Mercredi 16 mai 2012

- Présidence de M. Yves Daudigny, président -

Financement des établissements de santé - Audition de M. Michel Antony, de Mme Françoise Nay, et de M. Cesbron, membres de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la mission procède à l'audition de M. Michel Antony, de Mme Françoise Nay et de M. Paul Cesbron, membres de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.

M. Yves Daudigny, président. - Les modalités de financement des établissements santé, la T2A et les dotations correspondant aux missions d'intérêt général, ne constituent qu'une modalité de répartition de l'Ondam hospitalier. Elles ne sont pas neutres ; elles ont une incidence directe sur le fonctionnement et l'orientation des activités de ce secteur. Nous souhaitons d'autant plus entendre les représentants de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternité de proximité. Certains hôpitaux de proximité pratiquent déjà la T2A et les hôpitaux locaux devraient, en principe, passer sous ce régime l'an prochain. D'après vous, quelles sont les conséquences de ce mode de tarification, quels sont ses avantages, ses inconvénients, ses éventuels effets pervers ? Influe-t-il sur la restructuration de l'offre de soin territoriale ?

M. Michel Antony, président de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. - La Coordination nationale est une association pluraliste qui regroupe les usagers de la santé : des patients - et surtout pas des consommateurs de la santé -, des représentants de la société civile, des élus locaux et des professionnels de la santé. Dans notre positionnement, il s'agit avant tout de prendre en compte la satisfaction des besoins des personnes et des territoires et des personnes. La priorité des priorités n'est pas financière, administrative ou technique, elle porte sur les choix pour répondre aux besoins des populations, citoyens ou non, sans papiers ou avec.

Nous nous interrogeons en priorité sur les besoins de notre pays. La notion de proximité est essentielle. Par proximité, j'entends les hôpitaux locaux, mais aussi les CHU dans la mesure où ils répondent aux attentes des populations urbaines. Le financement global de la santé devrait assurer un aménagement du territoire cohérent. L'égalité exige le maintien d'hôpitaux de proximité dignes de ce nom, aptes à répondre aux besoins de la population concernée, même s'ils ne font pas tous la même chose. Cette proximité n'est pas synonyme de dépenses supplémentaires ni de déficits : elle résout l'essentiel des problèmes de santé de la population et évite les transferts inutiles, les déplacements stupides. Il est temps de mettre un terme au rassemblement des malades dans les centres de regroupement. Ainsi, les urgences des grands centres hospitaliers sont engorgées par des patients qui auraient parfaitement pu être pris en charge ailleurs.

Tout ce qui a été fait en matière de financement ces dernières années ne nous convient pas. Les hôpitaux ont été considérés comme des centres financiers, des entités privées dont les budgets devaient être équilibrés, et la loi HPST a accentué cette dérive en oubliant la satisfaction des besoins des patients par l'humanité des soins à l'hôpital. Les politiques doivent remettre en cause ces évolutions récentes, notamment la loi HPST, la convergence public-privé et l'actuelle T2A. C'est des besoins de santé que l'on déduira les besoins de financement.

Sans être des comptables ni des professionnels, nous représentons une population qui subit les effets d'une politique dommageable. De nombreux lits d'hôpitaux ont été supprimés, surtout en maternité, si bien que 20 % à 30 % des malades ne consultent plus. Il n'est pas acceptable qu'un Etat démocratique et égalitaire laisse des gens au bord de la route. Il est indispensable de revenir en arrière.

La T2A et la politique de convergence ont multiplié les restructurations au détriment de l'aménagement du territoire qui aurait dû rester une priorité.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Votre définition de la proximité est très large puisqu'elle englobe les CHU : c'est l'ensemble des plateaux techniques que vous considérez. Vous semblez vouloir en revenir à un financement global de l'hôpital. Les communautés hospitalières de territoire crées par la loi HPST sont-elles de nature à préserver les moyens humains et techniques existants ? Que pensez-vous des groupements de coopération sanitaire qui associent public et privé ?

Mme Françoise Nay, vice-présidente de la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. - La plupart des hôpitaux sont endettés, étranglés financièrement. L'Ondam est une enveloppe fermée qui les contraint, et le paiement à l'acte accentue cette contrainte.

Les communautés hospitalières de territoire ont pour objectif de rentabiliser un certain nombre de services en les regroupant sur un seul site, au détriment des besoins de la population - voyez le cas du Vaucluse. C'est d'ailleurs ce qui se passait avec les fusions, lorsqu'on supprimait une maternité sur deux. On reste dans cette logique qui a conduit à des concentrations.

On demande aux hôpitaux de faire plus avec moins de moyens humains et techniques. Si on persiste dans cette voie, on raisonnera non pas en termes de mieux mais de moins pire.

Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes sur les groupements de coopération sanitaire : ils vont fortement pénaliser les hôpitaux publics. L'hôpital sud-francilien coûtera cher au secteur public. Nous refusons ces partenariats public-privé dans le cadre actuel.

Inflationniste, la T2A conduit à l'abandon d'activités jugées non rentables ou à privilégier les plus rentables. En outre, elle est délétère pour les petits hôpitaux et implique une logique financière de l'hôpital entreprise - ne parle-t-on pas de production de soins. Voilà pourquoi nous refusons cet ensemble.

Ainsi, la maternité des Bluets est en grande difficulté financière du fait de la T2A, car le tarif de l'accouchement normal a diminué progressivement et la démarche d'accompagnement n'est pas prise en compte, ainsi pour l'allaitement. La césarienne rapporte plus à l'hôpital qu'un accouchement qui se passe bien, et l'infection urinaire plus que la césarienne. C'est totalement illogique si l'on se considère la qualité des soins.

La T2A pousse à la concentration des moyens, surtout dans les maternités, afin de réduire les coûts. De plus, les femmes qui accouchent sortent de plus en plus tôt des hôpitaux, sans que les soutiens à l'extérieur soient pris en compte. Or, pour l'hôpital de Bicêtre, il n'y a pas dans certaines villes du Val-de-Marne-Ouest de gynécologues ni de pédiatres et très peu de sages-femmes en libéral. Voilà comment on suscite des difficultés.

M. Paul Cesbron, membre du conseil d'administration, de la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. - Les communautés hospitalières de territoire ont pour objectif de réaliser des économies, partant de réduire l'offre de soin. Le but était de répondre aux besoins de santé. La loi HPST autorise le maintien d'une autonomie financière des hôpitaux dans le cadre des communautés. Or, pratiquement toutes les communautés hospitalières de territoire s'inscrivent aujourd'hui dans la réduction de l'offre de soins. Alors que l'objectif était une coopération entre unités hospitalières, ce qui est souhaitable, c'est tout le contraire qui se passe actuellement.

Les groupements de coopération sanitaire se font presque exclusivement entre le public et le privé, alors que la loi permettait tout à fait des groupements entre hôpitaux publics afin d'acheter, par exemple, des matériels coûteux, comme une IRM. L'expérience démontre que les groupements de coopération sanitaire public-privé se réalisent au détriment du secteur public. Ils excluent le caractère lucratif des établissements nouveaux ; l'avantage du privé résulte de l'utilisation du matériel en cause et d'une répartition du travail qui le favorise dans les faits. Cela ne correspond pas aux besoins.

M. Michel Antony. - Depuis notre création en 2004, nous souhaitons la constitution de réseaux entre les hôpitaux et les autres structures de santé. Nous voulons qu'ils soient démocratiquement choisis et qu'ils respectent l'autonomie de chacun. En revanche, les réseaux actuellement constitués ne respectent pas l'autonomie des établissements : il y a toujours un établissement pivot qui l'emporte sur les autres. Ces derniers perdent des services, des lits, du personnel, tandis qu'un seul centre reçoit tous les patients, sans bénéficier pour autant d'infrastructures adaptées ni de suffisamment de personnel. C'est aberrant. Et nous constatons cette situation aussi bien dans le Vaucluse, qu'en Aveyron, en Bretagne, en Midi-Pyrénées, ou en Franche-Comté. Partout, la santé publique de proximité a disparu, avec de terribles effets sur la population ainsi mise à l'écart.

En lisant le préambule de la loi HPST, on était à deux doigts de proposer une adhésion à Mme Bachelot. Dans les faits, la loi a été détournée de son objet, au détriment de l'hôpital public avec, à la clef, la disparation de centaines de services de cardiologie, d'urgence de nuit, de chirurgie. Il ne reste que 500 maternités sur les 1 700 qu'il y avait dans les années 1970, alors que la population a augmenté et que le taux de fécondité reste élevé. Vous le voyez, nous ne sommes pas opposés à toute coopération, dès qu'elle est libre et égalitaire.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Nous sommes allés la semaine dernière dans le Vaucluse, nous avons rencontré les différents responsables des établissements qui sont en train d'élaborer une communauté hospitalière de territoire au niveau départemental. Il ne semble pas qu'il y ait une subordination forte des petits établissements à l'égard de l'hôpital pivot d'Avignon, mais plutôt une répartition des activités en fonction des moyens.

Les groupements de coopération sanitaire pour les moyens techniques ne constituent pas une nouveauté. Ils prennent le relais des GIE qui étaient créés pour les équipements lourds, des GIP ou des syndicats inter-hospitaliers pour l'informatique ou la logistique. Les regroupements entre hôpital et clinique privée pour former un nouvel établissement ne semblent pas démarrer.

M. Paul Cesbron. - Les groupements de coopération sanitaire ne se limitent pas à un rapprochement entre un hôpital et une clinique. Ils concernent aussi des services, comme ceux dédiés à la cardiologie interventionnelle, qui fait l'objet d'une véritable OPA du privé. Ces regroupements s'opèrent au détriment de l'hôpital public, auquel ils coûtent très cher. La Cour des comptes a signalé le déficit pour le public des partenariats public-privé, mais ce type de regroupements se fait aussi aux dépens du public.

M. René-Paul Savary. - Nous sommes tous favorables à la proximité. Pourtant, les patients qui veulent le meilleur sont prêts à se déplacer pour l'obtenir : les ruraux à la ville voisine, les habitants de celle-ci à la métropole régionale, puis à Paris. Comment s'adapter à ce problème de technicité  et aux mouvements de population ? En outre, de nombreux territoires souffrent d'un déficit en médecins et en infirmiers.

Vous êtes opposés à l'enveloppe fermée et à la T2A. Que proposez-vous en contrepartie ?

M. Michel Antony. - Dans le Vaucluse, avez-vous rencontré les comités de Valréas, de Pertuis, de Cavaillon, ou les syndicats ? Les analyses ont souvent lieu avec les responsables administratifs, moins avec les usagers ou les personnels. Les principaux concernés sont rarement interrogés, cela fausse l'analyse. Le comité de Valréas qui défend une maternité, a gagné en appel au tribunal administratif contre Mme Bachelot pour non-respect de la continuité des soins - la maternité n'a pas été rétablie pour autant. Nos amis de Pertuis ont perdu la leur, et l'hôpital est exsangue, alors que la population, proche d'une centrale nucléaire, augmente. Quelle incohérence !

Avec la loi HPST, la centralisation autocratique a triomphé. Les choix sont arrêtés par le président de la République, le ministre de la santé, les ARS, qui nomment les directeurs d'hôpitaux condamnés à suivre une seule politique. Ces derniers doivent faire au mieux en fonction des moyens qui leur sont attribués - c'est dramatique. Ils ferment des services lorsqu'il n'y a pas assez de flux. Pour nous, ce terme est une véritable injure : il s'agit de la santé des Français, pas d'une marchandise ! En ne considérant que les moyens, les concentrations s'imposent. On ne garderait que quelques CHU. Pourquoi pas un seul hôpital en France, alors ?

Certes, les gens se déplacent, mais pourquoi ne pas fermer la chirurgie publique, puisque les patients privilégient la chirurgie privée ?

Mme Françoise Nay. - Les gens ne vont plus forcément là où ils veulent mais là où ils peuvent se faire soigner. Ils n'ont plus la possibilité de se faire opérer de choses simples près de chez eux. Une pose de prothèse de hanche ne requiert pas un grand service en orthopédie. Inversement, pour une fracture du col du fémur, les urgences peuvent vous envoyer dans une petite clinique, qui n'a pas le plateau technique d'un hôpital. Le patient va là où il y a de la place : il n'a pas le choix.

M. René-Paul Savary. - Mais non !

Mme Françoise Nay. - Mais si ! Allez aux urgences de Bicêtre, vous êtes transférés sur une clinique où il y a de la place. Quand il n'y a qu'un spécialiste, en urologie par exemple, les patients vont dans le privé et payent les dépassements d'honoraires. Le choix n'existe pas : tout le monde ne va pas dans le grand service avec un grand médecin.

Vous n'avez pas parlé des budgets d'investissement des hôpitaux.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - J'allais y venir.

M. René-Paul Savary. - Que proposez-vous pour les financements ?

M. Paul Cesbron. - Nombreux sont ceux qui remettent en cause la T2A, y compris parmi ceux qui ont été à son origine. Ce financement est injuste, car il favorise le privé qui choisit les technologies médicales les plus rentables, comme la chirurgie ambulatoire, laissant les autres à l'hôpital public. C'est pourquoi nous demandons de revoir la tarification des actes effectués en ambulatoire. D'ailleurs, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, où l'expérience de cette tarification est ancienne, y réfléchissent.

En outre, la tarification à l'activité est inflationniste. Il est préférable de faire une césarienne plutôt que de laisser une femme accoucher normalement, ce qui n'est pas une réponse correcte. Le nombre de césariennes ne cesse d'augmenter, malgré leurs conséquences nocives sur la santé des femmes.

L'on stimule une concurrence qui n'est pas bonne tout en multipliant certains actes. Nous en déduisons qu'il conviendrait de revenir au budget global ou au prix de journée, en introduisant, le cas échéant, une part de tarification à l'activité. Nous devons tous nous pencher raisonnablement sur cette question pour aboutir à une solution plus juste et moins commerciale qu'à l'heure actuelle. Sans avoir une solution clef en main, nous souhaitons participer à la réflexion qui s'impose.

On ne pense qu'au financement du fonctionnement, qui relève de la sécurité sociale. Pour ce qui est des investissements, pour lesquels un financement d'Etat est nécessaire, dissocions-les bien des budgets de fonctionnement.

J'en reviens aux hôpitaux de proximité : la population souhaite fortement leur maintien. Vous n'avez pas en face de vous une bande d'illuminés : nous existons en raison de la volonté de la population de garder les hôpitaux de proximité. On nous rétorque que, curieusement, les gens qui y sont attachés vont ailleurs. C'est faux ! Simplement, dès qu'un établissement est menacé, on met tout en place pour qu'il en soit ainsi.

La IIIe République voulait construire un hôpital dans chaque canton... Le soin nécessite de la proximité. Bien sûr, certains doivent être délivrés dans des services spécialisés : on ne saurait pratiquer les greffes cardiaques à Brive-la-Gaillarde. Reste que la majorité des soins peuvent être assurés à proximité : 80 % des accouchements sont physiologiques, ils peuvent et doivent être pratiqués à proximité, dans de petites unités. Le privé n'est pas intéressé par l'obstétrique, même s'il y a quelques grosses maternités privées comme à Nantes ; la concentration des maternités dans le public aboutit à des phénomènes iatrogènes. Ainsi, 25 % des femmes sont déclenchées pour leur accouchement. La France a de mauvais taux de mortalité maternelle du fait des hémorragies de la délivrance. Or, l'induction du travail et le taux de césariennes sont les facteurs principaux des hémorragies de la délivrance. Les maternités de niveau 3 correspondent aux besoins de 2 % à 3 % des grossesses. Chaque région de France a besoin d'une de ces maternités, deux ou trois en région parisienne ou en PACA, mais toute l'obstétrique ne doit pas s'y concentrer.

Les gens, dans certaines spécialités, n'ont pas le choix.

Mme Annie David. - Votre position me paraît raisonnable, puisque vous estimez à juste titre que chaque partenaire doit être respecté lors des mises en réseau. Comme moi, vous vous demandez quelles réponses de santé publique de proximité apporter aux populations. Si cela peut se faire dans le cadre de réseaux qui dégagent des économies, tant mieux.

La technicité est sans doute plus voulue par les techniciens que par nos concitoyens. Les regroupements des maternités ne donnent plus vraiment de choix aux futures mamans. Dans mon département de l'Isère, la maternité du plateau matheysin a fermé : pour accoucher, on doit se rendre à Grenoble ; or la descente de Vizille est très dangereuse, et le contournement, qu'on impose aux bus, bien plus long, si bien que certaines femmes accouchent dans le véhicule des pompiers ou dans la voiture de leur mari.

Lors d'une rencontre avec une délégation de parlementaires bavarois, Alain Milon nous disait hier que le problème était moins celui du nombre de professionnels que de leur répartition territoriale. Si nous étions plus exigeants, la question de la désertification médicale ne se poserait peut-être pas avec autant d'acuité. Là aussi, les gens aimeraient avoir un service de proximité.

Votre dernière proposition sur le financement est intéressante. Pourquoi, au lieu de tout baser sur la tarification à l'acte, ne pas la garder uniquement dans certains secteurs ? Séparons l'investissement du fonctionnement et faisons en sorte que le privé pratique tous les actes, et pas seulement ceux qui sont rentables.

Moi aussi, je suis attachée à une réponse de proximité sur l'ensemble du territoire.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Vous souhaitez que les investissements lourds ne pèsent pas sur les dépenses de fonctionnement - on peut penser à des dotations d'Etat ou à des contrats de plan. Seriez-vous favorables à ce que le fonctionnement soit financé par un mix de dotations et d'une tarification ? Ne pourrait-on expérimenter un financement du parcours de soin ? Quel serait le rôle des ARS dans le cadre de la répartition territoriale des enveloppes ?

M. Michel Antony. - Nous défendons la valeur de subsidiarité, qui suppose de conserver toutes les structures du local au régional. C'est ce système, l'un des meilleurs au monde, qu'on est en train de détruire. Pour que le maillage territorial soit viable, des moyens sont nécessaires, d'où notre opposition aux enveloppes fermées.

On invoque souvent le manque de personnel pour justifier la fermeture des services. Dans les années 1970, on formait chaque année 9 000 médecins, alors que notre pays comptait 45 millions d'habitants encore assez jeunes. Aujourd'hui, on en est à 8 000 médecins avec une population plus âgée et plus nombreuse (60 millions). Cherchez l'erreur ! Il y a là une incohérence du pouvoir politique.

Pour mieux répartir les professionnels, il faut plus que des incitations qui se sont révélées inopérantes. On peut le lire sur le site du Conseil de l'ordre, la densité médicale n'a pas évolué depuis vingt ans. La position que nous avons prise en 2006 rejoint celle de l'Association des petites villes de France : si la formation était mieux prise en charge, et les étudiants aidés financièrement, il ne serait pas stupide que les nouveaux professionnels soient nommés pendant quelques années pour une forme de mini-service public là où le besoin s'en fait sentir.

Nous sommes plus favorables aux centres de santé qu'aux maisons de santé, car il est possible d'y imposer des notions de service public, comme le tiers payant intégral ou l'interdiction des dépassements d'honoraires. Sans protocole de santé, l'on peut faire n'importe quoi... Il est d'ailleurs indispensable de supprimer le secteur privé à l'hôpital public. Aidons un hôpital sain et faisons preuve de courage politique.

Mme Françoise Nay. - Il est préférable de réfléchir en termes de volume d'activité que de paiement à l'acte. En revanche, j'ai du mal à visualiser le financement d'un parcours de soin, surtout lorsqu'il faudra répartir les paiements entre les différents intervenants.

Certains secteurs ne sont pas encore soumis à la tarification à l'activité comme les hôpitaux locaux, la psychiatrie, les soins de suite et de réadaptation, ainsi que la gériatrie pour une part. Les prises en charge y étant multiples, la tarification à l'activité semble impossible à mettre en oeuvre en psychiatrie. Va-t-on payer davantage la chambre d'isolement ou la décompensation psychiatrique ? Songez encore que les hôpitaux locaux sont pour beaucoup des hôpitaux gériatriques.

Les hôpitaux connaissent d'extrêmes difficultés d'investissement. A Henri Mondor, il y avait 6,4 millions d'investissements pour les travaux en 2007, 4,1 millions en 2010, 2,8 millions en 2011 et 1,4 million cette année. La maintenance n'est désormais plus assurée. Continuer ainsi affaiblirait dramatiquement le parc hospitalier.

Les hôpitaux ont emprunté et certains d'entre eux se retrouvent avec des emprunts toxiques.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les banques ne prêtent plus.

Mme Françoise Nay. - Alors, on n'assure plus la maintenance. L'emprunt est un piège pour l'hôpital. Enfin, certains hôpitaux n'arrivent plus à assurer la formation professionnelle continue de leur personnel. Il y a donc urgence.

M. Yves Daudigny, président. - Merci pour vos interventions.

Financement des établissements de santé - Audition de M. Jean-Luc Baron et de Mme Marie-Paule Chariot de la Conférence nationale des présidents de CME de l'hospitalisation privée

La mission procède ensuite à l'audition de M. Jean-Luc Baron et de Mme Marie-Paule Chariot, membres de la Conférence nationale des présidents de CME de l'hospitalisation privée.

M. Yves Daudigny, président. - Je vous remercie, monsieur le Président, d'être venu de Montpellier participer à nos travaux sur le financement des établissements de santé. Merci également au docteur Marie-Paule Chariot, membre du conseil d'administration de votre conférence, qui vous accompagne. Nous avons reçu vos homologues des établissements publics et des établissements privés à but non lucratif. Nous souhaitions avoir l'avis des praticiens exerçant dans les cliniques.

Quelle est votre appréciation générale sur la mise en oeuvre de la T2A, quelles sont ses incidences sur le fonctionnement et l'activité des services de soins ? Comment les tarifs hospitaliers  sont-ils élaborés ? Au-delà de la question de la convergence tarifaire, dans quelle mesure la T2A peut-elle affecter les modalités de prise en charge des patients ?

La pertinence des actes et la qualité des soins sont-elles influencées par les modalités de tarification ? Faut-il les prendre en compte dans les modalités de financement ou trouver d'autres moyens non financiers de les garantir ?

M. Jean-Luc Baron, président de la conférence des présidents de Conférences médicales d'établissement de l'hospitalisation privée. - Je vous remercie vivement de nous avoir invités, car il est relativement nouveau d'auditionner les représentants de CME du secteur privé.

La T2A est le mode de rémunération des établissements. Les médecins, le plus souvent libéraux, ayant un autre système de rémunération, l'on pourrait croire que lorsqu'ils exercent dans les établissements de santé, ils ne sont pas concernés par la T2A. C'est tout le contraire, car elle influe sur tous les volets de la prescription, qu'il s'agisse des actes, de la DMS, des dispositifs médicaux implantables (DMI) ou des médicaments.

La T2A existe depuis dix ans et, si l'on voit mal comment revenir dessus, des améliorations sont nécessaires, d'autant que les remarques du comité d'évaluation n'ont pas toujours été prises en compte.

Les améliorations fondamentales à lui apporter concernent la qualité et la sécurité du patient, qui doivent être mieux prises en compte. La loi HPST a d'ailleurs confié de nouvelles missions aux CME privées en la matière. Le péché originel de la T2A est de n'avoir jamais intégré ces données de qualité et de sécurité ainsi que les coûts qui s'y rapportent. Pour ses instigateurs que nous avons souvent interrogés au cours de nos journées nationales, qualité et sécurité figurent dans le panier de la T2A. Telle n'est pas l'expérience des médecins libéraux exerçant dans les établissements privés : lorsqu'ils font de la qualité, on ne considère pas qu'ils travaillent, ce qui revient pour eux à une baisse de leurs revenus. La qualité ne se décrète pas, elle s'organise.

Autre limite de la T2A, l'innovation. Le système, qui a à peu près fonctionné durant les deux premières années, s'est vite dégradé pour les praticiens du privé qui n'ont plus eu accès à l'innovation, en raison d'effets pervers du système. Les DMI intégrés dans la T2A étant de plus en plus chers, la tarification des GHS devient nettement sous-évaluée, ce qui empêche parfois l'utilisation de certains dispositifs. Cette situation pénalise tout le monde : établissements, médecins, patients.

M. Yves Daudigny, président. - Les 2 300 GHS servent à établir les tarifs. Tout acte est rattaché à un GHS, qui entraîne un tarif payé par l'assurance maladie à l'hôpital.

M. Jean-Luc Baron. - Un GHS constitue un panier comprenant la logistique et les DMI, pour lesquels il n'y a pas de liste en sus, contrairement aux nouveaux médicaments. Le ligachur, par exemple, est un bistouri réduisant les hématomes. Les consommables revenant à 600 euros pour un GHS de 800 euros, on ne peut l'utiliser, alors que l'on retrouve le coût après. Et cela pénalise les médecins et leurs patients.

Mme Marie-Paule Chariot. - A l'instar des pays nordiques, la médecine ambulatoire se développe. Or, pour certains actes (ligament du genou, chirurgie de l'épaule), le coût du matériel implanté est supérieur au tarif du GHM, (groupe homogène de malade). La seule solution pour équilibrer nos comptes, c'est terrible, est de faire rester le patient deux nuits, car le tarif qui a été calculé pour un séjour de deux nuits et de trois jours est supérieur de 500 euros, ce qui permet de couvrir le surcoût du dispositif.

Les actes des médecins influencent la durée des séjours. Dans la T2A actuelle, un acte aboutit à un GHS. Dans l'exemple du ligament du genou, le tarif est valable pour un séjour d'un jour, de deux ou trois jours. Or, entre le sportif qui pourra rentrer chez lui le soir même, et l'obèse insuffisant cardiaque, diabétique et fumeur, nous n'avons aucune possibilité de modulation, ni des tarifs, ni de la durée du séjour.

Autre sujet, le codage des actes : le médecin code son acte et le réalise selon les références de sa société savante. L'établissement groupe cet acte pour fabriquer un séjour, en prenant en charge les maladies supplémentaires (la surveillance du diabète, de la tension...) ; on aboutit à un séjour GHM, indépendant de l'acte du praticien, mais qui a un coût pour la société puisqu'il sera payé par l'assurance maladie. Malgré la partie autonome, le codage des actes pratiqué par les établissements est indissociable de l'acte pratiqué par l'opérateur. Comme l'établissement est limité financièrement, il ne peut proposer n'importe quel type de matériel. Si l'assurance maladie rembourse du matériel en sus, ce n'est pas systématique : des adaptations apparaissent nécessaires.

La qualité et la pertinence de l'acte dépendent du travail qui aura été fait en amont avec le patient : rencontre, écoute, définition de la bonne durée de séjour, organisation. Or, rien de cela n'est pris en compte dans la T2A. Oui, la mise en oeuvre de la T2A a bien des incidences sur les soins et les modalités de prise en charge, et c'est lié au codage des actes.

M. Jean-Luc Baron. - Vous nous interrogez ensuite sur les effets de la T2A sur la restructuration de l'offre et sur la mise en oeuvre d'un parcours de soins.

La T2A a une approche en silo : elle s'intéresse à l'acte pratiqué dans l'établissement, et peu à ce qui se passe autour, en aval ou en amont. Elle a entraîné des restructurations dans le secteur privé, mais peu dans le secteur public, ce qui n'est pas surprenant étant donné l'absence de convergence.

Le parcours de soins voit se développer des expériences de type entreprise, organisation médicale autour d'une pathologie sur un territoire donné. Certains libéraux se sont mis en réseau pour le cancer du sein : ils tentent de développer une meilleure prise en charge, un accompagnement du patient tout au long du parcours de soins. Toutefois, ces expériences novatrices ne trouvent pas d'espace de contractualisation. La loi HPST offre bien des possibilités d'expérimentation, mais pas d'interlocuteur pour ce nouveau type de modélisation.

Enfin, un mot sur la pertinence, que nous avons évoquée lors d'un récent colloque avec la FHP. Lorsque la sécurité sociale élabore son propre référentiel, les résultats ne sont pas satisfaisants. Par exemple, le Languedoc-Roussillon a été région pilote sur la pertinence de l'acte d'appendicectomie. Un médecin de l'Urcam a réuni un groupe de travail qui a défini pour critère de pertinence le résultat de l'anatomopathologie, un examen qu'on ne peut réaliser que quinze jours après l'intervention ! Or, celle-ci est souvent réalisée en urgence sur des enfants, avec des parents affolés... Pourtant décisif, l'examen d'imagerie n'a pas été évoqué. Il aurait fallu faire appel à des professionnels... Les choses évoluent, grâce à la HAS.

Enfin, il nous manque un espace de tarification pour de nouveaux modèles d'organisation médicale transversale. Lorsque des établissements prennent l'initiative, elle se solde souvent par un échec, car les directeurs d'établissement ont du mal à dialoguer avec les médecins. L'on a besoin d'évoluer sur des modèles novateurs.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Vous dites que des GHS sont sous-évalués, que des tarifs sont irréalistes. Faut-il exclure de la tarification certains GHS (en réanimation, en soins intensif de cardiologie...), notamment ceux qu'on ne parviendra jamais à solvabiliser par un tarif ? Pourquoi ne pas les mettre dans une dotation spécifique, un peu comme pour les urgences ?

En ce qui concerne la pertinence des actes, certains ont une visée de couverture médico-légale. Leur volume, surprenant, représente un coût important. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, la convergence tarifaire a-t-elle atteint ses objectifs ? Doit-elle être poursuivie ?

M. Jean-Luc Baron. - On peut en effet imaginer mettre à part certains GHS. Ne serait-il pas plus simple d'isoler les DMI ? Les GHS sont en effet complexes : l'emploi d'un matériel particulier doit-il impacter l'ensemble du GHS ? Leur nombre est déjà élevé. Il ne faut pas en rajouter.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Il faut un autre mode de financement !

Mme Marie-Paule Chariot. - Les journées de réanimation, celles de soins intensifs de cardiologie, de néphrologie ou de pneumologie, celles de surveillance continue, sont tarifées à part du GHS. Il y a un prix par journée, en plus du GHS et indépendant de lui. La réanimation (détresse imminente ou avérée), la surveillance continue (passage en détresse possible), les soins intensifs (unités spécialisées par service), toutes ces structures ont un prix de journée...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Nous avons été à l'Atih.

Mme Marie-Paule Chariot. - Alors vous savez que l'échelle nationale des coûts a été définie avant la T2A. En réalité, les tarifs ont été élaborés avant de connaître les coûts. Par conséquent, des ajustements sont nécessaires.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les responsables de la T2A n'en font pas un secret : les différents coûts, s'ils servent de référence, sont décrochés des tarifs. L'échantillon lui-même ne serait pas représentatif. Il serait intéressant de créer un comité scientifique pour étudier ces questions. Le ministère y travaillerait.

M. Jean-Luc Baron. - Il faudrait trouver un moyen que la tarification soit au plus près du coût. Il est en effet fréquent que les GHS soient sous-évalués.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Tout doit rester dans l'Ondam.

Mme Laurence Cohen - Quand elle incite à multiplier les actes et que la codification place le médecin dans une logique de rendement, la tarification n'a-t-elle pas des effets pernicieux ? Les femmes qui accouchent restent très peu de temps à la maternité et le nombre de césariennes augmente. Avec une césarienne, l'accouchement va plus vite... Je pense également à la valorisation de l'IVG.

M. Jean-Luc Baron. - Il est vrai qu'en théorie le paiement à l'acte est inflationniste. En obstétrique, ce n'est pas le cas. Dans les établissements de qualité, le nombre de césariennes est stable et reste moins élevé que dans d'autres pays européens.

La T2A peut, il est vrai, inciter à multiplier les actes : lorsque deux actes sont nécessaires sur le même patient, il n'y a quasiment qu'un GHS, ce qui peut inciter à tronçonner les séjours pour être payé au juste prix. Le premier acte est payé à 100 %, le second à 50 %. Cela pose des problèmes de sécurité : parfois, on effectue deux anesthésies générales pour ne pas avoir à travailler gratuitement pour le deuxième acte. Ne tombons pas pour autant dans les préjugés sur la multiplication des actes. S'il y a des déviances, elles sont minimes. Les patients ne veulent pas qu'on multiplie les actes : une césarienne n'est pas sans risques !

M. René-Paul Savary. - Quelle est votre position au sujet des dépassements d'honoraires ? N'y a-t-il pas un challenge à relever pour surmonter la contradiction entre l'insuffisance de financement de certains actes et les dépassements d'honoraires ?

M. Jean-Luc Baron. - Les dépassements d'honoraires ont subi une certaine inflation du fait de l'augmentation des charges et de la non-revalorisation tarifaire des actes, laquelle avait pourtant été programmée chaque année par la CCAM. Dans la plupart des cas, ils sont justifiés : nous avons des employés ; une aide opératoire, deux secrétaires, c'est une petite entreprise à faire vivre. Bien sûr, des seuils sont nécessaires. Les dépassements d'honoraires concernent surtout les grandes métropoles (Paris, Lyon, Marseille). Au moment de l'autorisation des Sros, un rapport avait dénoncé le scandale que représentaient en Languedoc-Roussillon des dépassements d'honoraires de l'ordre de 30 % en cancérologie. J'appelle cela du secteur optionnel : globalement on est entre 50 % et 100 % du tarif sécurité sociale. Les abus sont exceptionnels. Dans la plupart des cas, les dépassements sont nécessités par la non-réévaluation des tarifs. Quand les actes sont bien rémunérés, comme en chirurgie cardiaque, ils sont moins fréquents.

M. René-Paul Savary. - Les actes ne sont pas suffisamment rémunérés, soit. Comment expliquez-vous alors qu'autant de praticiens ne travaillent plus qu'à temps partiel ? C'est contradictoire...

M. Yves Daudigny, président. - C'est un médecin qui le dit...

M. René-Paul Savary. - ... et qui suppose que les rémunérations sont suffisamment importantes pour permettre de bien vivre sans travailler à temps plein.

M. Jean-Luc Baron. - La tarification doit prendre en compte la qualité et la performance, ce qui n'est pas le cas actuellement. La qualité doit être rémunérée.

Quant au temps partiel, la population médicale est une population vieillissante et qui se féminise beaucoup. Les femmes prennent du temps libre.

Mme Laurence Cohen. - C'est du sexisme.

M. Jean-Luc Baron. - Absolument pas ! Les hommes aussi, mais beaucoup de femmes ne travaillent pas le mercredi, c'est culturel. Quand je m'occupe de la présidence de la CME, je le fais bénévolement : ce n'est pas valorisé, et je suis à temps partiel.

M. René-Paul Savary. - Je dresse un simple constat, il y a une réduction globale du temps de travail : les salariés ont les 35 heures, et dans les professions libérales, on ne trouve plus un dentiste qui travaille cinq jours par semaine. Là où on avait trois spécialistes, il en faut désormais cinq. Parallèlement, on se plaint d'être mal rémunéré : ce n'est pas très logique !

Mme Marie-Paule Chariot. - Le temps plein est calculé sur le temps de mise à disposition de la clientèle. Je consacre pour ma part une journée par semaine à la Société française d'anesthésie, et quatre jours à la clinique. J'ai beau travailler 50 heures par semaine.

M. Jean-Luc Baron. - Des études sur le temps de travail des médecins en Languedoc-Roussillon montrent qu'ils travaillent entre 50 heures à 60 heures par semaine, plutôt qu'à 30 heures.

Mme Marie-Paule Chariot. - Bien que nous ne comptions pas nos heures, elles ne sont pas toutes à la disposition des patients. Nous participons à des conférences, à des revues d'expert : c'est du temps de travail, même si cela n'apparaît pas comme tel.

M. René-Paul Savary. - Je ne le conteste pas. Il n'empêche qu'on effectuait naguère ces activités en plus du travail de tous les jours. Les choses ont évolué, et il faut tenir compte de tous les paramètres car on manque de médecins.

Mme Marie-Paule Chariot. - S'agissant de la pertinence des actes, rassurez-vous. Les médecins pratiquent des actes en fonction de références publiées par leurs sociétés savantes. Nous n'effectuerons pas une césarienne sans raison. Tout acte est adossé à des références. Cela n'est pas intégré dans la tarification, mais si nous ne les appliquions pas et qu'un accident se produisait, nous aurions à en assumer les conséquences. L'augmentation du nombre d'actes est corrélée au vieillissement de la population. Un anesthésiste n'endort pas pour rien !

Mme Annie David. - Les jeunes accouchées ne restent que trois jours à la maternité. Même sans raison médicale profonde, les cinq jours qu'on leur octroyait autrefois n'étaient pas du luxe. Cela fait partie de la qualité que vous évoquiez en introduction, et la sécurité est également en jeu. En caricaturant, on se demande si la T2A n'a pas favorisé des départs précipités, pour permettre davantage d'accouchements.

M. Jean-Luc Baron. - Elle y a sûrement fortement contribué. Cependant, le retour précoce au domicile est bien vécu quand il a été bien préparé. Les équipes obstétriques y sont favorables, à condition que la transversalité soit respectée. Des programmes comme le PRADO (plan de retour à domicile précoce des accouchées) comportent un accompagnement à domicile par le personnel de la caisse d'assurance maladie. Mettre tout le monde dehors au bout de trois jours serait absurde et coûteux.

Il y a une réflexion à mener avec les professionnels et la HAS. Les recommandations de celle-ci ont une durée de vie de cinq ans ; comme il en fallait autant pour les préparer, elles étaient pour partie obsolètes dès leur publication. On a besoin de vrais référentiels établis avec les professionnels de terrain, et pas seulement avec ceux qui pratiquent un métier d'expertise. On l'a vu avec le décret chirurgie quand on exigeait un anesthésiste par salle. Leur président de l'époque, qui ne fréquentait guère le bloc opératoire, ne s'était pas aperçu que c'était intenable. Beaucoup de caisses d'assurance maladie établissent leurs propres référentiels, comme si elles détenaient la vérité : il est nécessaire d'évoluer pour arriver à travailler ensemble.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - La DMS a diminué avant la T2A. Ma collègue soulève un problème social, car la jeune accouchée peut trouver à son domicile ses trois autres enfants ! Elle revient parfois à l'hôpital pour une autre pathologie...

Que pensez-vous du financement des activités qui ne relèvent pas de la T2A, notamment des Migac ? Jugez-vous l'évaluation objective ?

M. Jean-Luc Baron. - Si l'on s'en tient aux chiffres, les Migac sont réparties à 95 % dans le public et 5 % dans le privé. Même si ces chiffres évoluent avec la prise en charge de missions de service public par le secteur privé, notamment la permanence des soins en établissement de santé, ils ne reflètent pas la réalité des choses. Le privé est spolié de l'innovation thérapeutique, au motif que c'est du domaine de l'université et du public. Pourtant, la coelioscopie est née dans le secteur privé, à Lyon. N'avons-nous pas tous été formés à l'hôpital, et perdrions-nous en traversant la rue notre capacité à innover ? Il y a là matière à évoluer.

Les cartes sont déjà jouées dans la permanence des soins. On relève des différences importantes d'une région à l'autre : en Languedoc-Roussillon, le partage (deux tiers pour le public, un tiers pour le privé) reflète à peu près la réalité ; en Midi-Pyrénées, le privé n'a que cinq ou six lignes de garde. Il y a des progrès à réaliser pour corriger ces incohérences.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Quelles sont vos relations avec le contrôle médical par rapport au codage ? Y-a-t-il beaucoup de contestation ?

Mme Marie-Paule Chariot. - Elles sont difficiles, car les référentiels de l'assurance maladie ne sont pas cohérents avec ceux des sociétés savantes. Un médecin pratique un acte, l'établissement facture un séjour selon les références professionnelles du praticien ; le guide méthodologique de facturation établi par l'assurance maladie ne reprenant pas ces références, l'établissement est sanctionné et l'indu peut atteindre cent fois la sanction - jusqu'à des millions d'euros. Par exemple, selon l'assurance maladie, le psychologue associé à des soins palliatifs doit apparaître dans le dossier. Or, n'étant pas diplômé des facultés de sciences, il n'est pas soignant, ce qui, selon l'ordre des médecins, lui interdit tout accès au dossier de soins. Or l'assurance maladie ne valide le séjour que s'il a pu écrire dans le dossier.

M. Yves Daudigny, président. - Comment les choses se passent-elles en pratique ?

Mme Marie-Paule Chariot. - En pratique, l'observation du psychologue ne figure pas dans le dossier, le séjour n'est pas reconnu comme soin palliatif, l'établissement est sanctionné, ce qui implique un remboursement, et, au-delà d'un certain nombre de sanctions, il y a des indus et des pénalités pour excès de GHM mal exécutés : on est dans l'impasse.

M. René-Paul Savary. - Cela se règlera avec le dossier médical personnel.

Mme Marie-Paule Chariot. - L'accès sera hiérarchisé.

M. René-Paul Savary. - Le psychologue pourra laisser une trace.

Mme Marie-Paule Chariot. - La situation est absurde. Le psychologue qui fournit une vraie aide en fin de vie n'a pas accès au dossier. Voilà un exemple de difficulté au quotidien qui provoque des indus, puis des sanctions, parfois explosives. Dans mon établissement, elles atteignent 400 000 euros, parce qu'on n'a pas retrouvé dans un dossier des traces qui n'avaient pas à y figurer.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - L'assurance maladie et les sociétés savantes ne peuvent-elles trouver un consensus sur les référentiels ?

Mme Marie-Paule Chariot. - L'assurance maladie établit son guide méthodologique de facturation avec ses praticiens, sans faire appel aux sociétés savantes.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Souhaiteriez-vous des conférences de consensus ?

Mme Marie-Paule Chariot. - Pour toutes les spécialités.

M. Jean-Luc Baron. - Avec un cadre méthodologique...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - ...partagé...

M. Jean-Luc Baron. - ...fourni par la HAS, conformément à ses missions.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Sous l'égide de la HAS.

M. Yves Daudigny, président. - Pourriez-vous préciser dans quel cas le deuxième acte est payé à 50 % ? Est-ce lorsqu'il est effectué au cours de la même intervention chirurgicale?

M. Jean-Luc Baron. - Quand le même praticien réalise deux actes lors de la même intervention, le second est tarifé à 50 %.

M. René-Paul Savary. - Et le troisième est gratuit !

M. Jean-Luc Baron. - Il m'arrive d'enlever trois ou quatre petits cancers de la peau sous la même anesthésie. Le premier est payé, le deuxième à moitié, le troisième pas du tout. Je pourrais pratiquer des dépassements d'honoraires...

Mme Annie David. - Seriez-vous rémunéré si le patient était hospitalisé à nouveau pour des cancers qu'on aurait détectés lors de la première intervention ?

M. Jean-Luc Baron. - Des déviances existent sûrement, mais ce n'est pas la règle.

Mme Annie David. - Cela rentrerait-t-il dans la T2A ?

M. Jean-Luc Baron. - Oui. Deux spécialités peuvent aussi intervenir ensemble : il n'y a qu'un seul GHS ; la logistique comprend pourtant deux actes.

M. René-Paul Savary. - C'est tout à fait anormal. Si le médecin demande des examens complémentaires dans le cadre d'un bilan sémiologique, le même spécialiste peut réaliser l'échographie, la radio du poumon et éventuellement le scanner en un seul rendez-vous. J'ai pourtant eu des patients qui en avaient trois, avec déplacement en ambulance ou en VSL. Et la sécurité sociale rembourse.

Mme Annie David. - C'est incohérent !

M. René-Paul Savary. - Téléphonez, et, comme par hasard, on obtient les trois rendez-vous en même temps. Ce sont des choses à régler, les possibilités de débordement sont trop grandes.

Mme Marie-Paule Chariot. - Pour le patient opéré d'une péritonite, qui se casse la jambe en tombant du lit, on ne compte qu'un séjour. On aura un GHM de péritonite, mais deux actes. Le fémur cassé ? C'est cadeau !

M. Yves Daudigny, président. - Je vous remercie beaucoup de vos réponses.

Financement des établissements de santé - Table ronde réunissant les organisations syndicales des personnels hospitaliers

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la mission procède à une table ronde réunissant les organisations syndicales des personnels hospitaliers. Assistaient à cette table ronde : Mme Nathalie Canieux, secrétaire générale, de la Fédération CFDT Santé sociaux ; M. Luc Delrue, secrétaire fédéral, de la Fédération des personnels de services publics et des services de santé FO ; Mme Nathalie Gamiochipi, secrétaire générale, et Mme Caroline Ferreira, membre de la commission exécutive, de la Fédération CGT Santé et Action Sociale ; M. André Hoguet, permanent fédéral, de la CFTC Santé Sociaux ; M. Jean-Marie Sala, secrétaire général, et Mme Elisabeth Douaisi, de la Fédération Sud-Santé-Sociaux.

M. Yves Daudigny, président. - Nous sommes heureux d'accueillir les représentants des organisations syndicales des personnels hospitaliers. Notre mission se penche depuis quatre mois sur les règles de financement des établissements hospitaliers, qui ne sont qu'une des modalités de répartition de l'Ondam hospitalier fixé annuellement par la loi. Cette question peut paraître limitée par rapport au champ très vaste qu'ont à connaître les organisations syndicales ; il nous a cependant paru nécessaire de les entendre car ces règles ont des incidences directes, non seulement sur le financement des établissements, mais aussi sur l'orientation de leurs activités.

Nous souhaitons connaître votre appréciation générale sur la mise en oeuvre de la tarification à l'activité (T2A), sur ses aspects positifs et négatifs du point de vue des établissements comme de leur personnel et des patients, ainsi que par rapport aux autres sources de financement, comme les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac). Quels correctifs, quelles modifications fondamentales doivent, selon vous, être apportés au système ?

Je salue chacune et chacun d'entre vous, ainsi que Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, M. Jacky Le Menn, rapporteur, et M. René-Paul Savary, sénateur de la Marne.

M. Jean-Marie Sala, secrétaire général de la Fédération Sud-Santé-Sociaux. - Notre appréciation de la mise en place de la T2A est négative ; pour nous, elle est le pendant de la tarification à l'acte dans le secteur libéral. Elle privilégie le privé commercial au détriment du public, les actes techniques au détriment d'une prise en charge plus globale des patients : voilà la critique de fond qui remonte de nos équipes. Elle a des effets pervers. Certaines disciplines, certains établissements ont augmenté de façon significative leur activité, sans que personne ne s'interroge sur la pertinence des actes pratiqués. La T2A a imposé des regroupements d'établissements, dont certains n'étaient pas nécessaires. De véritables usines à soins ont été créées, des méga-maternités, des usines à bébés qui prennent mal en charge les mères et leurs bébés. La durée de séjour y est de plus en plus courte, ce qui entraîne des retours après quelques jours - et une nouvelle facturation : les soi-disant économies au moment de l'accouchement sont perdues lors des suites.

La T2A provoque des inégalités de traitement, les personnes en situation familiale ou sociale difficile nécessitant souvent des durées de séjour plus longues. Elle risque d'induire une sélection des patients, un tri entre les patients « rentables » et les autres. On ne peut pas se soigner n'importe où. Le privé commercial cible ses patients, alors que le service public ne fait pas de sélection. Ne prendre en charge que les actes techniques, c'est laisser de côté l'accompagnement des patients, qui n'est pas valorisé. Beaucoup de patients malades chroniques exigent une prise en charge globale : la T2A sur ce plan est destructrice.

La coopération entre les établissements n'est pas toujours choisie : les établissements en viennent à se faire concurrence sur les activités « rentables » plutôt que sur celles qui répondent à tous les besoins de la population.

Les Migac ont été conçues comme un correctif, mais elles sont totalement insuffisantes ; elles sont la variable d'ajustement des budgets. Dans la mesure où l'enveloppe est fermée, on constate simultanément une baisse des tarifs et une baisse des Migac parce que le volume de soins est plus élevé. C'est particulièrement flagrant dans les maternités : comme le tarif de l'accouchement normal baisse, on favorise les césariennes programmées, mieux valorisées, qui ne sont pourtant favorables ni aux mères ni aux bébés. Les Migac ne permettent pas la prise en charge des besoins réels, par exemple des personnes les plus défavorisées. Il faut revenir à un financement plus forfaitaire pour une prise en charge plus globale des patients ; notre position est d'ailleurs la même pour la médecine de ville...

Il faut enfin réévaluer l'Ondam en fonction des besoins de santé.

Mme Elisabeth Douaisi, Fédération Sud-Santé-Sociaux. - Je veux parler d'un secteur dont on ne parle pas souvent, qui appartient au service public hospitalier, où j'exerce en tant qu'infirmière dans une clinique mutualiste généraliste à Nantes : le secteur PSPH (participant au service public hospitalier), rebaptisé Espic (établissement de santé privé d'intérêt collectif) par la loi HPST. Le financement de ce secteur est exactement le même que celui de l'hôpital public. Je travaille dans un établissement qui est pour moitié libéral et pour moitié Espic. La partie libérale fonctionne ; la partie Espic voit son activité augmenter tous les ans, mais à cause de la convergence tarifaire, l'effet volume est anéanti par l'effet prix, les tarifs ne cessent de baisser. Alors on cherche à économiser sur tout et partout. Les ARS mettent en place des plans de redressement. Les personnels sont épuisés, la valeur du point est bloquée depuis deux ans. La convention collective du 31 octobre 1951 a été dénoncée et il n'y a aura pas d'accord au 1er décembre. La différence de salaire pour une infirmière en fin de carrière entre ce secteur et la fonction publique est de 300 euros. La qualité des soins diminue, nous n'avons plus les moyens de soigner. Nous avons été convoqués par la Haute Autorité de santé (HAS), en raison des suicides qui touchent le milieu hospitalier, public comme privé, infirmières et médecins ; c'est bien, mais nous disons que le tissu social se délite, qu'il faut agir vite ! Les conditions de travail sont déplorables ! Les dossiers de souffrance au travail commencent à sortir, il y en aura d'autres !

Quant aux Migac, versées par l'ARS pour compenser les effets pervers de la T2A dans le secteur public, il faut aller les chercher à l'arraché en fin d'année ; les hôpitaux publics passent avant les PSPH.

Le codage des dossiers... On demande aux médecins de le faire en plus de leur travail médical. Beaucoup le disent : ils ne sont pas là pour ça ! En conséquence, il y a des erreurs et on ne récupère pas l'argent auquel on aurait droit.

La T2A pose des problèmes complexes. Les médecins demandent des salaires mirobolants. On joue avec la durée moyenne de séjour (DMS). Les maternités, qui ont été citées, en offrent un « bon » exemple. Du jour au lendemain, il faut passer de 2 500 à 3 200 naissances, on ramène la durée de séjour à deux ou trois jours au mépris de la sécurité des femmes et sans avoir eu le temps de mettre en place le suivi à domicile. On ne garde que les cas les plus difficiles, les autres se débrouillent...

On a voulu la mort des Espic, mais nous nous accrochons. C'est le seul secteur qui ne pratique pas de dépassement d'honoraires.

M. Luc Delrue, secrétaire fédéral de la Fédération des personnels de services publics et des services de santé FO. - Il est nécessaire de resituer le problème de la T2A dans le cadre de l'enveloppe fermée de l'Ondam. Notre organisation syndicale s'est toujours opposée à cette logique. Dans le contexte de la recherche effrénée d'une diminution des dépenses publiques, au nom du dogme de la règle d'or budgétaire, des voix s'élèvent à juste titre pour dénoncer les contraintes qui pèsent sur les établissements et la santé. La RGPP et la création des ARS ont renforcé cette logique comptable. La loi HPST  a détruit la notion de service public hospitalier et bouleversé les missions de service public des établissements. Tous les dispositifs de contractualisation consacrent les pleins pouvoirs des directeurs généraux des ARS ; ils marquent une étape vers la régulation d'un système de santé soumis à la loi des marchés financiers. Nous sommes par ailleurs opposés à la mise en place d'objectifs régionaux de dépenses d'assurance-maladie - les Ordam.

FO demande l'abandon de la loi HPST. Le mode d'allocation des ressources par le biais de la T2A est une des faces de la même pièce : d'un côté, la recherche de la rationalisation de l'offre de soins avec les schémas régionaux d'organisation des soins (Sros) entraîne restructurations, regroupements, fermetures de services et d'établissements ; de l'autre, l'augmentation des contraintes financières affecte directement le nombre et la nature des effectifs de la fonction publique hospitalière, où l'on compte environ 200 000 contractuels sur un million d'agents.

Cette nouvelle organisation de l'hôpital public, alliée aux contraintes budgétaires, place au premier plan le retour à l'équilibre, avec pour conséquences la disparition d'activités médicales, la fermeture de services, de lits et de places dans les hôpitaux, la suppression d'emplois médicaux et non médicaux, la remise en cause de certains investissements, le recours aux partenariats public-privé (PPP), une atteinte aux statuts et aux conventions collectives des personnels.

Dans le même temps, les circulaires tarifaires ont gelé des millions d'euros en 2010, 2011 et 2012. Le plan de retour à l'équilibre annoncé le 7 novembre 2011 a révisé à la baisse l'Ondam 2012, le faisant passer de 2,8 % à 2,5 % ; il prévoit aussi de contenir le taux annuel de progression de 2013 à 2016. Ce sont les patients et les assurés sociaux qui en subissent et en subiront les conséquences. Les réponses de santé publique se dégradent, comme les conditions de travail des personnels.

FO s'oppose à la remise en question de ce pilier de notre République et demande le retour aux valeurs fondamentales : l'accès aux soins pour tous sans condition de rentabilité pour l'hôpital. Il faut redonner les moyens nécessaires aux établissements hospitaliers publics hospitaliers et aux Espic ; rompre avec la T2A qui fragilise l'équilibre financier des établissements ; arrêter la convergence tarifaire public-privé. Il faut sortir de cette logique de « trajectoire des finances publiques » imposée par les critères européens et le diktat du retour à l'équilibre, qui plonge les établissements dans les déficits. Chaque euro de déficit à l'hôpital est un euro d'économie pour l'Ondam, car les déficits sont absorbés par les fonds propres des hôpitaux au détriment de ces derniers.

On pourrait imaginer un nouveau mode d'allocation des ressources, s'apparentant au système du prix de journée qui existait avant le budget global et permettait de débloquer un budget complémentaire en cours d'année ; les établissements pourraient ainsi prendre en charge les besoins de la population.

Mme Nathalie Canieux, secrétaire générale, Fédération CFDT Santé sociaux. - La T2A, c'est le petit bout de la lorgnette... Elle n'est qu'un outil parmi d'autres. Il convient de relier entre eux les éléments qui posent problème. En dehors de la T2A, la loi HPST a été mise en oeuvre par petits morceaux. Tout ce qu'elle préconise pour l'hôpital public a été mis en oeuvre, mais pas ce qui concerne l'amont ni l'aval de l'hôpital. Son application pèse uniquement sur l'hôpital, alors que le parcours de soins, qui est au coeur du dispositif, a été oublié ; l'hôpital ne peut tout prendre en charge.

La T2A est arrivée parce que nous avions des problèmes avec le budget global. Les a-t-elle résolus ? Sûrement, sur la transparence et la connaissance de l'activité des établissements ; c'est sur ce plan un outil intéressant. Mais le reste n'a pas suivi. Des zones d'opacité demeurent : comment calcule-t-on les tarifs ? Pourquoi ne prennent-ils pas en compte la qualité et d'autres éléments encore ? Une de vos auditions a montré que la T2A était pratiquée différemment à l'étranger. C'est dire qu'un autre mode de calcul est possible. Ce n'est pas l'outil qu'il faut remettre en cause, mais la façon dont il est mis en oeuvre. La conséquence su système actuel, c'est la course à l'activité ; mais plus il y a d'activité, plus les tarifs baissent ; et plus ils baissent, plus on cherche à accroître l'activité ! Où est la masse salariale dans les tarifs ? Comment les coûts de production du soin sont-ils calculés? Comment y prend-on en compte l'évolution de la masse salariale, les conséquences du LMD ? Quid des quotas de personnel par activité ?

Les négociations sont en panne dans le secteur, c'est vrai par exemple pour la convention de 1951. Le dialogue social est moribond.

La T2A est liée à l'Ondam. Toutes les personnes que vous avez auditionnées reconnaissent que nous avons un problème avec le caractère fermé de l'enveloppe. Tant qu'il ne sera pas réglé, nous serons coincés ! Quand bien même on transférerait des fonds de l'hôpital vers l'aval, vers le domicile, les besoins continueront d'augmenter. La question de l'augmentation des ressources de l'assurance maladie est fondamentale.

La T2A a-t-elle des conséquences sur l'organisation du travail ? Oui, mais il y a bien d'autres problèmes, plus anciens. Nous avons lancé une enquête sur les conditions de travail à l'hôpital : nous avons reçu 56 400 réponses, ce qui est un problème en soi ! Ce qu'on y décrit atteste de l'ampleur du problème, qui touche aussi aux comportements, au défaut de management, aux rapports entre professions médicales et paramédicales : tout cela va au-delà de la tarification et n'y est pas forcément lié. Ce qui est sûr, c'est que la course à l'activité, avec de moins en moins de personnel, détériore les conditions de travail.

Faut-il introduire des critères de qualité dans les tarifs ? Oui, à condition de s'entendre sur ce qu'est un « soin de qualité ». Est-ce un bon diagnostic et un bon médicament ? Un soin qui guérit ? Une prise en charge globale ? Les critères sont difficiles à cerner. Il est certain que les conditions de travail des personnels ont une influence. Dans d'autres pays, la tarification prend en compte la qualité du soin et de la prise en charge. Il semble que la HAS y travaille ardemment. C'est intéressant et nous y contribuons.

Nous pensons qu'il faut réfléchir globalement. Qu'attend-on de l'hôpital ? Tout doit-il pris en charge par lui ? Sinon, par qui ? Quid des maisons de santé et de leur modèle économique ? Si l'on doit y payer autant qu'en médecine de ville, cela ne marchera pas. Quand des patients viennent à l'hôpital pour y recevoir des soins qui ne relèvent pas de l'hôpital, c'est avant tout parce qu'ils ne paient pas. Si l'on ne réfléchit pas au modèle économique des maisons de santé, l'échec est certain. L'hôpital ne doit pas soigner tout et n'importe quoi.

Le modèle économique des établissements de santé est lié à leur financement. Lorsque vous avez auditionné le directeur de la sécurité sociale, il a souligné qu'il faudrait examiner les modes de financement de l'hôpital public à l'aune des contraintes pesant sur les services d'intérêt général en Europe. Nous n'avons pas du tout réfléchi à cette question. Quel modèle veut-on en France ? L'hôpital est-il un service d'intérêt général ? S'il ne l'est pas, qu'est-il ? Ce débat devra être ouvert rapidement. Trois modèles économiques coexistent aujourd'hui pour faire la même chose, avec des statuts et des régimes fiscaux différents. On rejoint là la question de la convergence : est-elle intéressante ? Je ne suis pas certaine qu'elle soit possible, ni pertinente. Si l'idée est abandonnée, que fait-on des groupements de coopération sanitaire créés par la loi HPST, alors que le personnel circulera entre établissements privés lucratifs, privés non lucratifs et publics ? Comment comprendre un modèle qui fait converger les coûts de production alors que les établissements n'ont rien en commun ?

Les Migac sont une soupape, on y met tout ce qui n'est pas inclus dans les tarifs ; en réalité, on est en train de recréer de petits budgets globaux... Plus on gonfle les Migac, plus on s'expose à cette dérive. Nous avons travaillé sur le développement durable : il n'y a pas assez de financement pour mettre en oeuvre les investissements imposés par le Grenelle. Pourquoi pas une ligne Migac spécifique ? Il ne reste plus que cela pour permettre aux établissements de fonctionner. Mais on risque de retrouver les problèmes que nous avons connus avec les budgets globaux.

Je m'interroge enfin sur la gouvernance du système. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) travaille sur les tarifs ; elle négocie les évolutions salariales. De son côté, le ministre de la fonction publique nous explique que les salaires ne vont pas augmenter. A la fin, c'est Bercy qui décide. Comment gérer les tarifs, avec tous ces gens qui interviennent sans rien connaître du fonctionnement de l'hôpital ? Qui plus est, dans le cadre d'une enveloppe fermée ! Il faut rationaliser tout ça.

M. André Hoguet, permanent fédéral, CFTC Santé Sociaux. - La T2A conditionne l'ensemble du fonctionnement des établissements. Lorsque Mme Aubry, alors ministre, a initié les travaux sur la T2A, il est apparu à la commission qui en avait été saisie que la T2A était un mode de transparence et de comptabilité des actes.

Nous nous sommes très vite aperçus de ses effets pervers. La T2A est fondée sur le tarif moyen de l'acte, qui concerne donc au premier chef des malades qui ne le sont pas trop, qu'on est sûr de voir sortir en 48 heures - sinon on risque de les réhospitaliser, ce qui remet les compteurs à zéro ; sans compter les interventions chirurgicales organisées en deux temps...

La T2A présente beaucoup de difficultés, dont le système de santé privé à but lucratif fait son beurre : il détourne les malades les plus « rentables » de l'hôpital, où il laisse les autres.

Malgré ce mauvais fonctionnement, les soins continuent d'être prodigués ; mais les établissements connaissent des déficits qui n'existaient pas auparavant et qui hypothèquent aujourd'hui le dialogue social. Il n'est pas besoin du « un sur deux » dans la fonction publique hospitalière, les emplois diminuent naturellement puisqu'on n'a plus les moyens de financer les salaires ! La tarification à l'activité telle que présentée initialement n'a jamais été mise en place - parce qu'elle est fondée sur un tarif moyen.

Le tri des patients en fonction de leur « rentabilité » est inadmissible. On voit de plus en plus d'établissements privés développer leur activité, en mettant mettre par exemple deux lits dans les chambres à un lit, parce que la demande est importante.

Les réhospitalisations... Dans les maternités, l'assurance maladie a décrété une DMS de trois jours. Nous n'y sommes pas favorables. Un grand nombre de couples mère-enfant sont réhospitalisés. Leur prise en charge est difficile, non plus en maternité mais en médecine, le reste à charge augmente pour les familles. Ce n'est pas acceptable. Si une maman doit rester cinq jours à l'hôpital, il faut qu'elle reste cinq jours.

La T2A a eu un effet restructurant, voulu par la loi HPST. L'organisation de l'offre de soins est telle aujourd'hui que les établissements ont du mal à travailler ensemble. Il y a les établissements qui ont une activité normale et ceux qui ne fonctionnent qu'avec des dépassements d'honoraires. Cette situation conditionne l'accueil des patients. Les ARS ont décidé de supprimer tous les blocs opératoires de nuit et les « petits » services d'urgences. La « bobologie » existe, mais les personnes qui en relèvent, comme celles qui présentent une véritable urgence, doivent être vues par un médecin et recevoir des soins en toute sécurité. Parce que les blocs opératoires sont surchargés et les services d'accueil trop petits, on oublie d'opérer certains patients ! Cette situation ne peut pas durer. Il est vrai que les blocs opératoires moyens pratiquaient peu d'interventions, mais celles qu'ils faisaient n'avaient pas à être réalisées ailleurs ! Il faudra revenir en arrière, rouvrir certains services de chirurgie intermédiaire ; les gros établissements ne peuvent pas tout absorber. Il est anormal qu'une personne convoquée le lundi pour subir une intervention le mardi ne puisse pas entrer parce que son lit a été occupé pendant le week-end par les urgences. Nous souhaitons que tout cela soit revu.

Le circuit de codage des actes a été modifié. Là non plus, la situation n'est pas satisfaisante. Le blocage se situe au niveau de la prise de décision. Chirurgiens et médecins n'ont pas le temps de coder. Selon une étude de la Cnam, les dossiers partent huit jours après la sortie du patient dans le privé, mais trois à quatre mois dans certains établissements publics ! Il y a là un vrai problème de recueil des actes et de circuit.

Nous n'étions pas très favorables aux Migac, car elles financent un peu n'importe quoi. Elles ne financent pas ce pour quoi elles ont été conçues, c'est-à-dire les activités complémentaires à la T2A.

Notre nouveau président nous promet une augmentation des dépenses d'assurance maladie qui ne devrait pas dépasser 3 %. Cela ne fait pas un grand saut par rapport aux 2,5 % d'aujourd'hui ! Dans son rapport pour Hôpital Expo qui doit avoir lieu la semaine prochaine, la Fédération hospitalière de France note que les déficits des établissements ont repris. Il faudra bien un jour retrouver les moyens qui n'ont pas été donnés. On ne fait plus d'économies sur les biscottes aujourd'hui, mais sur le personnel ! Il n'y a plus de formation ni de promotion professionnelles, les moyens humains s'affaiblissent. Les matériels de diagnostic sont usés, l'entretien des établissements de moins en moins assuré, mobilier et immeubles se dégradent. La situation globale se détériore progressivement. Il reviendra beaucoup plus cher de rattraper demain le retard que de consentir aujourd'hui un entretien régulier.

J'en viens au médicament. On a voulu mettre en place dans les établissements une commission du médicament. Il est vrai que l'hôpital n'a pas toujours été à la recherche des génériques, mais il s'y est mis depuis quatre ou cinq ans. Le poste « médicament » augmente néanmoins beaucoup plus vite que les autres. Les économies attendues ne sont pas au rendez-vous. Les budgets sont systématiquement sous-évalués. Dès qu'il y a une épidémie de grippe ou de gastroentérite, l'argent manque. Et le coût des dispositifs médicaux augmente beaucoup plus vite que l'indice des prix.

Nous proposons que les établissements soient rémunérés de la même façon pendant les dix ou quinze premiers jours d'hospitalisation des malades chroniques - en quelque sorte un système intermédiaire entre la T2A et le budget global.

L'assurance maladie ne contrôle plus les établissements. Il y a encore quelques années, les services administratifs conseillaient les médecins et plaçaient les patients. Les hospitaliers ont pris la relève mais le coût n'est pas neutre. Enfin, le conseil médical a été perdu.

La T2A doit être davantage orientée par le généraliste. Aujourd'hui, la démarche clinique est en recul ; des batteries d'examen sont réalisées avant de tenter un diagnostic. Les sociétés d'imagerie se sont multipliées : elles coûtent cher sans que le service rendu soit toujours pertinent.

Mme Nathalie Gamiochipi, secrétaire générale de la fédération CGT Santé et Action Sociale. - L'Ondam fixe a priori le montant des dépenses. Il ne résulte pas des besoins. Nous espérons que les prochaines lois de financement apporteront une bouffée d'air à l'Ondam hospitalier et que le service public sera à nouveau prioritaire.

La T2A, compte tenu du caractère fermé de l'enveloppe, a des effets pervers. Elle empêche de financer les activités à leur coût réel, surtout si l'Ondam ne prend pas en compte les besoins. On considère le financement de la santé d'abord en termes d'économies à réaliser. C'est vrai partout. Nous plaidons pour un système mixte avec un financement des activités à leur coût réel et une dotation globale. La santé, ce n'est pas que des actes et de l'activité.

Les investissements lourds ont été financés ces dernières années par les établissements eux-mêmes - d'où le recours à l'emprunt et des déficits. Nous demandons un état des lieux du recours aux marchés et proposons un financement public par la Caisse des dépôts. Les investissements pèsent aujourd'hui sur les effectifs, les conditions de travail des salariés, tandis que l'externalisation des services n'a pas fait ses preuves.

La T2A induit la concurrence entre les hôpitaux, y compris entre les établissements publics.

Le législateur doit interdire l'activité libérale à l'hôpital. La situation actuelle est insupportable.

Nous sommes absolument opposés à la convergence tarifaire, qui est une des conséquences de la tarification à l'activité et qui met sur un pied d'égalité des établissements qui n'ont pas les mêmes missions. Il faut y mettre fin.

Les partenariats publics privés sont des gouffres financiers qui enrichissent les promoteurs, on l'a vu à Corbeil-Essonnes avec le groupe Eiffage. On nous a annoncé qu'ils allaient cesser, mais des projets sont encore en cours. Il ne faut plus y recourir.

Les fonds Migac sont distribués dans chaque région ; ils sont à rapprocher des fonds d'intervention régionaux, qui ont un volet « modernisation des établissements ». Dans les faits, les ARS les utilisent pour réorganiser et restructurer. C'est la promesse de plans sociaux à grande échelle...

Les hôpitaux cherchent des recettes ; ils s'inscrivent de plus en plus dans une démarche commerciale et de rentabilité, chambres individuelles, produits dérivés... Le reste à charge augmente pour les familles. C'est l'usager qui est mis à contribution, injustement et de façon inégalitaire.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Vous avez des positions un peu différentes sur le bien-fondé de la T2A. Certaines critiques portent sur le caractère fermé de l'enveloppe et sur l'Ondam, qu'on voudrait moins bloquant, notamment dans sa composante hospitalière. Plusieurs d'entre vous sont contre le principe même de la T2A, d'autres prônent son aménagement.

La loi HPST, la T2A et l'état prévisionnel des recettes et des dépenses font système. Il faut envisager une inflexion d'ensemble. Un système alternatif performant est-il possible, qui soit compatible avec l'équilibre du financement de la sécurité sociale ? Peut-on extraire certains éléments de la T2A, par exemple la recherche ou les investissements lourds ? Ou encore, en rééquilibrant l'enveloppe, certaines activités comme la réanimation ou les soins palliatifs, dont le volume ne sera jamais couvert par une tarification administrée ? Quelles solutions trouver qui soient raisonnées et acceptables par les financeurs ? Nous attendons des propositions pragmatiques. J'ai bien noté enfin qu'à vos yeux la convergence tarifaire n'a que des inconvénients pour l'hôpital public - et que des avantages pour le privé.

M. André Huguet. - Nous ne remettons pas en cause le système de financement actuel de la protection sociale, mais il dépend avant tout de l'emploi et des salaires : le nombre de personnes qui cotisent, le niveau des revenus.

En France, on ne sait pas évaluer. Avant de mettre en place la T2A, il aurait fallu commencer par évaluer le budget global. Comme je l'ai dit, le nouveau système prend pour référence des tarifs moyens. Les moyennes peuvent être conservées, mais pondérées par exemple par l'âge du patient. Traiter un patient pour une pathologie donnée ne coûte pas la même somme s'il a vingt, soixante ou quatre-vingt ans.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Il faudrait moduler...

M. André Huguet. - Bien sûr. On pourrait imaginer un système qui allie la tarification à l'activité et l'esprit du budget global, pour un financement fondé sur les coûts réels.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ce qui n'est pas aisé...

Mme Nathalie Gamiochipi. - Depuis le vote de la loi HPST et la création des ARS, la démocratie a été confisquée à tous les niveaux : la parole des usagers, des salariés, des professionnels n'est plus écoutée. Nous devons partir des besoins et non plus des dépenses, même si elles augmentent plus vite que la croissance économique. Recentrons nous sur nos valeurs, l'égalité d'accès à des soins de qualité pour tous.

Nous avons rédigé un document pour un nouveau système de santé, que nous vous remettrons. Nous sommes opposés à la fiscalisation du financement de l'assurance maladie. Nous plaidons pour une augmentation des cotisations patronales et une nouvelle répartition des parts du travail et du capital ; pour la remise en cause de toutes les exonérations de cotisations patronales ; pour la création d'une contribution sociale assise sur les revenus financiers des entreprises ; pour la création d'un fonds de garantie des entreprises, qui rembourserait les impayés de cotisations qui font perdre des recettes au régime général ; pour la soumission à cotisation sociale des revenus issus de l'intéressement, de la participation et des plans d'épargne des entreprises.

Les investissements devraient être sortis de la T2A, car la situation actuelle n'est pas acceptable. Dans les établissements pour personnes âgées dépendantes, c'est l'usager qui finance pour partie l'investissement des maisons de retraites. Là encore, c'est inadmissible.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les départements payent aussi !

Mme Nathalie Gamiochipi. - Nous demandons la requalification des lits d'Ehpad en lits USLD : la plupart des personnes âgées qui arrivent en Ehpad relèvent de la médecine gériatrique avec des soins. Des moyens de financement supplémentaires sont nécessaires.

Enfin, nous sommes opposés à la tarification à l'acte en psychiatrie, qui est une hérésie. Depuis des années, nous demandons une loi d'orientation et de programmation pour cette spécialité avec un financement particulier.

M. Jean-Marie Sala, secrétaire général de la fédération Sud-Santé-Sociaux. - Nous disons depuis longtemps que la sécurité sociale est malade de ses recettes plutôt que de ses dépenses. Nous sommes opposés à ce que la T2A s'applique aux soins de suite et de réadaptation (SSR) et à la psychiatrie. Pour cette dernière, il faut prévoir des forfaits de prise en charge globale.

On parle beaucoup de faire des économies ; les soins précoces et la prévention sont de bons moyens d'en faire, je pense notamment à la médecine scolaire, universitaire et du travail. Aujourd'hui on privilégie les économies à court terme.

On met aussi en avant les maisons de santé. Mais leur réussite passe par la gratuité.

Il faut un système mixte de financement. La T2A a des effets pervers ; on le voit dans les maternités, avec les surcoûts de réhospitalisation à cause de durées de séjour trop courtes. La DMS ne peut pas être un critère de qualité, il faut en trouver d'autres.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - On dit que près de 20 % des actes médicaux seraient réalisés pour couvrir les risques médico-légaux.

M. René-Paul Savary. - Beaucoup d'actes d'imagerie sont réalisés sans tenir compte de la clinique. Elle n'est plus enseignée à l'université ! Les médecins doivent avoir conscience que la santé a un coût - surtout s'ils veulent être conventionnés... On fait des examens pour éliminer certaines pathologies ; on en prescrit d'autres pour dégager sa responsabilité... La question est délicate...

Un Ondam fondé sur les besoins augmenterait de 5 % à 10 % chaque année : les déficits se creuseraient de façon abyssale. Nous avons aussi besoin de voies ferrées, de routes ; on ne peut augmenter sans fin les dépenses.

On oublie trop souvent que dans les centres hospitaliers locaux ou dans les CHU, il y a plus de lits d'Ehpad que de lits d'actifs.

Mme Elisabeth Douaisi. - Pas dans les CHU !

M. René-Paul Savary. - A Reims, c'est le cas ! Or ce n'est pas le même financement ni les mêmes financeurs. Il y a peut-être là un point à creuser. On a toujours considéré en France que la prise en charge de la dépendance et de la perte d'autonomie, ce n'était pas le soin.

Nous sommes de plus en plus souvent amenés à travailler par protocoles, c'est-à-dire à traiter le patient globalement. Ce n'est pas forcément adapté à toutes les pathologies. Il y a des surcoûts, mais c'est la garantie que tout le monde est soigné de la même façon quel que soit le secteur.

Avec des maisons de santé gratuites, nous serions confrontés aux mêmes difficultés que celles que connaissent aujourd'hui les urgences. C'est toute la question de la répartition du coût entre l'usager et le contribuable.

Mme Nathalie Canieux. - Il serait politiquement courageux de faire financer les seuls soins par l'assurance maladie et de prévoir d'autres modes de financement pour le reste. L'assurance maladie continuerait-elle à connaître autant de problèmes ? Si c'était le cas, cela signifierait que l'organisation des soins doit être revue. Si on finance les investissements différemment, qui les contrôlera ? Certains projets sont pharaoniques...

Les temps médicaux d'enseignement et de recherche ne sont qu'en partie pris en compte dans les tarifs ; mais il est difficile d'en poser les limites...

M. Luc Delrue. - La relance de la consommation et de l'emploi est bien évidemment nécessaire pour l'avenir de notre protection sociale. Il faut aussi regarder de près les exonérations de charge, dont le montant est supérieur à ce que nous appelons le « prétendu déficit » de la sécurité sociale. Il est indispensable d'inverser la logique actuelle afin de garantir les recettes ; inverser aussi la charge de la preuve pour les EPRD. Il faut aussi faire un effort important de prévention.

Pour les investissements, l'intervention de l'Etat est nécessaire : il n'est pas normal que les établissements s'adressent aux marchés plutôt qu'à la Caisse des dépôts alors que les taux sont élevés. Il faut veiller au patrimoine des établissements hospitaliers afin d'éviter des détériorations dramatiques.

Mme Nathalie Gamiochipi. - On ne peut comparer le financement des hôpitaux à celui des réseaux routiers ! Nous parlons de la santé des gens ! L'égalité d'accès aux soins est un principe essentiel. Il est insupportable de voir que certains de nos concitoyens renoncent à se faire soigner faute de moyens. Nous sommes face à un problème sanitaire de grande ampleur : l'absence de réponse aux besoins les plus fondamentaux.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Une des vertus de la T2A par rapport à la dotation globale, c'est qu'elle permet de connaître les coûts. Savoir où va l'argent. Il en faut certainement davantage pour soigner un patient de soixante-quinze ans qu'un de vingt ; encore faut-il savoir combien. La dotation globale confortait les situations acquises.

M. Yves Daudigny, président. - Merci pour vos interventions très intéressantes.

Financement des établissements de santé - Audition de M. Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé à Sciences Po, codirecteur de l'Institut droit et santé

La mission procède enfin à l'audition de M. Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé à Sciences Po, codirecteur de l'Institut droit et santé.

M. Yves Daudigny, président. - Nous avons souhaité vous entendre car vous avez appartenu à plusieurs cabinets ministériels dans le domaine social ; vous êtes aujourd'hui directeur de la chaire santé à Sciences po et codirecteur de l'Institut droit et santé à Paris V.

Quelle appréciation globale portez-vous sur le mode de tarification commun à plusieurs Etats occidentaux, même si les modalités d'applications diffèrent d'un pays à l'autre ? Quels sont les points forts et les points faibles de notre T2A ? Patients et personnels en tirent-ils bénéfice ?

La T2A ne représente pas la totalité des ressources établissements. Son poids est-il satisfaisant ? La T2A se prête-t-elle au financement de toutes les activités hospitalières ? Le système de financement des établissements de santé pourrait-il être amélioré ?

M. Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé à Sciences Po, codirecteur de l'Institut droit et santé. - Mon intervention ne sera pas celle d'un technicien de la T2A mais celle d'un analyste du système et des politiques de santé.

Quels sont les objectifs d'une tarification ? Financer l'activité, donc couvrir les coûts et intéresser les acteurs ; inciter à la qualité ; encourager l'efficience, c'est-à-dire l'amélioration de la productivité des offreurs de soin mais aussi la prévention des pathologies ou de leurs conséquences et l'optimisation des traitements et des parcours de soins ; contribuer enfin aux équilibres macro-économiques.

La T2A favorise les gains de productivité : elle incite les offreurs de soins à réduire les coûts et à développer leur activité, elle permet de répondre aux besoins de santé. C'est sans doute pour cette raison que la dotation globale a été abandonnée. Il y a cependant plusieurs difficultés. La tarification est d'abord extraordinairement complexe, ce qui pose des problèmes d'utilisation et conduit à des stratégies de gestion ; selon la façon dont on va qualifier l'acte, il sera plus ou moins bien rémunéré. Il y a là un travail purement comptable, formel, indépendant du soin, en vue d'obtenir la meilleure rémunération, ce qui n'est pas nécessairement souhaitable. Ensuite, la tarification est ciblée sur l'activité - c'est ce pourquoi elle est construite. Elle s'accorde mal avec l'optimisation du parcours de soin car elle se concentre sur ce qui est fait au moment où on le fait. C'est un effet « microscope », alors qu'il faudrait une vision plus large. Troisième remarque : il n'existe pas réellement d'indicateurs de qualité. La T2A pousse à l'efficience par la réduction des coûts, hors de toute évaluation du rapport qualité/coût. Or, en matière de santé, la qualité, c'est la vie des hommes. Certains pays y travaillent ; la France serait bien inspirée d'y réfléchir à son tour.

La T2A est en outre inflationniste ; elle peut conduire à la réalisation d'actes dont l'utilité médicale n'est pas établie. Le Directeur général de l'assurance maladie s'en est récemment fait l'écho. C'est un effet pervers de la T2A - comme c'est un effet du paiement à l'acte en libéral, d'ailleurs.

Ensuite, la complexité de la T2A s'explique par le fait qu'on a essayé de l'adapter à toutes les situations possibles - l'intention était louable. Mais des critères majeurs de l'activité des services ne sont pas pris en compte - ce n'est pas sa vocation - au premier rang desquels les critères sociaux et familiaux des personnes prises en charge. Or, ces critères jouent sur les durées d'hospitalisation et expliquent en grande partie les difficultés rencontrées, surtout par les établissements publics. Il est paradoxal d'avoir à ce point raffiné les critères médicaux et de ne pas avoir pris en compte des critères aussi importants.

Enfin, la tarification a suscité un tel engouement qu'on l'a étendue excessivement, au-delà des secteurs auxquels elle était adaptée. On comprend qu'elle vaille pour les interventions techniques programmables, moins en médecine ou en soins palliatifs.

La T2A est utile dans un certain nombre de domaines. C'est pourquoi je suggère une approche pragmatique. Il faut la conserver pour les activités les plus adaptées - aux spécialistes d'en cerner le champ - mais prévoir aussi une part de financement global ajusté sur l'activité pour d'autres types de soins, notamment en médecine. Je rappelle que le Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) avait été institué pour gérer des dotations globales. Je ne serais pas choqué en outre que, pour certaines activités comme les soins palliatifs, on revînt au prix de journée.

La T2A, ainsi que les éventuelles dotations globales, devraient prendre en compte des critères de qualité et de performance. Certaines publications contestent cette approche et soutiennent qu'ils ont peu de conséquences pratiques ; mais ils seraient utiles sur un plan pédagogique, médical et sanitaire. Le National health service en Grande-Bretagne les a introduits en 2010. D'autres éléments qualitatifs pourraient être envisagés, qui sont bien documentés, comme le vécu des patients ou des personnels. Ces indicateurs de qualité supposent une évaluation externe qui reste embryonnaire en France malgré les efforts de la Haute Autorité de santé et de certaines ARS. Cette évolution est néanmoins souhaitable. Elle aurait l'avantage d'obliger les établissements à définir les critères de qualité, à les suivre et à les rendre publics. Aux Etats-Unis, le public dispose grâce à US Transplant, établissement par établissement, de données précises sur les transplantations.

Ce qui me choque, c'est que le système extrêmement sophistiqué mis en place dans l'objectif légitime de réguler les dépenses n'est pas suffisamment efficace et qu'on est contraint de faire de la régulation en réduisant les Migac... C'est en totale contradiction avec ce qu'est un système de tarification.

Enfin, les conditions de service public ne sont pas correctement prises en compte, j'entends hors celles identifiées Migac. Pour les activités financées par la T2A, un établissement public ne peut pas avoir un taux d'occupation de 100 %, car il doit réserver des lits en cas de crise ou de catastrophe. L'écart de tarif est difficile à apprécier, ce qui remet en cause l'idée de convergence tarifaire entre ce qui relève du service public et ce qui n'en relève pas. A ma connaissance, le Royaume-Uni, depuis deux ans, va à rebours de notre travail de convergence ; s'y est amorcé un mouvement de différenciation tarifaire, au motif que les cliniques privées et les établissements publics ne peuvent pas être soumis à la même tarification de façon équitable et efficace.

Je m'interroge également sur les conditions de prise en compte de critères de différenciation des coûts fixes pour des motifs territoriaux. Si un processus de convergence peut se comprendre, je ne crois pas que certains coûts - je pense notamment à l'immobilier - puissent y entrer. La même question se pose d'ailleurs pour la médecine de ville. L'une des difficultés de la convergence tient aussi à l'absence de prise en compte des coûts complets. Les dépassements d'honoraires ne sont pas intégrés, ce qui ne facilite pas les comparaisons.

La tarification doit conduire à améliorer la productivité et l'organisation, c'est la vertu qu'on lui a prêtée ; si on renonce à encadrer une poche de coûts en expansion, l'édifice ne tient plus - sans parler de la convergence tarifaire...

L'évolution de la T2A ne peut être imaginée sans s'interroger sur celle du cadre juridique de l'activité hospitalière et de la médecine de ville. En tant que juriste, la suppression de la notion de service public hospitalier m'inquiète. Ses conséquences en termes de tarification peuvent avoir un effet boomerang redoutable. La réforme éventuelle de la T2A et de la tarification hospitalière doit s'intégrer dans une réforme plus globale, qui passe par la définition de ce que sont les missions de service public. On ne peut séparer la réflexion sur la tarification d'une réflexion sur le statut des établissements hospitaliers. Elle doit aussi, ce qui est beaucoup plus difficile, être examinée conjointement avec l'évolution de la tarification et de l'organisation de la médecine de ville. Pendant longtemps, la tarification hospitalière et la médecine de ville étaient dissociées ; à l'avenir, elles se recouperont à travers des prises en charge croisées - une journée ou deux à l'hôpital et le reste du traitement assuré par la médecine de ville ; et les activités des professionnels seront de plus en plus partagées entre le salariat et le paiement à l'acte dans le secteur libéral. Il faut intégrer dans la réflexion l'évolution du système dans son ensemble.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Je suis d'accord avec vous, il faut intégrer des critères de qualité. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire... J'y ajoute la sécurité et l'opportunité des soins.

Les modalités de construction des tarifs ont été critiquées par tous nos interlocuteurs : faible représentativité de l'échantillon qui sert de base à l'échelle nationale des coûts ; complexité des 2 318 tarifs, contre 1 300 en Allemagne et 1 100 aux Etats-Unis ; manque de lisibilité et de prévisibilité pour les établissements de santé ; déconnexion entre les coûts et les tarifs. La saisie est sophistiquée, mais l'établissement des tarifs reste une boîte noire. Quels critères de qualité introduire dans cette machinerie ? Comment répondre aux critiques sur la complexité du système tout en y ajoutant de nouveaux paramètres ?

M. Yves Daudigny , président. - La déconnexion entre les tarifs et les coûts nous interpelle. Peut-on envisager de payer au coût réel ? Aujourd'hui la T2A apparaît un peu artificielle...

M. Didier Tabuteau. - Introduire des indicateurs de qualité ne me paraît pas d'une difficulté insurmontable. Vous pouvez établir un tarif sur la base de 95 % de ce qu'il est aujourd'hui et ajouter de 0 % à 5 % fondés sur des critères de qualité reconnus. Celui qui y répondra obtiendra 100 %, celui qui n'y répond pas 95 %. Ce sera une incitation forte pour les établissements, qui n'ajoutera pas à la complexité du système. Les indicateurs de qualité auront vocation à être rendus publics. Les établissements y accorderont une grande importance parce que les tarifs seront améliorés en fonction de ces critères.

Sur la question coût-tarif, la T2A se fonde sur une moyenne ou un optimum ; par construction, il y a des coûts supérieurs et d'autres inférieurs. Dans certains secteurs, les différences tarifaires sont extrêmement fortes - on retrouve là la question des coûts fixes, qui sont bien différents à Montmorillon et au centre ville de Marseille, par exemple.

La régulation par les tarifs a un autre effet pervers : la T2A est inflationniste. Si, en raison d'un surcroît d'activité justifié, la dépense hospitalière progresse plus rapidement que prévu, il en résulte dans certains cas une baisse des tarifs pour des raisons de régulation macroéconomique qui n'est pas microéconomiquement justifiée. Je plaide pour une part de dotation globale fixée en fonction de l'activité, un objectif de dépenses et la garantie de la stabilité des tarifs. La baisse des tarifs consécutive à une augmentation de l'activité est décourageante pour les équipes qui ont atteint leurs objectifs. On pourrait imaginer un volume d'activité assorti de tarifs stables et, au-delà de ce volume, des tarifs pouvant évoluer à la baisse. La fluctuation rapide des tarifs peut conduire un établissement qui aurait fourni des efforts pour rendre ses coûts inférieurs aux tarifs à retomber dans les difficultés.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les tarifs changent tous les ans !

Didier Tabuteau. - C'est ingérable. Si à chaque fois que vous sortez la tête de l'eau on vous y replonge... Je comprends la désespérance de certains services hospitaliers.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Selon David Belliard, journaliste économique, coauteur d'un livre intitulé Nous ne sommes pas coupables d'être malades, et auteur de Notre santé est-elle à vendre ? « le système même de la T2A réduit la pratique médicale à une série d'actes techniques quantifiables ; l'écoute, la discussion, l'information aux patients et la prévention sont autant d'éléments essentiels qui ne sont pas ou mal pris en compte par la T2A ; cela incite les professionnels à rogner sur le temps qui leur est consacré pour se concentrer sur les activités financières rentables. » Partagez-vous cette analyse ?

M. Didier Tabuteau. - En partie, puisqu'il en va de la nature même du paiement à l'acte. Je n'en déduis pas pour autant qu'un autre mode de tarification soit exempt de telles critiques. Le budget global peut aussi avoir un effet désincitatif et ne garantit pas que les équipes consacrent plus de temps à l'écoute du patient, à l'information ou à la prévention. Il faut des indicateurs de qualité qui intègrent les éléments d'une prise en charge globale.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Selon Mme Zeynep Or, directrice de recherches à l'Institut de recherche et de documentation sur l'économie de la santé (Irdes), que nous avons entendue « la T2A n'est pas sans provoquer des doutes éthiques chez les soignants, incités à sélectionner les malades selon les sommes qu'ils vont rapporter au service, au pôle et à l'établissement. Pour autant, elle n'est pas maléfique en elle-même. C'est surtout sa mise en oeuvre, liée à la fétichisation de l'outil par l'administration, qui semble poser problème. » Qu'en pensez-vous ?

M. Didier Tabuteau. - Il ne fait pas de doute que la T2A peut conduire à une sélection des patients. Il en va de la nature même de la tarification : un gestionnaire qui veut équilibrer ses comptes s'efforcera dans la mesure du possible de privilégier les activités les plus efficaces économiquement pour son établissement. C'est un effet pervers de la T2A par rapport au budget global. On ne peut que partager cette critique.

Si on ne peut reprocher à un établissement hors du service public, dès lors qu'il ne pratique pas de discrimination, de choisir ses activités et d'offrir les prestations qu'il souhaite, la vocation des établissements du service public est de répondre à l'ensemble des besoins de santé. Les dérives de la T2A peuvent être contrecarrées par un contrôle des ARS, afin de garantir que l'ensemble des missions de service public soient bien assurées.

C'est pourquoi il est crucial de définir ce que sont les missions de service public en matière hospitalière. Elles sont au nombre de quatorze actuellement, énumérées dans le code de la santé publique, dont les urgences ou les soins palliatifs, les soins aux détenus. Mais 80 % des missions de l'hôpital public n'en relèvent pas ! Aux termes de la loi HPST, si je la lis bien, la majorité du personnel travaillant dans les établissements publics, qui sont des agents publics et des fonctionnaires, n'exercent plus dans le service public. Cela pose un problème. Il faut que le service public demeure avec une mission d'ensemble de l'offre de soins qu'il doit assumer ou s'il ne le peut pas, transférer à un autre établissement du service public - on ne peut évidemment pas faire de la chirurgie cardiaque dans n'importe quel hôpital. Il faut qu'il y ait un bloc unique de service public hospitalier. En revanche, des missions de service public doivent pouvoir être assumées par d'autres, lorsque ce bloc ne les prend pas en charge.

La tentation du gestionnaire de privilégier telle ou telle activité, si elle peut être utile dans certains cas, doit être contrôlée et régulée par l'autorité publique. C'est faisable dans le cadre d'un établissement de service public, mais pas si l'on découpe les misions de service public à l'unité.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Il nous a été rapporté qu'un nombre important d'actes sont destinés à assurer la couverture médico-légale de l'établissement et des producteurs de soins...

M. Didier Tabuteau. - Comme vous, j'ai entendu des témoignages ; mais je ne puis quantifier ce qu'on appelle la médecine défensive. L'assurance maladie réalise de temps à autre des analyses. Nous publierons prochainement un important travail de recherche sur la judiciarisation de la santé, mené sur une dizaine d'années et portant sur 15 000 décisions de justice pertinentes. Il ne met pas en évidence une explosion du contentieux médical. Y a-t-il une augmentation significative des actes de médecine défensive ? Je suis convaincu que cela varie beaucoup d'un secteur à l'autre, mais je ne suis pas sûr qu'il y ait une démarche systématique en ce sens, des généralistes par exemple. Y a-t-il des spécialités plus concernées que d'autres ? Je suis incapable de le dire.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Je relève, dans le rapport 2011 de l'agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih), au chapitre « Suivi des déviances, repérage des évolutions et étendue de l'activité » : « le passage à la T2A à 100 % opéré en 2008 dans le secteur anciennement sous dotation globale, ainsi que la mise en oeuvre de la version 11 de la classification, incitent davantage les établissements à développer un comportement de codage des informations médicales dans un objectif d'amélioration de leurs recettes. Ces comportements peuvent se définir comme des adaptations contraires aux attentes du régulateur et aux bénéfices attendus de la T2A... Dans la mesure où leur développement par les établissements entraîne une augmentation des dépenses hospitalières, créant un risque de dépassement de l'Ondam, leur suivi infra-annuel permet une alerte précoce sur les risques de dépassement éventuels et d'agir en conséquence » - en d'autres termes, une régulation à la baisse des tarifs.

M. Didier Tabuteau. - Un des effets pervers de la T2A est qu'elle pousse à faire de la gestion de tarifs afin d'optimiser la tarification pour une même prise en charge. Ce n'est pas contraire aux règles mais cela démontre que le système a été construit sans bouclage macro-économique.

Alors qu'en médecine de ville on tend de plus en plus à aller vers une rémunération forfaitaire et non plus à l'acte, le mouvement est strictement inverse en médecine hospitalière. Pourquoi pas des contrats d'objectifs incluant l'évolution de l'activité ? Progressivement, les ARS auront une vision du volume d'activité souhaitable ; je suis convaincu que dans certains domaines, comme les opérations de la cataracte ou les prothèses de hanche, l'évaluation des besoins sur un territoire de santé donné est tout à fait possible. La question se poserait alors d'insérer la T2A dans un système de budget global négocié sur la base des besoins de santé ; on éviterait ainsi la course à l'activité et on répondrait aux attentes de chaque région, sans inflation incontrôlée des actes. Ce serait préférable à une régulation par la baisse des tarifs, au risque de tarifer des actes parfaitement légitimes à un tarif inférieur à leur coût.

M. Yves Daudigny, président. - Faut-il sortir les investissements de la T2A ? Si oui, qui paierait ? L'Etat seul ? L'Etat et les régions dans le cadre des contrats de plan ?

M. Didier Tabuteau. - Je connais mal cette question, qui rejoint celle relative aux coûts fixes. Il faut en tout cas que la convergence intra-sectorielle trouve à s'appliquer de façon équitable.

M. Yves Daudigny, président. - Vous souhaitez que les évaluations soient publiques. Mais des comparaisons entre établissements hospitaliers sont régulièrement publiées par la presse, même si leur fiabilité peut être mise en doute parce qu'elles ne tiennent pas compte de la situation de départ des patients. Pourrait-on disposer de critères vraiment objectifs sur la qualité des établissements ? Cela se pratique-t-il ailleurs ?

M. Didier Tabuteau. - Cette question est cruciale. De tels indicateurs sont indispensables. Il faudrait que le système hospitalier et le régulateur mettent à la disposition du public des évaluations établies sur des bases consensuelles. Le besoin d'information existe, il est potentiellement restructurant pour le système - même si l'impact sur le public n'est pas aussi important qu'on pourrait le croire. En revanche, les équipes hospitalières y sont très sensibles, ce qui justifie amplement ces études.

Il y a quelques années, j'ai essayé de collecter des données sur les sites publics ; sans grand résultat, tant elles étaient difficilement exploitables. Il faut que les établissements publient des données compréhensibles sur la qualité, la sécurité et l'efficacité. Ces éléments permettront de rationnaliser les tarifications, quelles qu'elles soient.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - La somme d'informations pour chaque établissement est déjà très importante. Si les palmarès dans la presse fleurissent, c'est bien parce qu'on n'a pas fait l'effort de les mettre en forme puis à la disposition du public.

M. Didier Tabuteau. - Beaucoup d'informations sont en effet disponibles mais elles concernent davantage les processus que les résultats. Il reste beaucoup de travail à faire. Le droit à l'information collective est aussi essentiel que le droit à l'information individuelle.

M. Yves Daudigny, président - Merci pour votre intervention.