compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Valérie Létard,

M. Jackie Pierre,

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 23 janvier a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’une ancienne sénatrice

M. le président. Mes chers collègues (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, se lèvent.), j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancienne collègue Hélène Missoffe, qui fut sénateur du Val-d’Oise de 1986 à 1995 après avoir été députée et secrétaire d’État.

J’ai ce matin accompagné à sa dernière demeure notre ancienne collègue.

3

Hommage aux victimes d’un accident sur une base aérienne

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons appris avec beaucoup d’émotion le drame qui s’est déroulé hier après-midi sur la base aérienne d’Albacete, en Espagne. Onze aviateurs, dont neuf de nos compatriotes, qui effectuaient un exercice aérien dans le cadre de l’OTAN, sont décédés après qu’un avion de combat grec s’est écrasé. Dans cet accident ont par ailleurs été blessées une vingtaine de personnes, dont cinq personnels mécaniciens français, gravement touchés. La majorité des victimes françaises étaient originaires de la base aérienne de Nancy-Ochey.

Au nom du Sénat tout entier, je veux assurer les familles endeuillées, mais aussi l’ensemble des personnels de l’armée de l’air de notre compassion sincère et leur présenter nos condoléances les plus attristées.

Nous tenons également à saluer le sens exemplaire du dévouement et l’abnégation de ces personnels, officiers et sous-officiers. Ils se préparaient pour les missions opérationnelles de l’armée de l’air, qui contribue, au Sahel ou en Irak, à la lutte contre les groupes terroristes et à la consolidation de notre sécurité.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous propose d’avoir en cet instant une pensée pour eux. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, observent un moment de recueillement.)

4

Élection d’un sénateur

M. le président. En application de l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, j’ai reçu de M. le ministre de l’intérieur une communication de laquelle il résulte que, à la suite des opérations électorales du dimanche 25 janvier 2015, M. Olivier Cigolotti a été proclamé élu sénateur de la Haute-Loire.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)

Je vois un président de groupe tout à fait réjoui ! (Sourires.)

5

Candidature à une commission sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Union des démocrates et indépendants-UC a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean Boyer, démissionnaire de son mandat de sénateur.

Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

6

Communications du Conseil constitutionnel

M. le président. Par lettres en date du 23 janvier 2015, M. le président du Conseil constitutionnel m’a communiqué le texte de trois décisions rendues le même jour par lesquelles le Conseil constitutionnel a rejeté trois requêtes présentées respectivement dans les départements de l’Hérault, du Rhône et de l’Yonne à la suite des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 septembre 2014.

Acte est donné de ces communications.

7

Décisions du Conseil constitutionnel relatives à deux questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 23 janvier 2015, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- la déchéance de nationalité (n° 2014-439 QPC) ;

- la récupération des charges locatives relatives aux énergies de réseaux (n° 2014-441/442/443 QPC).

Acte est donné de ces communications.

8

Intitulé du projet de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Nouvelle organisation territoriale de la République

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote sur l’ensemble et le vote par scrutin public sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (projet n° 636 [2013-2014], texte de la commission n° 175, rapport n° 174, avis nos 140, 150, 154, 157 et 184).

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons achevé, vendredi dernier, au terme de plus de soixante-dix heures de débats réparties sur dix jours, l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Nous avons ainsi travaillé, comme je l’avais souhaité dans mon allocution inaugurale du 21 octobre dernier, « sans excès de lenteur ni de vitesse » pour bâtir un texte exprimant la position du Sénat dans le dialogue qui va maintenant pouvoir s’ouvrir entre l’Assemblée nationale et le Gouvernement.

Ce résultat, nous le devons tout d’abord à la commission des lois, à ses rapporteurs, MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck – je sais que ce dernier aurait bien voulu être parmi nous pendant ces longs débats et nous formons pour lui des vœux de prompt rétablissement –, à son président, M. Philippe Bas, et à tous ses membres qui ont œuvré pour permettre à nos délibérations de produire un texte fruit d’un large consensus et des réflexions menées par notre assemblée sur un sujet au cœur de sa raison d’être, la représentation des collectivités territoriales.

Je remercie également tous ceux d’entre vous qui sont intervenus, mes chers collègues, ainsi que le Gouvernement, présent tout au long d’une discussion qui, parfois passionnée et exigeante, a laissé subsister un certain nombre d’attentes, n’en doutez pas.

Nos débats ont connu des moments de tension et de déception. Pour autant, nos échanges ont montré la volonté de construire un texte. En écho aux propos tenus vendredi soir par Jean-Jacques Hyest faisant la synthèse de nos travaux, je dirai que, loin d’avoir « détricoté » le projet de loi, comme on a pu le lire dans la presse, le Sénat l’a au contraire « retricoté », ordonné et enrichi.

J’avais exprimé le souhait, le 21 janvier dernier, que nous imaginions ensemble de nouveaux modes de votation. Nous y travaillons activement : le groupe de travail sur la gouvernance du Sénat et le groupe de réflexion sur nos méthodes de travail se réunissent régulièrement, et pas plus tard que ce matin autour de Roger Karoutchi et d’Alain Richard pour ce qui est du groupe de réflexion.

Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République est incontestablement l’un de ces textes importants qui méritent que nous manifestions solennellement nos choix.

La conférence des présidents a donc décidé de faire une première application des dispositions existantes, mais jamais utilisées, de l’Instruction générale du Bureau qui permettent d’organiser des scrutins publics en forme solennelle, en salle des conférences.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote sera autorisée par sénateur, conformément aux dispositions de la loi organique.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.

Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre dans la salle des conférences pour voter et je suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une heure.

Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de dix-sept heures, avant de donner la parole au Gouvernement, s’il souhaite s’exprimer. (M. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, le confirme.)

Et nous ne quitterons pas le sujet des collectivités locales, puisque nous aurons ensuite un débat sur l’évolution des finances locales !

Explications de vote sur l’ensemble

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à dix minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à M. Michel Mercier, pour le groupe UDI-UC.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier M. le rapporteur d’avoir conduit nos débats sur ce projet de loi pendant soixante-dix heures, en s’en tenant à la ligne claire affirmée dès le départ par la commission, et ce malgré les pressions, de quelques travées qu’elles viennent – il est parfois plus difficile de résister aux pressions d’amis politiques qu’à celles de membres d’autres groupes ! Je tiens donc à saluer le travail qu’il a accompli. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale applaudit également.) Ce travail avait été commencé avec notre collègue René Vandierendonck, qui n’a cependant pas pu participer à nos débats. Je sais qu’il le regrette et je pense qu’il regrettera encore plus quand il connaîtra les résultats du vote.

Les travaux que nous avons poursuivis tout au long de ces soixante-dix heures nous permettent de dire que le texte qui va être mis aux voix est plus cohérent et plus clair que celui qui a été soumis à notre assemblée, même s’ils nous laissent un goût d’inachevé.

Le texte issu de nos travaux est donc plus clair et plus cohérent que le projet de loi initial. En effet, le Sénat, suivant sur ce point le Gouvernement, a décidé de supprimer la clause de compétence générale de la région et du département.

Monsieur le secrétaire d’État, à force de reprendre la loi de 2010 que votre majorité a voulu mettre à bas dès son arrivée aux responsabilités, vous parviendrez à la rétablir en totalité, même si vous y passez tout le quinquennat ! Vous nous aurez seulement fait perdre cinq ans… (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. Michel Mercier. Si vous aviez bien voulu, dès le départ, ne pas détricoter ce qui était tout fait, et relevait du pur bon sens, nous vous en aurions été reconnaissants !

Si l’on veut clarifier le rôle de chaque collectivité territoriale et déterminer ses compétences, il faut bien sûr refuser de reconnaître aux régions et aux départements une clause de compétence générale qui, par nature, ne peut s’appliquer qu’à l’État et aux communes. S’appuyant sur cette base, le Sénat a essayé de développer une vision claire et cohérente de notre organisation territoriale.

La région est confirmée dans son rôle de leader des collectivités territoriales pour le développement économique. Le Sénat a su aller plus loin que la simple proclamation d’un principe en donnant à la région les moyens d’exercer cette compétence, en lui ouvrant en quelque sorte une porte sur les services de l’emploi. En effet, pour nos concitoyens, le développement économique est lié à l’emploi, car il doit leur permettre, le cas échéant, de trouver du travail. Si l’on refuse aux conseillers régionaux toute possibilité d’intervention auprès des services de l’emploi, c’est un marché de dupes que l’on propose à nos concitoyens.

De l’affirmation de ce principe découlent un certain nombre de conséquences que l’on trouve rassemblées dans le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, le SRDEII. Nous avons accepté le principe même de ce schéma, ainsi que son caractère prescriptif. Je pense que nous aurions pu le renforcer en supprimant un certain nombre de sous-schémas : par exemple, le tourisme, en tant qu’activité économique, aurait pu tout à fait être inclus dans le SRDEII. Quoi qu’il en soit, cette affirmation du rôle de la région représente un vrai progrès et nous ne reviendrons pas dessus !

Restait la question des départements. Le Sénat a fait le choix de la clarté,…

M. Charles Revet. Très bien !

M. Michel Mercier. … pour une raison relativement simple : le Gouvernement a convoqué les électeurs les 22 mars et 29 mars prochain, c’est-à-dire dans moins de deux mois, pour élire des conseillers départementaux avec un mode de scrutin que l’on peut qualifier, pour le moins, d’improbable.

Mme Nicole Bricq. Mais qui s’appliquera !

M. Michel Mercier. Ma chère collègue, vous êtes bien la seule à défendre ce mode de scrutin, et je vous en félicite, parce que d’autres que vous, bien que l’ayant voté, ne le soutiennent déjà plus ! Ils ont d’ailleurs tout à fait raison ! (Rires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Nicole Bricq. Il y a la parité, quand même !

M. Michel Mercier. Mais on ne peut pas convoquer les électeurs pour des élections départementales tout en essayant de supprimer le département ! Le respect dû aux électeurs devait nous conduire à affirmer le maintien du département. Les atermoiements du Gouvernement et du pouvoir exécutif sur cette question ont plutôt nui à la clarté de nos débats…

M. Jean-Louis Carrère. Et Sarkozy, quelle est sa position ?

M. Michel Mercier. On ne peut pas convoquer les électeurs pour la fin du mois, tout en leur disant qu’ils vont voter pour des personnes qui n’auront plus aucun pouvoir. Encore une fois, c’est une question de respect !

Il fallait bien sûr revoir les compétences du département ; cela a été fait. Là aussi, la commission des lois et le Sénat ont travaillé pour la clarté et l’efficacité de l’action publique.

Néanmoins, ce travail de clarification laisse à un grand nombre d’entre nous un goût d’inachevé.

Prenons les deux collectivités qui deviennent des métropoles à statut particulier, Paris et Marseille.

S’agissant de Paris, nous avons bien compris – et le Sénat est allé dans ce sens – qu’il fallait trouver un compromis. Un compromis, ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus clair, mais c’est souvent un moindre mal. Je crois que le Sénat a su faire en sorte de dégager ce « moindre mal » dans le compromis obtenu au terme d’une séance de travail très approfondie. Le Gouvernement a fait des propositions et il a accepté qu’elles soient très largement amendées par le Sénat.

Quant à Marseille, les débats ont été, il est vrai, moins longs. Tous nos collègues n’y ont pas trouvé leur compte, c’est le moins que je puisse dire, et certains membres de notre groupe n’ont pas obtenu que leur position soit entendue – c’est notamment le cas de Mme Joissains. Notre groupe considère qu’il n’y a pas eu de concertation. L’opposition locale est très forte : ils sont 113 maires sur 119 à contester à la fois le périmètre, la gouvernance et les compétences de cette nouvelle métropole !

Je crois, monsieur le secrétaire d'État, que, si l’on veut introduire de grandes innovations dans l’organisation territoriale, il faut, d’abord et avant tout, rechercher l’accord local et, visiblement, là, il n’y est pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Michel Mercier. Probablement pouvons-nous nous interroger sur un autre sujet, je veux parler de l’intercommunalité. (Exclamations sur les mêmes travées.)

Pour ma part, je suis favorable au développement de l’intercommunalité, comme pratiquement tous nos collègues, me semble-t-il.

Faut-il instituer un seuil de population ?

M. Michel Mercier. À cette question, le Sénat a clairement répondu par la négative. Je ne crois pas que ce soit le seuil de population qui compte.

Monsieur le secrétaire d'État, je me réfère aux derniers travaux de l’ex-DATAR, dont vous avez changé le nom.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Maintenant, c’est le Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET !

M. Michel Mercier. Le CGET, donc !

Il est clair qu’il n’y est pas question de seuil chiffré. (M. le secrétaire d'État fait un signe de dénégation.) Pour avoir le document en mains, je constate qu’il est rédigé sans ambiguïté : on nous parle de « territoire vécu ». Or à quoi tient la vie sur un territoire ? Certainement pas à un seuil de population, mais bien plutôt à des collèges, à des lycées, à des établissements pour personnes âgées !

De ce point de vue, je regrette que le Gouvernement ne nous ait pas dit à quoi servirait l’intercommunalité, ce qui pose un vrai problème.

Si nous n’avons pas réussi à nous accorder ici, au Sénat, à la fois sur l’intercommunalité et sur les compétences du département, j’espère que les pistes ouvertes sur ces deux sujets pourront aboutir lors de la navette. C’est dans cet espoir que le groupe UDI-UC, dans sa très grande majorité, votera le texte qui nous vient de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans quelques instants, nous aurons à nous prononcer, par un scrutin solennel, sur un texte important, important pour la Haute Assemblée, parce qu’il se situe au cœur même de nos compétences, mais important, je le crois également, pour les Français.

Nous allons donc nous prononcer en la forme solennelle. Je voudrais très sincèrement, au nom de vous tous, mes chers collègues, remercier le président du Sénat, Gérard Larcher, d’inaugurer précisément sur ce texte ce mode de votation, qui me paraît correspondre à une double exigence de démocratie et de rénovation des pratiques du Sénat.

Le texte que nous avons travaillé et sur lequel nous allons nous prononcer – pour sa part, le groupe UMP le votera – n’est pas le même, monsieur le secrétaire d'État, que celui qui nous avait été soumis par le Gouvernement.

Je le redis et je le redirai, le Sénat, dans son ensemble, a, comme il le fait souvent, remis à l’endroit un texte qui nous était arrivé parfois à l’envers. En effet, ce projet de loi, sur beaucoup de dispositions, était mal parti !

Il reposait d’abord sur un faux procès, instruit avec de fausses accusations et de fausses preuves. Je le dis solennellement : non, les collectivités territoriales de France ne sont pas responsables des 2 000 milliards d'euros de la dette française ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. David Assouline. C’est Sarkozy, le responsable !

M. Bruno Retailleau. Bien sûr, les collectivités territoriales veulent prendre toute leur part dans l’effort national, mais elles ne veulent pas être désignées comme des boucs émissaires sur la base de fausses accusations, reposant sur de fausses preuves !

La règle d’or, nous l’avons, nous l’appliquons. Vous le savez parfaitement, cette règle d’or nous interdit de financer par l’emprunt nos dépenses de fonctionnement, ce qui n’est pas le cas pour les dépenses de fonctionnement de l’État.

Mal parti, ce texte l’était aussi parce que nous avons souvent eu le sentiment qu’il n’exprimait pas une ligne clairement définie, un cap précis, une vision cohérente. Où est la cohérence quand il y a eu, sur la question du maintien ou non des départements, tant de volte-face et tant de tête-à-queue ?

M. Jean-Louis Carrère. Vous parlez de l’UMP ?

Mme Françoise Cartron. C’est incroyable !

M. Bruno Retailleau. Où était cette cohérence lorsque l’on a mis la charrue avant les bœufs, en commençant par déterminer les périmètres avant de discuter des compétences ? Où est la cohérence quand on fait passer le contenant avant le contenu ? Sur toutes les travées, ce même reproche est revenu !

M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes les champions de la volte-face !

M. Bruno Retailleau. Très souvent, notre conviction a été que le Gouvernement voulait assurer telle ou telle autorité de sa volonté réformatrice, une volonté réformatrice qu’il entendait préciser en découpant quelques grandes régions.

Ce que nous avons également ressenti, c’est que, au bout du compte, le fond des choses ne l’intéressait pas. Une fois son découpage obtenu, le reste pouvait aller. Or le reste, c’est le fond, et c’est le plus important !

Faire une réforme territoriale, c’est en même temps répondre à des questions graves posées par les crises qui traversent notre pays : la crise territoriale, la crise économique, la crise démocratique, aussi.

Sur toutes les travées, nous avons cette conviction que nous parviendrons à raccommoder la démocratie nationale en crise non pas par le haut mais par le bas. Et en ce sens, la réforme territoriale est importante.

Mes chers collègues, je pense que le Sénat a montré qu’il était utile. Nous avons fait un travail tout à la fois approfondi, rigoureux et audacieux. Je voudrais à mon tour remercier le président de la commission des lois et notre rapporteur – lequel a d'ailleurs payé de sa personne ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Le Sénat a posé un cadre. Il a dessiné une ligne claire, autour de trois principes qui sont autant de choix nettement affirmés : la proximité, la décentralisation et la modernité qu’expriment nos territoires dans leur diversité.

Sur le premier choix, la proximité, nous avons dit oui à de grandes régions. Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, dès lors que vous choisissiez de redécouper la France en de grandes régions, la suppression des départements ne tenait plus ! Le second choix devenait parfaitement incompatible avec le premier !

De grandes régions appelaient, bien entendu, le maintien des départements…

M. Bruno Retailleau. … dans leur double vocation de solidarité sociale et de cohésion territoriale.

Mes chers collègues, permettez-moi de vous le faire remarquer, nous avons dépassé les clivages traditionnels dans lesquels certains voudraient nous enfermer, je veux parler ici du fameux face à face entre le rural et l’urbain. En effet, nous n’avons pas voulu que la régionalisation se fasse au détriment du fait départemental, pas plus que nous n’avons souhaité que la régionalisation se fasse au détriment de la métropolisation.

M. Jean-Louis Carrère. Il faut le dire à Sarkozy !

M. Bruno Retailleau. Nous avons voulu – et nous y tenions – faire en sorte que les régions soient aux manettes pour ce qui est du développement économique, mais sans porter préjudice au pouvoir des grandes métropoles françaises notamment, qui ont un rôle absolument évident en la matière.

Ce même souci de la proximité nous a encore guidés lorsqu’il s’est agi de répartir les compétences. Nous avons dit oui aux grandes régions, oui aux régions fortes, mais pas aux régions obèses ! Là encore, il y avait un paradoxe, et même une contradiction, à vouloir élargir leur périmètre tout en rabaissant leur horizon, à vouloir agrandir leur surface tout en leur confiant les transports scolaires, les routes départementales, les collèges, bref, des compétences de gestion.

Les régions doivent rester des collectivités de missions, de projets. Il ne faut surtout pas les laisser s’empêtrer dans le quotidien ! Pour ce genre de tâches, les collectivités territoriales, départementales, intercommunales ou communales seront toujours beaucoup plus pertinentes que les régions, et ce en raison de leurs périmètres.

M. Bruno Retailleau. La décentralisation, tel était le deuxième de nos choix. Là aussi, nous avons été confrontés à un paradoxe. Ce gouvernement de gauche, nous l’attendions au fond sur la lignée de Gaston Defferre. Or, nous avons eu un texte qui est finalement plutôt recentralisateur.

M. Jean-Louis Carrère. Vous avez voté contre les lois de 1982 !

M. Bruno Retailleau. En tout cas, ce projet de loi n’est certainement pas un texte de décentralisation. Vous avez commis deux erreurs : une erreur historique, d’abord, parce que nous connaissons tous ici la tendance au jacobinisme de notre pays, obsédé qu’il est par son unité. En même temps, nous savons parfaitement que cette unité ne peut respirer que dans la diversité. François Mitterrand avait exprimé l’idée que la France avait eu besoin de la centralisation pour se faire et que, désormais, elle avait besoin de décentralisation pour ne pas se défaire. C’est cette idée qui a finalement guidé le Sénat.

Mais vous avez commis une deuxième erreur importante, quand vous avez omis d’envisager dans le même mouvement la réforme de l’État et une vraie décentralisation. Sans décentralisation, sans confier aux collectivités de nouvelles compétences, vous êtes incapables de réformer l’État ! C’est la vraie question et c’était une autre erreur de votre part ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Logiquement, le choix que nous assumons, et bien au-delà des seules travées de l’UMP, monsieur le secrétaire d'État, c’est celui d’une décentralisation notamment à l’échelon régional, qui est le niveau pertinent pour le développement économique. Notre choix, monsieur le secrétaire d’État, c’est de confier aux régions plus de responsabilités pour la coordination des politiques de l’emploi, pour une meilleure territorialisation de ces politiques.

Confier la politique de l’emploi aux régions était, à mon sens, un choix judicieux, qui a été salué au-delà des clivages partisans.

De même, nous n’avons pas voulu faire le choix d’un jacobinisme régional.

M. Bruno Retailleau. Nous n’avons pas voulu des schémas prescriptifs, cette sorte de Gosplan régional, dans lesquels vous imposiez la volonté de la région jusque dans le PLU de petites communes de quelques centaines d’habitants. Cette solution digne tout au plus du XXsiècle ne peut pas être celle de notre XXIe siècle ! Nous avons donc voulu que ces schémas soient co-élaborés. Nous avons préféré qu’ils soient compatibles plutôt que conformes en tous points, sur tous les niveaux des collectivités.

Le troisième choix que nous avons fait, c’est celui de la diversité et de la modernité. M. Michel Mercier l’a dit à l’instant : pourquoi vouloir absolument faire passer tous les territoires de France sous la même toise ?

M. Bruno Retailleau. C’est méconnaître la diversité française, et je vous renvoie à cet égard à la très belle Composition française de Mona Ozouf.

Pourquoi vouloir faire passer sous cette toise tous nos territoires ? Pourquoi vouloir faire fi de la volonté des élus et de l’intelligence territoriale en oubliant, par cette règle du nombre ô combien technocratique, la vraie dimension humaine que doit porter une réforme territoriale de cette ampleur ? C’était une faute !

C'est la raison pour laquelle nous avons non seulement refusé de relever le seuil à 20 000 habitants, mais nous avons écarté l’idée même de seuil. Pour nous, appliquer un carcan de chiffres sur le territoire français, c’était une idée technocratique, et certainement pas une idée moderne et démocratique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Oui, mes chers collègues, je pense que le Sénat a fait œuvre utile. Nous avons montré que nous avons une connaissance vécue, intime de nos territoires. Or, parmi les reproches que beaucoup de nos concitoyens adressent aux élus, on retrouve souvent l’éloignement du terrain. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)

Eh bien, cette discussion, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, a montré que le terrain, nous le connaissons. Nous avons cette connaissance « charnelle » de nos territoires, pour parler comme le faisait Charles Péguy. Nous en sommes fiers !

Nous avons aussi montré notre capacité à dépasser les clivages sur bien des questions. C’est également important en ce moment particulier que vit notre pays.