Mardi 5 mai 2009

- Présidence de M. Claude Belot, président -

Réunion du sous-groupe compétences

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a considéré que la clause de compétence générale était consubstantielle à la notion même de collectivités territoriales et qu'il convenait de la préserver afin, notamment, de permettre aux collectivités de pouvoir répondre aux circonstances et faire preuve d'initiative.

M. Edmond Hervé a rappelé que nul ne contestait l'attribution de la clause de compétences générale à la commune mais qu'il n'y avait pas unanimité pour la reconnaître aux autres niveaux de collectivités au motif qu'il s'agissait d'un facteur de dépenses. Il a considéré qu'il n'était pas possible de fixer dans la loi des listes de compétences ni de définir des blocs de compétences figés. Il a estimé qu'il fallait définir des compétences obligatoires mais non exclusives pour chaque niveau de collectivités territoriales.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a fait part de son inquiétude concernant le débat qui existait au niveau de l'exécutif et dans la majorité tendant à réduire les dépenses de collectivités territoriales par tous les moyens. Il a estimé qu'il revenait au Sénat de dégager une majorité afin de légitimer l'action des collectivités territoriales et de protéger leurs ressources fiscales et financières. Il a salué la qualité du travail au sein de la mission temporaire et la pertinence des débats nourris par des expériences de terrain.

M. Edmond Hervé a déclaré qu'il n'appartenait pas à la mission de se livrer à une « revue générale des collectivités territoriales » qui se traduirait par moins de collectivités territoriales, moins de compétences et moins d'élus.

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a considéré que la mission ne devait pas s'écarter de ses objectifs. Il a rappelé la nécessité de préserver la capacité des collectivités territoriales à agir en faveur du développement économique des territoires.

M. Bruno Retailleau a évoqué la nécessité de clarifier les compétences des politiques territoriales tout en préservant la clause de compétence générale. Il a estimé qu'il n'était pas possible de revenir sur cette dernière sans modifier d'abord l'article 72 de la Constitution.

M. Edmond Hervé a rappelé que dans plusieurs pays européens, comme l'Italie et l'Espagne, les compétences des collectivités territoriales étaient directement définies dans la Constitution. Il a estimé que le pouvoir du législateur était important pour définir la clause de compétences générale et que celle-ci constituait la base de la décentralisation. Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, et M. Bruno Retailleau ont considéré que le rôle du Sénat consistait à essayer de mener à bien la clarification des compétences et à se faire l'écho des préoccupations des représentants des associations d'élus.

M. Dominique Braye a estimé que la mission ne devait pas se situer en retrait des attentes de l'opinion qui attendait des changements réels. Il a déclaré que les élus devaient se préoccuper d'abord de l'intérêt général tandis que M. Yves Détraigne a plaidé également pour des changements. M. Yves Krattinger, rapporteur, évoquant le travail de terrain déjà effectué, a considéré que le rôle de la mission n'était pas de répondre uniquement aux attentes de l'opinion et que si tel était l'objectif, une démarche référendaire serait davantage adaptée. M. Bruno Retailleau a déclaré que la préoccupation principale des Français était que les services publics locaux fonctionnent tout en observant qu'ils souhaitaient également que les impôts soient maîtrisés.

M. Edmond Hervé a estimé que la mutualisation des moyens des collectivités et des EPCI qui se développaient était le contraire du conservatisme et a appelé au maintien des services juridiques des préfectures et des chambres régionales des comptes.

M. Claude Belot, président, a estimé que près de 98 % des compétences des collectivités territoriales étaient bien identifiées et que le travail de la mission avait déjà permis de définir les principes permettant d'améliorer la lisibilité et l'efficacité. Il a rappelé que les collectivités territoriales n'avaient pas pour objectif de gaspiller les ressources publiques tandis que M. Yves Krattinger, rapporteur, a estimé que l'objectif de la mission était l'amélioration de la décentralisation et non la réduction des dépenses publiques.

Puis, la mission a engagé un large débat afin d'évaluer la répartition des compétences existant aujourd'hui entre les différents acteurs (État, différents niveaux de collectivités territoriales, sécurité sociale) et de définir les contours d'une clarification de cette répartition.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a tout d'abord évoqué les politiques publiques en matière d'action sociale, domaine dans lequel le département détient des compétences très importantes.

Il a indiqué que la possibilité de procéder à une contractualisation généralisée entre les différents acteurs afin de déterminer en commun les modalités d'exécution des orientations fixées par le schéma départemental médico-social a déjà fait l'objet d'une mise en oeuvre au début des années 2000. Cette contractualisation n'a pas donné de résultats convaincants en raison notamment des profondes modifications législatives survenues durant la même période (transfert du revenu minimum d'insertion, loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales). En effet, le développement et le bon fonctionnement des outils contractuels présupposent la stabilité juridique.

Il a ensuite observé qu'en matière de politique du handicap des mesures de clarification des compétences entre les différents acteurs, et notamment l'État et les départements, pourraient être étudiées, par exemple les modalités de transfert aux départements du financement de l'allocation adultes handicapés (AAH) et des établissements et service d'aide par le travail (ESAT).

M. Claude Belot, président, a souligné qu'une telle évolution a le mérite de confier une compétence globale aux départements en matière de prise en charge des personnes handicapées.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a poursuivi ce rapide panorama en soulignant les difficultés rencontrées par les départements en matière de gestion des établissements médico-sociaux du fait de la complexité des modalités de tarification et de la multiplicité des acteurs. Des difficultés peuvent également apparaître dans la gestion des crédits d'action sociale de la caisse nationale d'allocations familiales et de la caisse nationale d'assurance vieillesse ce qui a pu amener certains de nos collègues à proposer de transférer la gestion de ces crédits aux départements.

M. Claude Belot, président, a souligné la nécessité de préserver une politique de solidarité nationale mise en oeuvre par l'État et les caisses de sécurité sociale qui assure l'égalité des prestations et des services sur l'ensemble du territoire national.

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a souligné l'intérêt de transférer les crédits d'action sociale des caisses de sécurité sociale vers les départements. L'enchevêtrement des compétences exercées par les caisses et les collectivités territoriales ne fait l'objet que de très rares débats alors que cette situation a des effets négatifs sur le développement de certaines politiques locales en raison du manque de coordination, voire dans certains cas de dialogue, entre les différents intervenants.

Il a estimé que cette situation est essentiellement imputable aux caisses de sécurité sociale qui agissent selon des logiques et des procédures qui ne tiennent pas compte des politiques locales.

M. Dominique Braye a estimé que le transfert des crédits d'action sociale des caisses de sécurité sociale ne peut être évoqué qu'en tenant compte du rôle de ces dernières en matière de péréquation nationale.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a observé que les caisses doivent optimiser leur participation aux politiques locales, notamment dans le domaine de la petite enfance.

Il a souligné que la qualité des rapports entretenus entre les caisses et les élus locaux varie selon les territoires.

A titre personnel, il s'est prononcé en faveur d'une conférence départementale réunissant les différents acteurs concernés et permettant d'instaurer un dialogue régulier. Cette conférence doit réunir les caisses de sécurité sociale de toutes les branches, mais également d'autres structures, comme la Poste, dont les activités doivent être, pour partie, coordonnées avec les politiques territoriales.

M. Claude Belot, président, a considéré nécessaire de déterminer les modalités d'un dialogue régulier entre les collectivités territoriales et les caisses de sécurité sociale, et notamment les caisses d'allocations familiales.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a ensuite souligné que les collectivités locales n'ont que peu de compétences en matière sanitaire, notamment depuis la loi du 13 août 2004 qui a transféré à l'État les politiques de prévention. Il a toutefois souligné que certains départements continuent d'intervenir dans ce domaine, par exemple en matière de prévention du cancer.

Il a ensuite évoqué les compétences des régions en matière de formation professionnelle. Il a jugé qu'en ce domaine quelques clarifications peuvent être recherchées, notamment sur le financement des centres de formation des apprentis (CFA) ou sur le transfert à la région du financement des actions concernant les publics spécifiques (ateliers de pédagogie personnalisés, lutte contre l'illettrisme, validation des acquis de l'expérience pour les demandeurs d'emplois non indemnisés).

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a souligné l'existence de dysfonctionnements dans l'organisation de l'apprentissage.

M. François Patriat a indiqué que les régions peuvent déjà prendre en charge par la voie de la délégation les actions concernant les publics spécifiques.

Il a souligné l'existence de déséquilibres de financement entre les CFA suivant les secteurs professionnels et l'absence réelle de péréquation dans l'affectation de la taxe professionnelle.

Il a observé que le recouvrement de la taxe professionnelle devrait être confié aux conseils régionaux.

M. Claude Belot, président, a estimé que toutes évolutions en ce domaine doivent tenir compte des efforts entrepris par les compagnies consulaires en matière de formation par apprentissage.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a expliqué que la région pourrait se voir confier la responsabilité de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Dans le prolongement de la discussion, il a indiqué la possibilité d'étudier les modalités de mise en oeuvre d'une expérimentation confiant à un conseil régional l'ensemble des compétences en matière d'emploi, de formation professionnelle et d'insertion aujourd'hui détenues par les collectivités territoriales.

M. Dominique Braye a souhaité évoquer les questions liées à l'urbanisme et au logement. Il a fait part de son intérêt pour la réalisation de plans locaux d'urbanisme (PLU) intercommunaux. Cette solution est évoquée par de nombreux acteurs locaux, ainsi qu'il a pu le constater lors des auditions réalisées à l'occasion de ses activités de rapporteur de la commission des affaires économiques, mais les collectivités territoriales ne sont pas encore prêtes à cette évolution, en tout cas sur un mode directif.

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a rappelé que le PLU constitue une compétence essentielle des communes.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a fait part de son accord de principe sur la création d'un PLU communautaire. Il a toutefois estimé que si un tel document est indispensable dans une agglomération, sa pertinence est moindre sur un territoire rural au sein duquel les coopérations doivent être privilégiées et les débats importants concentrés dans les bourgs centres et près des infrastructures afin de favoriser le développement des zones d'activités.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a observé que la création d'un PLU communautaire peut constituer une solution pour lutter contre les problèmes de mitage et favoriser le développement urbain.

M. Claude Bérit-Débat a fait part de ses réserves sur la création d'un PLU communautaire. Il a estimé que les questions de mitage, de logement ou de développement économique doivent être traitées au niveau des schémas de cohérence territoriale.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a ensuite évoqué les compétences détenues par les collectivités territoriales en matière d'éducation et d'enseignement supérieur. Au sein de ces politiques, plusieurs aménagements de la répartition des compétences peuvent être entrepris. La possibilité de déléguer la gestion des lycées aux départements a été évoquée à plusieurs reprises lors des travaux de la mission sans qu'une solution optimale ne se dégage. La prise en charge par les départements de la santé scolaire, de l'action sociale en direction des publics scolaires, tout comme le transfert des dépenses du premier équipement (par exemple les livres scolaires) resté à la charge de l'État ou encore la possibilité de confier aux régions la possibilité de coordonner les services d'orientation professionnelle doivent faire l'objet d'un examen approfondi. Le rattachement des personnels intendants aux départements constitue également une piste de clarification utile pour placer la gestion des personnels techniques (TOS) sous une même chaîne hiérarchique.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a ensuite fait valoir que la répartition des compétences en matière d'enseignement supérieur peut également être précisée.

A l'issue d'un débat auquel ont participé M. Claude Belot, président, M. Claude Bérit-Débat, Mme Jacqueline Gourault et M. Yves Krattinger, rapporteurs, MM. François Patriat et Jean-Pierre Vial, il a été convenu que la question de la gestion du bâti universitaire ne peut être traitée par la mission en raison de l'application partielle, à la date des travaux de la mission, de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a jugé qu'une réflexion peut néanmoins être engagée sur le transfert aux régions de la politique de soutien à l'innovation et aux transferts de technologies.

Concernant la compétence transport et infrastructures, les membres de la mission se sont déclarés favorables au transfert à la région des transports interurbains tandis que M. Yves Krattinger, rapporteur, a insisté sur la nécessité de favoriser l'intermodalité en créant des autorités organisatrices de transport uniques partagées et non hiérarchisées au niveau régional.

M. Jean-Pierre Vial a considéré qu'il était nécessaire de donner de la souplesse à l'organisation actuelle des transports urbains en évoquant le cas de deux agglomérations de son département qui n'arrivaient pas à se mettre d'accord pour unifier leur système de transport.

Evoquant le versement transport, M. Claude Bérit-Débat a proposé de relever le taux plafond pour les collectivités dont la population est comprise entre 10 000 et 100 000 habitants et qui ont adopté un plan global concernant leurs déplacements afin de favoriser le développement des transports en commun, en expliquant que cette idée avait fait l'objet d'un amendement au projet de loi de finances pour 2006 qui n'avait pas été retenu. M. Yves Krattinger, rapporteur, s'est déclaré favorable à une extension du versement transport aux frontières du plan de déplacements urbains (PDU) lorsque celui-ci dépasse les limites de l'agglomération. Les membres de la mission ont approuvé les propositions permettant d'augmenter les ressources des collectivités territoriales afin de financer les infrastructures.

Concernant la compétence tourisme, les membres de la mission se sont déclarés favorables à ce que chaque niveau de collectivités territoriales conserve une capacité d'action et ont considéré qu'il revenait au niveau local de conduire la politique d'accueil et de promotion tandis que les équipements structurants avaient vocation à être financés par les communes, les intercommunalités et les départements avec le soutien des régions. M. Claude Belot, président, a considéré qu'en matière de tourisme les collectivités locales allaient plus loin que ce n'était le cas pour le développement économique car il pouvait leur arriver de créer et de gérer elles-mêmes des infrastructures.

Evoquant l'exemple des châteaux de la Loire, Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a cependant considéré qu'il était contre-productif que les trois niveaux de collectivités territoriales interviennent dans la promotion touristique du fait des redondances et de l'absence de démarche globale qui en résultait.

M. Jean-Pierre Vial a souligné qu'il existait un lien entre tourisme et développement économique et a observé que le comité régional du tourisme de Rhône-Alpes n'hésitait pas à utiliser l'image de la montagne et des lacs pour promouvoir le tourisme régional. Il a observé que les budgets des grandes stations de sport d'hiver comme Tignes ou Val d'Isère étaient chacun supérieur au budget de promotion de Savoie Mont-Blanc, organisme commun aux deux départements de Savoie, qui lui-même était supérieur au budget du comité régional de tourisme (CRT).

M. Bruno Retailleau a considéré que le tourisme devait rester une compétence partagée et les membres de la mission ont approuvé l'idée d'un plan région/département pour préciser les champs d'intervention de chaque niveau de collectivités et des communautés ainsi que les coopérations envisagées.

Mercredi 6 mai 2009

- Présidence de M. Claude Belot, président -

Réunion du sous-groupe finances locales

M. Yves Krattinger, rapporteur, a d'abord fait un point sur les soldes intermédiaires de gestion, dans la perspective de l'instauration d'une nouvelle assiette pour l'impôt économique local. Il a ainsi rappelé que la valeur ajoutée (VA) des entreprises est composée des salaires, des impôts et taxes, des charges financières, de la dotation aux amortissements et du résultat. Il a également souligné la difficulté de localiser la valeur ajoutée par établissement en raison, tant des mécanismes de facturation internes des entreprises que des stratégies d'optimisation fiscale.

Il a ensuite rappelé que les membres du sous-groupe finances de la mission s'étaient accordés, lors de précédentes réunions, sur la nécessité de garder un lien entre les entreprises et les collectivités locales par le biais de l'impôt, notamment pour que les élus restent intéressés à la présence des entreprises sur leur territoire. En outre, la suppression de la taxe professionnelle (TP) doit être intégralement compensée pour que les collectivités locales puissent continuer à exercer leurs compétences, tant obligatoires que facultatives. A cet égard, l'attribution aux collectivités de parts supplémentaires de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ou de la taxe sur les conventions d'assurance (TSCA) ne constitue pas une solution satisfaisante, dans la mesure ou il est impossible de prévoir le dynamisme de ces impôts. Enfin, l'équilibre entre l'effort fiscal des ménages et celui des entreprises ne doit pas être modifié.

M. Yves Krattinger a par ailleurs souligné que la réforme de la taxe professionnelle aurait inévitablement pour conséquence des transferts de richesse entre collectivités, en particulier au bénéfice de celles où sont implantées davantage d'entreprises du secteur tertiaire, et la fin de certaines rentes de situation. A cet égard, la garantie de progression minimale de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a constitué une aubaine pour les collectivités territoriales riches, en sanctuarisant leurs recettes alors même que les bases fiscales diminuaient. Cette situation était acceptable pendant la période de forte croissance, lorsque la richesse était suffisante pour tous. Cependant, les territoires plus pauvres ont pâti du ralentissement économique du milieu des années 1970 et l'Etat n'a pas su corriger son système de dotations pour leur venir en aide. Cette analyse démontre la nécessité d'un renouveau de la péréquation comme préalable à toute réforme réussie. Le rapport de la mission devra donc mettre en exergue la nécessité d'une péréquation améliorée, garantie par la loi. Pour ce faire, il s'appuiera utilement sur les analyses du rapport de MM. Claude Belot et Jean François-Poncet, paru en 2003 (« La péréquation interdépartementale : vers une nouvelle égalité territoriale », rapport d'information n° 40 du Sénat fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, 2003).

M. Bruno Retailleau a approuvé ces propos en soulignant que les principes de l'autonomie fiscale, de la persistance d'un lien entre les entreprises et le territoire, de l'absence de report de la pression fiscale sur les ménages et d'une péréquation forte avaient déjà été validés par les membres du sous-groupe. En revanche, il s'est interrogé sur l'impact pour l'emploi du choix d'une assiette « valeur ajoutée » composée à 80 % de salaires, en particulier dans les industries intensives en main-d'oeuvre soumises à la concurrence internationale.

M. Charles Guené a estimé que la valeur ajoutée était une bonne assiette du fait de son dynamisme. Un plafonnement de l'impôt économique local à 1,5 % ou 2 % de la valeur ajoutée, contre 3,5 % actuellement, serait par ailleurs sans doute souhaitable afin de limiter l'effet négatif sur l'emploi. Les chefs d'entreprises souhaitent que ce plafonnement s'impose également à la part d'impôt assise sur le foncier bâti. Il convient en outre de garantir la neutralité de la réforme pour les recettes des collectivités au moment de sa mise en oeuvre, l'évolution des transferts de richesse par la suite étant cependant plus difficile à évaluer et à gérer. En revanche, de nombreux petits contribuables ne sont assujettis qu'à une TP forfaitaire et ne percevront que très peu les effets de la réforme.

Une autre solution envisageable pour compenser la suppression de la TP consisterait, selon lui, à ajouter quelques points à la TVA : une telle mesure serait neutre pour les entreprises nationales sur le territoire français mais les rendrait plus compétitives à l'exportation. Elle réorienterait en outre la consommation des ménages vers les produits français. Il a par ailleurs remarqué que le développement de la fiscalité environnementale incitait à la concentration de l'activité économique et tendait par conséquent à figer les inégalités territoriales. Enfin, il ne s'est pas montré hostile à l'idée d'un remplacement de la TP par une dotation avec une marge de progression, complétée, par exemple, par des parts de grands impôts nationaux tels que la TVA ou l'impôt sur les sociétés.

M. Philippe Dallier a également insisté sur la nécessité d'un mécanisme de garantie et d'une péréquation améliorée comme préalable à la réforme. Il a cité en exemple la région parisienne, dans laquelle, du fait de l'insuffisant développement de l'intercommunalité, les transferts de bases dus à l'instauration d'une assiette « valeur ajoutée » ne manqueraient pas de bénéficier aux collectivités où le secteur tertiaire est très développé, et qui sont déjà les plus riches.

M. Pierre Jarlier a souligné que l'effort fiscal était actuellement moins important dans les territoires les plus riches. La réforme ne doit pas sanctuariser cette situation mais permettre, au contraire, une meilleure répartition des richesses.

M. Claude Belot, président, s'est montré favorable à l'idée d'une augmentation de la TVA en remplacement d'une partie du produit de la TP, une telle augmentation étant favorable aux exportations. Par ailleurs, il a rappelé que l'autonomie fiscale était historiquement indissociable de la démocratie municipale. Au contraire, l'attribution aux collectivités territoriales d'une part de TIPP ou de TSCA n'offre aucune garantie de produit.

M. Claude Bérit-Débat a marqué son désaccord avec une augmentation de la TVA, qui équivaudrait selon lui à un transfert de charge vers les ménages. M. Bruno Retailleau a également estimé que la mission ne pouvait pas traiter le problème de la TVA sociale, mais devait se concentrer sur la nature de l'assiette « entreprises » de l'impôt appelé à remplacer la TP.

M. Pierre-Yves Collombat a considéré qu'outre le fait qu'elle pèserait d'abord sur les ménages, la TVA sociale ne présenterait qu'un avantage très limité de compétitivité pour les entreprises implantées en France par rapport à celles des pays à bas salaires. Il a par ailleurs assuré que l'idée de remplacer la TP par des dotations était liée à une vision péjorative de l'impôt, et mettrait in fine les collectivités territoriales dans les mêmes difficultés financières que l'Etat.

Audition de M. Olivier Fouquet, président de section au Conseil d'Etat

Puis la mission a procédé à l'audition de M. Olivier Fouquet, président de section au Conseil d'Etat.

Invité par M. Yves Krattinger, rapporteur, à présenter devant la mission les conclusions du rapport sur la réforme de la taxe professionnelle qu'il avait remis au premier ministre en 2004, M. Olivier Fouquet a indiqué que la commission qu'il présidait alors s'était efforcée de trouver un équilibre entre l'intérêt des entreprises engagées dans une économie mondialisée et celui des collectivités territoriales, qui ont besoin de ressources fiscales modulables et pérennes. Par ailleurs, il ne s'agissait pas de supprimer la taxe professionnelle (TP) mais seulement d'amender son assiette.

Il a rappelé que cette assiette devait à l'origine, en 1976, être composée des salaires, des investissements, de la valeur foncière et des bénéfices des entreprises. Cette dernière part avait finalement été abandonnée. En outre, une erreur de calcul avait généré, la première année, des transferts de charges imprévus entre entreprises. Les critiques dont la nouvelle assiette avait alors fait l'objet avaient finalement conduit, dès 1980, à acter le principe d'un impôt assis sur la valeur ajoutée (VA) assorti d'un plafonnement. En 1998, le constat que l'assiette « équipements et biens mobiliers » (EBM) était défavorable à l'investissement et à l'emploi avait conduit le ministre des finances à envisager d'instaurer cette assiette « valeur ajoutée ». Toutefois, en raison des craintes de l'administration devant la difficulté technique de cette réforme, l'évolution de la TP s'était finalement réduite à la suppression de la part salaires. Cette amputation peu judicieuse a exagérément favorisé, selon M. Olivier Fouquet, les entreprises riches en main-d'oeuvre, sans apporter de solution au problème de la taxation des investissements, défavorable à l'emploi. Il a ainsi souligné la singularité de l'assiette de la taxe professionnelle française en Europe, la plupart des collectivités territoriales des autres pays s'appuyant uniquement sur une assiette foncière. Si cette singularité ne provoque probablement pas de délocalisations, elle dissuade sans doute certains investissements étrangers.

Le choix de la valeur ajoutée comme nouvelle assiette, proposé par le rapport Fouquet, permettrait notamment d'opérer un transfert partiel de la charge fiscale supportée par les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale, qui sont souvent celles qui ont le plus d'EBM, à celles du secteur moins exposé. Ce choix ne représenterait pas une révolution intellectuelle, puisque la notion de valeur ajoutée est déjà utilisée pour calculer la cotisation minimale de TP (1,5 % de la VA) et la cotisation plafond introduite en 2006 (3,5 % de la VA). Il imposerait cependant de mettre en oeuvre des critères de localisation tels que la surface et le nombre d'employés. Les simulations effectuées dans le cadre de la commission Fouquet avec ce type de critères ont montré de forts transferts entre collectivités territoriales, que la commission avait envisagé de lisser sur 10 ans. Les transferts de charges entre entreprises seraient, quant à eux, moins importants.

En revanche, M. Olivier Fouquet a indiqué que l'excédent brut d'exploitation (EBE) ne constituerait pas une bonne assiette du fait de sa grande volatilité. En outre, ce choix conduirait à de trop grands transferts de charges entre entreprises.

Enfin, la commission Fouquet avait proposé, comme première étape de la réforme, une année de simulation « en blanc », avec une déclaration supplémentaire fictive des entreprises correspondant à la nouvelle assiette.

Après la remise du rapport, la réforme s'était réduite à une mesure d'exonération des investissements nouveaux, avec comme objectif implicite l'extinction progressive de l'assiette investissements.

Concernant la nouvelle réforme annoncée par le président de la République, elle consiste en la suppression de la part EBM de l'assiette de la TP. La substitution pure et simple d'une dotation à cette ressource fiscale poserait à l'évidence problème au regard de la notion constitutionnelle de « part prépondérante de ressources propres » dans les ressources totales des collectivités locales. Le remplacement de cette assiette « EBM » devra donc nécessairement être assuré, au moins en partie, par une ressource fiscale. Celle-ci pourrait consister en une généralisation de la cotisation minimale de la taxe professionnelle, établie à 1,5 % de la valeur ajoutée, probablement assortie d'un transfert de parts d'impôts nationaux sur lesquelles les collectivités n'auraient pas de marge de manoeuvre.

M. Olivier Fouquet s'est montré défavorable à cette dernière solution et a préconisé que les collectivités territoriales puissent faire varier le taux appliqué à la valeur ajoutée dans une fourchette allant de 1,5 % à 2,5 % ou 3,5 %. Une liaison souple de ce taux avec ceux des taxes « ménages » garderait par ailleurs un intérêt pour éviter les situations anormales. A cet égard, il convient de noter que le rapport entre l'effort fiscal des ménages et celui des entreprises est resté stable au cours des dernières années.

Par ailleurs, ce principe de modulation des taux dans une fourchette pourrait également être retenu pour créer un second impôt économique, reprenant l'assiette « foncier bâti » des entreprises. Les collectivités pourraient ainsi, par exemple, tenir compte des nuisances engendrées par les gros établissements en augmentant le taux s'appliquant au foncier, sans grever parallèlement la valeur ajoutée. L'assiette foncière, pour le moment très archaïque, doit cependant être profondément rénovée pour qu'une telle solution soit envisageable. Toutefois, cette rénovation ne pose pas de problème politique majeur.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a ensuite interrogé M. Olivier Fouquet sur les points suivants :

- quelles sont les modalités envisageables d'une conciliation entre la vision du Sénat sur la réforme de la TP, marquée par son rôle constitutionnel de représentant des collectivités territoriales, et celle du gouvernement ?

- comment expliquer que la France soit un des principaux pays d'accueil des investissements étrangers si la taxe professionnelle est dissuasive ?

- le plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée n'a-t-il pas permis de parvenir à un degré satisfaisant d' « acceptabilité » de la TP ?

En réponse, M. Olivier Fouquet a d'abord indiqué que le pouvoir exécutif ne pourrait, en tout état de cause, ni ignorer le point de vue des élus locaux, ni risquer d'aggraver le déficit public. Le remplacement de la taxe professionnelle par des ressources fiscales étant par conséquent une nécessité, le Parlement devrait, selon lui, s'efforcer d'obtenir le pouvoir de modulation des taux déjà évoqué. Par ailleurs, si l'assiette « valeur ajoutée » était retenue, toute solution permettant de minimiser les transferts de compétences entre collectivités recueillerait probablement l'assentiment du gouvernement.

Concernant les investissements étrangers, il est vrai que, dans les critères d'implantation des entreprises, le degré de pression fiscale passe après les infrastructures ou la formation de la main-d'oeuvre. D'ailleurs, la fiscalité française sur les entreprises, caractérisée par des taux élevés mais des assiettes réduites, n'est globalement pas plus lourde que dans les autres pays. Toutefois, les entreprises sont sensibles à la complexité excessive de l'assiette de la TP et au fait qu'elle soit, sur un plan comptable, déductible de l'impôt sur les sociétés : cette dernière caractéristique, en réalité favorable aux entreprises, fausse néanmoins les comparaisons internationales.

Enfin, si le plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée a effectivement corrigé certains abus, la persistance de l'assiette EBM est préjudiciable aux petites entreprises qui, achetant de nouveaux équipements en gardant les anciens, payent ainsi deux fois la TP.

En réponse à une question de M. Charles Guené, M. Olivier Fouquet a ensuite confirmé que le Conseil constitutionnel considérerait comme une ressource propre des collectivités territoriales une part de la valeur ajoutée fixée au niveau national. M. Charles Guené a également indiqué que le monde économique espérait une taxe fixée à 1,5 %, assise sur le foncier, et a soumis l'idée d'une nouvelle taxe économique locale entièrement versée aux communes et à leurs groupements, les autres niveaux de collectivités recevant des parts d'impôts nationaux. Sur ce dernier point, M. Olivier Fouquet a estimé qu'il serait trop compliqué de procéder à la fois à la réforme de la TP et à une réaffectation de son produit entre les différents niveaux de collectivités.

M. Edmond Hervé a d'abord salué l'exposé de M. Olivier Fouquet. Il a ensuite souhaité que les principes dégagés par le Conseil constitutionnel, tels que la prépondérance des ressources propres, ne soient pas oubliés. Il a également exprimé son accord avec le principe d'une possibilité de modulation des taux par les collectivités, assorti de règles de liaison des taux. Il a par ailleurs rappelé que la taxe professionnelle unique avait été une source d'économies importantes en provoquant la suppression de nombreuses zones industrielles ou artisanales inutiles. Il a ensuite appelé chacun à prendre de la hauteur et à ne pas se laisser influencer par la considération des transferts dont pourrait pâtir sa propre collectivité territoriale. Il s'est en outre montré défavorable à la spécialisation sur un seul type d'assiette de l'impôt économique local, à l'intégration de la TIPP dans le « panier fiscal » bénéficiant à chaque niveau de collectivités pour compenser la diminution du produit de TP, ainsi qu'à la progression des dotations de l'Etat aux collectivités. Enfin, il a estimé que la fiscalité mixte était légitime dans une intercommunalité exerçant des compétences importantes en matière de services à la population.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, l'ayant interrogé sur le maintien ou non d'une part départementale et régionale sur chacune des deux assiettes (valeur ajoutée et foncier bâti) envisagées pour le nouvel impôt, M. Olivier Fouquet a estimé que chaque niveau de collectivités avait de bons arguments à faire valoir pour se voir attribuer une part d'impôt. Néanmoins, la commune ou l'intercommunalité sont sans doute, selon lui, le niveau privilégié du contact entre les chefs d'entreprise et les élus, et à ce titre les bénéficiaires les plus naturels de l'impôt économique local.

M. Philippe Adnot a, quant à lui, estimé que le département était la collectivité essentielle pour le développement économique, du fait de sa compétence voirie. En outre, les départements ont un important rôle péréquateur et il serait donc malvenu de les exclure des produits perçus sur les éoliennes ou les installations nucléaires.

En réponse à une question de M. Philippe Dallier, M. Olivier Fouquet a par ailleurs indiqué que le gouvernement n'envisageait pas, dans cette réforme, un jeu à somme nulle entre entreprise, Etat et collectivités, mais bien une diminution globale des charges pesant sur les entreprises.

Enfin, M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a souhaité savoir quelle assiette, des investissements ou des salaires, était la plus préjudiciable à l'emploi, et si des pays étrangers pouvaient fournir des exemples intéressants d'impôt économique local. M. Olivier Fouquet a répondu que l'assiette « investissements » était sans conteste la plus défavorable aux entreprises et à l'emploi. Concernant les points de comparaison possibles, il existe un impôt italien proche de la TP et qui semble bien fonctionner.