M. Jean-Jacques Mirassou. Et voilà, jolie démonstration !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Il faut choisir !

Vous m’avez adressé d’autres critiques concernant l’ISF, les prélèvements obligatoires, les aides à l’emploi. Dans l’urgence, il est impossible de procéder aux suppressions d’emplois que vous appelez de vos vœux : cela ne peut se faire, vous le savez, qu’en début d’année, dans le cadre d’un projet de loi de finances initiale, certainement pas dans celui d’un projet de loi de finances rectificative.

Toutefois, je le répète, il y aura bien, l’an prochain, 2 317 suppressions de postes au sein de l’appareil d’État et 1 303 chez les opérateurs. J’espère que ces éléments au moins sont de nature à vous rassurer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Louis Carrère. Très bien, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault, pour la réplique.

M. Serge Dassault. Monsieur le ministre, cher ami, pourrais-je même dire (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.), ce n’est pas parce qu’une mauvaise politique a été menée dans le passé qu’il faut continuer à en parler aujourd'hui : c’est vous qui êtes désormais au pouvoir, il vous revient de faire mieux.

Les taux d’intérêt sont bas, certes, mais il ne faut pas croire au père Noël : ils vont malheureusement augmenter, parce que vous ne tiendrez pas l’objectif de 3 % de déficit en 2013.

M. Jean-Jacques Mirassou. Quelle obsession !

M. Serge Dassault. En effet, vous n’aurez pas les recettes nécessaires, tandis que vous devrez supporter des dépenses supplémentaires.

Donnons-nous rendez-vous dans quelques mois pour en reparler. Ce que je vous dis, c’est pour le bien de la France ! Nous sommes prêts à travailler avec vous pour son avenir ! (Mlle Sophie Joissains et M. Alain Richard applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier engagement de François Hollande en faveur des outre-mer, qui ont voté pour lui et pour sa majorité présidentielle beaucoup plus massivement que la France métropolitaine, portait sur la mise en place d’« une loi de programmation engageant l’État dans la durée et créant de la stabilité pour les opérateurs économiques ».

Cet engagement reposait sur deux éléments : le lancement d’un programme d’investissements publics de 500 millions d’euros pour « rattraper le retard des outre-mer en matière d’équipements structurants » ; le maintien des mesures de défiscalisation et des plafonds spécifiques aux outre-mer, afin de préserver l’attractivité de ce dispositif essentiel pour le financement des économies ultramarines.

S’agissant des investissements publics, une première petite concrétisation de l’engagement va être apportée au travers du projet de loi de finances pour 2013, qui prévoit une première dotation de 50 millions d’euros sur les 500 millions d’euros annoncés pour tout le quinquennat.

S’agissant de la défiscalisation, en revanche, la situation est beaucoup plus trouble et incertaine, malgré l’arbitrage clair rendu par le Premier ministre, qui a décidé de maintenir inchangé, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, le plafond des dispositifs d’incitation fiscale pour les investissements réalisés outre-mer, à 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable du foyer fiscal.

En effet, certains, dont le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, souhaitent une diminution de ce plafond, du taux, voire une limitation du statu quo à un an, et ce dès le projet de loi de finances pour 2013, anticipant ainsi sur la mission que le Premier ministre vous a confiée, monsieur le ministre, ainsi qu’à M. le ministre des outre-mer, de travailler à améliorer le dispositif actuel.

Vous comprendrez que nous, élus ultramarins, soyons très inquiets et très agacés devant ces volte-face au sein de votre propre majorité. Il nous importe d’être fixés quant au respect des engagements pris. (M. Joël Guerriau applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Monsieur Patient, 2 milliards d’euros seront alloués à l’outre-mer en 2013, contre 1,9 milliard d’euros au titre de 2012 ; cette dotation augmentera de 100 millions d’euros supplémentaires en 2014, puis encore du même montant en 2015.

Il me semble donc que le Gouvernement envoie aux outre-mer un signal non pas de restriction budgétaire, mais de maintien de la solidarité du pays à leur égard.

Du reste, votre question portait moins sur les moyens budgétaires que sur les avantages fiscaux consentis à l’outre-mer, en particulier la défiscalisation des investissements, dont vous avez rappelé qu’elle est actuellement plafonnée à 18 000 euros plus 4 % du revenu fiscal de référence.

Cette niche fiscale offre une marge de manœuvre tout à fait importante aux investisseurs, notamment métropolitains, puisqu’un contribuable, en fonction de la taille de son foyer fiscal et de ses revenus, peut défiscaliser jusqu’à 250 000 euros en une année.

Ce dispositif, peut-être généreux aux yeux de certains, en tout cas très incitatif, permet à nos concitoyens les plus aisés d’investir outre-mer en défiscalisant une part notable de leurs revenus.

Le rendement de ce dispositif de défiscalisation, garanti par l’État, est compris entre 15 % et 20 % : il est peu d’investissements aussi rentables !

Dans le projet de loi de finances pour 2013, il n’est pas prévu que les niches fiscales en faveur de l’outre-mer soient concernées par le plafond de 10 000 euros par foyer fiscal ; le plafonnement demeurera donc au niveau fixé par l’ancienne majorité, à savoir 18 000 euros plus 4 % du revenu fiscal de référence.

Je vous confirme également que le Premier ministre a confié à Victorin Lurel et à moi-même la mission non pas d’abord d’améliorer le dispositif, mais de l’évaluer. En fonction de cette évaluation, nous pourrons proposer de le modifier si besoin est, dans l’intérêt des outre-mer.

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.

M. Georges Patient. Monsieur le ministre, nous vous avons bien entendu, et nous avons surtout bien « enregistré » que, conformément à l’arbitrage rendu par le Premier ministre, le plafond du dispositif serait maintenu, dans le projet de loi de finances pour 2013, à 18 000 euros plus 4 % du revenu fiscal de référence.

Nous comprenons fort bien l’objectif du Gouvernement d’améliorer le dispositif pour le rendre plus efficace, mais ce travail exige une concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, parlementaires comme opérateurs économiques.

En substance, il est hors de question de supprimer un dispositif qui draine des investissements vers la réalisation d’équipements productifs et la construction de logements sociaux sans prévoir de solution de remplacement dans nos territoires où le taux de chômage est deux fois, voire trois fois plus élevé que dans l’Hexagone.

M. Christian Eckert a reconnu lui-même qu’il n’était « pas pensable de convertir ces dépenses fiscales en crédits d’intervention à moins d’un miracle ». J’espère, monsieur le ministre, que vous êtes en mesure de lui donner tort, ou que vous vous y préparez !

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un niveau de dépenses publiques qui s’établit à 56 % de la richesse nationale, contre 46 % en Allemagne et 44 % en moyenne dans les pays de l’OCDE, la France est aujourd’hui au bord de l’asphyxie.

Si ce constat objectif est partagé sur toutes les travées de notre assemblée, les solutions proposées pour réduire le poids de la dépense publique, manifestement excessif et handicapant pour la réussite et le développement de notre pays, diffèrent grandement selon nos sensibilités politiques.

Pendant les six premiers mois du nouveau quinquennat, vous avez privilégié sans ambiguïté le recours à la fiscalité : augmentations d’impôts, taxes nouvelles, suppressions d’exonérations de charges, recrutements nouveaux dans la fonction publique, toutes mesures qui pèsent sur les acteurs économiques et sur les ménages.

Vous avez provoqué une avalanche fiscale, qui agit comme un garrot sur notre économie, la privant de ses forces d’initiative et de création de richesses.

M. Jean-Louis Carrère. Répétition n’est pas vérité !

M. Jean-François Husson. Vous avez aveuglément engagé notre pays dans une cure d’austérité et de rigueur dont je crains malheureusement qu’elle ne finisse par nous plonger dans la récession.

M. Jean-Louis Carrère. Vous avez déjà mis la France en récession !

M. Jean-François Husson. Pendant six mois, vous avez obstinément refusé d’œuvrer à la réduction de la dépense publique ; c’est pourtant un levier d’action incontournable pour retrouver nos capacités de développement et de création d’emplois.

L’urgence est là. L’urgence, c’est l’emploi, aujourd’hui et demain, le moteur de l’emploi restant la croissance économique.

Nous avons le devoir d’offrir les meilleures conditions de développement et de compétitivité à notre pays et à ses entreprises.

À ce propos, M. Gallois vient de remettre au Premier ministre un rapport éclairant. Dès le lendemain, par une volte-face qui laisse pantois, le Gouvernement a annoncé des mesures nouvelles, répondant à de nouveaux objectifs et visant à desserrer l’étau des charges qui nuit à la compétitivité de nos entreprises.

Monsieur le ministre, vous semblez avoir pris conscience de la gravité de la crise que nous traversons. Les Français sont déboussolés : ils ne perçoivent pas quel est le cap suivi par le Gouvernement.

M. Jean-Louis Carrère. Heureusement, vous les aidez à y voir plus clair !

M. Jean-François Husson. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir m’indiquer à quelle hauteur et dans quels délais vous entendez faire porter l’effort sur la réduction de la dépense publique, pour redonner à la France les meilleures chances de sortir de la grande dépression dans laquelle elle est aujourd’hui plongée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Le terme de dépression ayant une signification économique précise, il ne faudrait pas confondre l’état psychologique de certains avec la situation du pays… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Notre économie est non pas en dépression, mais en croissance. J’espère que cette croissance atteindra l’an prochain le taux annoncé par le Gouvernement ; j’observe d’ailleurs que cette prévision n’est pas contestée par les parlementaires de l’opposition, en tout cas à l’Assemblée nationale.

Monsieur Husson, vous avez commencé votre intervention en dénonçant l’évolution de la dépense publique. Il est vrai qu’elle a été préoccupante, puisque la dépense publique a augmenté de près de quatre points de PIB, soit 80 milliards d’euros, entre 2002 et 2012.

Autrement dit, ceux qui se plaignent aujourd’hui de l’augmentation de la dépense publique sont peut-être ceux-là mêmes qui l’ont fait progresser le plus vite au cours de notre histoire récente ; ce n’est pas le moindre des paradoxes de la situation politique actuelle !

De fait, pendant la mandature qui débute, l’augmentation annuelle de la dépense publique sera en moyenne de 0,7 % – et plutôt, à mon avis, de 0,6 %. Sa progression annuelle sera donc trois fois moins rapide qu’entre 2002 et 2007, et deux fois moins forte qu’entre 2007 et 2012. J’imagine que, à l’époque, vous avez dû avoir des mots très durs à l’égard du gouvernement responsable d’une telle dérive de la dépense publique !

Nous pouvons peut-être tomber d’accord sur ce constat : quand la dépense publique atteint de tels niveaux, il en résulte un assèchement des liquidités sur le marché, celles-ci s’investissant davantage dans l’action publique que dans le secteur productif, avec les conséquences que nous connaissons et que le rapport Gallois décrit parfaitement.

Le fait est qu’il n’y a pas de réquisitoire plus sévère contre la politique économique, budgétaire et industrielle menée ces dix dernières années que le rapport de M. Gallois. Je me réjouis que vous sembliez en reprendre les conclusions à votre compte…

Le bilan de cette politique est connu : 900 milliards d’euros de dette supplémentaire, un million de chômeurs de plus en cinq ans, un commerce extérieur qui, d’excédentaire en 2002, est devenu épouvantablement déficitaire dix ans plus tard – à hauteur de 73 milliards d’euros l’année dernière –, une compétitivité qui s’est effondrée avec le taux de marge de nos entreprises…

M. François-Noël Buffet. Vous oubliez la crise !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Vous avez formé le vœu que l’étau des charges se desserre autour des entreprises ; mais si cet étau existe, c’est bien que certains l’ont mis en place au cours des dix dernières années pour le moins : il n’est certainement pas apparu ces cinq derniers mois.

Vous pouvez douter que notre politique donne les résultats que nous espérons, mais vous ne pouvez pas douter de la sincérité de nos intentions. Si l’on en juge par son bilan, la politique qui a été menée ces dix dernières années n’est manifestement pas celle que vous appelez de vos vœux aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, vous avez parlé de paradoxes et de revirements. Pour ma part, j’en vois deux.

Que n’a-t-on pas entendu lorsque, hier, l’État proposait de maintenir les dotations aux collectivités territoriales, qui réalisent plus de 70 % des investissements publics ? Or voilà qu’aujourd’hui, ceux-là mêmes qui poussaient des cris d’orfraie acceptent, en baissant la tête, la diminution des concours de l’État aux collectivités territoriales… Un tel revirement ne laisse pas de me surprendre !

Le second paradoxe a trait à une question dont je regrette qu’elle n’ait pas été abordée au cours du débat de cet après-midi : celle du financement de notre système de protection sociale, qui constitue certainement une bombe à retardement. Le mode actuel de financement de la protection sociale repose trop fortement sur le travail ; inadapté, il doit être complètement réformé pour nous permettre de relever les défis de demain ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la dépense publique.

9

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Cambodge

M. le président. Mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Sénat du royaume du Cambodge, conduite par M. Kong Sareach, président de la commission des travaux publics.

Je veux aussi saluer la présence, au sein de cette délégation, de M. Chea Son, président de la commission des lois de cette assemblée.

Cette délégation est accueillie par notre collègue Vincent Eblé, président du groupe d’amitié France-Cambodge. Pendant une semaine, elle séjourne en France dans le cadre du programme annuel de coopération fixé par nos deux assemblées pour étudier la décentralisation à la française, notamment le rôle de notre Haute Assemblée en la matière.

Nous lui souhaitons la bienvenue et nous formons le vœu que cette visite lui soit profitable. (M. le ministre délégué, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

10

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des lois, la commission des finances et la commission des affaires sociales à présenter chacune quatre candidats, deux titulaires et deux suppléants.

Par ailleurs, j’invite la commission de la culture, la commission des affaires européennes, la commission des affaires économiques et la commission du développement durable à présenter chacune deux candidats, un titulaire et un suppléant.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

11

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

12

Article 1er (Texte non modifié par la commission) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc
Article 1er  (Texte non modifié par la commission)

Journée nationale en mémoire des victimes de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc

Suite de la discussion et adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Nous poursuivons l'examen de l'article 1er, sur lequel plusieurs orateurs ont déjà pris la parole.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article 1er (suite)

(Non modifié)

La République française institue une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l'article.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je tiens à exposer les raisons pour lesquelles je ne voterai pas cet article.

Monsieur le rapporteur, je constate que, cinquante ans après les faits, le débat sur la fin de la présence française en Algérie mérite à la fois du tact, de l’attention, de la compréhension et un effort d'approfondissement, que l'examen de cette proposition de loi permet en partie.

Le sujet est extrêmement difficile. J'en ai fait personnellement l’expérience en début d’année à Perpignan, où j’ai été sifflé devant le Cercle algérianiste, association qui réunit, pour l'essentiel, des Français d'origine pied-noir, parce que j'avais évoqué la réconciliation franco-allemande, symbolisée par les rencontres entre Adenauer et le général de Gaulle ou entre Mitterrand et Kohl. Manifestement, j'étais, aux yeux des membres de cette association, en avance sur mon temps.

Parallèlement, monsieur le ministre, en recourant à un autre mode d’expression que moi, mais je reconnais que les mots valent plus que les gestes et que la phrase prime sur l'humeur, vous avez vous aussi récusé l'idée d'une repentance généralisée, ce dont beaucoup dans cette enceinte, en particulier parmi les membres de l’opposition, vous savent gré.

Monsieur le rapporteur, je reviens sur les raisons qui vous ont conduit à défendre ce texte. Il s’agit de rendre hommage à ces générations d'appelés du contingent qui, vous l’avez rappelé avec passion et ferveur en commission, ont ressenti le 19 mars 1962 comme marquant la fin d'une période d'interrogations qui, depuis plusieurs années déjà, laissait en suspens leur avenir, tant la République a eu du mal à régler le conflit algérien.

M. Gérard Longuet. Par parenthèse, je ferai remarquer que traiter dans un même texte des combats en Tunisie et au Maroc et de la guerre d’Algérie n’est pas tout à fait pertinent, même si les souffrances sont identiques. En effet, la IVe République, que l’on dénigre en général volontiers, avait su décoloniser la Tunisie et le Maroc, mais il est vrai qu'il s'agissait précisément de colonies, et non pas de départements français.

Monsieur le rapporteur, vous avez donc rappelé avec passion ce que fut, pour les appelés du contingent, pour leurs familles, mais aussi peut-être pour les jeunes qui s'apprêtaient à partir à leur tour, le 19 mars 1962.

Mes collègues de l'UMP et l’UDI-UC ont expliqué pourquoi, si nous reconnaissons aux appelés du contingent le droit de revendiquer le 19 mars comme une date majeure dans leur engagement, nous demandons que l’on n’en fasse pas un événement pour la France tout entière, sanctionnant en quelque sorte la fin de la présence de notre pays en Algérie.

En tant qu'ancien ministre de la défense, je puis attester que, pour les militaires, appelés ou de carrière, qui servaient en Algérie, le 19 mars 1962 est la date à compter de laquelle ils ont été obligés de choisir entre l’observation de la discipline et le respect de la parole donnée aux compagnons qui s’étaient engagés avec eux. Ce fut un déchirement pour l'immense majorité de ces militaires, qui a conduit bon nombre d’entre eux à sacrifier leur carrière.

Pour avoir été l’ami de Pierre Messmer, je puis vous dire que ce jour a marqué pour lui une véritable souffrance. Si ce formidable combattant du XXe siècle, au service de la liberté et d'idéaux que nous partageons tous ici, eut un regret, ce fut celui d'avoir donné l'ordre d'abandonner ceux qui avaient accompagné l'armée française. En réalité, personne ne croyait, au printemps 1962, que le départ serait irréversible et que l'autorité de l'État ne pourrait pas s’exercer. C'est pourtant ce qui advint…

C'est la raison pour laquelle le 19 mars 1962 reste, pour l'armée française, une déchirure, conséquence tragique de la primauté de la discipline sur la parole donnée.

Une autre raison me conduit à m’opposer à cet article.

Aujourd'hui, notre pays est riche de sa diversité. Il est riche de ses anciens combattants d'Afrique du Nord, dont nous avons tous évoqué l'engagement au sein de leurs associations. Il est riche de ses pieds-noirs qui ont réussi en métropole. Il est riche, enfin, du regard que nos compatriotes portent sur la formidable œuvre accomplie en terre d'Afrique, en particulier la libération du 15 août 1944.

Mais aujourd'hui, la France compte une catégorie nouvelle de citoyens, qui n’existait pas en 1962 et à laquelle il importe d'apporter une réponse : celle des Français d'origine algérienne, qui sont nos concitoyens, nos frères, mais qui ont une autre histoire. Dans quelques années, un fossé ne risque-t-il pas de se creuser entre nos compatriotes, à propos du 19 mars, en fonction de leur origine ?

M. Jean-Louis Carrère. Vous avez dépassé votre temps de parole d'une minute trente. Vous n'êtes plus ministre, ça suffit !

M. Gérard Longuet. Pour les uns, cette date symboliserait une souffrance ; pour les autres, elle renverrait à la célébration d’une victoire en Algérie.

M. Jean-Louis Carrère. Respectez votre temps de parole !

M. Gérard Longuet. Mes chers collègues, je vous demande d’y réfléchir. Au nom de la sauvegarde de la cohésion de notre pays dans l’avenir, je vous invite instamment à refuser que le 19 mars devienne un jour de commémoration nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, je vous demande de faire respecter les temps de parole !

M. le président. Monsieur Carrère, le sujet est trop grave pour que nous nous comportions en experts-comptables ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

La parole est à M. Jacques Legendre, sur l'article.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est passionné, douloureux même, parce qu'il porte sur des événements encore présents à nos mémoires.

En ce qui me concerne, je dois au cessez-le-feu du 19 mars 1962 de ne pas être parti en Algérie, alors que j'étais sursitaire. La paix en Algérie a évité à toute une génération de connaître les souffrances que celles qui l’ont précédée ont dû affronter à l’appel du Gouvernement de la République.

M. Jacques Legendre. Je comprends tout à fait le désir de ceux qui ont vécu ces événements d’avoir l’occasion de témoigner des épreuves qu’ils ont traversées et de se retrouver entre eux.

Certaines des nombreuses associations qui les représentent ont fait le choix du 19 mars pour commémorer ces événements. C’est leur droit.

D’autres, qui rejettent cette date, se sont majoritairement mises d’accord sur celle du 5 décembre.

Il s’agit là de choix faits par des associations, qui n’engagent qu’elles. Ce qui nous est demandé aujourd’hui, c’est autre chose : choisir une date pour la commémoration par la nation. Ce fait même me paraît exclure que nous retenions le 19 mars, car la France, que je sache, ne commémore pas ses défaites.

À propos de la guerre d’Algérie, il faut reconnaître deux choses : l’armée française, grâce au courage de ses soldats, avait gagné cette guerre sur le plan militaire, mais nous l’avions perdue sur le plan diplomatique. Isolés dans le concert des nations, nous étions également en train de perdre la guerre sur le seul plan qui compte, celui du cœur : la population algérienne prenait conscience, progressivement, qu’elle était en train de se constituer en une nation. Nous n’aurions donc pu nous maintenir là-bas que par la force des armes, ce qui ne correspond pas, je le pense, à l’esprit de la République.

M. Jean-Louis Carrère. Qu’est-ce que tout cela a à voir avec le 19 mars ?

M. Jacques Legendre. Mes chers collègues, le général de Gaulle a eu, à l’époque, le courage de nous engager, au péril de sa vie, dans la voie de la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie. Ce ne fut pas sans déchirement ni deuil, car, sur cette terre, il y avait des Algériens d’origine, des Français nés sur place qui souhaitaient rester Français. Toutefois, tel n’était pas le vœu de la majorité.

Cela étant, devons-nous célébrer avec éclat, au nom de la nation, le jour de ce déchirement ? Célébrons-nous d’autres armistices ayant pu eux aussi, sur le moment, être ressentis comme un soulagement ? À qui viendrait à l’esprit de célébrer le 23 juin 1940 ? Les Français étaient sur les routes, notre armée était dispersée ; elle se battait encore, souvent avec courage, mais je ne suis pas sûr que, ce jour-là, la majorité des Français n’aient pas accueilli, en leur for intérieur, avec soulagement l’arrêt des hostilités. Pour autant, ce n’est pas une date que nous voudrions célébrer !

M. Guy Fischer. C’était autre chose !

M. Jacques Legendre. Il me semble raisonnable de laisser aux associations représentant les anciens combattants d’Algérie la liberté de choisir la date de commémoration qui leur convient, mais la France ne saurait retenir celle qui est considérée de l’autre côté de la Méditerranée, par nos adversaires de l’époque, comme la date de leur victoire. Voilà pourquoi je déplore profondément la tenue de ce débat, dont il eût été sage de faire l’économie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)