Jeudi 15 juin 2006

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Santé - Médicaments psychotropes - Présentation de l'étude des experts

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a observé que la réunion de l'Opeps se tient en cette première Journée mondiale de la maltraitance des adultes âgés, celle-ci pouvant précisément prendre la forme de prescriptions abusives de médicaments psychotropes, notamment dans les établissements d'hébergement, problème sur lequel le rapport d'étude apporte des éléments de réflexion intéressants.

M. Bernard Bégaud, président de l'Université de Bordeaux 2, ayant souligné que le choix de l'Opeps d'étudier l'usage des médicaments psychotropes était d'autant plus opportun que notre pays souffre d'une carence en travaux de synthèse sur le sujet, hormis certains rapports déjà anciens, a indiqué que l'étude est structurée autour des six questions figurant au cahier des charges de l'Opeps (caractéristiques de la consommation de psychotropes, facteurs explicatifs de la surconsommation, respect des recommandations de bonnes pratiques, efficacité des politiques publiques, dépendance, alternatives thérapeutiques) et présente un septième chapitre regroupant les recommandations formulées par le groupe de travail, ainsi qu'une synthèse générale.

Il a également précisé qu'outre Mme Hélène Verdoux et lui-même, tous deux membres de l'unité INSERM 657 de recherche en santé publique et professeurs à l'université de Bordeaux 2, en charge de la coordination et de la rédaction de l'étude, celle-ci a reçu les contributions de nombreux experts de disciplines diverses - épidémiologie, psychiatrie, sociologie, notamment.

M. Bernard Bégaud a ensuite présenté les conclusions de l'étude, en soulignant tout d'abord que les Français consomment trop de psychotropes et y recourent deux fois plus fréquemment que la moyenne des pays européens, beaucoup plus souvent qu'en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Au sein de la population française, un adulte sur quatre fait usage d'au moins un psychotrope au cours de l'année et la propension à y recourir augmente avec l'âge, particulièrement chez les femmes. En revanche, la France se situe dans la moyenne des autres pays européens pour la consommation de psychotropes par les enfants et les adolescents, voire parfois en deçà pour certains traitements, tel que celui de la Ritaline.

Il n'y a pas de cause unique au phénomène de banalisation de la consommation de psychotropes en France, celle-ci résultant de l'influence de plusieurs facteurs dont les effets se conjuguent, dans un contexte caractérisé par l'éclatement des responsabilités en matière de politique du médicament. Comme pour l'ensemble de la consommation médicamenteuse, la régulation de l'usage des psychotropes souffre de la juxtaposition de structures et d'agences dont les missions n'ont été ni clarifiées ni coordonnées, pour un résultat qui n'est pas à la hauteur des moyens investis. Par ailleurs, les enquêtes épidémiologiques ont permis de constater que les troubles psychiatriques sont plus nombreux que dans les autres pays, en contradiction avec l'image d'une France où il fait bon vivre. En revanche, l'étude a totalement infirmé l'idée que le recours aux psychotropes pourrait correspondre en partie à une médicalisation de la crise sociale.

Parmi les facteurs favorisant la consommation des médicaments figurent le paiement à l'acte de la consultation médicale ainsi que l'insuffisance de la formation initiale et continue des professions de santé dans le domaine de la prescription, plusieurs rapports européens ayant établi que le nombre d'heures de formation consacrées à cette matière est, en France, cinq à six fois inférieur à ce qu'il est dans les pays de l'Europe du Nord.

S'agissant des prescriptions de médicaments psychotropes, l'étude montre que les recommandations de bonnes pratiques sont peu respectées, notamment pour les durées de traitement : celles-ci sont longues quand elles devraient être courtes (supérieures à six mois pour plus de trois quarts des usagers d'anxiolytiques, alors que la durée recommandée maximale est de trois mois), et courtes quand elles devraient être longues (inférieures à un mois pour au moins une personne sur quatre traitée par antidépresseur, alors que ce traitement doit être poursuivi au moins six mois après la rémission de l'épisode dépressif). Les indications des traitements sont également peu respectées : la moitié des personnes consommant des antidépresseurs et plus des deux tiers de celles consommant des anxiolytiques et hypnotiques ne présentent pas de trouble psychiatrique relevant d'une indication reconnue ; inversement, moins d'une personne sur trois souffrant de dépression bénéficie d'un traitement approprié. Le niveau élevé de la consommation française n'implique donc pas une meilleure couverture des besoins sanitaires et n'exclut pas un mauvais usage de ces médicaments.

En ce qui concerne l'efficacité des actions engagées par les pouvoirs publics et l'assurance maladie pour lutter contre les prescriptions inadaptées, la carence la plus flagrante concerne la quasi-absence d'évaluation de l'impact des mesures et recommandations et de l'utilisation des financements publics.

S'agissant des alternatives thérapeutiques, parmi lesquelles figurent les psychothérapies, on observe, d'une manière générale, un faible recours à ces traitements, alors que la réponse à la souffrance psychique ne peut se limiter au médicament. Néanmoins, la saturation du réseau des psychiatres, en France, fait qu'on ne peut pas recommander une extension des prises en charge par psychothérapie sans aborder la question des moyens, et donc celle du statut des psychothérapeutes non médecins.

L'homéopathie et la phytothérapie constituent une autre alternative thérapeutique à la prescription de médicaments psychotropes « allopathiques ». Si elles ne sont pas adaptées aux pathologies psychiatriques lourdes, elles peuvent convenir pour certaines plaintes, notamment les syndromes anxieux, affectant en particulier le sommeil. Mais les récentes décisions de déremboursement concernant certaines spécialités pharmaceutiques à base de plantes ont porté préjudice à ces médicaments, au risque de reporter la consommation vers des psychotropes, remboursés mais parfois mal tolérés.

Une meilleure application des règles élémentaires d'hygiène de vie doit être également considérée comme une véritable alternative thérapeutique à la prescription de psychotropes, notamment pour les plaintes concernant le sommeil en l'absence de trouble psychiatrique avéré. Ainsi, certaines personnes en viennent à prendre des psychotropes pour trouver le sommeil sans avoir pensé à abandonner leur habitude de boire du café après dix-sept heures, alors que le métabolisme de la caféine varie en fonction de l'âge.

Enfin, dépendance et sevrage sont trop souvent confondus : en termes de santé publique, le problème majeur soulevé par les psychotropes n'est pas celui de la dépendance, celle-ci ne concernant qu'une très faible minorité d'usagers ayant un usage abusif, toxicomaniaque, des psychotropes, mais celui de la prévention et du traitement d'un syndrome de sevrage chez les personnes ayant un usage prolongé de psychotropes. L'interruption brutale du traitement chronique par psychotropes - notamment les anxiolytiques et hypnotiques - pouvant entraîner des symptômes de sevrage, il est indispensable que les prescripteurs soient mieux informés pour les prévenir en évitant l'usage prolongé de psychotropes et les gérer, notamment par la diminution progressive des posologies.

Puis M. Bernard Bégaud a présenté les recommandations du groupe de travail. Elles concernent tout d'abord la promotion d'études sur l'épidémiologie des troubles psychiatriques et sur les médicaments psychotropes, non seulement par un soutien financier et récurrent (notamment par des bourses doctorales et post-doctorales), mais également par un accès plus aisé aux bases de données de l'assurance maladie : 83 % des remboursements sont actuellement inaccessibles aux investigations statistiques, contrairement aux pratiques en vigueur dans tous les autres pays développés.

La deuxième recommandation concerne la réduction des prescriptions inappropriées par un meilleur respect des recommandations de bonnes pratiques, étant précisé que la notion de prescription inappropriée a été considérée dans l'étude sous l'angle de l'excès comme du défaut de prescription. Dans ce domaine, la formation initiale et continue du personnel médical doit être développée indépendamment des stratégies commerciales des laboratoires pharmaceutiques, la coordination et la validation des enseignements obligatoires pouvant être confiées aux universités et l'amélioration de la diffusion des recommandations de bonnes pratiques pouvant être placée sous la responsabilité d'un organisme unique, qui pourrait être la Haute autorité de santé (HAS).

Sur le plan institutionnel, le cadre juridique existe et suffit - on peut notamment citer le plan Santé mentale 2005-2008, en cours de mise en place - mais une troisième recommandation concerne l'amélioration de la coordination des autorités sanitaires et des agences existantes, ainsi qu'une évaluation des politiques publiques et des moyens mis en oeuvre par les organismes publics existants pour réguler et rationaliser l'usage des médicaments psychotropes.

Les autres recommandations proposent un meilleur accès aux alternatives thérapeutiques (il faut notamment évaluer l'impact du déremboursement de certaines spécialités pharmaceutiques sur le report des prescriptions vers les médicaments psychotropes), le développement de l'information des prescripteurs concernant les méthodes de sevrage et d'aides à l'arrêt des traitements et la mise en oeuvre de campagnes d'information concernant les médicaments psychotropes et les règles d'hygiène de vie.

M. Philippe Clery-Melin, membre du conseil d'experts, a souligné l'exhaustivité de l'étude et indiqué qu'un bilan de la mise en oeuvre du plan de santé mentale vient d'être réalisé par le ministre de la santé, M. Xavier Bertrand, dont les données pourraient être intégrées à l'étude. Il a ensuite souligné que, lorsque l'on parle de l'usage des médicaments psychotropes, il faut bien distinguer ce qui relève de vraies pathologies psychiatriques et ce qui résulte de la quête de certains individus en mal d'identité au sein d'une société dépressive où le recours aux psychotropes est favorisé par un accès aisé aux médicaments. Par ailleurs, il convient d'aborder la question des alternatives psychothérapeutiques avec beaucoup de prudence : l'accès aux psychothérapies peut faire l'objet d'une prescription par les médecins généralistes, dès lors qu'ils en connaissent les indications et les limites, ce qui impose que leur formation soit améliorée car ils sont à l'origine d'une part importante des prescriptions de psychotropes. De plus, les psychothérapies doivent faire l'objet d'une évaluation externe, la Haute autorité de santé étant l'organisme approprié pour diffuser les recommandations de bonnes pratiques dans ce domaine. Un décret est actuellement en préparation dans ce sens. En fait, les associations représentatives des différents courants psychanalytiques sont aujourd'hui plus ouvertes à l'idée d'une évaluation de leurs pratiques, dès lors toutefois que les référentiels d'évaluation ne leur sont pas imposés.

M. Bernard Bégaud a précisé qu'en France, huit prescriptions sur dix émanent de médecins généralistes et que ces derniers sont plus enclins à prescrire à leurs patients un traitement médicamenteux qu'une psychothérapie pour laquelle ils ne sont pas compétents. Bien que les problèmes liés à la souffrance psychique représentent une part très importante de la clientèle des médecins généralistes, la formation en psychothérapie est insuffisante au sein du cursus médical, et il est difficile d'imposer un stage en psychiatrie à tous les étudiants, pour des raisons pratiques liées au nombre de places disponibles.

M. Philippe Clery-Melin a ajouté que les passerelles entre la médecine générale et les médecins psychiatres fonctionnent mal, une enquête ayant montré que 15 % seulement des patients souffrant de troubles psychiatriques avérés ont été adressés à un médecin psychiatre.

Mme Blum-Boisgard, membre du conseil d'experts, a indiqué que les syndicats de médecins généralistes s'étaient opposés au projet d'imposer l'avis préalable d'un médecin psychiatre pour la reconnaissance d'une affection psychiatrique de longue durée.

M. Pascal Astagneau, membre du conseil d'experts, a estimé que si l'on veut diminuer le recours aux psychotropes, il faut faciliter l'orientation de certains patients vers les psychothérapeutes plutôt que vers les psychiatres, les premiers étant suffisamment nombreux et formés.

M. Philippe Clery-Melin a indiqué que le nombre de psychothérapeutes non médecins-psychiatres et non psychologues est évalué à 36 000, alors qu'en France, seules les formations de médecins psychiatres et de psychologues prévoient des enseignements garantissant la capacité à assurer des psychothérapies. Un statut de psychothérapeute, parallèle à ces formations, risquerait de servir de paravent à des personnes incompétentes, voire à des sectes. L'enjeu principal est en fait le remboursement des psychothérapies effectuées par des psychologues. Par exemple, la Mutuelle générale de l'Education nationale (MGEN) assure depuis une dizaine d'années un remboursement pouvant aller jusqu'à 150 séances de psychothérapie, subordonné à une évaluation régulière, par un psychiatre, de l'état d'avancement du traitement. Un système similaire avait été mis en place dès les années trente à Chicago pour les psychanalystes : avant d'entreprendre une psychanalyse, les patients étaient soumis à une dizaine de séances de psychothérapie afin de justifier l'indication. Dans le contexte médico-légal actuel, alors qu'il faudrait réserver les consultations psychiatriques aux seuls patients souffrant des pathologies les plus lourdes, le seul moyen d'obtenir un remboursement est d'aller consulter un médecin-psychiatre, lequel pratique des psychothérapies qui pourraient être dispensées par des psychologues, mais alors sans remboursement.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a souligné l'intérêt des psychothérapies comme alternative à la prescription de psychotropes et, dans cet esprit, a estimé qu'il faut réfléchir à la possibilité d'établir des passerelles entre les professionnels de santé. Elle a également souligné que l'étude apporte des éléments importants sur l'usage des psychotropes par les personnes âgées, qui pourraient servir de base à l'élaboration de recommandations destinées notamment aux établissements d'hébergement des personnes âgées.

M. Philippe Clery-Melin a ajouté que, parallèlement au problème de surconsommation de psychotropes chez les personnes âgées, la prévalence et le diagnostic de la dépression au sein de cette population sont en voie de devenir un problème de santé publique, comme en témoigne l'augmentation inquiétante du nombre des suicides parmi les sujets âgés, en raison du retard de diagnostic des dépressions. Pour ces personnes, la surconsommation des psychotropes peut masquer des symptômes d'origine dépressive et l'on peut dire qu'aujourd'hui deux patients sur trois ne bénéficient pas des traitements adéquats.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a insisté sur la nécessité de trouver une solution au problème de l'accès aux informations détenues par les établissements hospitaliers, afin d'éviter le blocage actuel des études épidémiologiques, notamment sur certaines tranches d'âge et certaines populations précises.

M. Nicolas About, sénateur, président, a indiqué qu'il conviendra de définir précisément l'objet des études nécessaires.

M. Bernard Bégaud est revenu sur la question du financement des recherches, pour souligner que les axes d'études dans le domaine de l'épidémiologie des maladies mentales et de la pharmaco-épidémiologie devraient être repris dans les grands programmes de recherche - programme hospitalier de recherche clinique et programme de l'Agence nationale pour la recherche. Par ailleurs, si la surconsommation française est prouvée, il faut savoir qu'inversement, il y a beaucoup plus de patients qui ne sont pas traités malgré une souffrance psychique avérée. Il ne faut d'ailleurs pas y voir une source d'économies car une personne qui, par exemple, arrête son traitement antidépresseur au bout d'un mois, prend une décision contre-productive, génératrice de coûts et de souffrances supplémentaires.

L'équipe scientifique a également étudié les effets indésirables potentiels des consommations excessives de psychotropes, particulièrement sur les sujets âgés, chez qui elles peuvent entraîner chutes, fractures, troubles cognitifs et risques de démence. En revanche, pour l'un des effets indésirables les plus polémiques, celui du suicide chez les jeunes patients traités par antidépresseurs, Mme Verdoux a fait une analyse de sensibilité au travers de la littérature scientifique, montrant que même en se plaçant dans les hypothèses les plus défavorables, le rapport bénéfice/risque reste très favorable au traitement. Les antidépresseurs ont en effet pour propriété intrinsèque de désinhiber les sujets, y compris dans leurs tendances éventuellement suicidaires, mais comme ils soignent les dépressions qui sont un facteur bien plus important de suicide, il convient de traiter dans tous les cas. La crainte du suicide ne doit donc jamais empêcher le recours aux antidépresseurs.

Mercredi 21 juin 2006

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Santé - Infections nosocomiales - Examen du rapport d'information

M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a indiqué que, dans 6 % à 7 % des cas d'hospitalisation, en France, le malade développe une infection nosocomiale plus ou moins grave, soit 750.000 cas déplorés chaque année, avec des conséquences parfois dramatiques.

Ces infections peuvent provenir d'une bactérie endogène du patient : elles sont alors imprévisibles et souvent graves lorsqu'elles surviennent dans la zone anatomique opérée ; elles peuvent être aussi causées par une bactérie exogène présente dans l'établissement de santé, chez le personnel soignant, un autre patient ou un visiteur ; elles peuvent enfin, ce qui est alors souvent bénin, résulter d'un virus.

Les infections nosocomiales se traduisent le plus souvent par des infections urinaires (40 % des cas), des infections de la peau et des tissus (11 % des cas, notamment dans les services de long séjour et en psychiatrie), des pneumopathies (10 % des cas, souvent en réanimation) et des infections respiratoires hautes (9 %). Par ailleurs, les infections de l'organe opéré ou de la cicatrice et les bactériémies représentent respectivement 10 % et 4 % des infections nosocomiales.

La part des infections nosocomiales dans l'ensemble des accidents médicaux ne doit toutefois pas être surestimée dans la mesure où, si elles constituent 22 % des événements graves liés aux soins, les accidents médicamenteux, par exemple, en causent 27,5 %.

La survenance d'une infection nosocomiale est souvent liée à la pratique de soins invasifs, par exemple la pose d'une sonde ou d'un cathéter, à la réalisation d'un acte chirurgical, comme la pose d'une prothèse, et parfois au traitement lui-même, notamment lorsqu'il nécessite une transfusion ou une ventilation artificielle. Enfin, une immuno-dépression, un mauvais état général du patient, un âge avancé ou une pathologie menaçant le pronostic vital constituent des facteurs de risques majeurs.

La gravité de l'infection peut, par ailleurs, être exacerbée par l'utilisation d'antibiotiques qui sélectionnent des bactéries résistantes aux traitements. Or, la France détient, en Europe, le record du taux de résistance aux antibiotiques, notamment ceux utilisés pour combattre les principales bactéries à l'origine des infections nosocomiales.

M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a fait valoir que, du fait de leur origine endogène fréquente, il semble que 70 % des infections nosocomiales ne pourraient être évitées, même en faisant preuve d'une meilleure prévention.

Rappelant que la mesure précise du nombre de décès directement dus à une infection nosocomiale constitue un exercice délicat, dans la mesure où les patients entrent souvent à l'hôpital avec une pathologie grave et dans un état de fragilité générale, il a indiqué qu'environ 6,6 % des 136.000 décès qui interviennent chaque année à l'hôpital ou après une hospitalisation surviennent en présence d'une infection de ce type. Elle serait donc en cause pour environ 9.000 décès par an, dont 4.200 concernent des patients pour lesquels le pronostic vital n'était pas engagé à court terme à leur entrée à l'hôpital. Pour la moitié de ces 4.200 décès, aucune autre cause de décès n'a été identifiée.

Les infections nosocomiales sont également la cause de séquelles souvent considérables à moyen et long termes, notamment au niveau fonctionnel ; leur gravité dépend largement de la zone anatomique touchée par l'infection. Les infections abdominales, ostéo-articulaires, en particulier sur les prothèses, ou encore les infections suivant un acte de neurochirurgie sont susceptibles d'entraîner les conséquences sanitaires les plus dramatiques. Il a regretté, à cet égard, qu'aucune étude globale n'ait encore été menée sur les séquelles dues à une infection et sur leurs conséquences en termes sanitaires et économiques.

Puis M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a indiqué que les infections nosocomiales entraînent également un surcoût financier important, essentiellement dû à un allongement de la durée d'hospitalisation, qui atteint quatre jours en moyenne, au traitement anti-infectieux et aux examens de laboratoire nécessaires au diagnostic et à la surveillance de l'infection. La survenance d'une infection prolonge ainsi le séjour en chirurgie orthopédique de près de deux semaines et augmente les coûts de prise en charge de 300 %.

Les différentes études disponibles font état d'une échelle de coûts très large, allant de 340 euros en moyenne pour une infection urinaire à 40.000 euros pour une bactériémie sévère en réanimation. En appliquant une fourchette de surcoût moyen de 3.500 à 8.000 euros par infection aux 750.000 infections nosocomiales annuelles, on atteint un montant de dépenses de 2,4 à 6 milliards d'euros. Ainsi, une diminution de 10 % du nombre d'infections conduirait à une économie de 240 à 600 millions d'euros, soit jusqu'à six fois plus que l'effort de prévention, qui s'établit à 100 millions d'euros, consenti par les établissements hospitaliers.

Le calcul du coût des infections nosocomiales doit également prendre en compte celui de l'indemnisation du dommage. Depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les victimes d'infections nosocomiales postérieures au 5 septembre 2001 bénéficient d'un régime d'indemnisation plus favorable que celui applicable à la réparation des autres accidents médicaux. Ainsi, la responsabilité de l'établissement de santé est automatique, sauf à ce qu'il prouve lui-même que l'infection est due à une cause étrangère, et il revient à son assureur de prendre en charge la réparation.

La loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale a complété ce dispositif en confiant à la solidarité nationale, via l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam), la prise en charge de l'ensemble des infections, que l'établissement en soit ou non responsable, lorsqu'elles ont entraîné le décès du patient ou un taux d'incapacité permanente partielle au moins égal à 25 %.

Ce dispositif d'indemnisation protecteur des victimes pose deux difficultés : d'abord, il n'est pas applicable aux infections acquises en médecine de ville, pour lesquelles il revient au patient d'apporter la preuve de la faute du professionnel de santé ; ensuite, les infections graves survenues entre le 5 septembre 2001 et le 1er janvier 2003 relèvent d'un régime juridique incertain : l'interrogation demeure sur leur prise en charge, par les assureurs ou par la solidarité nationale, en l'absence de rétroactivité claire de la loi du 30 décembre 2002 et du fait d'une jurisprudence contradictoire sur ce point.

M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a ensuite présenté la politique de lutte contre les infections nosocomiales. Il a rappelé que les premières structures de prévention ont été mises en place en 1988 avec la création obligatoire d'un comité de lutte contre les infections nosocomiales dans chaque établissement de santé public ou participant au service public, avec pour mission d'organiser la surveillance des infections dans l'établissement, de former les personnels et de proposer toute recommandation utile à la prévention.

Cette première étape a été suivie, en 1992, par la création du comité national de lutte contre les infections nosocomiales et de cinq centres de coordination de lutte contre les infections nosocomiales, chargés notamment de la coordination des actions menées par les établissements qui ressortent de leur compétence régionale, ainsi que du recueil épidémiologique de prévalence et de la réalisation d'études épidémiologiques.

Puis la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme a étendu le dispositif aux cliniques privées. Enfin, la surveillance épidémiologique a été améliorée à partir de 2001 par la mise en place du réseau d'alerte, d'investigation et de surveillance des infections nosocomiales (Raisin), en lien avec l'institut de veille sanitaire (InVS).

Cette politique a produit des résultats non négligeables en termes de prévalence des infections nosocomiales parmi les patients hospitalisés : entre 1996 et 2001, leur taux a été ramené de 8,3 % à 7,2 % dans les centres hospitaliers universitaires et de 6,5 % à 5 % dans les centres hospitaliers. La nouvelle enquête de prévalence, en cours, montrera si cette tendance se confirme.

Récemment, le dispositif de prévention a été renforcé et modernisé par la mise en place d'un programme de lutte contre les infections pour la période 2005-2008, qui a pour objectifs de renforcer les structures, d'améliorer la qualité de la prise en charge du patient infecté, d'actualiser les recommandations, de renforcer la surveillance épidémiologique des infections, mais aussi de mieux informer les usagers sur le risque infectieux. La publication progressive d'indicateurs de qualité pour chaque établissement de santé a commencé avec la présentation, en février 2006, d'un indicateur composite d'évaluation des activités de prévention, qui sera suivie, dans les prochains mois, par la publication de quatre indicateurs supplémentaires : le taux d'infections par type d'acte opératoire, le volume annuel de produits hydro-alcooliques utilisés pour l'hygiène des mains, le taux de staphylocoques dorés résistants à la méticilline et le suivi de la consommation d'antibiotiques.

Enfin, une mission nationale d'information et de développement de la médiation sur les infections nosocomiales (Idmin) a été créée au sein de la Haute Autorité de santé pour améliorer l'information des usagers.

M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a rappelé que, dans le cadre de son étude sur les infections nosocomiales, l'Opeps a confié à l'institut de sondages Ipsos une enquête sur la perception du risque d'infections nosocomiales à la fois par les professionnels de santé et par le grand public. Il en ressort que le risque d'infection à l'hôpital est désormais connu par la grande majorité des Français, qui ont pris conscience des conséquences possibles d'une hospitalisation, mais que l'information est encore trop partielle s'agissant des facteurs de risque et des conséquences sanitaires. De la même manière, les professionnels de santé doivent être davantage sensibilisés au mécanisme d'indemnisation, notamment pour être en mesure d'informer correctement leurs patients de son existence.

Il a estimé que la politique de lutte contre les infections nosocomiales doit désormais s'orienter dans trois directions pour assurer la réduction du taux de prévalence de ce type d'infections dans les hôpitaux français :

- la première piste concerne la poursuite de la politique d'hygiène et de prévention grâce à une meilleure reconnaissance des métiers de l'hygiène, infirmier hygiéniste et médecin hygiéniste, et au strict respect des mesures de prévention par les professionnels de santé, comme la désinfection systématique des mains ou l'observation des bonnes pratiques pour ce qui concerne les soins, en particulier ceux liés à un dispositif invasif. La politique de prévention doit aussi promouvoir le développement des examens de dépistage de la présence de bactéries endogènes chez le patient avant une opération à risques et l'application des pratiques de bon usage des antibiotiques nécessaires à la limitation de l'évolution constatée des bactéries multirésistantes ;

la deuxième piste concerne la recherche des meilleurs traitements pour les patients atteints d'une infection. Il s'agit notamment d'accélérer la mise en place des unités spécialisées dans la prise en charge des infections ostéo-articulaires prévues par le programme national de lutte contre les infections nosocomiales 2005-2008 et destinées à éviter les complications graves liées à un traitement inadapté, ce qui suppose la formation d'équipes de soignants spécialisées en infectiologie et en chirurgie, en nombre insuffisant aujourd'hui. Par ailleurs, l'effort de recherche doit porter sur l'origine des infections nosocomiales, en particulier les raisons pour lesquelles les bactéries exogènes parviennent dans la plaie opératoire et les relations entre la présence de bactéries endogènes avant l'opération et la survenance d'une infection postopératoire, et sur les séquelles des infections et le suivi des patients susceptibles de développer une infection, grâce à la constitution d'un registre des patients porteurs de prothèses orthopédiques, pour réagir vite en cas d'alerte ;

- la troisième piste porte sur la clarification du dispositif juridique d'indemnisation afin de trancher sans tarder, au niveau législatif, la question de la rétroactivité, ou non, de la loi du 30 décembre 2002 pour les infections survenues entre le 5 septembre 2001 et le 1er janvier 2003.

M. Jean-François Picheral, sénateur, s'est étonné, au regard de la politique affichée par les pouvoirs publics d'intensification de la lutte contre les infections nosocomiales, que trois hôpitaux publics des environs d'Aix-en-Provence aient dû fermer leurs services de stérilisation, qui n'étaient plus aux normes, pour en confier l'activité à des entreprises extérieures. Il a estimé que cette décision n'est pas cohérente avec l'objectif de maîtrise du risque infectieux dans les établissements de santé. Il a souhaité, à cet égard, la mise en place d'une organisation nationale des services de stérilisation pour l'hôpital public.

M. Gérard Bapt, député, a fait valoir que les décisions de fermeture de services sont souvent prises pour des raisons de gestion locale de l'organisation des soins. Il a considéré qu'il est préférable de fermer les services dangereux pour y investir les crédits nécessaires à leur mise aux normes.

M. Jean-François Picheral, sénateur, a estimé qu'il convient au contraire d'aider les services des hôpitaux publics à assurer une prestation de qualité, avant que leur vétusté n'oblige à les fermer.

M. Gérard Bapt, député, a rappelé qu'un groupe de travail existe à l'Assemblée nationale sur les infections nosocomiales, dont l'activité a été suspendue pendant la durée de l'étude de l'Opeps sur le même thème. Il a souhaité qu'il puisse suivre l'application des recommandations du rapport dans les prochains mois. Il a demandé combien d'hôpitaux sont équipés de livrets de bonnes pratiques sur les protocoles de soins.

Mme Maryvonne Briot, députée, s'est interrogée sur l'existence de données pour la légionellose.

Citant l'exemple de l'hôpital européen Georges Pompidou, M. Paul-Henri Cugnenc, député, a estimé que les cas de légionellose n'y ont pas été plus nombreux qu'ailleurs, mais que les médias s'y sont particulièrement intéressés en raison de sa réputation d'établissement modèle. Il a indiqué qu'après six ans de dysfonctionnements, le fonctionnement de cet hôpital est désormais conforme aux exigences de qualité.

En réponse aux intervenants, M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a indiqué que l'étude du centre national d'expertise hospitalière n'a pas traité particulièrement des cas de légionellose. Il a rappelé que ce type de données devrait être apprécié avec le retour des fiches de signalements des hôpitaux, qui doivent faire connaître les infections les plus graves ainsi que les mesures de prévention mises en oeuvre.

Mme Maryvonne Briot, députée, a considéré que le premier geste de prévention est celui d'un bon entretien des locaux hospitaliers. Rappelant que le nombre d'agents de service est en diminution constante, elle s'est interrogée sur le respect des protocoles d'hygiène par des équipes extérieures à l'établissement.

M. Paul-Henri Cugnenc, député, a estimé que les gestes d'hygiène résultent avant tout du bon sens, comme le nettoyage des mains et des locaux pour éviter le développement de germes.

M. Gérard Bapt, député, a fait valoir qu'il est nécessaire de disposer d'un personnel soignant et d'entretien permanent pour assurer le bon respect de ces règles.

M. Alain Vasselle, sénateur, rapporteur, a rappelé, à cet égard, l'importance du rôle, insuffisamment reconnu, des infirmières hygiénistes dans les établissements de santé.

A l'issue de ce débat, l'Opeps a autorisé la publication du présent rapport d'information.

Santé - Médicaments psychotropes - Examen du rapport d'information

En préambule à la présentation de son rapport, Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a souligné que la consommation en médicaments psychotropes des Français est la plus importante de toutes celles des pays de l'Union européenne et que le montant des remboursements assurés par la sécurité sociale, pour cette catégorie de médicaments, s'est élevé à un milliard d'euros en 2004. Pour comprendre les raisons de cette consommation, l'Opeps a sollicité l'éclairage d'une expertise scientifique extérieure qui a été confiée par appel d'offres à une équipe pluridisciplinaire de scientifiques (dix experts), animée par le Professeur Verdoux de l'Inserm de Bordeaux et le Professeur Bégaud, président de l'Université de Bordeaux 2. Le rapport de l'équipe scientifique représente un important travail de synthèse prenant en compte de manière approfondie un très grand nombre de travaux scientifiques et intégrant les contributions directes de plus de vingt personnes en dehors de l'équipe proprement dite.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a ensuite rappelé la définition des psychotropes proposée par Jean Delay en 1957, selon laquelle un psychotrope est une substance chimique d'origine naturelle ou artificielle, qui a un tropisme psychologique, c'est-à-dire susceptible de modifier l'activité mentale, sans préjuger du type de cette modification. Les médicaments psychotropes font partie de la prise en charge thérapeutique de la psychiatrie sans pour autant la résumer. La famille des psychotropes est divisée en plusieurs classes : les anxiolytiques ayant un effet sédatif et qui sont essentiellement à base de benzodiazépine, les hypnotiques, dont l'indication est l'induction du sommeil et les neuroleptiques, ou antipsychotiques, dont l'indication principale est le traitement des symptômes psychotiques dans la schizophrénie. Ces médicaments peuvent être utilisés pour le traitement des symptômes anxieux dans les dépressions sévères et la catégorie des antidépresseurs regroupe des produits tricycliques, découverts dans les années cinquante, ainsi que d'autres molécules plus récentes, les inhibiteurs sélectifs de recapturage de la sérotonine, qui ont pour atout d'induire des effets secondaires limités. Prescrits dans le traitement des épisodes dépressifs, un grand nombre de ces spécialités pharmaceutiques ont obtenu des autorisations de mise en marché pour le traitement des troubles anxieux et des troubles alimentaires. Il faut enfin citer la catégorie des psychostimulants, qui sont prescrits pour le traitement des troubles déficitaires de l'attention avec hyperactivité de l'enfant de plus de six ans, et celle des sels de lithium, indiqués pour le traitement de la maladie maniaco-dépressive.

Puis Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a présenté les principales caractéristiques de la consommation de psychotropes en France. Le premier constat établi par l'étude scientifique est celui d'une banalisation du recours aux médicaments psychotropes dans notre pays. Un Français sur quatre déclare avoir consommé au moins un médicament psychotrope au cours des douze derniers mois, et un Français sur trois en a déjà consommé dans sa vie. Pour les tranches d'âges les plus élevées, le recours est plus massif : après soixante ans, la moitié des femmes et un tiers des hommes ont pris au moins un psychotrope dans l'année. Les personnes âgées sont particulièrement exposées à un usage chronique, mais la consommation des jeunes doit également être surveillée, car une fille sur quatre et un garçon sur cinq ont consommé au moins une fois un médicament psychotrope avant l'âge de dix-huit ans.

La durée de prise est un paramètre important de l'analyse de la consommation. Parmi les personnes déclarant consommer des psychotropes, 30 % sont engagées dans une consommation d'au moins deux ans et la même proportion en consommera pendant une durée supérieure à un an. Les consommateurs réguliers de psychotropes sont évalués à 11 % des personnes rattachées au régime général de sécurité sociale.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a souligné le constat relevé par l'étude, selon lequel 80 % des prescriptions de psychotropes émanent de médecins généralistes. Pour comprendre et juger l'usage qui est fait des médicaments psychotropes, il faut analyser les pratiques de prescription des médecins généralistes et l'adéquation des traitements qu'ils préconisent avec l'état de santé psychique des patients.

Par ailleurs, la consommation a fortement augmenté depuis 1990 sous l'influence de deux facteurs principaux. D'une part, la mise sur le marché de médicaments antidépresseurs aux effets secondaires, qui est à l'origine de la diffusion de ces médicaments en médecine générale, d'autre part, le champ d'utilisation des médicaments psychotropes, qui s'est considérablement étendu au fil des années. A partir des pathologies psychiatriques avérées, l'indication s'est élargie à la prise en charge de troubles psychiques plus légers, voire de simples troubles du sommeil.

En termes de santé publique, on est confronté à la fois à des problèmes de consommation pendant des durées excessivement longues et à des phénomènes tout aussi nombreux de traitements insuffisants. Par ailleurs, les traitements prescrits semblent fréquemment peu adaptés et les indications des traitements sont également peu respectées : moins d'une personne sur trois souffrant de dépression en France bénéficie d'un traitement antidépresseur approprié, tandis qu'on ne constate pas de troubles psychiatriques chez la moitié des personnes consommant des antidépresseurs, et plus des deux tiers de celles consommant des anxiolytiques et hypnotiques. Ces pratiques montrent un réel problème d'usage des médicaments psychotropes en France.

Une telle situation n'est pas sans risques. Un très grand nombre de personnes consomment des psychotropes de façon chronique pour un bénéfice thérapeutique parfois faible, sans une juste mesure des effets secondaires, alors que sur une population aussi importante de consommateurs, des effets secondaires, même peu fréquents, peuvent avoir des répercutions considérables en termes de santé publique. Ainsi, l'étude s'est attachée à évaluer les risques que les psychotropes font courir à la population dans trois domaines : risques de détérioration cognitive liés à l'usage prolongé des benzodiazépines, risques de suicide parmi les personnes traitées aux antidépresseurs et risques secondaires indirects résultant de l'usage des psychotropes, tels que les accident ou les chutes chez les personnes âgées.

Ces investigations ont également mis en évidence que l'absence de données pharmaco-épidémiologiques empêche d'évaluer le rapport bénéfices/risques des médicaments de façon suffisamment précise au regard des enjeux de santé publique. A cet égard, il est regrettable que l'évaluation médicale des médicaments en situation réelle n'en soit qu'à ses débuts en France. Un meilleur usage des médicaments psychotropes en France suppose d'assurer un suivi pharmaco-épidémiologique suffisamment précis de la consommation, dans le cadre du système de veille sanitaire, mais également d'aider les médecins généralistes à assurer une prise en charge plus adéquate des problèmes psychiques de leurs patients.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a ensuite présenté les recommandations dont elle propose l'adoption par l'office : il convient tout d'abord d'adapter le contenu de la formation initiale et continue des médecins afin d'assurer un meilleur respect des recommandations de bonnes pratiques en matière de prescription de médicaments. La formation en pharmacologie des étudiants en médecine est en effet passée de 160 heures dans les années 1970 à 80 heures aujourd'hui. Cette recommandation rejoint les conclusions du récent rapport de Mmes Marie-Thérèse Hermange et Anne-Marie Payet, sénatrices, sur la mise sur le marché des médicaments. Cette formation devrait également être mieux adaptée aux problèmes rencontrés par les praticiens car sur un ensemble de 3.000 références de médicaments actuellement disponibles, un médecin généraliste est amené à en utiliser plus de 500 dans sa pratique quotidienne. Par ailleurs, les formations continues dépendant encore trop souvent des laboratoires pharmaceutiques, il faudrait en confier la coordination et la validation à un organisme public dont la compétence scientifique est reconnue, telle que l'Université. La diffusion des recommandations de bonnes pratiques devrait être placée sous la responsabilité de la Haute Autorité de santé (HAS) et il faudrait affirmer clairement la compétence et la responsabilité de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssap) pour la réalisation des études post-AMM à finalité sanitaire, en complément des études post-AMM à finalité économique entreprises par les autres autorités sanitaires. Enfin, l'impact des mesures destinées à maîtriser la consommation de médicaments psychotropes devrait être systématiquement évalué, afin de vérifier non seulement que les objectifs poursuivis ont été atteints, mais aussi qu'il n'y a pas de report sur d'autres médicaments.

Le second axe des recommandations vise l'amélioration de la prise en charge des soins en santé mentale, conformément à l'objectif du plan « santé mentale » engagé l'année dernière par le gouvernement pour la période 2005-2008, dont un premier bilan d'application est en cours de préparation. Il convient aussi de réfléchir aux moyens de familiariser l'ensemble des étudiants de médecine avec la réalité de la pratique de la psychiatrie, sans oublier les autres professions de santé car, par exemple, depuis la refonte de la formation d'infirmière, des insuffisances ont également été relevées sur ce point. La coordination des médecins généralistes et des médecins psychiatres dans la prise en charge des troubles psychiatriques doit aussi être développée et dans ce but, il est proposé que, lors du renouvellement d'une prescription de psychotropes par un médecin généraliste, celui-ci envisage systématiquement la possibilité d'une consultation concomitante chez un psychothérapeute ou un médecin psychiatre, afin de vérifier la pertinence d'une prolongation du traitement.

Le troisième axe de recommandations concerne la mise en place d'instruments de suivi épidémiologique ainsi que l'information des prescripteurs et du grand public sur le bon usage des médicaments psychotropes. La surveillance pharmaco-épidémiologique des populations les plus exposées aux risques doit être renforcée, particulièrement celles des personnes âgées en institution, des jeunes enfants et des adolescents. La systématisation des études d'évaluation bénéfices/risques en situation réelle permettrait, par ailleurs, d'établir des recommandations pour des prescriptions plus adaptées de psychotropes et les prescripteurs devraient être mieux informés des manifestations du syndrome de sevrage et respecter les protocoles lors de l'arrêt d'un traitement. Les pouvoirs publics doivent également mettre en oeuvre des campagnes d'information sur le bon usage des médicaments psychotropes et il faut saluer l'initiative récente de l'Afssaps de publier deux livrets sur les psychotropes, le premier destiné aux patients, le second aux médecins généralistes. A cet égard, Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a rappelé la distinction, essentielle à ses yeux, entre usage thérapeutique et usage toxicomaniaque des psychotropes, la confusion entre les deux étant à l'origine d'un comportement paradoxal chez les Français : bien que globalement très consommateurs de médicaments, ils abandonnent souvent trop tôt leur traitement par antidépresseurs pouvant entraîner une dépendance et sont contraints à le reprendre pour stabiliser leur état de santé.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a enfin estimé qu'il faut évaluer la pertinence des décisions de déremboursement de certains produits pharmaceutiques à base de plantes, celui-ci pouvant induire des risques de report vers d'autres spécialités pharmaceutiques.

En conclusion, Mme  Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a considéré que si les médicaments psychotropes représentent un apport thérapeutique considérable pour la prise en charge des pathologies psychiatriques sévères, leur utilisation, lorsque les patients souffrent de troubles psychiques liés à des évènements de vie, doit rester ponctuelle et qu'il faut davantage s'appuyer sur les alternatives thérapeutiques pour éviter des effets secondaires non négligeables.

M. Nicolas About, sénateur, président, a remercié la rapporteure et regretté que les prescriptions ne respectent pas davantage les recommandations de bonnes pratiques, en particulier sur les durées de traitement.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, ayant indiqué que, selon l'étude scientifique, le nombre de prescriptions effectuées par les médecins généralistes augmente à mesure qu'ils avancent en âge, M. Nicolas About, sénateur, président, a estimé que ce phénomène est peut-être lié à la croissance de la clientèle qui réduit leur disponibilité et leur temps d'écoute.

M. Jean-Michel Dubernard, député, premier vice-président, a félicité Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, pour son rapport, qui souligne bien les enjeux de santé publique attachés au bon usage des médicaments psychotropes. Il a indiqué qu'il fallait vérifier si l'Université n'avait pas déjà un rôle dans la validation des enseignements de formation médicale continue et a confirmé que le besoin d'approfondir les connaissances en psychiatrie au stade de la formation initiale ne se limite pas aux étudiants en médecine et concerne d'autres professions de santé, telles que les infirmières et les sages-femmes.

M. Jean-François Picheral, sénateur, a demandé si les pratiques de prescription des médecins psychiatres sont différentes de celles des médecins généralistes pour ce qui est des durées de traitement.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a indiqué que pour les psychiatres, la conduite de psychothérapies impliquant de nombreuses séances sur une longue période, elle permet de se constituer une clientèle régulière et qu'en ce qui concerne les prescriptions, on peut penser que la meilleure capacité diagnostique des médecins psychiatres favorise un traitement approprié.

M. Jean-François Picheral, sénateur, a relevé que les médecins généralistes se heurtent souvent à la réticence des patients à qui ils ont conseillé de consulter un médecin psychiatre, ceux-ci préférant se voir prescrire des médicaments psychotropes par leur médecin généraliste, plutôt que de laisser croire qu'ils sont atteints par une maladie mentale en allant consulter un psychiatre.

Mme Maryvonne Briot, députée, rapporteure, a souligné combien la peur d'une stigmatisation est un obstacle à la poursuite de traitements adaptés.

M. Nicolas About, sénateur, président, a estimé qu'il faut renforcer le rôle d'expertise des médecins psychiatres, auxquels les médecins généralistes peuvent adresser leurs patients pour un bilan.

Mme Cécile Gallez, députée, a remarqué que la durée de la consultation chez un médecin généraliste ne donne pas toujours à ce dernier le temps nécessaire à une écoute approfondie de son patient.

A l'unanimité, l'office a autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.