des partenaires variés dans la recherche, dans le monde de la santé, en ville ou avec les hospitaliers. Pensez-vous que ces relations avec vos partenaires sont satisfaisantes ou faudrait-il essayer de les améliorer ?

La répartition sur le territoire national des moyens de la surveillance sanitaire est-elle équitable ou pensez-vous que les grands centres, les grandes régions sont au coeur du dispositif et que peut-être certains territoires ne bénéficient pas d'une surveillance aussi efficace que les grandes régions ?

Enfin, quel dommage, Monsieur le Président, que tous ces dispositifs admirables, auxquels s'ajoutent la Conférence Nationale de Santé, le Haut Comité de la Santé Publique, ne mènent pas à une réelle politique de santé ! Voilà un pays qui a tous les ingrédients pour définir une politique de santé formidable, et qui n'arrive pas à en " accoucher " dans ses termes...

L'un d'entre vous a dit qu'en France les médecins n'avaient pas une forte culture de santé publique : c'est tout à fait vrai, nous n'avons pas été formés comme cela. Pourtant, nous qui sommes des législateurs et des élus, sommes intéressés par la santé publique et nous souhaiterions que la coordination entre ces agences et ces comités puisse permettre une véritable politique de santé publique, en particulier centrée sur la prévention.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU - Vous nous avez dit tout à l'heure, Monsieur Drucker, que l'une des missions de l'Institut de Veille Sanitaire était la surveillance des risques professionnels, et vous avez cité le département santé/travail.

A la suite du dossier de l'amiante, on voit bien qu'il y a un problème d'interface entre la connaissance scientifique et l'action. Nous savons que l'amiante est cancérigène, nous savons aussi que c'est le cas, entre autres, des éthers de glycol. Je souhaiterais savoir comment on poursuit et comment on arrête certaines choses.

Par ailleurs, vous nous dites que vous avez obtenu cette année 40 postes supplémentaires : j'ai une question très précise à ce sujet. Je note que l'Etat met à votre disposition 100 millions de francs, cela me semble dérisoire au vu de ce que réalise l'Institut et nous aurons très certainement en tant que législateurs un rôle à jouer au moment de la loi de financement de la Sécurité Sociale, mais aussi au moment du vote du budget.

Dans les 40 postes supplémentaires, combien de postes iront à l'Institut de Veille Sanitaire pour le département santé/travail ?

M. François AUTAIN - Je souhaiterais formuler deux questions complémentaires. Ma première question concerne l'activité du Comité National de la Sécurité Sanitaire. J'ai lu dans un rapport sur la création d'une Agence de Sécurité Sanitaire Environnementale, qui émane de l'Assemblée nationale, que le Directeur Général de la santé publique, qui dirige les travaux de ce comité, avait considéré que, pour les missions à moyen terme, le Comité pouvait assumer normalement ses fonctions, mais qu'en situation de crise, sa mission ne pouvait être assurée de façon satisfaisante. Etes-vous du même avis ou pensez-vous que le Directeur Général de la santé se trompe ?

Ma deuxième question concerne le problème de l'expertise. C'est une singularité hexagonale, le nombre d'instances d'expertise est inversement proportionnel au nombre d'experts, ce qui fait que, dans notre pays, les experts sont amenés à donner des avis qui sont souvent les mêmes puisque, siégeant dans une instance, ils ne vont pas émettre un avis différent dans une autre instance.

Je me suis amusé à relever le nombre d'instances d'expertise qui existaient dans votre domaine, Monsieur Hirsch, et j'en ai dénombré dix :

- le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique,

- la Commission d'Etude des Produits destinés à une Alimentation Particulière,

- la Commission Interministérielle et Professionnelle de l'Alimentation Animale,

- la Commission de Technologie Alimentaire,

- le Centre National d'Etudes et de Recommandations sur la Nutrition et l'Alimentation,

- l'Observatoire des Consommations Alimentaires,

- le Visa Préalable de Publicité,

- l'Académie de Médecine,

- le Conseil National de l'Alimentation,

- le Conseil National de la Consommation.

Cette redondance vous pose-t-elle problème ?

Quels rapports entretenez-vous avec ces instances, si tant est que vous puissiez entretenir des rapports suivis avec un nombre aussi important d'instances, et est-ce que cela ne vous pose pas des problèmes d'expertise ?

M. Martin HIRSCH - Je vais commencer par cette question, Monsieur le Ministre, parce que parmi les instances que vous avez citées, plusieurs ont été rattachées à l'Agence, évitant ainsi les redondances, mais aussi les lacunes, et créant également une plus grande homogénéité.

Nous avons donc fait un appel public à candidature d'experts pour pouvoir sélectionner, sur des critères objectifs, ceux qui siégeront dans des commissions pour lesquelles nous essayons de faire en sorte qu'il n'y ait pas de zone de recoupement afin de ne pas jouer au ping-pong avec les instances d'expertise. Nous ferons un rapport au Parlement, ce qui est prévu dans la loi.

Concernant les partenariats, l'Agence est un nouvel intervenant dans ce paysage, ce qui nécessite que chacun prenne ses marques ; c'est le cas avec les Directions d'administrations centrales, qui doivent désormais travailler avec nous. La ligne fixée est que chacun joue bien son rôle, qu'il y ait des relations, mais pas de confusion, et que l'on sache toujours de quel point de vue on se place.

Lorsque l'Agence s'exprime, elle s'exprime d'un point de vue indépendant, d'un point de vue scientifique, quitte à ce qu'il y ait eu des échanges et des discussions avec les représentants des professions, les représentants des consommateurs etc. Mais nos avis ne sont pas des positions, au sens noble, de compromis entre différentes considérations. C'est la même chose dans les travaux de recherche que nous conduisons.

Concernant les relations entre nous, outre le fait qu'elles sont bonnes, nous nous téléphonons régulièrement, nous échangeons nos difficultés quotidiennes et nous avons un certain nombre de rendez-vous institutionnels. Nous nous rencontrons tous les 15 jours chez le ministre de la Santé et nous avons des instances communes parfois créées sous forme de convention.

M. Drucker a évoqué une convention qui nous lie pour effectuer un travail en commun sur la mortalité/morbidité d'origine alimentaire, de même que nous avons des groupes de travail communs avec l'AFSSAPS et que nous participons au Comité National de Sécurité Sanitaire.

M. Charles DESCOURS - On n'en entend pas parler.

M. Martin HIRSCH - On n'en entend pas parler, je ne sais pas si c'est bon ou mauvais signe, mais je peux vous dire que les ministres ont été présents à chaque Comité National de Sécurité Sanitaire depuis qu'il s'est réuni et que les membres du Comité National de Sécurité Sanitaire sont très souvent réunis à l'occasion de crises.

Très souvent, aux différents stades de la mécanique de décision interministérielle en situation de crise, les agences ou les administrations centrales concernées ont été réunies. Ces réunions sont parfois coordonnées par le ministère de l'Agriculture, quelquefois par le ministère de la Consommation, quelquefois par le ministère de la Santé, parce que tous ne sont pas toujours concernés par la même crise mais aucun n'est oublié lorsqu'il est nécessaire de les rassembler.

M. Jacques DRUCKER - Une première question portait sur la santé mentale et demandait si nous nous intéressions à la surveillance de ce problème. Oui, cela fait partie de la réflexion dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de moyens qui essaie de définir, entre autres, des priorités de l'action de l'Institut de Veille Sanitaire pour les prochaines années. C'est une des priorités que nous avons retenue, mais vous savez que c'est un champ d'action extrêmement important et vaste qui, comme d'autres, va se construire très progressivement.

Une des vocations de l'Institut de Veille Sanitaire est de s'intéresser à ce domaine, et nous allons amorcer notre investissement dans le cadre de ce prochain contrat d'objectifs, c'est-à-dire à partir de 2001.

S'agissant de la construction des réseaux de partenariats, la situation est-elle satisfaisante ?

La réponse est, globalement non, mais elle est cependant positive à court terme si l'on veut bien regarder le chemin parcouru en quelques mois. Nous n'avons pas caché les écueils que nous rencontrons qui sont de trois ordres :

- la santé publique ne compte pas dans les missions prioritaires de certains organismes avec lesquels nous souhaitons développer des partenariats dans une perspective de contribution à la veille sanitaire ;

- d'autres organismes ou partenaires, avec lesquels nous développons des collaborations, ont des outils qui ne sont pas immédiatement opérationnels, qu'il faut adapter ; j'évoquais par exemple le système hospitalier avec le PMSI, mais ce sont là des difficultés plus techniques qui trouveront des solutions ;

- certains partenaires n'ont pas les moyens pour répondre aux missions et aux exigences de qualité pour participer aux systèmes de surveillance que nous leur demandons ; j'ai rappelé, à cet égard, le cas des registres ;

Concernant le domaine de la santé au travail et des risques professionnels, sur les 40 nouveaux emplois accordés à l'Institut de Veille Sanitaire, nous en avons utilisé 6 pour renforcer le département santé/travail, ce qui est très loin du compte eu égard à l'éventail extrêmement important des missions entrant dans ce champ de compétence.

Une dotation budgétaire de 100 millions de francs pour l'Institut de Veille Sanitaire compte tenu de l'éventail de sa mission est-elle dérisoire ?

Oui et non. Oui, si nous comparons à certaines institutions européennes équivalentes. Nos collègues anglais, par exemple, disposent de 200 personnes uniquement pour la surveillance des maladies transmissibles, ce qui est supérieur aux moyens actuels de l'Institut de Veille Sanitaire.

Il faut toutefois être prudent dans les comparaisons parce que les dispositifs ne sont pas les mêmes. L'option qui a été choisie en France est d'avoir une structure de coordination et d'animation qui n'a pas vocation à être l'opérateur de tous ces systèmes, mais qui doit s'appuyer sur un certain nombre d'acteurs du dispositif de santé publique.

Concernant la question sur le Comité de Sécurité Sanitaire ou, de façon plus large, l'interaction entre les agences, l'articulation entre les agences fonctionne à la fois formellement et de façon plus informelle, mais les relations personnelles sont importantes. La situation est satisfaisante de mon point de vue sur cet aspect, même en situation de crise.

Dans le domaine des crises sanitaires, il faut parfois distinguer l'efficacité et les performances du dispositif sur le plan technique des difficultés de communication autour de ce dispositif, autour du contrôle et de la gestion des crises. Il est vrai qu'il est parfois difficile de comprendre pourquoi une épidémie de listériose, détectée au troisième cas et dont l'origine est connue en quelques jours, fait l'objet d'une " crise ". Cela ne devrait plus être le cas, au sens technique du terme.

Le dispositif d'alerte et de détection de ces menaces de santé publique est devenu extrêmement performant, notamment dans le domaine des risques alimentaires. La dimension de crise est à chercher ailleurs que sur les problèmes de mise en action ou d'activation de dispositifs techniques.

Mme Gisèle PRINTZ - J'aimerais savoir s'il existe un dispositif étudiant les effets de l'alimentation sur le comportement humain ?

M. Martin HIRSCH - Vous me posez une " colle ".

M. Philippe DUNETON - Je suis incompétent mais je vais risquer une réponse. L'alcool a un effet notable dont nous voyons les dégâts tous les jours.

M. Claude HURIET - Nous le savons.

M. Philippe DUNETON - Oui, mais nous avons tendance à l'oublier.

Je voudrais rappeler l'importance des questions qui ont été posées par M. Giraud et par M. Autain concernant l'expertise, parce que les experts font partie des partenaires. Ils sont des ressources rares, précieuses, en tout cas pour le Directeur de l'Agence et pour l'ensemble d'entre nous. Ils sont indispensables et c'est une particularité française que de mêler évaluation interne et expertise externe.

L'expertise nous impose une rigueur déontologique accompagnée d'un travail de fond qui doit aller de pair avec une meilleure prise en compte de l'indemnisation, pas simplement pécuniaire, mais aussi du travail intellectuel mené.

Il faut pouvoir conserver cela en France, et peut-être même trouver des modalités pour en tenir compte sur le plan de la carrière hospitalo-universitaire. C'est un point que je voulais évoquer car il est très important pour garantir la qualité de l'expertise.

M. Claude HURIET - Je voudrais attirer l'attention sur les dévoiements possibles du rôle du Comité National de Sécurité Sanitaire dont j'ai appris qu'il avait créé des groupes de travail sur l'évaluation des risques sanitaires faibles tels que les expositions à la dioxine.

J'ai une deuxième préoccupation concernant le devenir de l'Agence Française de Sécurité des Aliments, dans la mesure où vous m'avez confirmé que la future autorité alimentaire indépendante européenne aurait seulement une mission d'évaluation des risques. Nous devons nous interroger pour savoir si, dans une approche européenne de l'évaluation en matière de risques alimentaires, il y aurait place pour des structures d'évaluation nationale alors que la tendance logique devrait aller dans le sens d'une structure d'évaluation européenne.

C'est une observation interrogative dont nous aurons l'occasion de nous entretenir, mais si cette autorité se met en place -ce qui est souhaitable- nous serons amenés à reconsidérer le rôle des structures nationales surtout lorsqu'elles n'ont qu'une mission d'évaluation.

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