OBSERVATIONS DE VOTRE DÉLÉGATION

Au terme de cette brève analyse, vos rapporteurs peuvent formuler trois observations :

- La première observation concerne l'ambivalence du système iranien , à un double niveau :

. à l' échelon des institutions , tout d'abord, entre les deux légitimités, théocratique et démocratique, qui se concurrencent ou s'opposent sur les terrains politiques et économiques, conduisant au blocage des réformes et au maintien du statu quo ;

. dans la société elle-même ensuite, qui voit cohabiter une liberté de presse, inconcevable dans un quelconque régime autoritaire, avec des pratiques judiciaires et policières qui méconnaissent les droits de l'homme élémentaires ; où les femmes tiennent, plus peut-être qu'avant la Révolution, un rôle politique, économique et social important, en tant que telles et dans le cadre d'organisations spécifiques, mais dont le statut juridique les cantonne encore à l'état de mineur en leur imposant, dans de nombreuses situations, la tutelle de leur mari ou d'un proche ; une société où les codes vestimentaires et les interdits moraux font l'objet d'une vigilance institutionnalisée, à travers les bassidjis, mais où la liberté de moeurs d'une population jeune tend à s'épanouir dans un espace privé, davantage préservé qu'auparavant, et qui peut-être, tôt ou tard, ne s'y limitera plus.

Cette ambivalence témoigne du décalage croissant entre le mouvement constant qui anime la société iranienne, sa profonde évolution depuis plusieurs années et, en dépit de l'alternance politique, l'immobilisme apparent du système, que traduisent le maintien d'un cadre économique dépassé et la paralysie institutionnelle qui interdit toute véritable réforme. Pour les membres de votre délégation, si un mouvement en profondeur est perceptible dans l'Iran d'aujourd'hui, le changement véritable est encore à venir.

- La deuxième observation porte sur la transition politique elle-même, dont l'élection du nouveau Madjlis a confirmé le caractère irréversible. Désormais, M. Khatami dispose d'une double légitimité démocratique : la sienne et celle des députés qui, très majoritairement, le soutiennent. Ceux-ci constituent d'ailleurs une nouvelle population : 70 % des élus du nouveau Madjlis le sont pour la première fois, et l'effectif des membres du clergé y a notablement diminué.

Au surplus, pour un pays qui n'avait quasiment pas de tradition démocratique, les calendriers électoraux sont respectés et la liberté de la presse iranienne, acquis essentiel des trois années de la présidence de M. Khatami, a permis d'ouvrir un débat, politique, culturel, intellectuel qui, malgré les vicissitudes, anime et conforte la transition politique.

Celle-ci apparaît, enfin et surtout, irréversible, en ce qu'elle s'appuie sur un élément essentiel : cette jeunesse iranienne, citadine et instruite qui, dans un pays où l'on vote à partir de 16 ans et où 70 % de la population a moins de 25 ans, a porté la nouvelle majorité aux responsabilités.

Son objectif n'est pas de renverser le régime mais, plus simplement, de trouver un travail, de vivre plus librement cette jeunesse-même, de voyager, de se " connecter ", par Internet ou, à terme, la télévision par satellite, aux cultures extérieures, sans renier sa propre identité, nationale et religieuse. C'est à cette ambition et à cette réalité là que la République islamique se doit, sans trop tarder, de répondre.

- La troisième observation concerne le nouveau cours de la diplomatie iranienne . Fondée sur un nationalisme régional respectueux des frontières et soucieuse de coopération et de relation de bon voisinage, sur une ambition internationale orientée vers " le dialogue des civilisations ", elle peut être une chance, et pour l'Iran et pour la communauté internationale. En effet, cette diplomatie suppose l'insertion progressive de l'Iran dans les cadres internationaux appropriés, que ce pays ne peut réussir qu'en renonçant à ses dogmes intransigeants de politique internationale, qui le cantonnent encore dans une certaine marginalisation.

L'évolution, que chacun souhaite positive, du processus de paix au Proche-Orient et l'attitude que pourra adopter l'Iran à son égard seront déterminantes. C'est finalement sur ce dossier que la diplomatie iranienne est restée jusqu'à présent la plus crispée. Un changement de discours, plus ouvert, moins agressif, entraînerait des réactions positives en cascade, notamment de la part des Etats-Unis, qui pourraient aller au-delà des avancées timides effectuées jusqu'à présent à l'égard des nouveaux responsables iraniens et favoriser ainsi une nouvelle étape de la réinsertion de l'Iran au sein de la communauté des Etats.

Cette réinsertion, la France et l'Europe ont tout intérêt à l'encourager, ce qui conférera d'ailleurs, le cas échéant, d'autant plus de force aux messages de mise en garde qu'elles peuvent être conduites à délivrer à l'Iran dans certains domaines comme celui des droits de l'homme : leur réaction au procès des 13 juifs iraniens de Chiraz, dont le fait générateur et l'équité auront été, c'est le moins que l'on puisse dire, sujets à caution, en constitue un exemple.

Entre certaines crispations internationales qui demeurent en Iran et la volonté de dialogue et d'entente qui se développe, quelle tendance l'emportera ? Pourquoi ne pas se référer à un discours prononcé par le Président Khatami : " Le dialogue est souhaitable dans la mesure où il repose sur le libre arbitre (...). Nul ne peut imposer une idée à autrui et chacun est tenu de respecter l'identité de son interlocuteur, son intégrité idéologique et cultuelle propre. C'est à ces conditions (...) que la discussion pourra être le prélude à l'avènement de la paix, de la sécurité et de la justice. Qui serait mieux placé que l'Iran pour engager ce dialogue ? Avec pour voisin l'Europe à sa frontière occidentale, et l'Orient à sa frontière orientale, l'Iran se situe au carrefour des cultures de l'Orient et de l'Occident ".

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