M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je souhaite formuler deux remarques à ce stade.

Tout d'abord, le sujet des complémentaires de santé nous montre combien il est complexe d’examiner un dispositif qui se trouve à cheval sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et sur le projet de loi de finances.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous ne pouvons avoir qu’une vision partielle du sujet, de même que nous n’en avions qu’une vision partielle lorsque nous avons débattu du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Il est un élément du débat dont nous n’avons pas parlé : la question de la désignation des organismes gestionnaires des complémentaires de santé, qui, sauf erreur de ma part, a été de nouveau traitée par l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Mes chers collègues, vous vous souvenez sans doute que le dispositif initialement proposé par le Gouvernement comportait une clause de désignation,…

M. Francis Delattre. Sanctionnée par le Conseil constitutionnel !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … qui, en effet, n’avait pas résisté à l’examen du Conseil constitutionnel, devant lequel elle avait été déférée.

Un dispositif de portée analogue a donc été proposé et, si je ne m’abuse – je parle de mémoire –, l’Assemblée nationale a modifié cette clause de désignation.

Mme Catherine Procaccia. Via un amendement du Gouvernement !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Merci, ma chère collègue. Pour le suivre avec précision, vous connaissez ce sujet bien mieux que moi.

L’Assemblée nationale a donc remplacé la clause de désignation par une incitation fiscale.

M. Roger Karoutchi. Une nouvelle niche !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, il serait peut-être bon que vous nous fassiez le point sur ce sujet et que vous nous disiez si ce processus un peu complexe ne dissimule pas tout simplement la création d’une nouvelle niche fiscale ou sociale, au moment où nous nous échinons tous, avec une volonté…

Mme Michèle André. Variable ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … qui n’est peut-être pas encore assez ferme, il est vrai, à éliminer de telles niches.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-75, I-364 et I-454.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article 5 est supprimé.

Article 5
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2014
Articles additionnels après l'article 6

Article 6

Le 2° ter de l’article 81 du code général des impôts est abrogé.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, sur l’article.

M. Philippe Dallier. Après la remise en cause du quotient familial, nous voilà arrivés à l’article 6, qui vise, dans le même esprit, à supprimer l’exonération d’impôt sur le revenu des majorations de retraite ou de pension pour charges de famille.

Ces majorations, qui sont variables d’un régime de retraite à l’autre, peuvent représenter, chers collègues de la majorité, jusqu’à 30 % d’une pension. De plus, en les fiscalisant, vous avez fait le choix de les imposer non pas au taux moyen, mais au taux marginal de l’impôt sur le revenu : tant qu’à faire, allons jusqu’au bout de l’injustice – car nous considérons qu’il y a là une véritable injustice.

Avez-vous seulement mesuré les conséquences sociales d’une telle mesure ? Certaines mères de famille qui ont fait le choix d’arrêter de travailler pour élever leurs enfants seront de nouveau pénalisées par cette mesure, qui compte actuellement 5,4 millions de bénéficiaires, dont 1,8 million qui ne paie pas d’impôt sur le revenu.

Combien de personnes demain tomberont-elles sous le coup de cet impôt ? C’est la question que l’on peut se poser. Car, nous l’avons répété à de nombreuses reprises au cours de ce débat, outre l’impôt sur le revenu, c’est la taxe d’habitation et la redevance audiovisuelle qui pourraient être dues par un plus grand nombre de personnes.

Nous pensons donc que ce matraquage fiscal des retraités est indigne, tout particulièrement avec cette mesure, et qu’il faut nous y opposer.

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.

L'amendement n° I-25 rectifié bis est présenté par MM. Adnot et Bernard-Reymond.

L'amendement n° I-76 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° I-365 est présenté par M. de Montgolfier et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.

L'amendement n° I-455 est présenté par MM. Delahaye, Maurey et Guerriau, Mme Létard et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

L'amendement n° I-25 rectifié bis n’est pas soutenu.

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour présenter l'amendement n° I-76.

Mme Marie-France Beaufils. Dans un souci d’égalité de traitement entre les contribuables, le Gouvernement nous propose de nous attaquer ici, après le quotient familial et l’exonération des contributions des employeurs au financement de la complémentaire santé, à une nouvelle mesure de caractère universel, à savoir la majoration de pension de retraite dévolue aux contribuables ayant élevé trois enfants au moins.

J’ai lu, bien évidemment, l’argumentaire de notre rapporteur général en faveur de cette mesure, et je voudrais formuler une première remarque sur ses appréciations : alors même qu’elle est censée rapporter de l’argent pour équilibrer les comptes des caisses de retraite, j’observe que le transfert des sommes à l’assurance vieillesse attendra 2015. Et pour 2014, si j’ai bien compris – M. le rapporteur général nous corrigera en cas d’erreur – c’est un virement au compte de l’État pour solder le déficit budgétaire qui est prévu.

Parlons maintenant du niveau de vie des retraités, puisque la pension moyenne est passée, en sept ans, de 1 029 à 1 256 euros, comme l’indique le rapport général. Cette évolution, qui touche les personnes parties en retraite entre 2004 et 2011 – c’est-à-dire les salariés nés entre 1942 et 1951 environ, qui n’ont pas connu, comme peuvent en souffrir les jeunes d’aujourd’hui, le chômage, la précarité du travail et les mauvaises conditions de rémunération – me semble normale.

Les différentes réformes des retraites, à commencer par la réforme Balladur de 1993, qui a été la première à remettre en cause cette évolution, avec la désindexation des retraites et des salaires, puis les réformes Fillon I de 2003 et Fillon II de 2010, ont toutes tendu à comprimer le montant des pensions des classes de population nombreuses, très expérimentées, qui ont quitté le monde du travail au début du XXIe siècle pour un repos bien mérité.

Les femmes nées entre 1942 et 1951 ont été les pionnières de l’essor de l’emploi féminin et des grandes conquêtes sociales des années soixante et soixante-dix, qui ont permis aux femmes de s’imposer progressivement dans le monde du travail, dans l’économie et dans la société.

Le problème, aujourd’hui, ce n’est pas que le niveau des retraites ait progressé plus vite que celui des salaires, mais bien plutôt que les salaires soient aussi bas. Quand on sait, par exemple, que certains organismes, y compris, malheureusement, gouvernementaux, recrutent aujourd’hui des bac + 2, des bac + 3 voire des bac + 5 pour leur demander de travailler à temps partiel avec une rémunération horaire égale au SMIC, on se dit que, effectivement, quelque chose ne va pas !

Les politiques d’allégement du coût du travail, lancées à grande échelle à l’automne 1993 – soit quelques mois après la réforme des retraites – avec la loi quinquennale sur le travail, l’emploi et la formation professionnelle n’ont jamais cessé de gagner en vigueur depuis.

À l’époque, on dépensait l’équivalent d’un milliard d’euros pour alléger les supposées « charges » des entreprises. Aujourd’hui, cette dépense fiscale atteint près de 30 milliards d’euros et le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ne fera que l’alourdir.

Voilà une dépense publique sur laquelle, apparemment, on n’a pas été très regardant, et qui pourtant, au vu du nombre de personnes inscrites à Pôle Emploi, ne semble pas avoir été d’une grande efficacité dans la lutte contre le chômage de masse !

Rendre imposable un plus grand nombre de retraités, voilà, semble-t-il, l’objectif de cet article. À notre avis, l’augmentation des tranches du barème de l’impôt sur le revenu et des taux de prélèvement rapporterait autant et serait plus juste.

J’ajoute que, si l’on diminue les ressources des nombreux retraités qui aident financièrement des enfants qu’ils ont contribué à élever, ces derniers risquent de se retrouver dans des situations difficiles et de revenir vers nous pour obtenir des mesures d’accompagnement social.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour présenter l'amendement n° I-365.

M. Philippe Dallier. Il est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour présenter l'amendement n° I-455.

M. Vincent Delahaye. Dans le même esprit que tout à l'heure, il s’agit ici pour nous de nous opposer aux impôts supplémentaires qui figurent dans ce projet de budget, car nous souhaitons que les efforts d’économies du Gouvernement soient axés sur la dépense publique.

Le présent amendement vise donc à supprimer l’article 6 et à conserver l’exonération d’impôt sur le revenu des majorations de retraite ou de pension pour charges de famille.

En effet, le projet de loi du Gouvernement « garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » – une appellation que je ne trouve pas du tout adaptée ! – fait référence à une réflexion nationale sur l’évolution des droits familiaux, notamment des majorations de pension. Cependant, le Gouvernement n’envisage pas de réforme avant l’année 2020. Un simple rapport au Parlement a été envisagé.

Dans le même temps, et afin de financer cette réforme, l’article 6 du présent projet de loi prévoit de fiscaliser les majorations de pension pour parents de trois enfants et plus en les soumettant à l’impôt sur le revenu, et ce dès le 1er janvier 2014. Cette mesure n’est ni plus ni moins qu’une baisse déguisée des pensions de retraite et pénalisera immédiatement les familles.

De fait, tout en promettant une réforme nécessaire, mais dont la concrétisation s’annonce lointaine et incertaine, le Gouvernement s’apprête à pénaliser lourdement les familles nombreuses, et ce dès le 1er janvier 2014, par une mesure qui grèvera leur pouvoir d’achat à hauteur de 1,2 milliard d’euros.

Nous nous opposons fermement à cette double mesure, qui laissera les foyers dans l’incertitude la plus totale, tant que la refonte des droits familiaux n’aura pas été effectuée. Nous souhaitons que la fiscalisation éventuelle des majorations de pension soit faite concomitamment à la réforme des droits familiaux, et ce dès 2014.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, il est question ici d’une jolie niche fiscale. Or, j’ai entendu, comme certains d’entre vous sans doute, de beaux discours en commission des finances sur les 450 niches fiscales qui existent dans notre pays et sur la nécessité de résorber un certain nombre d’entre elles.

Je rappelle que la Cour des comptes et la Commission pour l’avenir des retraites, présidée par Yannick Moreau, ont toutes deux préconisé la suppression de cette dépense fiscale au motif qu’elle accroît, je cite, « le caractère anti-redistributif de ce droit familial de retraite qui est proportionnel au niveau de pension ». Voilà donc une niche fiscale qui est injustifiée,…

M. Vincent Delahaye. Pas du tout !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … aux dires mêmes des autorités compétentes, et que l’article 6 vise à supprimer.

J’ajoute que la mesure proposée dans l’article participe à la répartition équitable des efforts entre générations en vue de résorber les déficits du système de retraite ; cette préoccupation est également à l’arrière-plan de cette disposition. Je le répète, la suppression de cette dépense fiscale se justifie au regard de l’exigence d’équité entre retraités et entre générations.

Je suis donc bien sûr défavorable à ces amendements identiques et demande au Sénat de les rejeter.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. L’article 6 du projet de loi de finances pour 2014 a pour objet de soumettre à l’impôt sur le revenu, à compter de l’imposition des revenus de l’année 2013, les majorations de retraite ou de pension pour charges de famille, qui en sont actuellement exonérées.

Comme cela a été rappelé dans le rapport remis par la Commission pour l’avenir des retraites, cette majoration est doublement favorable aux titulaires des pensions les plus élevées, d’une part, parce qu’elle est proportionnelle à la pension, donc d’autant plus importante que la pension est élevée, et, d’autre part, parce qu’elle est exonérée de l’impôt sur le revenu, exonération qui procure un avantage croissant avec le revenu. En revanche, les retraités les plus modestes, non imposés, ne tirent quasiment pas de bénéfice de cette mesure.

La suppression de cette exonération paraît donc pleinement justifiée au regard des principes généraux de l’impôt sur le revenu et du caractère inéquitable de cette dépense fiscale. En outre, les dispositions de l’article garantissent que, à pension égale, les retraités supporteront un impôt égal.

Par ailleurs, le Gouvernement a pris en considération les préoccupations des contribuables les plus modestes du barème de l’impôt sur le revenu. À cet égard, je vous rappellerai ce que vous avez déjà voté et décidé ensemble.

Au-delà de l’indexation de 0,8 % du barème prévue à l’article 2, qui permet de revenir sur la décision de gel pour deux ans prise en 2011 par la précédente majorité, il est proposé de revaloriser de 5 % le montant de la décote applicable à l’impôt sur le revenu, en le portant de 480 euros à 508 euros, afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages modestes.

Ces mesures, dont le coût total est évalué à 893 millions d’euros, dont 193 millions d’euros au titre de la seule revalorisation de la décote, constituent un effort budgétaire important, qui montre, s’il en était besoin, la volonté du Gouvernement de tenir compte des préoccupations des contribuables modestes, tout particulièrement des retraités, ainsi que son attachement aux considérations de justice en matière fiscale.

À ces dispositifs s’ajoute, j’en ai déjà parlé, un effort de 450 millions d’euros au titre de la revalorisation du seuil du revenu fiscal de référence ouvrant droit à des avantages en matière de fiscalité et de prélèvements sociaux. Cette mesure sera particulièrement bénéfique aux retraités, beaucoup des avantages concernés étant, comme vous le savez, placés sous condition d’âge.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements identiques de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Je défendrai naturellement les amendements de suppression de cet article.

Tout d'abord, pour répondre à M. le rapporteur général, le terme de « niche » est désobligeant. Ce ne sont pas les contribuables qui ont inventé les niches, mais, je le répète, les gouvernements successifs qui, souhaitant inciter, orienter ou favoriser tel ou tel comportement, ont décidé d’offrir un avantage fiscal à ceux qui l'adopteraient. Une bonne fois pour toutes, je voudrais que l'on se rappelle que ces niches ont été voulues par des gouvernements et votées par des majorités.

En général, les gouvernements ne sont pas irresponsables : quand ils choisissent de défendre une mesure, qu’elle soit de gauche ou de droite, elle correspond à un projet de société. En l'occurrence, ce projet est parfaitement avouable, puisqu'il s'agit de soutenir la famille et la solidarité entre les générations.

Le dispositif de politique familiale qui en est résulté aurait certes pu être différent – une augmentation des retraites ou des taux des pensions de réversion, par exemple –, mais les gouvernements successifs, devant arbitrer entre différents coûts au service de ce projet, ont trouvé que l'avantage fiscal constituait dans l'immédiat la solution la moins onéreuse. À défaut, d'autres organismes auraient dû prendre en charge ce soutien.

Les défenseurs de ces mesures ont disparu, mais il reste Bercy, qui combat une dépense fiscale considérée comme perverse par nature ; le ministère des finances est d'ailleurs ici dans son rôle.

Toutefois, lorsqu'il y a dépense fiscale, c'est tout simplement qu’il n’y a ni politique salariale, ni politique de retraite, ni politique de taux mesurés de l'impôt sur le revenu et que, par conséquent, la seule compensation possible est la niche, qui a été acceptée parfois plusieurs décennies auparavant et dont on ne connaît pas toujours l'origine.

En l'espèce, avec la crise actuelle, les retraités qui ont eu de nombreux enfants – au moins trois – ont des charges de solidarité intergénérationnelle particulièrement fortes. Cela ne montre pas un repli, ni de l'égoïsme, mais au contraire une disponibilité en termes de service et d'accompagnement financier.

Sur le terrain, nous voyons tous que si les études supérieures peuvent être financées, si l'accès au logement est rendu possible, si des jeunes qui n’ont pas encore trouvé leur voie professionnelle et qui errent de contrats à durée déterminée en stages sont soutenus, c'est souvent grâce à la solidarité intergénérationnelle.

Chers collègues de la majorité, vous venez de créer un RSA pour les moins de vingt-cinq ans. Soit ! Mais pourquoi organiser cette dépense et pénaliser ceux qui, avec leur revenu, ont institué en quelque sorte une solidarité privée résultant de l'appui de la génération des grands-parents à celle des petits-enfants ? C'est une réalité vécue sur le terrain.

C'est pourquoi, avec conviction, je défends non pas une niche fiscale, mais la certitude que la solidarité intergénérationnelle dont la charge est assumée par les grands-parents mérite d'être reconnue et respectée. C'est une situation qui procure des économies à l’État, en évitant des dépenses publiques là où la famille pourvoit à différents besoins. Pourquoi, à cet instant, pénaliser cette dernière ?

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-76, I-365 et I-455.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article 6 est supprimé.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je rappelle aux membres de notre commission que nous devons nous réunir lors de la suspension de séance afin d’examiner le décret d'avance dont le Gouvernement vient de nous saisir ; sous réserve de ce qu’en dira M. le rapporteur général, cela ne devrait pas nous prendre un temps considérable.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale.

Dans la discussion des articles de la première partie, nous en sommes parvenus, au sein du titre Ier, à l’examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 6.

Article 6
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2014
Article 6 bis (nouveau)

Articles additionnels après l'article 6

M. le président. L'amendement n° I-52 rectifié, présenté par Mme Férat, M. Détraigne, Mme Morin-Desailly et MM. Deneux, Amoudry, Dubois et Delahaye, est ainsi libellé :

Après l’article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le premier alinéa du 1° du 5. de l'article 13 du code général des impôts est ainsi rédigé :

« 5.1° Pour l'application du 3 et par dérogation aux dispositions du présent code relatives à l'imposition des plus-values, le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire cédé isolément ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire cédé isolément, est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement qui relève des articles 8 à 8 ter, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé. »

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012, il a été adopté une disposition soumettant le prix de vente de tout usufruit temporaire au barème progressif de l’impôt sur le revenu.

L’objectif consistait à lutter contre les montages d’optimisation fiscale, notamment dans l’hypothèse d’une cession à titre onéreux et de manière isolée d’un usufruit temporaire. Par la suite, l’administration fiscale a précisé que toute personne redevable de l’impôt sur le revenu était concernée dès lors qu’elle cédait à titre onéreux un usufruit temporaire.

Or cette disposition s’applique à des situations qui ne sont pas constitutives de montages d’optimisation fiscale et n’étaient donc pas expressément visées par le législateur. Je pense surtout aux agriculteurs. En effet, une personne cédant la pleine propriété d’un bien immobilier, acquis en démembrement de propriété de deux personnes juridiques distinctes, se trouve soumise aux tranches les plus hautes de l’impôt sur le revenu. Pourtant, le vendeur n’est alors l’auteur d’aucun schéma d’optimisation fiscale, son intention étant de céder la pleine propriété d’un bien immobilier.

Aussi, certains entrepreneurs, qui ont fondé leur modèle économique sur ces acquisitions en démembrement de propriété, ne peuvent plus y recourir. Il convient donc de distinguer ce qui est optimisation et ce qui est cession ou transmission de biens très spécifiques. Il serait injuste d’assimiler à de l’optimisation fiscale des mécanismes de transmission de terrains agricoles propres à pérenniser des activités participant à l’aménagement et à l’animation économique de nos territoires.

Cet amendement tend ainsi à clarifier cette situation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. La commission est assez sensible à l'argumentation que vient de développer notre collègue Vincent Delahaye. Il est vrai que la cession à titre onéreux d'usufruit temporaire était, jusqu'en 2012, imposée dans la catégorie des plus-values, ce qui donnait lieu à des montages permettant d'échapper presque totalement à l'impôt. Cela a justifié que, pour rétablir la réalité économique des opérations et collecter l'impôt à son juste niveau, le Gouvernement ait décidé de soumettre le produit de cession de l'usufruit temporaire à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.

Évidemment, Vincent Delahaye l'a signalé à juste titre, il existe un risque d'effet pervers et, déjà, des conséquences fiscales ont pu être constatées sur des opérations qui ne relèvent pas de l'optimisation fiscale.

Monsieur Delahaye, votre amendement vise à limiter le dispositif actuel aux seules cessions d'usufruits temporaires effectuées de manière isolée, cela afin de recentrer le dispositif sur les cas d'optimisation fiscale, ce qui correspond bien à l'objectif initial de la disposition de 2012.

Cependant, il est délicat d'évaluer la portée d'une telle proposition ainsi que son coût pour les finances publiques. La commission des finances s'en remet donc à l'avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous proposez de restreindre le champ d'application des nouvelles modalités d'imposition des cessions d'usufruits temporaires aux seuls usufruits cédés isolément.

Tout d'abord, je comprends que votre amendement, qui tend à ne soumettre aux nouvelles modalités d'imposition des cessions d'usufruits temporaires que les usufruits cédés isolément, vise de facto à en exclure les cessions concomitantes de l'usufruit et de la nue-propriété. Or, sur ce point, je ne peux souscrire à votre proposition, qui est contraire à la lettre et à l'esprit de ce nouveau dispositif.

Peu importe, dans ce régime d'imposition, que le vendeur cède à la fois son usufruit temporaire et la nue-propriété à deux acquéreurs différents, sans avoir vocation à recouvrer son droit.

La cession entre dans le champ d'application des dispositions applicables aux cessions d'usufruits temporaires quelles que soient la qualité du cessionnaire ou la nature et l'affectation du bien sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé. Dès lors qu’il y a cession d'un usufruit temporaire et non viager, l'opération entre dans le champ de la mesure et elle est imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie à laquelle se rattache le revenu procuré – ou susceptible de l'être – par le bien ou le droit sur lequel porte cet usufruit.

Par ailleurs, vous évoquez le fait que ce dispositif serait contraire à l'intérêt économique des entrepreneurs qui acquièrent des biens en démembrement. Or je vous rappelle que ces modalités d'imposition des cessions d'usufruits temporaires ont pour objectif de rétablir la réalité économique de l'opération et de soumettre le revenu cédé sous forme d'usufruit temporaire, selon les modalités propres à sa catégorie, à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.

C'est justement pour lutter contre des montages de ce type, qui permettent d'optimiser la fiscalité applicable, que ces modalités d'imposition ont été mises en place. Or votre proposition permettrait de contourner ces nouvelles dispositions au profit des acquéreurs, véritables bénéficiaires de ce démembrement.

Monsieur Delahaye, je ne souhaite pas affaiblir la portée de ce dispositif. Sous le bénéfice de ces explications, je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.

M. Francis Delattre. C'est dommage !

M. le président. Monsieur Delahaye, l'amendement n° I-52 rectifié est-il maintenu ?

M. Vincent Delahaye. Je ne suis que cosignataire de cet amendement assez technique. L’explication de M. le ministre étant elle-même assez technique, il me faudrait davantage de temps pour y répondre sur le fond de manière pertinente.

Par conséquent, je retire cet amendement, monsieur le président.