Mardi 8 avril 2008

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Audition de MM. Patrick Kanner, président, et Daniel Zielinski, délégué général de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas)

La mission a tout d'abord entendu MM. Patrick Kanner, président, et Daniel Zielinski, délégué général de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas).

A titre liminaire, M. Alain Vasselle, rapporteur, a rappelé que la mission commune d'information a procédé, au cours des mois de janvier et de février, à de nombreuses auditions qui ont permis d'aborder les différentes problématiques liées à la prise en charge de la dépendance et à la création du cinquième risque. La mission a ensuite profité de la suspension des travaux parlementaires pour effectuer trois déplacements : deux à l'étranger - Londres et Berlin - pour apprécier les dispositifs mis en place dans d'autres Etats-membres de l'Union européenne, et un troisième dans le département du Loiret afin de confronter les travaux de la mission à l'expérience concrète des conseils généraux et des professionnels locaux.

Il a tout d'abord souhaité connaître le rôle de l'Unccas, ainsi que les actions menées par les centres communaux d'action sociale (CCAS) en matière de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Il a ensuite demandé quelle appréciation l'Unccas porte sur le dispositif actuel de prise en charge de la dépendance, sa gouvernance, ses modalités de financement, ainsi que ses perspectives de réforme.

M. Patrick Kanner, président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale, a précisé que la structure qu'il préside regroupe 3 400 adhérents (centres communaux d'action sociale (CCAS) et centres intercommunaux d'action sociale (Cias)), ce qui représente environ 40 millions d'habitants. L'Unccas constitue ainsi une structure unique en ce qu'elle comprend aussi bien les centres communaux d'action sociale de petites et de moyennes que de grandes communes, contrairement à d'autres organismes comme les associations représentatives des communes qui sont multiples, en fonction de la taille des municipalités et de leur localisation.

Il a ensuite indiqué que si l'Unccas fédère les CCAS, ces derniers restent souverains de leurs décisions et positionnements politiques. En ce sens, l'Unccas constitue plus une confédération qu'une fédération, même si ses membres essaient de bâtir ensemble des positions communes.

Précisant les missions de l'Unccas, M. Patrick Kanner, a souligné qu'étant donné le rôle historique des CCAS dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, l'Unccas siège dans plusieurs organismes compétents en la matière : la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), le comité national d'organisation sanitaire et sociale (Cnoss), le comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et le comité national des retraités et des personnes âgées (CNRPA).

S'agissant des actions menées par les centres communaux d'action sociale, une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre que 14 % des communes de 5 000 à 10 000 habitants et 36 % des communes de plus de 10 000 habitants mènent des actions en direction des personnes handicapées à côté des associations, souvent présentées comme les principaux acteurs en ce domaine.

Les CCAS interviennent ainsi dans l'instruction des dossiers de demande d'action sociale (allocation aux adultes handicapés (AAH), allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et allocation compensatrice de tierce personne (ACTP)), assurant le lien avec les familles.

Les CCAS peuvent également créer et gérer, pour le compte des communes, des établissements et services sociaux et médico-sociaux intervenant dans le champ du handicap et de la dépendance (services d'aide à domicile (SAD), services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), foyers de vie, foyers d'hébergement, instituts médicaux éducatifs (IME), établissements et services d'aide par le travail (ESAT)).

Enfin, les CCAS sont impliqués dans la politique d'accessibilité aux bâtiments publics qui constitue une priorité de nombreuses communes.

S'agissant de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, M. Patrick Kanner a souligné que l'Unccas est un acteur ancien au sens politique du terme. Elle a notamment participé à la rédaction du « Livre noir sur la prestation spécifique dépendance (PSD) » qui a mis en évidence les limites de ce dispositif, ainsi qu'à celle du « Livre blanc sur la dépendance ». L'Unccas a également été très vigilante lors de la création de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa), qui devait, selon elle, constituer une première étape vers la mise en place d'un système global de prise en charge des personnes âgées dépendantes.

M. Patrick Kanner a indiqué que la position politique de l'Unccas sur la prise en charge de la dépendance est simple : étant donné les besoins croissants et inéluctables en la matière, elle considère qu'une réponse publique universelle est indispensable. Une réponse globale doit être apportée à une question qui concerne l'ensemble des citoyens.

M. Patrick Kanner a estimé qu'une « fenêtre pour être audacieux » est ouverte dans ce domaine, ce qui suppose la mise en place d'un dispositif de prise en charge universel, dont les prestations seraient financées par la solidarité nationale et dont la gestion serait assurée par les collectivités de proximité, le département et les CCAS. L'Unccas plaide ainsi pour la création d'un cinquième risque porté par une cinquième branche de la protection sociale financée par une ressource pérenne, de préférence la contribution sociale généralisée (CSG) qui est, à ses yeux, l'impôt le plus solidaire. L'Unccas n'ignore cependant pas le débat sur le poids des prélèvements obligatoires et son impact sur la compétitivité économique de la France.

M. Patrick Kanner a ensuite donné quelques chiffres sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes dans le département du Nord : ce département recense environ 75 000 bénéficiaires de l'Apa, soit un budget pour le conseil général de 200 millions d'euros. Les recettes attendues de la CNSA à ce titre s'élèvent, quant à elle, à 56 millions d'euros. Par comparaison, le département des Alpes-Maritimes consacre 100 millions d'euros aux dépenses d'Apa ; la contribution de l'Etat, par le biais de la CNSA, représente 35 millions d'euros. Selon les données de l'Assemblée des départements de France (ADF), le concours moyen de l'Etat aux dépenses d'Apa est de 36,66 %. Ainsi, les départements les plus démunis, qui sont également le plus souvent touchés par le vieillissement de la population, sont confrontés à un phénomène de ciseaux : l'allongement de la durée de vie se traduit par une charge fiscale nouvelle, ce qui suppose un alourdissement de l'impôt local, dont les limites de l'assiette sont pourtant connues.

Pour l'Unccas, il est enfin indispensable que la prise en charge de la dépendance s'adresse à l'ensemble des personnes en situation de perte d'autonomie sans condition d'âge, que cette perte d'autonomie résulte du vieillissement ou de la survenance d'un handicap.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir si d'importantes disparités quantitatives et qualitatives existent dans l'offre d'aides et de services proposés par les CCAS. Il s'est ensuite interrogé sur l'appréciation que l'Unccas porte, d'une part, sur le système actuel de prise en charge à domicile - par rapport aux attentes et aux besoins des usagers et à la qualification des intervenants - et, d'autre part, sur les différents plans nationaux mis en oeuvre pour faire face aux conséquences du vieillissement.

M. Patrick Kanner a indiqué que les disparités dans l'offre de soins et de services sont quasiment inéluctables et tiennent au fait que chaque CCAS est porteur des décisions politiques plus ou moins volontaristes des élus locaux. Néanmoins une certaine harmonie de l'offre de soins et de services est observée dans les grandes villes grâce notamment à l'action des centres locaux d'information et de coordination (Clic). En revanche, il en va différemment en milieu rural en raison essentiellement du manque de moyens financiers. Dans ces zones, les CCAS ne constituent pas une réponse satisfaisante. C'est pourquoi l'Unccas incite, dans les espaces ruraux, à la création de centres intercommunaux d'action sociale, qui permettent une mutualisation des moyens sans pour autant faire perdre aux communes leur pouvoir de décision. Actuellement, l'Unccas dénombre 150 Cias structurés au niveau national. L'exemple de Carcassonne montre que la mise en place de structures intercommunales permet de porter des projets qui seraient restés autrement irréalisables.

M. Daniel Zielinski, délégué général de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale, a rappelé les deux principaux apports de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale :

- d'une part, la capacité de créer plus facilement des Cias qui sont le plus souvent les supports à la création d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou d'unités Alzheimer. En effet, avec plus de 60 % de communes comptant moins de 500 habitants, l'intercommunalité est indispensable pour mutualiser les moyens financiers et humains ;

- d'autre part, la faculté pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de se voir attribuer une compétence en matière sociale, ce qui peut constituer une première étape dans la structuration de l'aide à domicile en milieu rural, avant la création éventuelle ultérieurement d'un Cias.

S'agissant de la question des personnels du secteur médico-social, les CCAS sont confrontés à des besoins croissants liés notamment aux nombreux départs en retraite : ceux-ci devraient toucher 145 000 personnes environ, qui relèvent pour l'essentiel du statut de la fonction publique territoriale, mais aussi du secteur contractuel.

M. Daniel Zielinski a indiqué que les besoins quantitatifs et qualitatifs à venir nécessiteront également une meilleure qualification des personnels concernés. C'est pourquoi, l'Unccas a signé deux conventions : l'une avec la CNSA sur la professionnalisation des acteurs du secteur médico-social ; l'autre avec l'agence nationale de services aux personnes (ANSP) sur l'analyse des besoins en formation.

Répondant à la question sur la prise en charge à domicile, M. Daniel Zielinski a indiqué que face aux besoins croissants en la matière, les aides à domicile vont poser aux collectivités territoriales un problème de financement important. A ce sujet, il s'est inquiété d'un certain désengagement de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav), qui, avec les caisses régionales d'assurance maladie (Cram), est compétente pour la prise en charge des personnes âgées les moins dépendantes, c'est-à-dire des personnes relevant des groupes iso-ressources (Gir) 5 à 6, contrairement au traitement de la « grande dépendance » (Gir 1 à 4) qui relève aujourd'hui pour l'essentiel de l'Apa. Or, les actions de prévention menées en direction des personnes classées en Gir 5 et 6 sont essentielles, dans la mesure où elles permettent de retarder l'entrée dans la « grande dépendance » et donc de réduire les coûts induits par la prise en charge de ces personnes. Les communes doivent en conséquence aujourd'hui prendre le relais des Cram qui ne fonctionnent pas de façon satisfaisante. M. Daniel Zielinski a ainsi indiqué que si la courbe d'investissement de la Cnav est en réduction, celle des communes augmente de façon importante.

Après avoir insisté à son tour sur la nécessité d'agir en matière de prévention, M. Patrick Kanner a souligné le manque de lisibilité des plans nationaux mis en place successivement pour améliorer la prise en charge de la dépendance. Ces plans se sont accumulés sans réelle cohérence d'ensemble ni évaluation des résultats obtenus. A cet égard, l'Unccas attend de la création du cinquième risque une plus grande clarté du dispositif actuel.

M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est interrogé sur la coordination des personnes et organismes intervenant auprès des personnes âgées dépendantes, le rôle de l'Unccas en la matière et l'articulation des responsabilités administratives et financières des différents acteurs institutionnels, notamment des conseils généraux et de la CNSA. Il a souhaité savoir si la mise en place des futures agences régionales de santé (ARS) permettra une amélioration de la gouvernance et apportera une réponse aux problèmes actuels de frontière entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social. S'agissant des restes à charge pour les familles, il a demandé s'il est réaliste d'envisager leur stabilisation, voire leur réduction au cours des prochaines années. Plus généralement, il a évoqué la question du financement de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et celle de l'articulation entre la solidarité nationale et les dispositifs d'assurance privée.

Citant l'exemple de la ville de Versailles, M. Patrick Kanner a indiqué que les CCAS ont toujours joué un rôle important en matière de coordination. Ils sont ainsi pleinement impliqués dans les Clic. L'action de coordination des Clic nécessite néanmoins des moyens humains importants. Par exemple, chaque Clic du département du Nord reçoit des subventions de la part du conseil général permettant le financement de 2 ou 3 équivalents temps pleins (ETP).

S'agissant du recours à l'assurance privée pour assurer le financement de la dépendance, M. Patrick Kanner a indiqué qu'il ne pourrait être que résiduel, rappelant l'attachement de l'Unccas à un mode de financement par la solidarité.

Il a précisé que la création d'une éventuelle cinquième branche doit permettre essentiellement de compenser la partie sociale de la perte d'autonomie et qu'il est possible de distinguer ce qui relève, d'une part, du secteur sanitaire et, d'autre part, du champ médico-social.

M. Daniel Zielinski a indiqué que les futures ARS pourront néanmoins être un moyen de renforcer la coordination entre le secteur hospitalier et le secteur médico-social. C'est pourquoi, les CCAS demanderont à être représentés en leur sein si ces nouvelles structures se voient attribuer des compétences médico-sociales. Il manque en effet aujourd'hui, à l'exception de quelques départements, comme les Alpes-Maritimes, de telles structures de dialogue, où l'aspect sanitaire et l'aspect médico-social sont traités ensemble.

Il a ensuite rappelé qu'au titre de leur mission d'aide sociale facultative inscrite dans la loi, les CCAS sont potentiellement investis, sur leur territoire, d'un rôle de gestion des structures de coordination et de concertation réunissant les acteurs de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Les CCAS peuvent ainsi être porteurs ou être associés à divers dispositifs tels que les maisons de la solidarité, les Clic, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ou les futures maisons de l'autonomie. Il a néanmoins attiré l'attention sur la nécessité d'éviter la création d'une nouvelle structure de coordination qui ne ferait qu'engendrer une superposition de dispositifs sans tenir compte de ce qui existe et fonctionne déjà de façon satisfaisante. Les guichets de proximité existants aujourd'hui ont en effet montré leur intérêt dès lors qu'ils s'inscrivent dans une logique de maillage territorial et de coordination des acteurs.

Par ailleurs, l'obligation réglementaire annuelle pour les CCAS de procéder à l'analyse des besoins sociaux (ABS) fait de ces structures des acteurs importants de la coordination des actions menées en matière de prise en charge de la dépendance. C'est pourquoi l'Unccass incite au rapprochement de l'analyse des besoins sociaux réalisée par les CCAS des schémas gérontologiques départementaux. A terme, un lien entre ces données et les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (Priac) est également à envisager.

S'agissant du développement du recours à l'assurance privée, M. Daniel Zielinski a mis en garde contre le risque de voir les personnes, qui n'auront pas les moyens de contracter une assurance, se retourner vers les CCAS. Les aides facultatives des CCAS seraient alors nécessairement sollicitées par ces nouveaux publics pauvres.

Mme Bernadette Dupont s'est interrogée sur les actions menées par les communes en matière de prise en charge des personnes handicapées, notamment s'agissant de la création d'établissements spécialisés, ainsi que sur l'articulation du rôle des CCAS et des MDPH.

M. Patrick Kanner a rappelé que l'Unccas avait demandé que les CCAS soient représentés au sein de la commission des droits et de l'autonomie des MDPH, mais que cette requête n'avait pas été acceptée. Les CCAS y sont cependant généralement présents, mais par la volonté des conseils généraux, qui, pour des raisons matérielles, sont le plus souvent obligés de décentraliser l'instruction des demandes d'aide sociale.

S'agissant des actions menées par les communes dans le champ du handicap, il a rappelé que les communes ne sont pas directement habilitées à créer des établissements spécialisés et doivent passer par un établissement public, au premier chef leurs CCAS. Elles peuvent néanmoins aujourd'hui se lancer dans divers programmes en faveur des personnes handicapées. Ainsi, une ville de plus de 10 000 habitants sur trois développe des actions en direction de ce public.

M. Daniel Zielinski a indiqué que la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées n'a pas fait des CCAS un membre de droit des MDPH, bien que M. Paul Blanc, rapporteur du projet de loi au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, ait à l'époque indiqué que les CCAS étaient, à ses yeux, des interlocuteurs essentiels. Les CCAS jouent néanmoins le rôle de « primo-accueil » en informant les personnes concernées ou leur famille. L'Unccas a récemment fait procéder à une enquête sur les relations entre les MDPH et les CCAS, qui montre que la coordination s'est développée sur le terrain.

M. Daniel Zielinski a précisé que, par ailleurs, les CCAS ont été sollicités pour apporter un complément financier aux MDPH, alors même qu'ils n'étaient pas représentés au sein de leurs instances de décision. L'intervention des CCAS en matière de prise en charge des personnes handicapées varie d'un département à l'autre : si leur action est forte dans le département du Puy-de-Dôme, elle est en revanche plus limitée, pour des raisons historiques, dans le département du Nord.

Après avoir rappelé l'importance de l'analyse des besoins sociaux réalisée par les CCAS comme outils d'aide à la décision des élus, M. Patrick Kanner a indiqué que l'accueil des personnes atteintes de handicaps psychiques par les CCAS n'est pas encore pleinement satisfaisant. Aussi bien l'Unccas a-t-elle réalisé un guide spécifique destiné aux CCAS.

M. Eric Doligé a souhaité savoir si l'Unccas dispose d'éléments chiffrés lui permettant d'affirmer que le recours à l'assurance privée en matière de prise en charge de la dépendance induira une augmentation des dépenses des CCAS. L'Unccas préconisant un financement par la solidarité nationale, il s'est demandé quelle devait être la part supportée par chacun des acteurs institutionnels, notamment la CNSA et les départements.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité connaître le point de vue de l'Unccas sur une éventuelle convergence de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées.

M. Patrick Kanner a rappelé que l'article 13 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, pose le principe d'une suppression de la distinction entre les personnes handicapées en fonction de l'âge en matière de compensation du handicap et de prise en charge des frais d'hébergement en établissements sociaux et médico-sociaux.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a rappelé que l'origine et la nature de la perte d'autonomie sont différentes selon qu'il s'agit de personnes handicapées ou de personnes âgées dépendantes.

M. Patrick Kanner a indiqué que le législateur s'est interrogé en 2005 sur la compensation du handicap et non sur l'origine et la nature de celui-ci, soulignant que, dans tous les cas, l'individualisation de la prise en charge est essentielle.

Il a précisé, par ailleurs, qu'un financement de la compensation du handicap, quel que soit l'âge, nécessiterait un point de CSG supplémentaire.

M. Daniel Zielinski a indiqué qu'il n'est pas possible de chiffrer l'augmentation à venir des dépenses des CCAS au titre de la prise en charge de la grande dépendance en cas de recours à un financement pour partie assurantiel de cette prise en charge. En revanche, il est possible d'affirmer que le montant des crédits consacrés aux mesures de prévention est en nette augmentation.

Il a indiqué, par ailleurs, que l'Unccas mène actuellement une réflexion sur les modalités de versement des aides facultatives communales, afin d'éviter, comme cela peut être le cas aujourd'hui, que des personnes bénéficiant de ces aides aient un reste à vivre plus important que les personnes qui n'y ont pas droit. L'Unccas réfléchit également à l'entrée dans le dispositif des aides facultatives des nouveaux publics pauvres, notamment les veuves touchant une pension de réversion ou les personnes percevant de faibles retraites.

Audition de Mmes Marie-Eve Joël, directrice du Laboratoire d'économie et de gestion des organisations de santé (Legos) à l'Université de Paris Dauphine, Agnès Gramain, professeur à l'Université de Nancy, et Sandrine Dufour, maître de conférences à l'Université de Paris Dauphine

Puis la mission a entendu Mmes Marie-Eve Joël, directrice du Laboratoire d'économie et de gestion des organisations de santé (Legos) à l'Université de Paris Dauphine, Agnès Gramain, professeur à l'Université de Nancy, et Sandrine Dufour, maître de conférences à l'Université de Paris Dauphine.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a tout d'abord rappelé que le Laboratoire d'économie et de gestion des organisations de santé (Legos) a été créé en 1973 par le professeur Emile Levy et qu'il développe l'essentiel de ses travaux de recherche, d'enseignement et d'expertise sur l'analyse économique des secteurs sanitaires et sociaux, et notamment sur l'économie du vieillissement.

Il a ensuite présenté les différents intervenants, ainsi que leurs thèmes de recherche, et a souhaité que les intervenants puissent présenter une synthèse de leurs travaux.

Mme Marie-Eve Joël, directrice du Laboratoire d'économie et gestion des organisations de santé (Legos) à l'Université de Paris Dauphine, a mis en évidence le problème du dénombrement des personnes âgées dépendantes, toujours difficile, d'une part, en raison des divergences entre les grilles d'analyse utilisées et leurs objectifs, d'autre part, en raison de la difficulté d'apprécier l'état des personnes peu dépendantes, enfin, parce que tous les patients atteints de la maladie d'Alzheimer ne voient pas leur maladie diagnostiquée. L'étude Paquid (personnes âgées Quid) estime ainsi que 400 000 personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer n'ont pas fait l'objet d'un diagnostic en ce sens. Il existe ainsi un « halo » de la dépendance, comme il existe un « halo » du chômage. Or ceci a une conséquence directe sur l'évaluation des financements nécessaires à la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Elle a opéré une distinction entre les dépendances d'origine physique et les dépendances d'origine psychique, le poids des responsabilités pesant sur l'aidant familial étant plus élevé dans ce second cas. En effet, un aidant familial et un professionnel ne suffisent pas pour s'occuper d'une personne atteinte de dépendance d'ordre psychique : une aide familiale de deuxième ordre est nécessaire. La rationalisation de la prise en charge de ces personnes, c'est-à-dire la définition du panier de soins offerts, est également plus difficile à apprécier. Or, on observe une proportion croissante de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer hébergées en maisons de retraite, ce qui conduit à s'interroger sur ce qui devrait être financé : rééducation cognitive, type de bien-être... Cette question des dépendances psychiques est d'autant plus complexe que ces patients sont en général atteints de plusieurs pathologies.

Mme Marie-Eve Joël a ensuite observé que l'aide professionnelle apportée aux personnes âgées dépendantes ne se substitue pas à l'aide informelle apportée par les familles. Celles-ci n'aident pas moins leurs parents aujourd'hui qu'hier, même si elles peuvent les aider différemment. La question de la reconnaissance de cette aide informelle se pose de plus en plus et relève de la politique familiale autant que de la politique vieillesse. Mme Marie-Eve Joël a estimé que le débat entre « faire » et « faire faire », qui implique des questions de formation, de rémunération et de reconnaissance des compétences, n'est pas clos et qu'il convient de ne pas décourager les solidarités familiales.

S'agissant de la couverture actuelle de la prise en charge du risque dépendance par l'assurance privée, elle a indiqué que Mme Sandrine Dufour a mené une étude portant sur un échantillon de trente-quatre contrats couvrant environ 1,5 million de personnes. Les nouveaux contrats proposés tendent à garantir la dépendance partielle et offrent de plus en plus de services. Lorsque l'on analyse les garanties dans le détail, une personne âgée de 60 ans désirant souscrire un contrat dépendance doit, en moyenne, verser 300 euros par an pour obtenir une rente de 600 euros par mois en cas de dépendance totale et verser 450 euros par an pour obtenir une telle rente en cas de dépendance partielle. Ces contrats reposent toutefois sur une définition stricte de la dépendance, impliquant une irréversibilité de l'état de santé, sont subordonnés à une sélection médicale et incluent des franchises importantes ainsi que des délais de carence. Dans ces conditions, le risque dépendance est assurable, mais le développement de l'assurance dépendance n'apparaît pas comme la « solution miracle » pour permettre la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Mme Marie-Eve Joël a ensuite mis en évidence les problèmes de gouvernance de la prise en charge des personnes âgées dépendantes et a indiqué que celle-ci ne repose pas uniquement sur les acteurs médico-sociaux, en soulignant notamment l'importance du gré à gré et du travail au noir en ce domaine.

S'agissant des expériences internationales, elle a observé que les études comparatives menées dans différents pays de l'Union européenne ont aujourd'hui des ambitions limitées, mais qu'il ne semble pas exister de « bon modèle » directement importable en France. Une politique claire de prise en charge des « gros risques » semble toutefois permettre de faire valoir des raisonnements davantage fondés sur les rationalités économiques en ce qui concerne la prise en charge des autres pathologies. A cet égard, le discours collectif français est souvent porteur d'un idéal élevé, pour lequel les arguments économiques sont perçus comme revenant à brider les pratiques professionnelles des acteurs médico-sociaux. Par ailleurs, les expériences de « case manager » et de réseaux de soins coordonnés méritent une attention particulière, même s'il n'existe pas de doctrine et de pratique uniques.

En conclusion, elle a jugé nécessaire de faire avancer les réflexions sur la rationalité économique du sujet âgé pour pouvoir progresser dans le débat sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Elle a également mis en évidence les questions de maltraitance financière.

M. Philippe Marini, président, a rappelé que la mission commune d'information venait d'effectuer deux déplacements, l'un au Royaume-Uni, l'autre en Allemagne, pays ayant développé des modèles de prise en charge très différents : filet minimal de sécurité pour le premier, modèle de développement d'un risque structuré par le biais d'une branche de sécurité sociale pour le second. Il a souhaité savoir si un modèle européen pourrait faire, plus facilement que d'autres, l'objet d'une adaptation en France, et disposer, le cas échéant, d'éléments bibliographiques complémentaires.

Mme Marie-Eve Joël a estimé que la Suède peut constituer un modèle intéressant, dans la mesure où la couverture des « gros risques », comme la dépendance psychique, y est garantie. Une fois que la population est assurée de voir les pathologies les plus lourdes prises en charge, il est plus aisé de faire valoir des raisonnements davantage fondés sur les rationalités économiques en ce qui concerne la prise en charge des autres pathologies.

Mme Agnès Gramain, professeur à l'université de Nancy, a précisé que ses travaux de recherche portent sur les aides informelles et la gouvernance locale. S'agissant des aides informelles, on constate que l'aide apportée par les familles est un phénomène commun en Europe, même si la forme de ce soutien et son intensité peuvent varier selon les pays considérés, notamment si l'on analyse le taux de cohabitation intergénérationnelle et le taux de prise en charge professionnelle des personnes âgées dépendantes. Les personnes âgées dépendantes vivant seules ont également un comportement différent de celles vivant en couple, les premières faisant preuve d'une rationalité économique plus marquée.

M. Philippe Marini, président, s'est interrogé sur le classement des différents pays du point de vue de la solidarité.

Mme Agnès Gramain a distingué trois catégories de pays :

- l'Espagne et l'Italie, pays où la solidarité et la cohabitation intergénérationnelles sont fortes et où l'on observe une distinction entre le comportement des fils et des filles : alors que les premiers cohabitent toujours avec leurs parents, les filles ont tendance à rompre cette cohabitation à un moment donné, puis à cohabiter à nouveau lorsque leurs parents deviennent dépendants ;

- la France, l'Allemagne et la Suède, où la solidarité est d'abord le fait des femmes, plus investies que les hommes, mais où la cohabitation intergénérationnelle est assez faible, les enfants habitant près de leurs parents, mais pas chez eux ;

- les Pays-Bas, où l'on n'observe quasiment pas de cohabitation intergénérationnelle, les personnes âgées vivant soit seules, soit en couple, mais où l'on constate une égalité parfaite d'implication des hommes et des femmes du point de vue de l'aide apportée à leurs parents dépendants.

Mme Sandrine Dufour, maître de conférences à l'Université de Paris-Dauphine a indiqué qu'elle avait mené une étude pour le compte de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur la situation française en matière d'assurance dépendance.

Elle a observé que le marché français de l'assurance dépendance est fortement concentré, même si l'on note à la fois une croissance du nombre d'acteurs impliqués, qui atteint aujourd'hui la trentaine, et un développement du marché lui-même, contrairement à la situation rencontrée aux Etats-Unis. Elle a précisé que, dans leur démarche commerciale, les assureurs ou les banques visent d'abord les clients qu'ils détiennent déjà.

Les nouveaux contrats proposés tendent de plus en plus à assurer également la dépendance partielle, ce qui ne va pas sans poser de difficultés aux assureurs, lesquels retiennent une définition stricte de la dépendance, en imposant la notion d'irréversibilité du phénomène et en recourant à un croisement de grilles d'analyses. Le développement de services proposé par les contrats se fait sur des bases forfaitaires et les prestations offertes sont dans l'ensemble assez légères pour les assureurs. Ceux-ci s'attachent à maîtriser le risque, en ayant notamment recours à la sélection médicale, afin de le rendre assurable.

Mme Sandrine Dufour a, par ailleurs, mis en évidence la difficulté de combiner les produits d'assurance dépendance avec d'autres produits d'assurance existants. Elle a souligné que la commercialisation de ces produits prend du temps, notamment en raison des difficultés psychologiques à s'imaginer dépendant. D'autre part, le fait que les sommes investies dans ces contrats soient perdues en cas d'absence de réalisation du risque dépendance constitue également un obstacle, ce qui explique le développement de produits mêlant épargne et protection contre la dépendance.

M. Philippe Marini, président, a observé que, du point de vue assurantiel, la dépendance peut être conçue soit comme étant liée à la maladie (ce qui conduit à essayer d'identifier toutes les dépenses éligibles, mais s'écarte du système assurantiel pur pour s'apparenter à un système administré, si l'on excepte l'aspect de sélection médicale), soit comme un élément supplémentaire du risque vieillesse (ce qui conduit à rechercher une rente supplémentaire). Il a estimé qu'un choix entre ces deux approches est nécessaire.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir si le plan Alzheimer annoncé par le Président de la République répond aux remarques de Mme Marie-Eve Joël sur la prise en charge de la dépendance psychique. Il lui a, en particulier, demandé de préciser son analyse concernant l'articulation de ce plan avec les autres dispositifs de prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Il a également souhaité connaître son point de vue sur la mise en place des agences régionales de santé (ARS) et sur l'articulation entre secteur sanitaire et secteur médico-social.

Il s'est ensuite interrogé sur les places respectives de la solidarité nationale et des dispositifs d'assurance individuelle et s'est demandé si des dispositifs d'incitation fiscale spécifiques doivent être envisagés afin de développer l'assurance individuelle.

Enfin, il s'est demandé si la notion de convergence de la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées, introduite par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, est pertinente, et jusqu'à quel point.

Mme Marie-Eve Joël a estimé que le plan Alzheimer constitue une réponse nationale qui doit ensuite être déclinée au niveau local, ce qui n'est pas simple.

S'agissant de l'articulation entre le secteur médical et le secteur médico-social, elle a jugé qu'une partie des difficultés provient de la formation des personnels sociaux et médico-sociaux et de leur poids relatif dans le système de prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Mme Agnès Gramain a indiqué que le secteur médico-social devrait être représenté au sein des ARS, en raison des nombreuses passerelles entre les financements médicaux et les financements médico-sociaux.

Concernant l'articulation entre solidarité nationale et assurance individuelle, Mme Sandrine Dufour a estimé qu'il convient au préalable de définir le périmètre de la prise en charge publique afin de permettre aux assureurs de se positionner. Elle a précisé que, du point de vue assurantiel, les états de dépendance les plus graves sont relativement plus faciles à couvrir que les états intermédiaires.

Mme Marie-Eve Joël s'est ensuite déclarée favorable au principe de convergence de la prise en charge des personnes handicapées et des personnes âgées dépendantes, mais a estimé que cette convergence interviendra lentement.

M. Philippe Marini, président, s'est demandé si la même carence physique doit forcément être prise en charge de la même manière quel que soit l'âge considéré. En effet, en Angleterre, l'approche qui prévaut en termes de prise en charge des personnes handicapées au cours de leur vie active est celle de leur réinsertion sur le marché du travail. L'approche est en revanche différente, s'agissant d'une personne qui se trouve en fin de vie. On pourrait donc imaginer d'opérer une distinction entre « logique de compensation » pour les personnes âgées dépendantes et « logique de reconversion » pour les personnes handicapées.

Mme Agnès Gramain a jugé qu'il convient de distinguer, du point de vue de l'assurance, l'analyse des ressources et celle des dépenses. En effet, une personne atteinte d'un handicap au cours de sa vie active voit ses ressources amputées, ce qui n'est pas le cas d'une personne à la retraite. En revanche, dans les deux cas, les personnes supportent des dépenses supplémentaires du fait de leur handicap. Il est donc essentiel de bien distinguer les deux cas de figure d'un point de vue actuariel.

Mme Marie-Eve Joël a estimé qu'une logique de prise en charge individualisée des personnes permettrait de concilier ces différentes approches. De ce point de vue, elle a considéré que la notion de convergence actuellement mise en avant s'apparente davantage à une convergence de gestion.

Mme Bernadette Dupont a souhaité obtenir des précisions complémentaires sur les modalités de définition de la dépendance retenues dans les contrats d'assurance.

Mme Sandrine Dufour a indiqué que différents critères sont généralement retenus pour établir l'état de dépendance permettant à l'assuré de bénéficier d'une rente. La commercialisation des produits d'assurance dépendance est longue, dans la mesure où ils nécessitent un temps important de présentation du risque et de ses conséquences, qui peuvent apparaître lointaines et mal identifiées.

M. Philippe Marini, président, a estimé qu'il paraît logique et assez facilement compréhensible de proposer au souscripteur d'un produit d'épargne-retraite une couverture supplémentaire du risque dépendance. Il a, par ailleurs, fait état des expériences anglaises de prêt viager hypothécaire et de couverture des besoins immédiats (immediate needs), permettant à une personne déjà dépendante d'obtenir une garantie de prise en charge par l'assureur en mobilisant une partie de son patrimoine, afin de ne pas constituer une charge pour ses héritiers.

Mme Agnès Gramain a estimé que le risque pour les personnes ne porte pas seulement sur la prise en charge de l'état de dépendance lui-même, mais aussi sur le coût des services de prise en charge et est donc fonction de l'évolution des salaires. Or l'évolution du marché du travail, en particulier du segment des aides à la personne, apparaît très incertaine. Un accès à des services par le biais des assurances souscrites serait préférable, dans la mesure où il couvrirait à la fois le risque de dépendance en tant que tel et celui du coût de prise en charge. Il est toutefois très difficile d'extrapoler les besoins de services et l'évolution des coûts de personnel à horizon de vingt ans, ce qui explique le recours aux rentes.

Mme Bernadette Dupont a observé que, même si l'on parvient à inciter les jeunes générations à s'assurer, il conviendra de prendre en compte les personnes des générations plus anciennes, qui n'ont pu s'assurer auparavant et pour lesquelles les primes d'assurance sont désormais prohibitives.

M. Philippe Marini, président, a indiqué que la mobilisation du patrimoine est alors envisageable. Il a observé que, si l'on suit certaines analyses relatives à l'évolution du marché du travail sur le segment de la dépendance et au renchérissement prévisible de la main-d'oeuvre, la situation de ces générations plus âgées n'est pas nécessairement la plus défavorable.

Audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav)

Enfin, la mission a entendu Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav).

A titre liminaire, M. Philippe Marini, président, a souligné que la mission a non seulement besoin de connaître les modalités de l'action sanitaire et sociale réalisée par la Cnav au titre de la dépendance des personnes âgées, mais également de comprendre comment ces interventions s'articulent avec celles des nombreux autres acteurs de cette politique publique.

Il a ensuite constaté que depuis la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) au profit des personnes âgées relevant du groupe iso-ressources (Gir) 1 à 4, la branche vieillesse de la sécurité sociale a choisi de recentrer ses aides sur les assurés les moins dépendants. Puis il s'est interrogé, d'une façon générale, sur les positions du conseil d'administration de l'assurance vieillesse au sujet du dispositif actuel de prise en charge de la dépendance, de sa gouvernance, de son mode de financement et de ses perspectives de réforme.

Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav, a tout d'abord confirmé que l'assurance vieillesse a effectivement été conduite à adopter une politique volontariste en matière de prévention de la perte d'autonomie. Par là même, il s'est agi de tirer les conséquences de la création de l'Apa et des responsabilités nouvelles confiées à cette occasion aux conseils généraux. Jusqu'alors, en effet, les organismes de sécurité sociale disposaient d'un champ de compétence beaucoup plus large en ce qui concerne les personnes âgées.

Elle a souligné que les actions de prévention permettent de retarder l'âge d'entrée en dépendance des assurés. Grâce aux caisses régionales d'assurance maladie (Cram) qui jouent dans ce domaine un rôle efficace de relais territoriaux de la Cnav, la branche vieillesse dispose de la possibilité d'accorder aux retraités qui en ont besoin des aides individuelles, mais également collectives. Cette politique prend la forme aussi bien d'actions de maintien à domicile que de plans individualisés, élaborés sur la base d'un panier de prestations comme la téléassistance, le portage des repas, la livraison des courses, les sorties culturelles, les déplacements accompagnés ou l'amélioration des logements. En définitive, il s'agit de développer par tous les moyens possibles les liens sociaux.

Mme Danièle Karniewicz a précisé que l'assurance vieillesse s'attache aussi à venir en aide aux assurés sociaux qui reviennent à leur domicile après une hospitalisation, à améliorer l'information des retraités ainsi qu'à favoriser, grâce à des partenariats, la création de projets immobiliers innovants et diversifiés. Au total, la Cnav a consacré, en 2007, 370 millions d'euros à l'action sanitaire et sociale, dont 321 millions pour le maintien à domicile et près de 50 millions d'euros en matière d'aide aux lieux de vie collectifs. Le régime général transfère par ailleurs 40 millions d'euros par an à la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (Cnsa).

Après s'être félicitée du très fort taux de satisfaction (90 %) exprimé par les bénéficiaires de ces aides, elle a insisté sur le bilan des différentes actions de partenariat conduites par le régime général d'assurance vieillesse. Ce travail en commun est réalisé avec les conseils généraux, la Mutualité sociale agricole (MSA), l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc), l'Association des régimes de retraite complémentaire (Arrco), l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec), mais également avec les centres d'examen de santé. Il permet tout à la fois d'améliorer la prévention, de dégager des financements supplémentaires et d'évaluer avec précision les besoins des retraités.

M. Philippe Marini, président, a souhaité obtenir davantage de précisions sur la nature des 370 millions d'euros que la Cnav consacre à l'action sanitaire et sociale. Il s'est demandé en particulier quels sont les critères sur la base desquels sont choisis les projets sélectionnés par l'assurance vieillesse, alors même que les besoins à satisfaire dans ce domaine apparaissent quasi infinis.

Constatant que l'action sanitaire et sociale de la Cnav répond à une demande d'accompagnement très forte des personnes âgées les plus fragiles, Mme Danièle Karniewicz a précisé qu'après avoir développé dans un premier temps les heures d'aide ménagère, la branche vieillesse de la sécurité sociale met désormais l'accent sur la mise en oeuvre d'aides personnalisées, dont le champ ne se limite pas aux seuls problèmes médicaux, mais prend également en compte leurs besoins sociaux. Pour ce faire, elle s'appuie sur le réseau des Cram, dont l'action combine ces deux dimensions.

M. Philippe Marini, président, s'est interrogé sur l'articulation des interventions des organes centraux de la Cnav, d'une part, de ses relais locaux, d'autre part. Il s'est demandé en particulier si l'instruction des dossiers confiée aux Cram permet de prendre en compte toute la spécificité de la situation des personnes âgées dépendantes.

Mme Marie-Thérèse Hermange a fait valoir que cette interrogation conduit à reposer la question des contours de la définition de la notion de dépendance. Si l'on en venait, comme elle le souhaite, à y faire figurer le handicap, les barrières d'âge cesseraient d'interférer dans le champ de cette politique publique.

Mme Danièle Karniewicz a indiqué, dans la mesure où la Cnav ne dispose d'aucune compétence en matière de handicap, qu'elle n'est pas à même de se prononcer sur ce point. S'agissant, en revanche, des personnes âgées, le travail réalisé conjointement avec les Cram repose sur des procédures efficaces qui ont fait leurs preuves, notamment en ce qui concerne l'évaluation des besoins des assurés sociaux, domaine essentiel dans lequel les relais locaux de l'assurance vieillesse disposent d'experts compétents.

Faisant référence à des expériences concrètes vécues par les acteurs de terrain, Mme Marie-Thérèse Hermange a souhaité savoir si la Cnav se préoccupe aussi des conséquences indirectes, pour les personnes dépendantes, de pathologies comme le diabète. Dans ce cas de figure, prévenir la perte d'autonomie des assurés sociaux les plus fragiles nécessiterait aussi que les soins de pédicurie soient remboursés par la sécurité sociale.

Mme Danièle Karniewicz a précisé que ce type de démarche, dont l'objet consiste à mieux anticiper sur l'évolution de l'état de santé des assurés, fait partie des préoccupations prioritaires de l'action sanitaire et sociale menée par la Cnav. La problématique du retard de l'entrée en dépendance des personnes âgées s'appuie désormais sur des études très précises.

M. Philippe Marini, président, a fait valoir que les priorités des Cram peuvent varier d'une caisse à l'autre. Il s'est dès lors demandé quels modes de gouvernance l'assurance vieillesse a choisi de mettre en place pour encadrer l'action de ses relais locaux.

Mme Danièle Karniewicz a précisé que le conseil d'administration détermine les grandes lignes de l'action sanitaire et sociale de la caisse, les Cram bénéficiant ensuite d'une importante délégation de pouvoirs pour leur mise en oeuvre. En pratique, la Cnav alloue 320 millions d'euros par an aux caisses régionales d'assurance maladie, mais elle veille à répartir cette enveloppe entre les différentes régions.

D'une façon générale, M. Auguste Cazalet s'est félicité du rôle positif joué par l'assurance vieillesse en matière de prévention du risque de perte d'autonomie.

Faisant référence aux inquiétudes exprimées lors de son audition par le président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas), M. Philippe Marini, président, a souhaité savoir si la Cnav envisage effectivement de supprimer, ou de réduire, ses aides aux personnes âgées faiblement dépendantes.

Après avoir souligné le caractère totalement infondé de ces craintes, Mme Danièle Karniewicz a rappelé que les organismes de sécurité sociale se sont vu attribuer, en 1967, la mission de prendre en charge les personnes âgées et ce, quel que soit leur état de santé. La création de l'Apa a introduit une rupture importante en transférant aux conseils généraux d'importantes compétences en matière de perte d'autonomie. Poursuivre dans cette voie, en regroupant au sein des finances départementales l'ensemble des crédits d'action sociale, notamment ceux versés par la Cnav aux personnes relevant des Gir 5 et 6, induirait un risque de confusion des rôles. Les conseils généraux pourraient être amenés, compte tenu de l'ampleur des besoins à satisfaire, à concentrer leurs interventions sur la seule prise en charge de la dépendance et à limiter ainsi les actions de prévention, qui sont pourtant indispensables.

Mme Marie-Thérèse Hermange a estimé qu'il faudra démentir au plus vite les inquiétudes infondées exprimées par le président de l'Unccas.

Faisant référence aux propos sévères tenus par le Président de la République lors de son intervention du 18 septembre 2007, Mme Danièle Karniewicz a souligné que les instances de la Cnav se sont elles aussi inquiétées et depuis longtemps de la complexité et de l'opacité du système de prise en charge des assurés sociaux. Après avoir insisté sur l'ampleur et la diversité des attentes exprimées par les familles, elle a constaté que les proches des malades manquent en particulier de repères et d'information pour le traitement des dossiers administratifs : très souvent, les enfants de ces personnes ne savent pas à qui s'adresser et craignent d'avoir à assumer seuls la lourde charge de s'occuper de leurs parents.

Puis elle a considéré que l'égalité des droits des assurés sociaux n'est pas assurée sur le territoire national : deux personnes dépendantes souffrant d'une même pathologie ne sont pas nécessairement évaluées, ni surtout prises en charge de la même manière suivant les départements. Même si l'action des organismes de sécurité sociale demeure sans doute perfectible, elle garantit un bien meilleur respect du principe d'universalité des droits.

M. Philippe Marini, président, a souhaité savoir quelle est la nature exacte des rapports existant entre la Cnav, d'une part, les personnes dépendantes et leur famille, d'autre part. S'agit-il tout autant de contacts indirects établis par le biais des Cram que de relations directes liées aux demandes de liquidation des droits à la retraite des assurés sociaux ?

Mme Danièle Karniewicz a confirmé que tel est bien le cas, tout en soulignant que l'assurance vieillesse connaît bien la population des personnes en perte d'autonomie dont elle s'occupe. A ce titre, elle a précisé que 75 % des bénéficiaires des aides de la Cnav vivent seuls, 71 % ont des revenus inférieurs à 1 000 euros, 59 % sont veufs et 26 % n'ont plus de lien social. Elle a indiqué en outre que l'âge moyen d'accès aux prestations est de quatre-vingts ans, que 45 % d'entre eux n'accèdent que très difficilement à leur logement et que 36 % ont été hospitalisés au cours des douze derniers mois.

M. Philippe Marini, président, a souhaité recueillir des précisions complémentaires sur les modes d'intervention de la Cnav via ses relais locaux, les Cram.

Mme Danièle Karniewicz a répondu que l'action sanitaire et sociale de la Cnav s'appuie pour une large part sur les structures associatives, notamment dans le domaine du maintien à domicile. Ce constat fait d'ailleurs l'objet de débats au sein du conseil d'administration de la Cnav, certains membres considérant que les familles devraient pouvoir choisir librement les prestataires auxquels elles ont recours, en concluant directement avec eux des accords de gré à gré. Mais le rôle très important occupé aujourd'hui par les associations est le produit d'une longue histoire et résulte du poids des habitudes. Il n'est donc pas facile de promouvoir une démarche nouvelle.

Faisant référence au récent déplacement réalisé par la mission dans le département du Loiret, M. Philippe Marini, président, a souligné que les acteurs de terrain rencontrés à cette occasion par les sénateurs ont insisté sur la nécessité de mieux contrôler ces structures associatives et de susciter une certaine concurrence entre elles, afin de les inciter à améliorer leurs prestations. En Allemagne aussi, d'ailleurs, on retrouve une segmentation très forte de l'organisation de la prise en charge des personnes dépendantes entre les établissements d'origine confessionnelle, ceux dépendant des communes et ceux plus ou moins affiliés aux organisations syndicales. Chacune de ces grandes familles d'intervenants dispose d'une large autonomie, mais dans le cadre d'une relation contractuelle avec l'assurance maladie gérant la cinquième branche de sécurité sociale.

Mme Danièle Karniewicz s'est félicitée, d'une façon générale, de la solidité des liens familiaux dans notre pays, tout en observant que ce sont quasi exclusivement des femmes qui s'arrêtent de travailler pour s'occuper de leurs proches devenus dépendants. Elle a considéré que le développement, par ailleurs sans doute souhaitable, de relations directes, entre les familles et les prestataires de service, nécessite une réflexion approfondie.

M. Philippe Marini, président, a jugé que si les aidants familiaux venaient à être rémunérés dans notre pays, ce type d'accords de gré à gré pourrait aussi conduire à des abus.

Sur la question du financement de la politique de la dépendance, Mme Danièle Karniewicz a fait part de l'attachement des membres du conseil d'administration de la Cnav au développement d'un socle de solidarité collectif très solide : l'assurance dépendance doit être obligatoire, collective et universelle, ne serait-ce que pour éviter que l'accès aux prestations ne soit différent sur l'ensemble du territoire national.

Après avoir indiqué qu'il comprend parfaitement cette préoccupation, M. Philippe Marini, président, a toutefois fait valoir qu'il existe d'importantes différences entre les personnes dépendantes vivant en milieu urbain ou en zone rurale, de même que les différences de contexte familial ou sociologique ne peuvent être niées.

Mme Danièle Karniewicz a considéré qu'il convient effectivement de développer une approche très pointue de la prévention de la perte d'autonomie. Les besoins d'aide des assurés sociaux seront de toute évidence très importants au cours des prochaines décennies et nécessiteront un effort significatif. Toute la question consiste donc à savoir s'il convient de privilégier une réponse individuelle ou collective pour y faire face. Face à ce défi, le conseil d'administration de la Cnav est convaincu de l'intérêt de développer un système de solidarité obligatoire et universel.

Bien que les travaux de la mission ne soient pas achevés et que ses conclusions soient loin d'être arrêtées, M. Philippe Marini, président, a exprimé sa conviction qu'il faudra probablement adopter une approche du risque de la dépendance sur la base de plusieurs piliers, selon une architecture relativement proche de celle de l'assurance vieillesse. La proximité entre ces deux domaines apparaît en effet plus forte qu'avec les politiques du handicap ou de la maladie. Au total, la dépendance peut être définie comme un risque vieillesse aggravé avec des pathologies chroniques créant des problèmes de solvabilité supplémentaires.

Mme Marie-Thérèse Hermange a estimé que l'approche défendue par la présidente de la Cnav tendant à instaurer une assurance dépendance obligatoire universelle rend d'autant plus nécessaire de disposer enfin d'une évaluation comparative du coût des pathologies à l'origine de la perte d'autonomie, selon que les assurés sociaux vivent en collectivité ou dans leur logement. Il s'agit en particulier d'établir avec certitude si une personne prise en charge à domicile coûte moins cher à la collectivité nationale que si elle se trouvait prise en charge dans un établissement d'hébergement.

Notant également que près de 26 % des bénéficiaires des aides de la Cnav n'entretiennent quasiment plus de liens sociaux, elle a souhaité savoir s'il était possible de disposer d'une projection démographique, à l'horizon d'une trentaine d'années, sur l'évolution prévisible du nombre de personnes vivant seules.

Mme Danièle Karniewicz a estimé que la mutation des structures familiales, du nombre des mariages et de la fréquence des divorces rend probablement un tel exercice prospectif difficile à réaliser. Mais le problème de l'isolement constitue une réalité qui doit être prise en compte par la Cnav.

Après avoir souligné, sur la base des données recueillies par la caisse, que le maintien des assurés sociaux à leur domicile le plus longtemps possible apparaît sans aucun doute comme la solution la moins onéreuse pour la collectivité, elle s'est inquiétée du reste à charge très élevé que doivent acquitter les personnes âgées dépendantes, alors qu'elles ne disposent en moyenne que d'une retraite d'un montant relativement faible. En ce qui concerne le débat portant sur l'opportunité d'instituer un recours sur la succession des assurés sociaux, elle a fait part des fortes réserves exprimées par la plupart des membres du conseil d'administration de la Cnav. Il s'agit en effet d'éviter que des personnes ne renoncent à l'aide à laquelle elles auraient droit, uniquement dans le but de préserver l'héritage de leurs enfants.

Enfin, elle a estimé que le souci consistant à établir une ligne de partage claire entre les dépenses de santé et celles imputables à la dépendance ne doit pas conduire à minimiser le champ d'intervention de la Cnam : un assuré social qui a cotisé toute sa vie à l'assurance maladie doit pouvoir bénéficier de la prise en charge des soins dont il a besoin.

Revenant sur le débat relatif à la mise à contribution du patrimoine des personnes dépendantes, M. Philippe Marini, président, a fait valoir qu'il convient également de prendre en compte l'intérêt de la société sur ce sujet, d'autant plus que la perspective d'une augmentation continue du niveau des cotisations sociales ne serait absolument pas compatible avec la préservation de la compétitivité de notre économie.

Face au défi de la dépendance, Mme Danièle Karniewicz a jugé que le choix principal que les pouvoirs publics doivent effectuer consiste, ou bien à laisser nos concitoyens se débrouiller seuls, ou bien à mettre en place une assurance collective obligatoire.

M. Philippe Marini, président, a considéré qu'il ne s'agit pas d'opposer la solidarité nationale aux mécanismes assurantiels, mais de bâtir un système à trois piliers, à l'instar de ce qui existe déjà en matière de retraite. Au surplus, il sera de plus en plus difficile à l'avenir de faire abstraction de la valeur du patrimoine des assurés sociaux pour déterminer les conditions d'accès aux prestations.

Relativisant le rôle joué par les retraites « surcomplémentaires », Mme Danièle Karniewicz a estimé que les Français ne peuvent actuellement véritablement compter que sur le régime de base de l'assurance vieillesse, ainsi que sur l'Agirc et l'Arcco.

M. Philippe Marini, président, a fait valoir a contrario que le troisième étage de notre système de retraite connaît aujourd'hui une montée en charge significative. D'ici à une génération, il sera en mesure de jouer un rôle significatif.

Mme Danièle Karniewicz a jugé qu'il convient au préalable de définir un socle de solidarité très solide entre tous les assurés. Il sera alors possible de concevoir des mécanismes individuels, mais qui ne pourront jouer qu'un rôle subsidiaire en matière de couverture du risque de perte d'autonomie.

M. Philippe Marini, président, a ensuite relevé qu'à l'occasion de son récent déplacement en Allemagne, les membres de la mission ont écouté avec intérêt un député du Bundestag leur exposer dans le détail les multiples techniques utilisées par certains assurés sociaux pour organiser leur insolvabilité avant de faire appel à la collectivité.

Après avoir constaté que de tels phénomènes existent et traduisent une évolution sensible des mentalités, Mme Danièle Karniewicz a réaffirmé la préoccupation prioritaire de la Cnav consistant à prévenir la perte d'autonomie des personnes âgées.