N° 457

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Rattaché pour ordre au procès verbal de la séance du 29 juin 2000

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juillet 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée en Iran du
14 au 21 avril 2000,

Par M. Xavier de VILLEPIN, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. André DULAIT, Robert del PICCHIA,
Hubert DURAND-CHASTEL, Claude ESTIER,
Aymeri de MONTESQUIOU et Jean PUECH,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait,
Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Proche-orient.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Du 14 au 21 avril dernier, une délégation de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, conduite par M. Xavier de Villepin, président, a effectué une mission d'information en Iran. Cette délégation était également composée de Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. André Dulait, Robert Del Picchia, Claude Estier, Aymeri de Montesquiou, Jean Puech, ainsi que de M. Hubert Durand-Chastel, président du groupe sénatorial d'amitié France-Iran. L'objectif de ce déplacement était notamment d'apprécier la transition politique en cours dans ce pays, et d'évoquer, avec ses responsables, les objectifs diplomatiques de l'Iran.

Cette visite est intervenue à un moment crucial du processus électoral en Iran, entre les deux tours des élections législatives, le premier ayant déjà assuré le courant réformateur de la majorité absolue des sièges.

Votre délégation est par ailleurs arrivée en Iran au moment même où commençait le procès de 8 musulmans et de 13 juifs iraniens de Chiraz, accusés d'espionnage au profit d'Israël. Les conditions dans lesquelles ce procès s'engageait s'avéraient particulièrement inquiétantes, les règles essentielles de l'équité -accès au dossier, choix des défenseurs-, n'étant pas respectées. Au nom des membres de la délégation, M. Xavier de Villepin, président, a abordé cette grave question avec plusieurs interlocuteurs iraniens, faisant valoir que, quelle que soit la nature des faits reprochés aux accusés et sur laquelle il ne revenait pas à une délégation de parlementaires de se prononcer, il importait que la présomption d'innocence et les droits essentiels de la défense soient respectés.

L'intérêt de la mission doit beaucoup à la qualité du programme préparé par notre ambassade à Téhéran et à la compétence de nos diplomates sur place.

Les membres de la délégation tiennent donc à réitérer leurs remerciements à S. Exc. M. Philippe de Suremain, ambassadeur de France, et à ses proches collaborateurs, en particulier M. Peaucelle, premier conseiller, et M. Fourrière, premier secrétaire, pour leur dévouement et la pertinence de leurs analyses.

*

* *

L'Iran est sans doute l'un des plus vieux Etats-nations du monde, dont l'histoire écrite remonte à plus de 2 500 ans lorsque Cyrus, roi des Perses, unit, en 550 avant J-C, son royaume à celui des Mèdes, puis s'empara de Babylone et de la Lydie pour constituer l'un des premiers grands empires. Celui-ci connut ensuite une histoire turbulente, où les dynasties se succédèrent au gré des invasions grecques, romaines, barbares, jusqu'à l'avènement, quelque deux siècles avant J-C, de l'empire sassanide, qui durera jusqu'à l'invasion arabe à partir de 637, entraînant la conversion de la Perse à l'islam. Les invasions mongoles, turques, se poursuivirent jusqu'à l'avènement de la dynastie séfévide de Schah Ismaël qui, au XVIe siècle, choisit, pour la Perse, le chiisme comme religion d'Etat. La prise d'Isfahan par les Afghans en 1722 ouvrit alors une nouvelle période d'anarchie jusqu'à l'avènement, à la fin du XVIIIe siècle, de la tribu turque des Kadjar, qui unifia et gouverna le pays jusqu'en 1921.

L'Iran fut, sous cette dynastie, et singulièrement au XIXe siècle, l'enjeu d'une double et durable emprise russe et britannique, chacun des deux Etats y voyant un moyen d'accès privilégié qui aux " mers chaudes ", qui à son empire des Indes.

La fin de la dynastie Kadjar fut une période décisive pour la Perse. Les mouvements de révolte aboutirent à la première révolution constitutionnaliste en 1906 et la découverte du pétrole en 1908 fut l'occasion de l'implication économique directe des Britanniques avec la création, l'année suivante, de l'Anglo Persian Oil Company. La double ingérence russo-britannique sur le pays engendra une réaction nationale qui aboutit, en 1921, à l'accession au pouvoir de Reza Pahlavi puis, en 1941, à celle de son fils et successeur Muhammad Reza qui dirigea le pays jusqu'en 1979.

En 1951, M. Mossadegh, Premier ministre de Muhammad Reza, soucieux d'instaurer l'indépendance économique de l'Iran -appellation officiellement substituée à celle de Perse en 1935- nationalisa l'Anglo Persian Oil Company. Du bras de fer entre ce Premier ministre, révoqué en 1953 et les Britanniques, ce furent les Etats-Unis qui sortirent finalement gagnants et si la National Iranian Oil Company (NIOC) symbolisa la nationalisation de jure du pétrole iranien, les opérations de production restèrent confiées, en fait, à un consortium international, dont les compagnies américaines prirent une part importante aux côtés des britanniques, hollandaises et françaises. L'influence américaine sur le pays se fit alors de plus en plus visible dans plusieurs secteurs d'une vie économique et politique iranienne marquée par une démarche de modernisation volontariste (la révolution blanche de 1962-1973) qui entraîna l'hostilité du clergé, jusqu'à la révolution islamique de 1979.

De ce passé riche et heurté, comme de l'histoire iranienne récente, ressortent quelques éléments essentiels : la forte identité nationale, forgée autour de la spécificité chiite depuis quatre siècles et sur une langue persane qui joua un peu le rôle du grec en occident, animée enfin d'une défiance profonde à l'égard de l'étranger, perçu, en Perse comme dans l'Iran contemporain, à l'aune de son avidité à l'égard de ses richesses et de son peu de respect pour son indépendance politique. Ces divers points forts de l'histoire perse et iranienne ne sont pas sans lien avec l'idéologie qui anime la République islamique aujourd'hui et que partage, sur ce plan, une large partie de la population, qu'elle se retrouve aujourd'hui dans l'un ou l'autre camp, réformateur ou conservateur.

Ces données sont la base de cette forte personnalité de l'Iran qui, pour certains, peut s'expliquer par sa situation marginale : " musulman mais chiite, sous-développé mais riche en pétrole, dominé par les grandes puissances mais jamais colonisé, despotique mais parcouru par tous les courants de pensée, peuplé de Persans, mais aussi de Turcs Azéris, de Kurdes, d'Arabes, de Lors, de Baloutches et de Turkmènes. Entre les mondes arabe, indien, turc et européen, la Perse forme un ensemble ethnique hétérogène mais bien distinct, qui a toujours revendiqué sa différence et réussi à conserver, sinon sa liberté, du moins une indépendance formelle 1 ( * ) ".

I. UNE DÉMOCRATIE BLOQUÉE ENTRE DEUX LÉGITIMITÉS

A. THÉOCRATIE OU DÉMOCRATIE ?

1. Quelle relation entre religion et politique ?

Le présent rapport n'a pas pour ambition d'entrer ici dans le détail des traits principaux de la religion chiite, qui regroupe 90 % des Iraniens et quelque 10 % des Musulmans du monde. Il semble cependant utile d'en rappeler quelques éléments de base, singulièrement dans leurs conséquences sur la conception iranienne de l'organisation politique, qui régit aujourd'hui la vie institutionnelle du pays.

La mort du Prophète a été suivie par une scission majeure de la communauté originelle des croyants : les chiites se singularisent par une fidélité à la descendance d'Ali, gendre du prophète, évincé du pouvoir par les Omeyades lors de la bataille de Karbala où l'imam Hoseyn, fils d'Ali, a été tué en 680. Cette attitude, initialement politique, fondée sur une conception égalitariste de la communauté des croyants, a évolué en une doctrine religieuse qui fonde le clivage actuel avec les Sunnites.

Une théologie et un droit spécifiques sont issus de cette scission, forgée par les imams -descendants directs du prophète- puis, après la disparition en 873, ou " l'occultation " du douzième d'entre eux, son adaptation est revenue aux docteurs de la loi, base du futur clergé chiite qui se constituera au XVIIIe siècle.

Outre la fidélité à Ali, la spécificité chiite se fonde donc sur l'attente du retour du douzième imam, l'imam " caché " ou " imam du Temps ", qui reviendra un jour instaurer la justice sur terre. Jusqu'à une période récente, la théologie chiite n'avait cependant pas débouché sur une théologie politiquement radicale. Bien au contraire, les chiites étaient majoritairement " quiétistes " et incités à reconnaître les autorités politiques installées : " ... le chiisme a eu une dimension quiétiste prédominante, en particulier depuis son instauration comme religion d'Etat dans l'Iran du XVIe siècle : l'attente de l'imam du Temps (...) dévalorisait le pouvoir temporel, tout en lui laissant, de fait, les coudées franches " 2 ( * )

Cette attitude quiétiste initiale a peu à peu évolué, singulièrement au début des années 70 lorsque s'est fait jour, sous l'influence de certains idéologues, une conception militante, politique et révolutionnaire du chiisme, entraînant derrière elle une mouvance marxisante et tiers-mondiste qui se reconnaissait dans la philosophie sociale et égalitaire du chiisme. Cette nouvelle lecture du chiisme a constitué l'ossature intellectuelle de la révolution islamique qui a porté l'ayatollah Khomeiny à la tête du pays en 1979.

C'est donc autour de la personnalité exceptionnelle de l'ayatollah Khomeiny que s'est faite la jonction entre le religieux et le politique, consacrée par le concept de velâyat el Fakeh , Guide de la Révolution, autrement dit, la régence du docteur de la loi, chargé de dire le droit en cas de conflit entre les deux logiques, politique et religieuse.

La disparition de Khomeiny en 1989, et son remplacement par M. Ali Khameney a fragilisé la fonction même du Guide de la Révolution, les connaissances théologiques du nouveau venu, personnage plus " politique " que religieux -il n'était pas encore ayatollah lors de sa nomination- l'empêchaient d'être reconnu comme " source d'imitation " (marjayyat), soit le plus haut titre de la hiérarchie religieuse chiite.

Ce concept de velâyat al Fakeh , clé de la mise en oeuvre temporelle d'une pensée religieuse et de la supposée harmonie entre l'une et l'autre, constitue la trame du système institutionnel et politique iranien et, en partie, la source de son ambivalence, ou de ses blocages.

Au demeurant, la notion est elle-même de plus en plus mise en cause et nombreux sont les intellectuels iraniens qui en contestent la validité, tant religieuse que politique. Dans cette réflexion, " ce qui disparaît, c'est le concept même de velâyat-el fakek qui était fondé sur l'indissociabilité du politique et du religieux et sur la délégitimation de tout pouvoir non religieux. Leur pensée suppose donc la réhabilitation du politique en tant que tel, et la définition d'un espace politique autonome, régi par le débat et le vote 3 ( * ) .

L'Iran n'en est pas encore là, il semblait toutefois utile à vos rapporteurs de faire ce rappel, avant d'aborder la présentation du système institutionnel iranien actuel.

2. le système institutionnel iranien

Le système institutionnel iranien, tel qu'il fonctionne aujourd'hui, présente l'originalité de faire cohabiter deux légitimités. Une légitimité démocratique et politique, d'une part, issue du suffrage populaire et une légitimité religieuse, d'autre part, incarnée en priorité par le Guide de la Révolution.

Le Guide de la Révolution

Le Guide de la Révolution est le Chef de l'Etat, premier personnage du régime. Désigné par l'Assemblée des experts composée d'une soixantaine de clercs, elle-même élue au suffrage universel, il détermine la direction politique générale du pays après consultation du Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime. Il peut décider du référendum , obligatoire pour toute révision constitutionnelle, facultatif pour toute législation importante -économique, politique ou culturelle ; il arbitre les conflits entre pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le Guide est également le Chef des armées : il nomme ou révoque les commandants des forces armées.

Le Guide intervient également, indirectement, sur l'activité du pouvoir législatif qu'il contrôle, notamment par le truchement du Conseil de surveillance (ou Conseil des gardiens de la Constitution), dont il désigne la moitié des membres.

Enfin, le Guide domine le pouvoir judiciaire, dont le chef, nommé par lui, procède à la nomination du Procureur général et du chef de la Cour Suprême.

Un pouvoir exécutif en situation de subordination

Le Président de la République est élu pour sa part au suffrage universel direct, pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. Pour être accepté par le Conseil des gardiens de la Constitution, toute candidature à la présidence de la République doit réunir les conditions suivantes :

- le candidat doit être une personnalité religieuse ou politique reconnue,

- être d'origine ou de nationalité iranienne,

- avoir de bons antécédents,

- être honnête, vertueux et dévoué à l'islam et au régime de la République islamique.

Le Conseil des gardiens doit valider l'élection du Président et celle-ci doit être ratifiée par le Guide. Le Président préside le conseil des ministres, mais chacun d'eux doit recevoir l'approbation du Parlement, qui peut les démettre, individuellement ou collectivement.

Le Président peut par ailleurs faire l'objet d'un vote de défiance du Parlement, qui doit être ratifié par le Guide, mais le Président ne dispose pas du droit de dissolution et ne dispose d'aucun moyen pour imposer une politique au Madjlis. Loin de ressembler à l'institution française comparable, le Président est davantage dans la position d'un Premier ministre, fragilisé à l'égard du Guide et du Parlement, et subordonné à eux.

Les structures islamiques d'encadrement institutionnel

- Le Conseil des gardiens de la Constitution

Cette institution correspond, peu ou prou, à notre Conseil Constitutionnel :

Composée de 12 membres désignés pour six ans, 6 religieux (clercs) nommés par le Guide et 6 juristes élus par le Madjlis sur proposition du pouvoir judiciaire (dépendant du guide), sa principale fonction est de veiller à la compatibilité des lois à la Constitution et à l'islam. Ce dernier aspect -compatibilité avec l'Islam- est exclusivement assuré par les 6 membres religieux, l'autre étant exercé par les 12 membres collégialement. Toutes les lois votées par l'Assemblée doivent obtenir l'approbation du Conseil des gardiens. Toutefois, si ce dernier conclut à une incompatibilité (avec l'islam ou avec la Constitution), il ne peut, de lui-même, procéder à une annulation : il revient à une autre instance, le Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du Régime , d'arbitrer le différend.

C'est enfin au Conseil des gardiens qu'il revient de se prononcer sur les candidatures aux élections présidentielles, législatives, ou à l'assemblée des experts, sur une base essentiellement idéologique.

- Le Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime

Cette institution a été créée en 1988, par décret de l'imam Khomeiny, pour arbitrer les litiges apparus entre le Madjlis et le Conseil des gardiens. Il est composé de membres de droit et de membres nommés par le Guide. Il comprend notamment les six membres religieux du Conseil des gardiens, les chefs des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif (le Président de la République), du ministre concerné par la question à l'ordre du jour auxquels s'ajoute une dizaine d'autres personnalités. Sa fonction originelle s'est cependant peu à peu élargie et le Conseil de discernement, en cas de circonstances exceptionnelles, s'est reconnu le droit d'ajouter des clauses à une législation contestée entre le Conseil des gardiens et le Madjlis. Ainsi dispose-t-il également, depuis la période de guerre Iran-Irak, du droit d'édicter " des solutions pour les difficultés insurmontables du régime ". Cette disposition donne ainsi une sorte de compétence législative extraordinaire à un organe qui n'en est pas légitimement ou légalement investi et qui, de par sa procédure de nomination, reflète de façon prééminente, la faction idéologique liée au Guide de la Révolution-Chef de l'Etat, au détriment, dans la configuration politique actuelle, de celle représentée par le Président de la République ou par la nouvelle majorité parlementaire.

- L'Assemblée des experts , composée de quelque 80 religieux élus pour 8 ans au suffrage universel direct -avec un taux de participation très faible, sans comparaison avec les autres consultations électorales- a pour rôle de désigner le Guide de la Révolution-Chef de l'Etat, voire de le démettre.

Le pouvoir législatif : une légitimité démocratique sous surveillance

Dans le cadre d'un parlement monocaméral, les 290 députés au Madjlis sont élus pour quatre ans au suffrage universel direct, 5 d'entre eux ayant vocation à représenter les minorités confessionnelles reconnues par le régime : zoroastriens, juifs et chrétiens (majoritairement arméniens). Conforme à tout autre pouvoir législatif en régime parlementaire, il dispose du pouvoir de voter la loi, d'approuver ou de renverser l'exécutif, y compris le Président : si un tiers des députés met en cause le Président de la République, ce dernier est alors contraint de s'expliquer devant l'Assemblée dans un délai d'un mois. Si deux tiers des députés lui refusent leur confiance, le Guide en est informé pour prendre, éventuellement, la décision de le destituer.

Ce pouvoir législatif s'exerce cependant sous la surveillance du Conseil des gardiens et in fine du Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime, qui, comme il a été relevé préalablement, peut s'octroyer des pouvoirs législatifs en cas de circonstances exceptionnelles.

Les récentes élections législatives des 18 février et 5 mai 2000 ont quelque peu bouleversé la donne, en conférant au camp réformateur la majorité absolue des suffrages. Le décompte précis de cette nouvelle majorité -quelque 200 sièges sur 290- est cependant compliqué par une organisation partisane encore balbutiante, ne permettant pas d'affecter chaque élu à un programme ou à une organisation politique précis. Toutefois, l'un des piliers institutionnels de la République islamique est désormais, très majoritairement, composé de ceux qui se rassemblent au moins autour d'une seule ambition : le soutien au Président Khatami.

Ce cadre institutionnel complexe, reflet de deux légitimités -théocratique et démocratique- oppose donc aujourd'hui deux orientations spécifiquement politiques, entre réformateurs d'une part, et conservateurs de l'autre, chacun usant des pouvoirs particuliers dont il dispose. Aujourd'hui, le pouvoir réformateur s'incarne dans le Président de la République, son gouvernement et, depuis les récentes élections, le Madjlis ; l'influence conservatrice, pour sa part, se retrouve dans le Guide, les conseils islamiques, le pouvoir judiciaire et les médias audiovisuels, dont il nomme les responsables, ainsi que dans la hiérarchie militaire ou celle des Pasdaran.

La multiplicité des instances décisionnelles, la collégialité qui inspire leur mode de fonctionnement, s'ajoutent à cette dualité de légitimité pour faire de la recherche constante du compromis le seul mode possible de gouvernement, sauf à installer une situation de blocage durable, dont on ne risquerait de sortir, théoriquement, que par la violence publique ou le coup d'Etat.

B. LES DONNÉES DE LA TRANSITION POLITIQUE IRANIENNE

1. Un contexte politique renouvelé

Depuis 3 ans, les électeurs iraniens ont, à trois reprises, par une participation massive -aux élections présidentielles de 1997, municipales de 1999 et législatives de 2000, manifesté, en portant aux responsabilités les tenants d'un courant réformateur, tout à la fois une réelle volonté de changement politique et social et une confiance dans la capacité du régime à se réformer de l'intérieur, sans à-coups violents, mais conformément à un calendrier démocratique finalement respecté par toutes les parties.

Ce mouvement, soutenu par une presse écrite largement libéralisée et audacieuse dans sa critique du pouvoir conservateur, s'est poursuivi lors des élections municipales de février 1999, les premières en vingt ans, et surtout à l'occasion des dernières élections législatives.

Celles-ci ont abouti à donner au courant réformateur une très confortable majorité au Madjlis, quelque 170 députés sur 290, rompant en partie l'isolement institutionnel dans lequel se trouvait le Président Khatami face aux citadelles du pouvoir conservateur.

Encore convient-il de relativiser certaines traductions politiques de ce mouvement populaire qui traduit une lassitude, pour ne pas dire plus, à l'égard d'un régime dont les indéniables résultats positifs -amélioration de l'éducation, actions sociales, réalisations d'infrastructures-, pèsent peu devant la baisse généralisée du niveau de vie depuis vingt ans, ou devant l'incompréhension d'une jeunesse, face à des règles de morale religieuse qu'elle vit de plus en plus difficilement.

En premier lieu, derrière l'étiquette unificatrice du " mouvement réformateur " et en l'absence encore de réels partis politiques, se cache une nébuleuse de tendances que l'on peut, en schématisant, regrouper en deux courants principaux : une gauche " moderniste ", d'où est issu M. Khatami, favorable à une certaine libéralisation morale, à l'émergence d'une société plus laïque mais qui reste attachée à un rôle primordial de l'Etat dans la gestion et la régulation de la vie économique ; une droite " moderniste ", plus attachée au maintien de règles morales mais soucieuse de libéralisation économique.

Les dernières élections législatives ont néanmoins permis d'identifier les trois principales formations qui structurent le camp réformateur : le Front de la Participation islamique , dirigé par M. Mohammed Reza Khatami, frère du président, le " Front du 2 khordâd " qui rassemble quelque 18 associations diverses engagées dans le soutien au Président, ces deux tendances représentant la " gauche islamique " moderne. Enfin, le parti des Constructeurs , issu de la droite moderniste et pragmatique, qui s'était retrouvée auprès de M. Rafsandjani, principal instigateur, à partir de 1989, d'un programme de libéralisation économique. La gauche islamique, favorable au président, comprend également le parti des clercs combattants dont les options économiques sont clairement dirigistes et étatiques.

Le mouvement réformateur, ainsi composé de plusieurs factions, a pu créer une dynamique électorale dont les résultats sont aujourd'hui tangibles. Cependant, à l'heure de la mise en oeuvre des réformes concrètes, singulièrement dans les domaines institutionnels et économiques, et le Président disposant désormais d'un pouvoir législatif en cohérence avec ses vues, les tensions, les conflits sont possibles. Le risque existe donc, in fine , d'une paralysie institutionnelle et d'une impossibilité à réformer, qu'une population impatiente ne tarderait pas, d'une manière ou d'une autre, à sanctionner.

En second lieu, le président de la République lui-même, est un dignitaire religieux issu de la Révolution islamique. Produit du " système ", il n'entend pas le bouleverser ou le renier et souhaite clairement inscrire ses objectifs de réforme dans le cadre d'un régime existant, quitte à l'aménager sur certains points. Cette stratégie délicate repose sur les qualités d'habileté que chacun reconnaît à M. Khatami. Elle se propose de démontrer que le débat n'est pas -ou pas encore- entre partisans ou adversaires de la République islamique, mais entre les partisans du statu quo et les tenants d'une évolution dans les cadres institutionnel -et religieux- existants. Il n'est pas certain cependant que cette démarche, si elle n'aboutit pas rapidement à des changements concrets pour la population, puisse être durablement maintenue. Son échec serait alors celui du système lui-même, démontrant son incapacité à être réformé de l'intérieur.

En réalité, la transition politique actuelle en Iran traduit la maturation d'une évolution sociale très considérable engagée depuis de nombreuses années.

2. Les mutations de la société iranienne

Depuis 1979, la société iranienne a connu de profonds changements qui ne se sont pas nécessairement dus à la Révolution mais qui se sont produits, voire accélérés, durant les vingt dernières années. La modernisation de cette société est un élément prioritaire de ces mutations. Comme le relève Olivier Roy, la révolution a accompagné, voire accéléré cette modernisation. La société iranienne s'est d'abord largement urbanisée. En 1975, sur quelque 33,7 millions d'habitants, 47 % des Iraniens vivaient dans des villes de plus de 100 000 habitants. Lors du dernier recensement de 1996, sur une population totale de plus de 60 millions, 61 % résidaient dans les villes, et Téhéran est passée, en vingt ans, de 4,5 millions à plus de 10 millions d'habitants aujourd'hui.

Cette urbanisation de la société iranienne est le corollaire d'une expansion démographique exceptionnelle qui voit le pays compter aujourd'hui, par delà les statistiques officielles, en fait près de 70 millions d'habitants contre quelque 35 millions en 1979, soit un quasi-doublement en vingt ans. Il en résulte une population majoritairement jeune : les deux tiers des Iraniens ont moins de trente ans, n'ont pas ou peu connu, en tant qu'adultes, la période du Shah ou les débuts de la Révolution et, a fortiori , se sentent étrangers aux combats idéologiques et politiques de la période révolutionnaire des années 79-80, voire à la guerre Iran-Irak.

Il convient d'ajouter, à ces mutations démographiques, le niveau élevé d'éducation dont bénéficie désormais la jeunesse iranienne, le progrès le plus substantiel en ce domaine concernant d'ailleurs les jeunes filles et les femmes. De 1976 à 1996, le taux de scolarisation est passé de 59 % à 85 % pour les hommes et de 28 à 74 % pour les femmes. En créant des écoles et des universités dans des villes moyennes de province, la révolution a permis de rapprocher, géographiquement, le lieu d'éducation du lieu de résidence -notamment au profit des ruraux. En ne nécessitant pas " l'exil " des jeunes vers la capitale, cette démarche a largement incité les familles de culture traditionnelle à envoyer leurs enfants -notamment leurs filles- à l'université.

La société iranienne contemporaine est donc jeune, bien éduquée et majoritairement citadine. Elle est également ainsi devenue plus homogène, en gommant les discriminations antérieures entre hommes et femmes, ou entre villes et campagnes. De ce dernier point de vue, la modernisation des infrastructures -électrification, constructions routières...- a contribué à cette homogénéisation de la société.

Dans le cadre de ces mutations, on observe, paradoxalement, le faible impact de la législation islamique et la preuve qu'une certaine dynamique sociale s'opère en dehors d'elle. Par exemple, si elle prévoit, depuis 1980, conformément à la charia, un âge minimal légal de 9 ans pour le mariage des femmes, le Shah l'ayant porté en 1974 de 15 à 18 ans, cette donnée se révèle de plus en plus théorique dans les faits. En réalité, même si des mariages précoces subsistent, de plus en plus mal acceptés par les féministes iraniennes, l'âge moyen de mariage des femmes augmente régulièrement : il était de 21 ans en 1991 contre 18 ans et demi en 1956, quand celui des hommes, qui, passé de 25,7 à 24 ans et demi, contribue également à réduire une forme d'inégalité traditionnelle entre hommes et femmes.

3. Un bilan nuancé de l'alternance réformatrice

Dans ce contexte, c'est bien davantage la nouvelle société iranienne qui a généré la transition politique en cours que l'inverse. Plusieurs éléments contribuent à formuler ce constat.

L'électorat qui, d'une façon assez inattendue, a porté le 23 mai 1997 l'hodjatoleslam Seyed Mohammad Khatami au pouvoir, s'est avéré regrouper les plus démunis, les victimes des évolutions économiques négatives vécues par le pays depuis la révolution et la guerre, mais aussi les jeunes et les femmes. Cet électorat a signifié clairement une double lassitude, tant à l'égard des difficultés économiques qu'à celui de règles morales trop strictes ou des discriminations sexuelles que la nouvelle société iranienne vit de plus en plus difficilement.

Le programme de réformes voulu par le Président Khatami a visé à permettre l'émergence d'une société civile -laïque- plus libre, fondée sur le respect du droit et qui impliquerait davantage la population dans la vie politique. En réalité c'est plus un climat nouveau que l'on peut constater qu'une modification et, a fortiori, une suppression des règles qui régissent la vie sociale et politique iranienne.

Le gouvernement réformateur n'ayant pas, dans le domaine économique, décidé de réformes concrètes, et le programme de la majorité dans ce domaine restant vague, voire contradictoire, les résultats les plus visibles des trois premières années de la présidence Khatami concernent essentiellement la libéralisation de la presse écrite et, plus généralement le développement de la culture et des arts .

Le ministre de la culture et de l'orientation islamique a engagé une politique plus souple, en particulier en matière de censure, qui a favorisé la multiplication des journaux et le développement de la parution de livres. De fait, la presse écrite, a, en quelque trois années, connu un essor considérable : le nombre de titres a atteint 57 dans l'ensemble du pays dont 28 dans la seule capitale Téhéran. Par-delà ce bilan quantitatif, il convient de relever l'extrême liberté de ton utilisé par les journalistes, sachant que plusieurs publications sont directement liées à un parti ou à une association politique appartenant au camp des réformateurs.

Ce résultat, le plus tangible de la politique du président Khatami et de son gouvernement, est cependant très fragile. Au lendemain du retour de votre délégation, 19 parutions " réformatrices " étaient interdites et une nouvelle loi sur la presse, beaucoup plus sévère que la précédente, était votée par l'ancien parlement, à quelques jours de son remplacement par une nouvelle assemblée très majoritairement réformatrice. Les conservateurs, qui disposent du pouvoir judiciaire comme principal levier de leur action, y ont depuis longtemps régulièrement recours à travers le tribunal spécial pour la presse , et les actions menées contre les directeurs de journaux réformateurs -poursuites, emprisonnements, amendes, voire violences physiques- constituent l'un des axes de son combat contre les soutiens du président Khatami.

4. La nature hybride du régime iranien : démocratie ou autoritarisme ?

En premier lieu, et c'est un élément essentiel, le régime iranien vit, depuis 1997, au rythme d'élections démocratiques, qui, en rassemblant un taux de participation particulièrement élevé (près de 70 %), témoignent de la confiance du corps électoral dans la capacité du régime à se transformer. Après les élections présidentielles de 1997, les premières élections municipales depuis l'avènement de la République islamique se sont déroulées en 1999. En 2000, les élections législatives ont permis aux " réformateurs " de disposer, dès après le premier tour du 18 février, de la majorité absolue au Madjlis, tendance confirmée lors de second tour, tenu le 5 mai suivant. Le prochain rendez-vous électoral, la présidentielle de 2001, constituera un nouveau temps de respiration démocratique qui pourrait être décisif quant à l'avenir du régime.

Toutefois, depuis trois ans, les violences ponctuelles -comme celle qui a visé M. Hadjarian, conseiller du Président Khatami et responsable d'un journal réformateur- ont contribué à alourdir le climat électoral lors des législatives de 2000. Aucune épreuve de force massive, en provenance du pouvoir conservateur, n'est cependant venue interrompre ces différents processus électoraux, alors même que leurs résultats ont constitué des désaveux massifs et réguliers des tenants de la " droite " traditionnelle.

Certes, en amont de ces consultations, les mécanismes utilisés ne correspondent guère aux exigences de transparence : ainsi en est-il du système de sélection préalable des candidatures aux élections législatives et présidentielles effectuée par le Conseil des gardiens de la Constitution ; de même la mainmise du camp conservateur sur les médias audiovisuels - qui dépendent directement du Guide de la Révolution-, cantonne le débat politique contradictoire dans la presse écrite dont on a décrit déjà la vitalité, mais aussi l'extrême vulnérabilité.

Pour autant, un calendrier démocratique existe, il est respecté et, sur le plan régional, l'Iran constitue sans doute là une exception assez largement positive.

En second lieu, si la situation de la femme en Iran est assurément incomparable à son statut dans le monde occidental, l'éducation lui est cependant ouverte sans restriction, de même que l'exercice d'une vie professionnelle. Les associations féministes sont actives en Iran et leur participation à la vie politique, encore marginale dans les faits, n'est l'objet d'aucune restriction particulière.

Une transformation s'opère également dans l'organisation de la vie publique : peu à peu s'ébauchent des partis politiques, institutions totalement absentes de la vie publique jusqu'à récemment. Dans un pays qui n'a, au demeurant, jamais vécu d'expérience démocratique durable, si cette tendance se poursuit et se perfectionne, il en résultera une meilleure lisibilité de programmes pour l'électeur, une facilitation de son choix et, in fine , un progrès de la liberté.

En troisième lieu, si la morale islamique continue de régir bien des aspects de la vie quotidienne iranienne, son application semble témoigner, depuis quelques années, d'une moindre rigueur : l'espace privé permet des arrangements en matière de liberté morale, notamment, pour ce qui est des relations entre jeunes gens et jeunes filles, et les intrusions inopinées des bassidjis, dans les domiciles des particuliers, pour vérifier les comportements et, éventuellement, les sanctionner, se font, semble-t-il, plus rares. De même, les règles du code vestimentaire sont contrôlées de façon plus lâche qu'auparavant. Il reste que, dans les textes, les menaces de contrôle et de sanctions existent encore bel et bien.

Comme l'exposé relatif aux institutions s'est efforcé de l'expliciter, l'organisation des pouvoirs publics en Iran permet de freiner, de bloquer toute évolution du système politique : les prérogatives du Guide, le rôle du Conseil des gardiens en sont à cet égard, les instruments les plus efficaces.

Sous l'angle des droits de l'homme, le constat ne peut rester que pessimiste , si l'on se réfère aux normes occidentales en la matière. A lui seul, le système judiciaire , très archaïque, appelle de profondes réformes, et son organisation actuelle est préoccupante, tant son opacité est grande. Les fonctions de procureur et de juge y sont confondues et, dans le milieu carcéral, les mauvais traitements, voire la torture, ne sont pas, selon une enquête conduite sous les auspices des Nations unies, une pratique exceptionnelle.

Les tribunaux spéciaux pour la presse ou les membres du clergé sont les instruments privilégiés des procès d'opinion et permettent, à tout moment, à la faction conservatrice, de refermer l'espace de débat politique que l'accession aux responsabilités du Président Khatami a permis d'ouvrir. Les conditions du déroulement du procès des 13 juifs de Chiraz illustre enfin " l'instrumentalisation ", dont peut faire l'objet le pouvoir judiciaire, par ceux qui le détiennent, à des fins autant intérieures qu'extérieures. Les répercussions internationales de l'événement ne pouvaient qu'être embarrassantes pour un Président de la République soucieux de l'image de respectabilité de son pays. Le camp conservateur démontrait ainsi sa capacité et sa volonté d'utiliser tous les leviers du pouvoir dont il dispose 4 ( * ) .

Les minorités religieuses , les juifs, les chrétiens et les zoroastriens bénéficient, certes, d'une reconnaissance constitutionnelle et d'une représentation spécifique au Parlement. Si la liberté de culte est également assurée, il est toutefois difficile de parler de réelle liberté religieuse : le prosélytisme est sévèrement réprimé et les publications de ces communautés sont censurées ; enfin, les directeurs de leurs écoles doivent être musulmans. Surtout, la communauté bahaï, jugée comme hérétique, est sévèrement et constamment persécutée.

Enfin, même si la femme iranienne bénéficie d'une réelle reconnaissance pour son rôle dans la société, son statut personnel la cantonne dans une situation de dépendance et d'infériorité juridique : il lui est impossible de voyager sans l'accord de son tuteur et elle se trouve en situation d'inégalité par rapport à l'homme devant l'héritage ou le témoignage judiciaire. Enfin, l'âge minimal du mariage, fixé à 9 ans, reste un symbole lourd, quand bien même la réalité quotidienne s'éloigne progressivement de cette limite.

II. L'ÉCONOMIE : UNE PRIORITÉ QUI DIVISE

A. DES POTENTIALITÉS IMPORTANTES DOMINÉES PAR LA PRÉÉMINENCE DE LA RESSOURCE PÉTROLIÈRE

1. Des atouts naturels

L'Iran est ressorti, des huit années de guerre contre l'Irak, avec une économie exsangue et un tissu industriel délabré. Cet épisode tragique avait, sur le plan économique, succédé à la mainmise de l'Etat sur l'appareil économique, dès 1979, année de l'institution de la République islamique. Celle-ci a mis en place une économie socialiste " de fait ", fondée moins sur une conception idéologique précise que sur un rejet de " l'affairisme " conduisant à placer l'économie au dernier rang des priorités. De plus, la République islamique a, dès le début, souhaité mettre en oeuvre un système social ambitieux qui n'est pas sans lien avec la conception égalitaire du chiisme. Enfin, le rejet de l'influence étrangère, qui a longtemps marqué l'histoire de l'Iran, en particulier dans le secteur pétrolier, fut un élément essentiel dans la détermination de la nouvelle politique dans ce domaine.

L'Iran n'est pas riche de ses seuls hydrocarbures, qui constituent cependant la base de son économie : les réserves pétrolières, évaluées à 90 milliards de barils, et gazières, estimées à 20 000 milliards de m 3 , placent respectivement l'Iran aux 3 e et 2 e rang dans le monde. L'agriculture, qui contribue à hauteur de 20 % du PIB, bénéficie de ressources en eau non négligeables, même si la sécheresse affecte parfois gravement les récoltes, notamment cette année. Le tiers de la superficie du pays est cultivable et les cultures couvrent 12 milliards d'hectares, dont plus de la moitié dans des régions à faible pluviosité. 46 % des sols cultivés sont irrigués, qui produisent 80 % de l'alimentation humaine et la diversité des sols et des climats permet une agriculture variée (coton, tabac, tomates, pommes de terre, pistaches, amandes, dattes, oranges, citron, thé...). Le Gouvernement ambitionne, à terme, l'autosuffisance alimentaire, mais la politique de subvention du prix des produits importés -grâce à un taux de change surévalué-, pour approvisionner les plus démunis, ne favorise pas le développement d'une agriculture performante.

L'Iran est par ailleurs riche en minerais : il détient les secondes réserves de cuivre du monde ainsi que du plomb, du zinc, du minerai de fer et de la bauxite. Enfin, les infrastructures -routes, voies ferrées, ports, aéroports- sont bien réparties dans le pays.

En dépit de ses richesses, notamment en hydrocarbures, de la qualité de sa population active, de l'importance que représente un marché de près de 70 millions d'habitants et de sa situation géographique, l'Iran traverse, depuis de nombreuses années, une crise économique grave, qui s'est notamment traduite par la réduction de moitié, en vingt ans, du PNB par habitant. Une partie des causes de cette situation est à rechercher dans les conséquences de cette richesse pétrolière et gazière elle-même : elle a conduit à une pratique rentière de l'économie, où l'Etat joue un rôle prépondérant et à une dépendance exclusive à l'égard d'un produit dont l'évolution du cours mondial pèse excessivement sur la croissance et contribue à différer les indispensables réformes.

2. La prééminence pétrolière

L'économie iranienne est donc avant tout une économie pétrolière et gazière : cette dépendance à l'égard des hydrocarbures est particulièrement sensible au niveau des finances publiques : les recettes tirées de ce secteur correspondent à plus de la moitié des recettes budgétaires totales. De même, pour ce qui relève des comptes extérieurs, où les revenus d'exportation des hydrocarbures couvrent quelque 85 % des recettes globales.

Par ailleurs, les fluctuations des cours du brut affectent la croissance de l'économie iranienne : la baisse de 36 % des cours du pétrole en moyenne, en 1998-1999, a ainsi entraîné un fort tassement de la croissance nationale et ramené la part du secteur pétrolier du PIB iranien à quelque 10 % -il était de près de 15 % en 1996-1997.

Inversement, la remontée des cours, lors de l'exercice 1999-2000, (18,4 dollars le baril en moyenne pour le brut iranien contre 10,5 dollars en 1998-1999, soit + 75 %) pourrait revigorer la croissance économique, améliorer les comptes extérieurs et la situation des finances publiques. Toutefois, cette embellie risque de n'avoir que des effets à court terme, si la mise en oeuvre des indispensables réformes structurelles continue de tarder. C'est là un autre aspect pervers de la structure économique de l'Iran : en période de baisse des cours, le gouvernement est incité à resserrer les importations -pourtant indispensables à la diversification de son économie-, à réduire ses dépenses -et notamment d'investissements-, ce qui entraîne des effets négatifs en chaîne, pénalisant la consommation, la croissance et favorisant l'inflation. En période de hausse des cours, en revanche, l'amélioration des finances publiques et des comptes extérieurs qui en résulte confère, aux yeux du gouvernement iranien, moins d'urgence aux réformes de fond. Or les structures de l'économie iranienne présentent de très nombreuses faiblesses.

B. LES INSUFFISANCES STRUCTURELLES DE L'ÉCONOMIE IRANIENNE

1. Un secteur public omniprésent

L'Etat iranien détient la plupart des moyens de production, soit près de 85 % des ressources du pays dont le pétrole, la pétrochimie, l'industrie lourde, la construction mécanique, l'électricité, les télécommunications, etc. L'appareil productif iranien s'inscrit donc dans le cadre dirigiste d'une économie surréglementée.

Il convient de préciser que le pôle public ne se limite pas, en l'occurrence, à l'Etat stricto sensu : les fondations religieuses, au caractère parapublic, y tiennent une place essentielle. Au départ, ces fondations avaient été créées, lors de l'avènement de la République islamique, pour gérer le produit des privatisations et des confiscations des grands capitaux appartenant à ceux qui avaient quitté l'Iran en 1979. On estime désormais que les Fondations, gérées essentiellement par des religieux, grâce aux avoirs dont elles disposent, représentent près de 40 % du PIB iranien. " Bien qu'elles contrôlent des centaines d'entreprises de production, leurs activités sont essentiellement tournées vers les secteurs du commerce, de l'importation des biens de consommation et de la spéculation sur les devises. Non seulement elles sont exemptées d'impôt, mais elles échappent à tout contrôle extérieur, fût-ce de la part du gouvernement (leurs dirigeants étant désignés par le Guide suprême). Face à ce monopole quasi-féodal,le secteur privé ne peut pas lutter " 5 ( * ) .

2. Une économie subventionnée

L'économie iranienne est également caractérisée par un système généralisé de subventions qui peuvent être soit directes, concernant notamment les produits alimentaires et qui s'élèvent à quelque 4 milliards de dollars, soit indirectes -à travers des prix artificiellement bas ou un taux de change surévalué-, appliqués notamment aux produits pétroliers, et qui portent sur environ 8 milliards de dollars. Au total, ces subventions pourraient encore représenter 10 % du PIB. Pour la plupart, ces subventions ne figurent pas au budget de l'Etat et, dans la pratique, elles entraînent d'importants gaspillages, voire des détournements, en particulier sur les produits pétroliers 6 ( * ) , ce qui concourt à gonfler la consommation intérieure et pèse sur la balance " pétrolière " du pays.

Ce système de subvention qui se fonde sur une conception " sociale " du développement économique est donc source de nombreuses distorsions économiques. Il n'est pas sans lien, par ailleurs, avec le réseau de clientélisme politique, rôdé par 20 années de République islamique. " Ce système est, bien sûr, source d'enrichissement et de corruption. Mais il permet aussi une redistribution clientéliste, sous forme de remise d'objets de consommation (...) à l'employé méritant, à la famille d'un martyr ou bien à un obligé (...). Ce système de redistribution par l'Etat est un substitut à une révolution sociale qui n'a pas eu lieu. Il accentue souvent les inégalités sociales par un favoritisme qui décourage l'investissement productif et la créativité des capitaines d'industrie, attirés par la perspective alléchante de gains faciles dans la spéculation (...) " 7 ( * ) .

3. Un système financier inadapté

Les banques iraniennes relèvent toutes de l'Etat et le système bancaire est très centralisé. De même est-il quasiment fermé à la concurrence étrangère, une loi récente (juillet 1999) a certes autorisé les investissements étrangers dans le secteur bancaire, mais seulement dans les zones franches, et à condition que les banques se soumettent à la loi islamique prohibant les taux d'intérêt. Quant au développement d'un secteur privé bancaire, il est pour l'heure limité à un petit établissement islamique, spécialisé dans les crédits immobiliers et autorisé à ouvrir seulement des comptes à terme. La centralisation du système conduit à la détermination administrative de taux d'intérêt réels par ailleurs négatifs, et donc incapables d'attirer l'épargne. Plus que d'un instrument au service de l'économie -collecte de l'épargne et fourniture de prêts, le système bancaire iranien a surtout été utilisé par le gouvernement comme un instrument de politique fiscale pour générer des revenus ou procéder à des dépenses. Au total, le système bancaire est peu rentable et la plupart des banques, sous-capitalisées, sont déficitaires.

Il faut ajouter à cela qu'un système de taux de changes multiples, loin de favoriser les échanges, stimule la spéculation. Trois taux existent : le taux officiel (1 750 rials pour un dollar), pour les importations de produits de base, notamment alimentaires -40 % des transactions-, un taux coté à la bourse de Téhéran (8 300 rials pour 1 dollar) pour 40 % des transactions et un taux " parallèle " (8 600 rials pour un dollar) pour 20 % des transactions. La réalisation, pourtant souhaitée, d'un taux de change unique n'est cependant pas probable à court terme.

Cet environnement n'est pas à la mesure des défis importants que le pays doit relever dans le champ économique et qui portent sur deux priorités principales : fournir du travail à une population jeune et nombreuse, attirer les investisseurs, notamment étrangers.

C. L'URGENCE DE RÉFORMES POUR UNE ÉCONOMIE PLUS EFFICACE ET OUVERTE AUX INVESTISSEURS EXTÉRIEURS

L'urgence de réformes, destinées notamment à modifier les structures de l'économie iranienne est d'autant plus grande que le pays est confronté à un accroissement massif des demandeurs d'emploi. Compte tenu de la démographie du pays 8 ( * ) , ce sont quelque 700 000 jeunes, dont beaucoup de diplômés, qui arrivent chaque année sur le marché du travail, dans un pays déjà confronté à un chômage évalué entre 20 et 30 % de la population active. Il est clair que pour être un jour en mesure d'absorber cet afflux régulier, des réformes structurelles s'imposent, qui permettent la libéralisation et la diversification du cadre économique et une réduction drastique de la place de l'Etat dans l'économie iranienne.

Surtout, l'Iran a un besoin urgent de moyens de financement qui, à défaut d'être mobilisables sur le marché domestique, ne peuvent que provenir de l'extérieur. Le besoin en est particulièrement sensible dans le secteur pétrolier dont les structures de production, vieillissantes et insuffisamment modernisées, entravent la capacité de production iranienne. On estime à quelque 25 milliards de dollars le coût de sa remise en état. Le pays ne pourrait pas suivre l'augmentation de la production que l'OPEP a engagée pour favoriser une stabilisation des cours 9 ( * ) . Or l'investissement étranger, pour des raisons idéologiques, qui tendent à suspecter systématiquement ce qui vient de l'extérieur, notamment en ce domaine, est particulièrement difficile en Iran, pour deux raisons principales :

1. Une législation très restrictive

A ce jour, les investissements étrangers en Iran sont régis par la loi sur la Protection et sur l'Attraction des investissements, votée le 28 novembre 1955. La Constitution de la République islamique de 1979 interdit par ailleurs toute concession de sociétés aux étrangers dans les domaines commercial, industriel, agricole, minier et des services. Dans les faits, la participation étrangère n'est autorisée qu'à hauteur de 49 % du capital d'une société.

2. Les effets de la législation américaine

On se rappelle que le Congrès américain a voté, le 23 juillet 1996, la loi dite d'Amato, du nom du sénateur qui en a eu l'initiative. En application du principe " d'extra-territorialité " une telle législation, applicable à des ressortissants non américains opérant en dehors du territoire des Etats-Unis, prévoit des sanctions contre tout opérateur qui investirait plus de 40 millions de dollars en Iran.

L'Union européenne a sévèrement critiqué un tel dispositif, qui accorde ainsi unilatéralement à un pays la possibilité de faire prévaloir, par-delà des préoccupations politiques, des intérêts économiques : il ne s'agissait pas en effet de pénaliser les seuls opérateurs américains susceptibles d'être intéressés par le marché iranien. Au demeurant, la conclusion, en 1997, du contrat de l'entreprise française Total avec les autorités iraniennes a été le premier accroc symbolique à une législation que le président des Etats-Unis a cependant décidé, en l'occurrence, de ne pas mettre en oeuvre.

3. Le projet Total de Southpars : l'exemple d'un investissement " étranger " sous contrôle

Le contrat conclu en 1997 entre la société française Total et la NIOC (National Iranian Oil Company) est symbolique puisqu'il fut conclu après que la loi d'Amato eut brandi la menace de sanctions contre toute entreprise étrangère qui investirait plus de 40 millions de dollars dans les hydrocarbures iraniens.

Or le projet Total s'inscrit exactement dans ce cadre : l'investissement total s'élève à 2 milliards de dollars et porte sur la mise en exploitation d'un gisement gazier très important (9 100 milliards de m3), à cheval sur la frontière maritime entre l'Iran et le Qatar. Total y est associé à Gasprom (Russie) et Petronas (Malaisie). Dans cet ensemble, Total est opérateur du développement à hauteur de sa participation. Il s'agit de mettre en place une capacité de production de 2 milliards de m 3 de gaz par an et 80 000 barils par jour de condensats.

Ce contrat, de même que celui, conclu avec la NIOC en 1995 pour l'exploitation de champs off shore de Sirri, est basé sur le principe de buy back : dans ce cadre, les partenaires (Total 40 %, Gasprom 30 % et Petronas 30 %), reçoivent une partie de la production d'hydrocabures pour couvrir le remboursement des investissements et leur rémunération.

Ce paiement se fera sur le produit de la vente de condensats, sur une période de 7 ans à compter du démarrage de la production. Ce cadre légal,qui n'est pas propre aux iraniens puisque l'Irak ou le Koweït y ont également recours, n'est pas a priori très satisfaisant pour les compagnies. En l'occurrence, l'Iran ne souhaite pas confier la propriété de ses réserves à l'étranger et s'oppose donc aux contrats de partage de production classique. Ce système fait des compagnies pétrolières de simples prestataires de services. Une fois le gisement mis en service, Total remettra l'ensemble à la NIOC. Cette procédure a certes permis aux compagnies partenaires d'entrer dans le pays, mais ne leur assure pas nécessairement d'y rester.

Votre délégation s'est rendue à Assalounieh, véritable ville en construction autour du dispositif industriel mis en place par les trois opérateurs et sur lequel travaillent, dans des conditions assez austères, une vingtaine de nos compatriotes. Extrait offshore, le gaz, grâce à un procédé technique innovant mis en oeuvre par Total, sera traité à terre. Le gaz produit sera connecté au réseau intérieur iranien, l'exploitation des condensats permettant de rémunérer les opérateurs extérieurs.

*

* *

Les potentialités de l'économie iranienne sont grandes. Pour être concrétisées, elles supposent la mise en oeuvre de profondes réformes structurelles. Les responsables iraniens sont conscients de cette nécessité et, d'ailleurs, dès la fin du conflit avec l'Irak en 1998, sous l'impulsion de M. Rafsandjani, un premier plan quinquennal avait été adopté. Ses principaux objectifs étaient la libéralisation de l'économie par le retrait de l'Etat de l'industrie et des services, au profit du secteur privé et de l'allégement du contrôle du commerce extérieur. Parallèlement, dès cette époque, certaines mesures d'ajustement structurel, préconisées par le FMI, devaient être mises en oeuvre, notamment la suppression progressive des subventions et l'unification des taux de change.

Toutefois, la réalisation de ce programme avait été rendue impossible par la crise financière de 1992 ainsi que par une forte opposition politique.

Les priorités actuelles, destinées à sortir l'économie des structures qui l'enserrent devraient, en particulier, porter sur trois points : la suppression de monopoles et les privatisations, la réorientation des aides sociales, en substituant à l'actuel système de subventions un " filet social " fondé sur l'aide à la personne ; enfin, la stimulation des investissements étrangers.

L'adoption définitive, en avril dernier, du Troisième Plan quinquennal de développement (2000-2004) prévoit, théoriquement, la mise en place d'un catalogue de réformes visant, précisément, à libérerprogressivement l'économie de l'emprise étatique, à en accroître l'efficacité par la suppression des monopoles, la privatisation des entreprises publiques déficitaires, l'unification des taux de changes, la réforme du système bancaire, la mise en oeuvre d'une réforme fiscale, la libéralisation du commerce extérieur et la mise en place d'aides à la personne.

Si la prise de conscience des nécessaires actions à entreprendre semble ainsi faite, il reste que leur mise en oeuvre se heurte à plusieurs obstacles politiques : certaines de ces réformes entraîneront un coût social élevé, elles mettront par ailleurs en cause des intérêts bien établis -ceux du Bazar, des Fondations, des entreprises publiques, tous étroitement liés au camp conservateur.

La mouvance réformatrice elle-même rassemble les tenants d'options économiques très diverses, pour ne pas dire contradictoires, notamment entre la gauche islamique et la " droite " réformatrice du parti des " constructeurs ".

La question se posera de la façon dont les rapports de force évolueront, sur le dossier économique, entre les institutions conservatrices -le Guide, le Conseil des gardiens- et les institutions récemment investies par les réformateurs, le Madjlis et Présidence de la République.

III. UNE DIPLOMATIE RÉORIENTÉE VERS LE DIALOGUE ET LA DÉTENTE

Parallèlement à l'idéologie de la révolution islamique, qui a compté pour beaucoup dans l'orientation de la diplomatie iranienne depuis 20 ans, l'Iran doit encore composer, en la matière, avec un environnement immédiat très spécifique, au sein duquel il entend émerger, grâce à ses multiples atouts -géographiques, humains, économiques- comme une puissance régionale. Il entend également présenter à la communauté internationale lato sensu une image de responsabilité et d'apaisement, fondée sur le " dialogue des civilisations " prôné par le Président Khatami.

A. UNE VOLONTÉ D'APAISEMENT ET DE RAPPROCHEMENT DANS UN ENVIRONNEMENT RÉGIONAL COMPLEXE

L'Iran présente cette particularité d'être entouré, par des frontières maritimes ou terrestres, de pas moins de quinze Etats dont beaucoup ont été, ou demeurent, confrontés à des crises intérieures ou à des conflits de voisinage, et qui contribuent à faire de l'environnement régional de l'Iran une

L'IRAN ET SES VOISINS

zone d'instabilité chronique, au sein de laquelle ce pays souhaite apparaître comme un pôle de stabilité et de puissance.

1. La consolidation des liens avec les pays du Golfe

Le rapprochement le plus spectaculaire effectué par la diplomatie de M. Khatami a prioritairement concerné les pays du Golfe , notamment l'Arabie Saoudite. Avec ce dernier pays, depuis le sommet de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI) de 1997, les échanges se sont multipliés et la visite du président iranien à Ryad, en mai 1999, a couronné la démarche. Ce rapprochement a notamment permis une meilleure entente, dans le domaine pétrolier, pour la gestion des quotas au sein de l'OPEP, même si l'accord entre les deux pays, lors de la réunion de l'OPEP de mars 2000, n'a pu être possible.

Mais ce rapprochement s'est aussi étendu à d'autres pays du Golfe. Par delà le Koweït, Oman ou le Qatar, avec lesquels l'Iran avait conservé de bonnes relations, Téhéran a progressivement normalisé ses liens avec Bahreïn et, plus récemment avec les Emirats Arabes Unis, qui ont ouvert une représentation diplomatique dans la capitale iranienne.

L'Iran cependant reste ferme sur deux sujets qui guident dans la région son comportement depuis de nombreuses années : la revendication de la souveraineté sur les trois îles -Petite et Grand Tomb et Abou Moussa- qui l'oppose, depuis 1971, aux Emirats, ou encore le refus de la présence de forces militaires étrangères dans la région.

Malgré ces démarches conciliantes, l'Iran continue d'être perçu avec suspicion dans la région : revendiquant le poste de secrétaire général de l'OPEP, cette opportunité ne lui a pas été accordée ; bien que présidant depuis trois ans l'Organisation de la Conférence islamique, les marges de manoeuvre de l'Iran ont été assez circonscrites dans le cadre d'une organisation dont l'Arabie saoudite demeure le principal bailleur de fonds. Enfin, contrairement aux voeux constants de Téhéran, les pays du Golfe ne sont pas prêts à substituer un rôle accru de l'Iran, en matière de sécurité régionale, à celui qu'y tiennent les Etats-Unis.

2. Le Caucase et l'Asie centrale : l'enjeu de la mer Caspienne

L'Iran a bénéficié dans cette région, dans le passé, d'une influence politique importante et d'un rayonnement culturel encore perceptible aujourd'hui. Les richesses potentielles de la zone et son poids démographique ont encore accru l'attractivité, pour Téhéran, de cette partie de son voisinage.

Le Caucase et l'Asie centrale sont l'objet d'une diplomatie active de la part de l'Iran depuis l'éclatement de l'URSS. Téhéran a ouvert des ambassades dans toutes les nouvelles républiques et a favorisé l'entrée, dès 1992, des six nouveaux pays musulmans de la région dans l'Organisation de coopération économique (ECO), qui réunit aujourd'hui 10 membres et dont le siège est installé à Téhéran. Au surplus, les échanges commerciaux entre l'Iran et la zone se sont considérablement développés. L'Iran ne peut cependant que prendre acte d'une évolution du paysage politique dans la région qui ne lui est guère favorable : l'Ouzbékistan et l'Azerbaïdjan, les deux Etats les plus importants de la région- se sont, au grand regret de l'Iran, tournés vers l'Occident -ils sont ainsi, option hautement symbolique, parties au Partenariat pour la Paix de l'OTAN- ce qui ne laisse guère comme point d'appui à la diplomatie iranienne que l'Arménie et le Tadjikistan, où elle estime pouvoir faire jeu égal avec l'influence russe.

Cette volonté iranienne de " partager ", avec la Russie, l'influence dans la région, n'a cependant pas donné les résultats espérés. Dans le conflit du Nagorno-Karabakh, qui oppose l'Arménie et l'Azerbaïdjan, l'Iran, qui se proposait comme médiateur, a été considéré par Bakou comme trop favorable aux positions de l'Arménie, au demeurant plus soucieuse, elle-même, de préserver l'influence de la Russie.

Au Tadjikistan, le gouvernement pro-russe se méfie d'un Iran qui, à ses yeux, continue de soutenir l'opposition islamique.

Au total, l'Iran, dans cette région sensible, se heurte à une équation diplomatique qui ne joue pas en sa faveur : d'un côté, les pays sous influence russe ne souhaitent pas y renoncer, au profit d'un Iran jugé encore imprévisible ; de l'autre, ceux qui entendent se distancier de Moscou marquent une nette préférence pour les puissances occidentales et, en particulier, les Etats-Unis.

Ceux-ci parviennent d'ailleurs, en jouant de leur audience nouvelle dans la région, à endiguer tout progrès diplomatique, voire économique de l'Iran dans la région, notamment à travers la gestion des richesses, potentiellement importantes, de la Caspienne.

L'enjeu régional central pour l'Iran demeure en effet la mer Caspienne et l'utilisation possible de ses ressources d'hydrocarbures. Un second sujet se greffe à cette première question, tout aussi capital, et concerne les itinéraires de transit d'évacuation des hydrocarbures de la Caspienne et d'Asie centrale, l'Iran estimant que le recours à son territoire est géographiquement le plus logique et politiquement le plus sûr.

L'Iran a, sur la question sensible du partage des ressources de la Caspienne, récemment évolué dans le sens de la conciliation. Durant unelongue période, ce pays, se fondant sur les traités irano-soviétiques conclus en 1921 et 1940, a estimé que, même après l'éclatement de l'URSS, tout nouveau statut pour la mer Caspienne ne pouvait résulter que d'un accord des Etats côtiers, permettant une répartition entre les Etats riverains en fonction de la longueur respective de leurs côtes. Face à l'intransigeance des autres pays concernés, l'Iran a été conduit à assouplir sa position. Lors du sommet de l'Organisation de la Coopération Economique (ECO), tenu à Téhéran le 12 juin 2000, l'Iran s'est déclaré prêt à adhérer au " partage équitable des ressources naturelles et énergétiques " de la mer Caspienne. Il a également souhaité que l'Organisation de coopération de la Caspienne, créée après l'éclatement de l'URSS entre les cinq nations riveraines, soit réactivée pour définir les modalités juridiques d'un partage des ressources.

L'autre question, corrélative à la première, concerne l'acheminement des hydrocarbures de la Caspienne vers les marchés asiatiques ou européens. Chacun des pays riverains, spécialement la Russie et l'Iran, souhaitent que leur territoire respectif soit retenu pour le transit de ces ressources. Les Etats-Unis refusent régulièrement l'implication de l'Iran dans ce processus.

Les Etats-Unis ont donc privilégié le projet d'oléoduc Kazakhstan Bakou-Ceyhan (côte méditerranéenne de la Turquie, via la Géorgie). Si l'Iran, désormais, ne s'oppose plus à la diversification des moyens d'acheminement des ressources de la Caspienne, il continue de privilégier son territoire comme voie de transit, l'estimant plus sûr que les régions caucasiennes.

3. La frontière orientale, source de préoccupation

L'Iran partage avec l'Afghanistan une frontière commune de 1 000 km. La situation politique en Afghanistan, désormais contrôlé par des Talibans, ennemis résolus des Chiites et longtemps soutenus par le Pakistan, constitue la principale source de préoccupation régionale pour Téhéran. Les efforts indirects de conciliation de l'Iran se sont soldés par un échec, et l'assassinat de huit diplomates iraniens par les Talibans a conduit l'Iran au bord d'un conflit ouvert avec Kaboul, que Téhéran n'aurait d'ailleurs guère été en mesure de soutenir militairement. Outre que l'Iran accueille près de deux millions de réfugiés afghans, la frontière est le lieu d'un trafic de drogue massif qui donne lieu sur place à une mini-guerre entre les trafiquants et les policiers iraniens qui y perdent en moyenne un homme tous les trois jours. Malgré les moyens consentis pour soutenir ce combat, l'Iran ne peut que constater le développement de la consommation de stupéfiants sur son territoire.

Face à cette menace, difficilement réductible, et aux risques d'extension du " talibanisme " au Daghestan ou en Tchétchénie -avant l'intervention russe-, l'Iran a été conduit à adopter une attitude plus ouverte àl'égard du principal soutien des Talibans -le Pakistan- qui pourrait servir de médiateur pour un apaisement de la situation.

4. L'Iran et le processus de paix

Les relations de l'Iran avec les pays arabes de la région proche-orientale ne peuvent se comprendre qu'à travers le prisme du conflit israélo-arabe et des évolutions d'un processus de paix dont Téhéran estime, depuis longtemps, qu'il a pour objectif de tromper les Palestiniens, avec le concours des Etats-Unis, au profit de l' " entité sioniste ".

La politique de détente, d'ouverture et d'apaisement, conduite sur le plan international par le Président Khatami depuis trois ans, se heurte, avec la question d'Israël et du processus de paix, à un véritable dogme, qui constitue l'un des piliers idéologiques du régime et dont les ressorts sont aussi bien internes qu'externes.

Enjeu interne, puisque l'antisionisme constitue, pour le Guide de la Révolution, un " domaine réservé " où s'exerce, au détriment du Président de la République, son autorité théocratique. Enjeu interne, également, dans la mesure où la population iranienne, dans sa majorité, perçoit bien que l'attitude officielle à l'égard du processus de paix contribue à marginaliser l'Iran, dans la région comme au niveau mondial, et qu'elle en redoute -à juste titre- un effet négatif sur l'amélioration de l'image de l'Iran dans le monde et son ouverture sur l'extérieur.

Enjeu externe surtout, puisque l'attitude iranienne traditionnelle a l'égard de ce dossier repose sur une alliance stratégique avec la Syrie et le soutien aux mouvements islamistes radicaux. La première, fondée sur une hostilité commune à Israël, risque de perdre sa substance si Damas continue d'envisager la possibilité de négocier avec Jérusalem sur les différends, notamment frontaliers, qui les opposent. Ensuite, dans l'hypothèse où un accord serait conclu, l'Iran ne disposerait plus de la même marge d'influence au Liban et serait conduit à revoir son soutien militaire au Hezbollah, qui tend d'ailleurs, depuis plusieurs années, à devenir plus indépendant de Téhéran.

Enjeux externe enfin, dans la mesure où l'intransigeance iranienne a contribué -dans le meilleur des cas- à le mettre en délicatesse avec des Etats arabes, comme l'Egypte dont il souhaite, par ailleurs, se rapprocher.

Plus délicate encore pour l'Iran sera l'appréciation qu'il serait conduit à porter sur le volet palestinien du processus de paix. La reconnaissance d'un tel accord aboutirait, de facto , à admettre l'existence d'Israël, ce qui équivaudrait au reniement total de l'un des principes fondateurs du régime iranien.

Le maintien d'une ligne dure sur ce dossier contribuerait à entretenir le statut d'Etat paria dont les conséquences sont lourdement négatives pour l'Iran : les Etats-Unis évaluent leurs éventuelles ouvertures à l'égard de Téhéran à l'aune de sa position sur le processus de paix et l'intransigeance iranienne entretiendra celle de Washington : maintien de l'embargo économique, de l'endiguement régional, bref d'un ostracisme qui ruinerait ou rendrait vains tous les efforts diplomatiques conduits par ailleurs.

L'Iran, sur ce dossier essentiel, est donc placé devant une délicate alternative : s'adapter, en reniant l'un des principes de base de la révolution islamique, ou se marginaliser, en risquant de s'isoler diplomatiquement et de se bloquer toute perspective économique.

Cela étant, par-delà un discours officiel qui continue de considérer Israël comme l'ennemi principal, une certaine modération se fait jour : certains responsables iraniens prennent progressivement acte des évolutions en cours et, comme les entretiens de votre délégation l'ont montré, n'entendent pas se substituer aux Palestiniens ou aux Syriens pour apprécier leurs intérêts respectifs à l'évolution du processus de paix qui les concerne finalement au premier chef et qu'ils n'ont pas l'intention d'entraver. Il reste que l'évolution de l'Iran sur cette question conditionne, pour une large part, outre la région du Proche-Orient, l'avenir du pays lui-même.

B. LE NOUVEAU POSITIONNEMENT DE L'IRAN A L'ÉCHELLE DU MONDE

Par delà son environnement régional immédiat, par delà, également, les relations avec les pays arabes et la question israélo-palestinienne, l'Iran du Président Khatami entend appliquer sa stratégie de dialogue avec les puissances mondiales : la Chine, la Russie et les pays ex-socialistes, d'une part, et l'Occident, d'autre part : l'Europe et les Etats-Unis.

1. Les relations avec les pays ex-socialistes : une volonté de contourner l'ostracisme de l'Occident

Pour rompre l'isolement dont il était l'objet, l'Iran a poursuivi et développé ses relations avec la Russie, les pays d'Europe orientale, la Chine, la Corée du Nord et le Vietnam. Ces liens ont notamment permis à l'Iran d'accéder à un marché d'armes et de matériels sensibles, ce qui a d'ailleurs incité les Etats-Unis à intervenir auprès de certains pays d'Europe centrale, et à dénoncer les facilités que la Chine, la Corée du Nord ou certaines entreprises russes étaient ou sont encore supposées, à tort ou à raison, consentir à l'Iran en matière d'armements non conventionnels.

2. Les relations avec les Etats-Unis : un tabou encore solide malgré quelques ouvertures

L'opposition irréductible aux Etats-Unis est consubstantielle à l'idéologie de la révolution et de la République islamiques. A un moindre degré, elle fut, comme l'hostilité à Israël, l'un des dogmes de l'Iran actuel sur la scène mondiale. De fait, les contentieux entre les deux pays sont lourds et multiples : l'embargo direct des exportations américaines vers l'Iran, l'embargo secondaire, opposable aux Etats tiers, sur les investissements dans les secteurs gazier et pétrolier iraniens, qui traduisent la volonté d'endiguement et d'isolement des Etats-Unis à l'égard de l'Iran ; l'opposition résolue des Etats-Unis à tout projet d'oléoduc qui emprunterait le territoire iranien, la promulgation, en mars 2000, de l' Iran Non Proliferation Act , à portée extra-territoriale, visant à entraver la coopération nucléaire russo-iranienne, compliquent encore les rapports entre ces deux pays.

Toutefois, rien n'est figé, et les propos tenus, en juin 1998, par le Président Khatami sur CNN ont reçu un accueil prudent mais positif. La Secrétaire d'Etat américaine, Mme Albright, dans une intervention prononcée peu après devant l'Asian Society, a exprimé l'intention des Etats-Unis de rétablir des relations bilatérales normales. Au lendemain du 1 er tour des élections législatives, Mme Albright, le 17 mars 2000, a par ailleurs annoncé un assouplissement des sanctions économiques -sur les tapis et les pistaches-, et le souhait des Etats-Unis de régler la question des avoirs iraniens gelés. Cette ouverture a été accueillie favorablement à Téhéran qui escompte, cependant, des avancées plus substantielles à l'avenir...

La relation conflictuelle avec l'" Amérique " est cependant si profondément ancrée parmi les responsables iraniens -en particulier chez les conservateurs-, que tout geste d'ouverture ou d'apaisement à l'égard des Etats-Unis qui pourrait émaner du Président de la République fait l'objet de réactions particulièrement vives. La diplomatie de ce dernier a donc été mise " sous surveillance " par le Guide de la Révolution et les relations présentes sont limitées à un maintien prudent du statu quo .

3. Les relations avec l'Europe : un intérêt réciproque

En oeuvrant pour un développement de ses relations avec l'Union européenne, l'Iran vise plusieurs objectifs : atténuer encore son isolement international, miser sur une puissance économique et politique elle-même désireuse de contrebalancer l'influence américaine, obtenir enfin des avantages économiques ou commerciaux. Les conditions de l'amélioration de ces relations ne vont pourtant pas sans difficulté, et les turbulences dans les relations irano-européennes ont été nombreuses.

En Europe en effet, comme ailleurs, la République islamique reste encore perçue avec méfiance, sinon hostilité : les droits de l'homme, le terrorisme, l'exportation de la révolution, le rôle de l'Iran au Liban et son hostilité au processus de paix, autant de sujets qui ont contribué, en Europe, à alimenter la crainte et la défiance à l'égard de l'Iran. L'Allemagne -avec l'attentat commis à Berlin par les services iraniens contre des réfugiés kurdes, avec le sort réservé à son ressortissant, M. Hofer, retenu longtemps prisonnier en Iran- ; la Grande-Bretagne -au premier chef, mais elle ne fut pas la seule- lors de la Fatwua lancée contre l'écrivain Salman Rushdie, avaient de fortes raisons de tenir un discours de fermeté, que l'Union européenne suivit, en rappelant, pendant quelques mois, tous ses ambassadeurs en Iran.

Pour autant, l'évolution politique récente en Iran et l'influence accrue des réformateurs devraient favoriser un rapprochement prudent mais réel. L'Europe ne peut en effet se désintéresser d'un pays qui fournit nombre de ses membres en hydrocarbures, qui constitue un marché potentiel considérable et dont l'isolement international se révèle finalement plus lourd de danger que son insertion progressive dans des cadres économiques ou politiques.

Tous les pays membres ont d'ailleurs désormais procédé à la normalisation de leurs relations avec Téhéran et les visites bilatérales au niveau ministériel se développent. Un dialogue institutionnel " global " ou " constructif " a succédé au dialogue " critique " initial qui a certes eu le mérite de placer l'Iran en face de ses responsabilités internationales mais qui, vu de Téhéran, cantonnait la République islamique dans une position d'accusé systématique.

Concrètement, des groupes de travail ont été créés (énergie, commerce, lutte contre le trafic de drogue) dans le cadre de rencontres régulières au niveau des hauts fonctionnaires. Ce dialogue institutionnel, s'il pouvait progressivement être élevé au niveau ministériel -ce que souhaitent les Iraniens et plusieurs partenaires européens- serait de nature à accompagner et encourager l'évolution du pays, dans l'intérêt des deux parties.

C. LA MENACE IRANIENNE

L'Iran, soucieux de devenir une puissance régionale qui compte et un interlocuteur respecté par les puissances du monde, développe, comme vos rapporteurs viennent de le rappeler, une diplomatie d'apaisement et de dialogue avec ses voisins.

Toutefois, les responsables iraniens entendent également disposer des capacités militaires à même de conforter cette ambition régionale. Or, compte tenu du passif iranien -subversion, terrorisme, intimidation-, et de l'intransigeance constante à l'égard d'Israël, cette composante de la diplomatie iranienne continue d'inquiéter, et l'Iran, même depuis l'accession au pouvoir du Président Khatami, n'a pas désarmé ce réflexe de suspicion chez ses voisins ni dans la communauté internationale.

De fait, parallèlement à un discours pacifique, l'Iran ne manque pas une occasion de faire valoir le " danger " constant, qu'à ses yeux, la seule existence d'Israël fait courir à la stabilité régionale. Il peut également rappeler qu'après l'agression de l'Irak, en 1980, s'en est suivie une guerre de huit ans, particulièrement dure et dont il subit encore les conséquences économiques et humaines. Qui pourrait, dans cette logique " d'encerclement ", complaisamment entretenue dans ses discours par la fraction dure du régime, lui contester, estime-t-elle, le droit de s'armer pour assurer sa défense ?

Le changement de majorité politique, par ailleurs positif, intervenu depuis trois ans, reste d'ailleurs sans véritable influence sur les outils diplomatiques et militaires du régime.

Certes, un Conseil suprême de sécurité nationale est chargé de définir la politique étrangère et la politique de défense et supervise les forces armées. Ce Conseil veille plus particulièrement à l'intégrité territoriale, à la souveraineté de l'état et coordonne les activités de renseignement. Il est présidé par le Président de la République et comprend également le chef du pouvoir judiciaire, le président du Parlement, les ministres de renseignement, des affaires étrangères, de l'intérieur, le chef d'état-major des armées, le responsable de la planification et du budget et deux représentants du Guide.

Cependant, la politique étrangère reste l'un des domaines d'action privilégiés du Guide de la Révolution et c'est de lui que dépendent les forces armées régulières et les milices paramilitaires, " gardiens de la Révolution " ou Pasdaran.

1. Une capacité conventionnelle vieillissante

Sur le plan des armements conventionnels, la menace iranienne peut être relativisée. Certes, les forces armées sont quantitativement significatives : fortes de 400 000 hommes, elles sont équipées de plus d'un millier de chars, de près de 300 avions de combat, de quelque 70 bâtiments armés et de 3 sous-marins d'origine russe. Toutefois, cet équipement, mal entretenu, est vieillissant. La plupart de ses éléments, d'origine occidentale, et notamment américaine, ne peuvent être réparés ou remplacés et les matériels russes ou chinois -MIG 29, SU 24, vedettes chinoises, sous-marins Kilo- n'ont qu'une incidence marginale sur l'efficacité de l'armée iranienne. D'une façon générale, les difficultés financières du pays compliquent tout effort de modernisation et l'Iran est sans doute, dans la région, le pays qui dépense -par tête d'habitant- le moins pour son armée. En cas de conflit ouvert, les forces iraniennes seraient sans doute mises rapidement en difficulté, ce dont les responsables du pays sont conscients.

L'armée est par ailleurs une institution -là encore- divisée : initialement soupçonné par les initiateurs de la révolution islamique d'être idéologiquement peu fiable, l'appareil militaire a été doublé par la mise en place, dès 1979, du corps des gardiens de la Révolution (Pasdaran), sous la forme d'une organisation paramilitaire islamique, destinée à combattre les partisans de l'ancien régime. Les Pasdaran ont joué un rôle important pour la consolidation du régime et les tentatives d'exportation de la révolution, notamment par leur présence au Liban.

L'armée régulière est l'objet d'une étroite surveillance politique : les militaires doivent se tenir à l'écart du débat politique et il leur est interdit d'être affiliés à des groupes politiques ou de se présenter à des fonctions électives. Les militaires bénéficient de revenus et d'avantages matériels très limités, à la différence des Pasdaran qui exercent diverses activités à caractère économique.

Il reste que si la guerre contre l'Irak et la résistance dont les forces iraniennes ont alors fait preuve, ou les " martyrs " qu'elle a entraînés, confèrent à l'armée une place éminente, elle est loin d'avoir, comme en Turquie, une place prépondérante dans la nation.

2. L'Iran et les armes non conventionnelles

Cette relative faiblesse dans le domaine des armements conventionnels incite l'Iran à développer certaines capacités dans le domaine des armes non conventionnelles, dont les arsenaux ne relèvent d'ailleurs pas de l'armée régulière mais des gardiens de la Révolution.

Sur le plan nucléaire, l'Iran a développé, depuis quelques années, diverses infrastructures. Le réacteur de la centrale de Busher pourrait être finalement construit, grâce à l'assistance russe, et permettre une meilleure formation des chercheurs. Même si l'accès à la matière n'est pas encore possible, les risques de détournement de programmes " civils " à des fins militaires ne sont pas nuls. La Chine et la Russie sont régulièrement suspectés de porter assistance à l'Iran dans ce domaine. Il reste que l'Iran est signataire du TNP et du traité d'interdiction complète des essais nucléaires...

Dans le domaine chimique, l'Iran est aujourd'hui presque autonome pour la production d'agents chimiques ou biologiques. Aucune preuve ne permet d'étayer l'existence d'un programme militaire dans ce secteur mais les soupçons demeurent, bien que Téhéran ait signé la convention de 1997 sur l'interdiction des armes chimiques.

C'est sans doute dans le domaine balistique que la " menace " pourrait être la plus claire. L'Iran dispose de missiles SCUD B (300 km) et SCUD C (600 km). Il a effectué en juillet 1998 un essai en vol de 800 km d'un missile Shahab-3 (1 300 km de portée), dérivé du NO-DONG nord-coréen. L'Iran reconnaît d'ailleurs développer un programme " tous azimuts ", mais prétend ne bénéficier pour ce faire d'aucune aide extérieure, ce qui est peu crédible, et l'implication de sociétés russes pourrait accélérer le développement des programmes.

C'est pour contrer ces développements que le Congrès des Etats-Unis a récemment voté l'" Iran non proliferation act ", loi édictant des sanctions à effet extra-territorial, destinée à enrayer la vente des technologies et de matériels proliférants russes vers l'Iran. On sait enfin que l'Iran fait partie des Etats dont la menace balistique potentielle, justifie, aux yeux des Etats-Unis, le développement du programme de défense anti-missiles.

* 1 " L'Iran au XXe siècle, Jean-Pierre Digard, Bernard Hourcade et Yann Richad (Fayard 1998)

* 2 Farhad Khosrotchavar, Olivier Roy, " Comment sortir d'une révolution islamique " - Seuil, 1999.

* 3 Ibid, p. 81

* 4 Le samedi 1 er juillet 2000, le Tribunal révolutionnaire de Chiraz a condamné dix juifs iraniens et deux musulmans à des peines allant de 2 à 13 ans de prison et a acquitté cinq juifs et deux musulmans.

* 5 Nasser Etamadi, Relations internationales, hiver1999-2000

* 6 L'essence est vendue sur le marché domestique au quart de son prix de revient.

* 7 Cf note p. 8.

* 8 La population croît de 1,5 % par an, la population active de 3,7 % par an.

* 9 Actuellement, la production évolue entre 3,5 et 3,7 millions de barils par jour, qui ne permet à l'Iran d'exporter que 2,2 millions de barils par jour, compte tenu de la forte consommation intérieure, encouragée par le système des subventions.

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