3. Un manque à gagner pour les collectivités locales

A la différence des dégrèvements, le montant des compensations n'évolue pas en fonction des bases ou des taux votés par les collectivités locales, mais en fonction de mécanismes d'indexation qui peuvent être regroupés en deux catégories :

- la prise en compte de l'évolution des bases avec un gel des taux à la date d'entrée en vigueur de la mesure .

Cette solution a par exemple été retenue par l'article 21 de la loi de finances pour 1992 qui a transformé en exonérations certains dégrèvements de taxe d'habitation et par l'article 9 de la loi de finances pour 1993 qui a supprimé les parts régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Ce mécanisme permet à l'Etat d'assumer le coût de la mesure qu'il décide, à la date de sa décision.

- l'indexation du montant de l'exonération accordée au contribuable à la date d'entrée en vigueur de la mesure sur le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Cette solution a été retenue par l'article 44 de la loi de finances pour 1999 pour la calcul de la compensation de la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle et par l'article 29 de la loi de finances pour 1999 pour compenser la suppression de la part régionale des droits de mutation à titre onéreux. Elle s'applique également, de fait, à la compensation des réductions d'assiette et de taux des impôts dévolus au financement des compétences transférées, qui sont intégrées dans la dotation générale de décentralisation (DGD), elle-même indexée sur la DGF. La loi de finances rectificative pour 2000 prévoit un dispositif de ce type pour la compensation de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation.

a) Les modes d'indexation entraînent des manques à gagner

Le principe des compensations n'est pas en lui-même source de manque à gagner pour les collectivités locales. Il arrive en effet que, certaines années, les compensations versées soient supérieures au produit qui aurait résulté du jeu normal des bases et des taux.

Toutefois, tendanciellement, les indexations retenues pour les compensations sont défavorables aux collectivités locales :

- pour les compensations qui évoluent en fonction des bases réelles et des taux de l'année d'entrée en vigueur de la mesure, il y a manque à gagner dès que les taux de l'année en cours sont supérieurs aux taux de l'année d'entrée en vigueur de la mesure ;

- pour les compensations indexées sur la DGF, il y a manque à gagner dès lors que les bases (ou le produit) de l'impôt augmentent plus vite que le taux d'évolution de la DGF.

Le tableau ci-dessous compare l'évolution du produit de la part régionale de la taxe d'habitation et le taux d'évolution de la DGF sur lequel sera indexée la compensation de la suppression de cet impôt. En quatre ans, l'indexation sur la DGF n'aurait été favorable qu'une seule fois aux régions.

Evolution comparée de la DGF et de la part régionale de la taxe d'habitation

(en %)

 

1996

1997

1998

1999

2000

Taux d'évolution de la DGF *

+ 1,68

+ 1,26

+ 1,38

+ 2,78

+ 0,82

Taux d'évolution du produit voté de la part régionale de la taxe d'habitation

+ 6,87

+ 1,61

+ 2,62

+ 2,48

-

* Le taux d'évolution retenu pour l'indexation des compensations est le taux après " recalage " et " régularisation " du montant de la DGF. A titre exceptionnel, en 2000, la compensation de la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle a été indexée sur l' " indice de la DGF " calculé en ajouté 50 % du taux de croissance du PIB au taux d'évolution des prix.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 94-358 DC du 26 janvier 1995 relative à la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, a considéré que, dès lors qu' " un mécanisme de compensation de la perte de recettes " était prévu, le législateur pouvait édicter des exonérations de fiscalité locale " sans qu'elles aient pour effet de restreindre les ressources des collectivités locales au point d'entraver leur libre administration. " Il ressort de cette formulation que le Conseil a implicitement considéré que les mécanismes de compensation d'exonération aboutissaient à restreindre les ressources des collectivités locales.

b) Les mécanismes d'érosion du montant des compensations

En raison de la déconnexion entre l'évolution des compensations et celles des bases d'imposition, il n'est pas possible pour les collectivités locales de se prévaloir d'un quelconque " dû " au titre des compensations. Leur montant peut à tout moment être modifié par la loi. Dès lors, il est tentant pour l'Etat, à la recherche d'économies budgétaires, de réduire le montant des compensations.

Dans la première moitié des années 90, la situation des finances publiques était particulièrement tendue et le montant du déficit de l'Etat croissait d'année en année. L'Etat a donc recherché des moyens de freiner la progression de l'ensemble de ses dépenses, et notamment de ses concours financiers aux collectivités locales. Les compensations n'ont pas échappé à ce mouvement et les dispositifs dits de " réfaction " ont fait leur apparition.

Le principe des réfactions est le suivant : lorsqu'une exonération au titre d'un impôt local était décidée, une compensation était versée aux collectivités concernées. Toutefois, pour limiter le coût des compensations, il était prévu que le montant des compensations serait réduit lorsque le montant des recettes fiscales d'une collectivité augmenterait dans des proportions jugées suffisamment importantes pour que la collectivité puisse se passer d'une partie de la compensation.

Les réfactions permettent donc de " rogner " petit à petit le montant des compensations versées aux collectivités dont les recettes fiscales sont dynamiques.

Les dispositifs de réfaction des compensations d'exonérations de fiscalité locale

L'article 53 de la loi de finances pour 1993 fixe les modalités de la compensation aux départements et aux régions de la suppression des parts régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

Cette compensation est calculée en multipliant les bases de cet impôt constatées pour l'exercice en cours par le taux de 1992 pour les régions et de 1993 pour les départements.

Le montant de la compensation versée aux départements et aux régions fait l'objet d'une réfaction. Le montant de cette réfaction est égal à 1 % du montant du produit des " quatre taxes " perçu par un département ou une région multiplié par le rapport entre le potentiel fiscal du département ou de la région et le potentiel moyen des départements ou des régions. Par conséquent :

- si le potentiel fiscal du département ou de la région est supérieur au potentiel fiscal moyen, le montant de la réfaction est inférieur à 1 % du produit des quatre taxes. S'il est supérieur, la réfaction est également supérieure à 1 % du produit des quatre taxes ;

- plus le produit des quatre taxes est élevé, plus le montant de la réfaction est élevé.

L'article 54 de la loi de finances pour 1994 définit les modalités de calcul de la réfaction appliquée aux attributions de dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP).

Si le produit de taxe professionnelle perçu par une collectivité a été multiplié entre 1987 et l'année en cours par un coefficient compris entre 1,2 et 1,8, les attributions de DCTP sont diminuées de 15 % . Si ce coefficient est compris entre 1,8 et 3, la réfaction est de 35 %. Si le coefficient est supérieur à 3, la réfaction est 50 %.

Le IV bis de l'article 6 de la loi de finances pour 1987 fixe les modalités de compensation aux collectivités locales de la réduction pour embauche et investissement (REI).

Cette compensation fait également l'objet d'une réfaction, qui s'élève à 2 % du produit des quatre taxes perçu par la collectivité. Certaines collectivités, déterminées en fonction d'indicateurs proches des critères d'éligibilité à la dotation de solidarité urbaine, sont exonérées de réfaction.

Le choix de transformer la dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) en variable d'ajustement de l'enveloppe normée des concours de l'Etat aux collectivités locales a permis de réduire de manière beaucoup plus efficace le montant des compensations versées aux collectivités locales.

La DCTP est une dotation qui, depuis 1987, regroupe plusieurs compensations d'exonérations de taxe professionnelle, notamment l'abattement général de 16 % sur les bases décidé par la loi de finances pour 1987 et la réduction de 20 % à 18 % de la part des salaires prise en compte dans l'assiette de la taxe professionnelle, décidée en 1982.

La loi de finances pour 1996 a créé l'enveloppe normée des concours de l'Etat aux collectivités locales dans le but de fixer un plafond à l'effort financier en faveur des collectivités locales. L'enveloppe normée rassemble la plupart des dotations de l'Etat aux collectivités, au premier rang desquelles la DGF. Chacune des composantes de l'enveloppe évolue en fonction d'une indexation qui lui est propre et, si la progression qui en résulte est supérieure au taux de progression fixé pour l'enveloppe normée, l'ajustement est réalisé par la diminution du montant d'une dotation chargée de jouer le rôle de variable d'ajustement. La DCTP a été choisie pour remplir cette fonction. En conséquence, et alors que les bases que la DCTP était censée compenser ont augmenté, le montant de la DCTP est passé de 17,6 milliards de francs en 1996 à 11,8 milliards de francs en 2000, soit un gain de 5,8 milliards de francs pour l'Etat.

L'exemple suivant illustre l'ensemble des points évoqués ci-dessus : la compensation versée à un conseil général au titre de l'abattement de 16 % sur les bases de taxe professionnelle évolue non seulement beaucoup moins vite que les bases réelles de taxe professionnelle (premier manque à gagner) mais, de surcroît, son montant diminue depuis 1995 en raison des mécanismes de réfaction et, surtout, de la transformation de la DCTP, qui compense l'abattement de 16 %, en variable d'ajustement de l'enveloppe normée des concours de l'Etat aux collectivités locales (deuxième manque à gagner).

Manque à gagner provoqué par les modalités de compensation de l'abattement de 16 % sur les bases de la taxe professionnelle dans un département de 1,5 million d'habitants

(en milliers de francs)

 

1987

1990

1993

1995

1997

1999

2000

Bases abattues à 16 %

2217764

2778386

3600203

3898090

4139012

4162059

4141720

Taux de TP (en %)

4,02

4,07

4,14

4,52

4,86

5,14

5,19

Produit résultant des bases abattues

89155

113080

149048

176194

201156

213930

214955

Compensation

88930

104163

108703

91885

88585

73415

51683

Différence (manque à gagner)

225

8917

40345

84309

112571

140515

163272

% du manque à gagner dans le produit potentiel

0,25

8,56

37,12

91,75

127,08

191,40

315,20

Manque à gagner par rapport à n-1 (en %)

 

56,05

38,68

18,66

4,81

11,15

16,20

Source : Conseil général

Ce département reçoit en 2000 51,6 millions de francs au titre de la compensation de l'abattement de 16 % sur les bases de taxe professionnelle alors que, si ces bases n'avaient pas été abattues, elles lui auraient rapporté 214,9 millions de francs.

c) Les conséquences sur la taxe foncière et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères

La multiplication des exonérations de taxe professionnelle et de taxe d'habitation s'est traduite depuis le début des années 90 par une montée en puissance de la part de la taxe foncière sur les propriétés bâties dans les ressources fiscales des collectivités locales.

Alors que les taux de cet impôt ont augmenté à peine plus rapidement que ceux de la taxe d'habitation, le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties a crû nettement plus vite que celui de la taxe d'habitation, au point de lui être supérieur depuis 1992.

Evolution du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d'habitation depuis 1990

(en millions de francs)

 

1990

1992

1998

Taxe d'habitation

46.955

48.127

68.569

Foncier bâti

45.462

54.060

82.981

Source : les collectivités locales en chiffre, DGCL, 1999.

Lors de son audition par la mission, M. Alain Guengant, professeur à l'université de Rennes a craint que le recours à cet impôt ne se heurte un jour à l'absence de révision des bases et a jugé qu'une telle éventualité constituerait une menace pour la fiscalité directe locale.

En outre, depuis 1990, la part de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, assise sur les mêmes bases que la taxe foncière sur les propriétés bâties, dans le produit total des quatre taxes est passée de 4,4 % à 5,2 %.

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