Mardi 25 juin 2013

- Présidence de M. Henri de Raincourt, président -

Audition de M. Sylvain Robert, responsable des expertises collégiales à l'IRD, et MM. Jacques Lemoalle, président, et Géraud Magrin, vice-président, du collège des experts, au sujet de l'expertise collégiale sur le lac Tchad

M. Henri de Raincourt, président. - Je remercie les membres de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) que nous auditionnons aujourd'hui. Après le Forum mondial du développement durable à N'Djaména de 2010, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) vous a confié une expertise collégiale, financée par le Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM) et suivie par l'Agence française de développement (AFD). Préserver le lac Tchad, dont on sait l'importance vitale, telle est l'ambition portée par cette expertise.

Nous nous y intéressons de près, non seulement parce que nous nous rendrons prochainement au Tchad, mais aussi parce que l'outil de l'expertise collégiale est, à nos yeux, fondamental pour appréhender toute la chaîne décisionnelle, du financement jusqu'à l'exécution des opérations. Quel est son calendrier ? Quel est son fonctionnement ?

M. Sylvain Robert, responsable des expertises collégiales à l'IRD. - Le calendrier, d'abord. Comme toutes les autres, l'expertise collégiale « Préservation du lac Tchad : contribution à la stratégie de développement durable du lac » a débuté à l'occasion d'un atelier initial qui s'est tenu à N'Djaména en septembre 2012, date à partir de laquelle court le délai d'un an dans lequel le rapport doit être remis. Nous sommes dans les temps : le collège d'experts s'est réuni la semaine passée pour la troisième et dernière fois à N'Djaména. Le rapport final sera rendu entre la fin septembre et la mi-octobre à la CBLT qui formulera des observations.

Une expertise collégiale, comme son intitulé l'indique, est l'oeuvre d'un collège de douze à quinze experts. Elle se traduit par une pluridisciplinarité en acte, ce qui n'est pas si commun dans la recherche. De fait, des experts issus de disciplines différentes travaillent ensemble durant un an et se rencontrent physiquement trois fois sur le site de l'expertise. En l'occurrence, le collège d'experts s'est réuni à N'Djaména au Tchad et à Maroua au Cameroun. Pluridisciplinaire, une expertise collégiale est également pluri-institutionnelle : pour la partie française, nous avons deux ou trois chercheurs de l'IRD, deux du Cirad et un du CNRS. Elle respecte le principe de la parité Nord-Sud : huit experts proviennent des pays riverains du lac - le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigéria. La langue de travail est le français. Pour nos deux collègues anglophones, la CBLT avait prévu une traduction simultanée lors de la troisième réunion.

La vocation de cette expertise collégiale était d'envisager la préservation du lac Tchad dans toute sa complexité scientifique, géographique, socio-économique et politique - le délai d'un an est court pour un travail d'une telle ampleur. Après chacune des trois réunions du collège des experts, le comité de suivi piloté par la CBLT est informé des travaux et formule des observations dont les experts doivent tenir compte dans leur feuille de route. Cette procédure garantit une appropriation in itinere des recommandations des experts : une expertise collégiale a pour objectif d'offrir un appui à la décision au bénéfice du pays du Sud qui en a passé commande.

Voilà, à grand traits, les caractéristiques d'une expertise collégiale dont la mise en oeuvre se heurte toujours à des difficultés pratiques : trouver des chercheurs prêts à y consacrer du temps en plus de leurs propres tâches de recherche et d'enseignement, les rémunérer, composer avec leur emploi du temps...

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Pouvez-vous nous parler de la mise en oeuvre, au quotidien, d'une expertise collégiale ?

M. Henri de Raincourt, président. - Le cheminement.

M. Jacques Lemoalle, président du collège des experts. - J'ai commencé ma carrière au Tchad il y a fort longtemps, ce qui explique beaucoup de choses...

Le manque d'observations directes sur le lac alimente une cacophonie incroyable depuis une vingtaine d'années. Si nous avons des données régulières sur la cuvette sud depuis 1953, les dernières concernant la cuvette nord remontent à 1976. Les chefs d'État de la région, persuadés que le lac allait disparaître, ont conçu au début des années 1990 un grand projet de transfert du bassin de l'Oubangui au bassin du Tchad de 100 km3 par an. C'était beaucoup quand, en temps normal, l'apport du fleuve Chari au lac tourne autour des 40 km3. Un chiffre du même ordre a été retenu dans une version ultérieure, plus soft. Une étude, dont les résultats ont été publiés l'an dernier, préconise un transfert plus réaliste : 7 km3 par an. Pourtant, dans les discours, on continue d'utiliser les arguments des 40 et 100 km3.

J'en ai discuté avec mes collègues tchadiens, avec les gens de la CBLT. Nous sommes tombés d'accord sur l'idée qu'il fallait mettre les choses à plat et que pour cela, nous devions collecter les données publiées sur le fleuve qui étaient jusqu'à présent dispersées à droite et à gauche. Voilà comment est née cette expertise collégiale. Le but était de synthétiser les informations disponibles sur l'hydrographie du lac, les populations qui vivent autour et leur façon d'utiliser les ressources pour les présenter sous une forme accessible aux décideurs. Finalement, la nouveauté était de confronter des données thématiques issues de disciplines différentes.

M. Henri de Raincourt, président. - Les chefs d'État sont-ils toujours convaincus que le lac Tchad est voué à une inexorable disparition ?

M. Jacques Lemoalle. - Un peu moins depuis le Forum de 2010 à N'Djaména. En fait, tout dépend du niveau auquel on s'adresse et de l'ambiance générale de la réunion. Le président Déby ne fait plus du projet de transfert interbassins une priorité ; c'est désormais une possibilité à moyen terme sous réserve d'études. En revanche, on entend un autre son de cloche au niveau local.

M. Henri de Raincourt, président. - Je ne suis ni spécialiste de la question ni scientifique, mais il se trouve que j'ai participé à la table ronde sur le lac Tchad au Forum de l'eau de Marseille. Le président Déby l'avait minutieusement préparée, le président Issoufou y participait. Je crois bien avoir entendu que si l'on ne faisait rien, la réduction du lac était inexorable...

M. Géraud Magrin, vice-président du collège des experts. - Ce type de discours, que tiennent les médias, la CBLT, la FAO, les chefs d'État, est décalé par rapport à réalité scientifique qui ne fait l'objet d'aucune controverse entre les chercheurs : si la surface du lac Tchad varie considérablement d'une année à l'autre, d'une saison à l'autre, elle est relativement stable depuis 40 ans. Nous restons dans les mêmes proportions d'échelle, à un niveau plutôt bas qui est favorable aux activités économiques telles que le pâturage et l'agriculture. L'un des enjeux est d'apporter aux responsables des connaissances scientifiques claires.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment les termes de référence de l'expertise collégiale ont-ils été rédigés ?

M. Jacques Lemoalle. - J'ai pris ma part dans la rédaction de ce projet après avoir échangé avec des agents de la CBLT. L'idée était relativement simple : collecter les données existantes. Il a fallu ensuite la formaliser dans le cadre un peu contraignant de l'expertise collégiale. Etudier le lac Tchad, c'est se pencher sur un milieu physique, un milieu humain, des ressources naturelles et une gouvernance. Pour chaque domaine, nous devions identifier les chercheurs susceptibles de contribuer efficacement à ce travail et disposés à le faire, tout en gardant un équilibre entre ceux du Nord et du Sud mais aussi entre les quatre pays riverains. Tout cela se construit petit à petit.

M. Géraud Magrin. - Si vous voulez, une expertise collégiale se rapproche du panel scientifique indépendant de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L'indépendance des experts, même si de la subjectivité est toujours en jeu, apporte une légitimité scientifique au discours sur un objet complexe.

L'expertise sur le lac Tchad a mobilisé des spécialistes des sciences de la nature et des sciences sociales ainsi que les étudiants qu'ils encadrent - des Français, mais aussi des Tchadiens, des Camerounais ou des Nigériens. Grâce à ce réseau d'étudiants, qui n'apparaît pas dans l'organigramme, nous avons pu actualiser certaines données et colmater des brèches importantes.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Selon quel critère identifiez-vous vos partenaires : celui du chercheur ou de l'institution ?

M. Géraud Magrin. - Le principal critère est la légitimité scientifique sur le lac Tchad, objet de l'expertise, un sujet qui a été peu traité ces dernières années, et encore moins dans les pays riverains. Ensuite, la représentation des quatre pays riverains ; une nécessité puisque la commande a été passée par la CBLT et que nous voulions aboutir à une vision complète du lac. Le Nigéria en particulier, parce qu'il contribue à la moitié du budget de la CBLT, devait absolument être présent. Or, pour des raisons historiques, nous avons moins de relations avec les Nigérians. Les grandes violences dans le nord de ce pays ont compliqué les choses. Nous avons dû nous adapter chemin faisant.

Pour les identifier, nous sommes passés par le réseau des sciences de la nature de l'IRD et le réseau des sciences sociales du Cirad et de Paris I. Trouver des personnes disponibles et fiables pour constituer une équipe opérationnelle en conciliant ces nombreux paramètres s'est révélé difficile : les collègues compétents sont souvent surchargés de travail.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les chercheurs siégeaient-ils au collège d'experts à titre individuel ou institutionnel ?

M. Géraud Magrin. - A titre individuel, étant entendu que nous souhaitions une diversité des institutions.

M. Sylvain Robert. - Leurs établissements d'origine savent néanmoins qu'ils participent à cette expertise pour une raison très simple : ils doivent valider leur départ en mission.

M. Henri de Raincourt, président. - Comment les partenaires du Sud ont-ils été désignés ?

M. Géraud Magrin. - Nous avons dressé une liste, vérifié le respect des équilibres avec l'IRD et nous l'avons ajustée en fonction des disponibilités des chercheurs.

M. Sylvain Robert. - Autrement dit, si le processus a été très préparé, nous avons dû composer avec les conditions du moment et revoir le plan initial tout en préservant les équilibres entre disciplines, pays et institutions.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Pourquoi avoir fait le choix d'une présidence et d'une vice-présidence Nord-Nord ?

M. Géraud Magrin. - M. Lemoalle travaille sur le lac Tchad depuis 1967, il est à l'origine du projet. Aucun autre chercheur n'avait sa légitimité. Promouvoir absolument un collègue du Sud parce qu'il est du Sud serait un peu complaisant. Aussi espérions-nous voir au cours de nos travaux se distinguer des chercheurs du Sud à qui nous pourrions confier des tâches de coordination.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Tout à fait d'accord. Je cherche à comprendre comment on peut impliquer dans un projet les institutions du Sud autant que celles du Nord. Pour l'heure, l'input vient du Nord. Avez-vous des idées ?

M. Géraud Magrin. - Pour dépasser le débauchage individuel, il faut recourir à d'autres outils que l'expertise collégiale qui est d'une durée courte. Des formes de partenariat durables, de trois à quatre ans, peuvent, elles, s'inscrire dans une dimension institutionnelle.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Je ne suis pas plus scientifique que M. de Raincourt, je suis grammairienne. Pour autant, j'ai vécu plus d'un an à N'Djamena il y a quarante ans : je sais la difficulté à travailler dans ce pays... A l'époque de Tombalbaye, l'armée française s'intéressait énormément au lac Tchad, mais les scientifiques changeaient sans cesse. Sans doute, êtes-vous confrontés à ces difficultés. Je m'interroge : comment donner une plus grande importance à votre projet ?

M. Jacques Lemoalle. - La coopération institutionnelle dont vous parliez existe au sein des laboratoires mixtes internationaux de l'IRD. Une expertise collégiale s'inscrit dans une autre logique.

M. Sylvain Robert. - En effet, elle naît sur un terreau favorable, des partenariats scientifiques au long cours grâce auxquels se constitue un capital de confiance, qui rend possible une relation de travail - dans le cas du lac Tchad, la relation avec la CBLT et les partenaires académiques des pays concernés. Sans cela, l'expertise collégiale, qui organise un transfert de connaissances en appui à la décision, perd son sens.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - L'IRD et le Cirad ont déjà des programmes de recherche dans ces pays. Finalement, ne paye-t-on pas deux fois pour la même chose ?

M. Géraud Magrin. - Une expertise collégiale consiste en la collecte de données autour d'un enjeu d'une complexité et d'une résonnance particulières. Travailler sur un programme d'agriculture sur la rive sud du lac Tchad, comme je l'ai fait, n'équivaut pas à parler du lac Tchad de manière globale devant la CBLT. Les projets CHORUS, financés par le ministère des affaires étrangères, sont des outils intéressants mais forcément limités : avec 66 000 euros sur trois ans, on parvient à financer les travaux de terrain des étudiants. Le niveau de production scientifique n'est pas comparable à celui de chercheurs chevronnés s'adressant à des chefs d'État. A mon sens, ces outils sont complémentaires, pas alternatifs.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Je vous rejoins complètement. Nous nous heurtons à des problèmes longs, liés aux pays, à la qualité des chercheurs... Les universités, c'est magnifique ; il n'empêche, la recherche reste balbutiante.

M. Jacques Lemoalle. - Payer deux fois ? Reprenons la chaîne de production de la connaissance : un chercheur qui écrit un article illisible par le grand public et les personnes qui rendent son propos intelligible et utilisables n'y occupent pas la même place.

M. Henri de Raincourt, président. - A la lumière de votre expérience, que faire, que recommander pour fluidifier, moderniser la recherche pour le développement ?

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quels outils comptez-vous développer en aval de l'expertise collégiale : une base de données, un observatoire ?

M. Géraud Magrin. - Mme Duchêne a raison : le niveau de la recherche dans la région reste relativement bas, en dépit des investissements des États et malgré des exceptions notables parmi les chercheurs. Une solution, mais je ne sors rien de nouveau de mon chapeau, serait de créer des fonds incitatifs pour la recherche qui financeraient à moyen et long terme des équipes de chercheurs Nord-Sud ou entre les États du Sud.

M. Henri de Raincourt, président. - Par chercheurs du Nord, faut-il entendre uniquement des chercheurs français ?

M. Géraud Magrin. - Pas nécessairement, il y a des projets de l'Union européenne. Cependant, ils sont si énormes et nécessitent des compétences tellement spécifiques qu'il faut plusieurs mois de formation avant de s'y porter candidat. De tels projets, à cause de leur complexité, sont hors de portée des chercheurs du Sud. Nos collègues anglo-saxons pratiquent une division du travail qui n'est pas satisfaisante : aux chercheurs du Nord, la conception du projet ; à ceux du Sud, la déclinaison pratique.

M. Henri de Raincourt, président. - Concernant le lac Tchad, n'y a-t-il que des Français ?

M. Géraud Magrin. - Non, le réseau Méga-Tchad, initialement composé de linguistes, d'ethnologues et d'archéologues, organise des colloques tous les deux ou trois ans. Nous avons travaillé avec des collègues allemands et hollandais à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Et les Chinois ?

M. Géraud Magrin. - Ils sont présents dans la région, mais n'investissent pas le secteur de la recherche.

M. Jacques Lemoalle. - Il faudrait aussi citer des programmes de recherche au coup par coup, par exemple ceux de la FAO sur la pêche.

M. Sylvain Robert. - Vous pourriez, en vous appuyant sur l'exemple probant du lac Tchad, insister sur l'utilité de l'expertise collégiale dans la chaîne de production de la connaissance. Inserm, Inra et IRD sont jusqu'à présent les seuls à se servir de cet outil ; pour le développer, nous avons besoin d'un dispositif de soutien, de temps et d'hommes. Ce travail de synthèse, parce qu'il se concentre sur l'appropriation des connaissances par le Sud, fait la jonction entre scientifiques et politiques, deux mondes auxquels on reproche souvent de s'ignorer l'un l'autre.

L'expertise collégiale repose sur une relation de confiance et un accord de gré à gré avec un partenaire, ce qui exclut d'emblée le financement par un appel d'offre européen. Un dispositif dédié à ce type de démarche nous faciliterait grandement le travail.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quel est le budget d'une expertise collégiale par rapport à un programme de recherche et comment les crédits se répartissent-ils ?

M. Sylvain Robert. - L'expertise collégiale pour le lac Tchad représente 225 000 euros, financés par le FFEM. Tout est fait à prix coûtant : l'IRD, établissement public, n'a pas vocation à réaliser des bénéfices.

Mme Marie-Annick Duchêne. - L'ordre de grandeur n'est pas très élevé.

M. Sylvain Robert. - Cela implique une gestion financière extrêmement tendue. Les chercheurs acceptent de s'y dédier pour une indemnité modique : 2 000 euros pour les membres du collège, qu'ils soient du Nord ou du Sud, pour la durée de l'expertise, contre 1 000 euros par jour pour un consultant. C'est une affaire de bonne volonté et la passion.

M. Henri de Raincourt, président. - De passion, surtout !

M. Jacques Lemoalle. - Je toucherai 4 000 euros pour cette expertise parce que le Cirad, auquel appartient Géraud Magrin, doit faire entrer de l'argent ; la différence lui reviendra.

M. Géraud Magrin. - Une expertise collégiale n'est pas une expertise internationale ; mes collègues imaginent des rémunérations sans rapport avec la réalité. Je ne suis pas vu d'un bon oeil par mes responsables ; j'espère, quant à moi, que les résultats scientifiques seront intéressants. C'est la même chose pour nos collègues du Sud : ils s'engagent dans le projet en raison des relations anciennes que nous avons établies avec eux, pas pour l'argent.

M. Sylvain Robert. - Le premier poste de ce budget de 225 000 euros concerne les missions pour 100 000 euros avec les per diem, l'atelier initial, les trois réunions plénières sur site, les réunions intermédiaires et la restitution finale. Avec les charges sociales, l'indemnisation des quatorze experts représente 40 000 euros. Les frais annexes, dont la traduction, l'édition du rapport final, la diffusion plus le recrutement d'un personnel contractuel d'appui sont du même ordre. Au total, les moyens sont modiques par rapport au travail réalisé. J'ai constaté, ensuite, que plus l'on demande aux bailleurs internationaux, plus on est crédible.

M. Henri de Raincourt, président. - En l'occurrence, qui a financé ?

M. Sylvain Robert. - Le FFEM. L'expertise collégiale est la première composante d'un projet qui comporte une action de recherche destinée à améliorer les modèles de gestion de l'eau du lac et un soutien à l'appropriation de la charte de l'eau. Au total, le financement s'élève à 800 000 euros.

M. Henri de Raincourt, président. - Compte tenu de l'enjeu, le rapport qualité-prix est phénoménal.

M. Sylvain Robert. - Il est à souhaiter que les niveaux français et européen coordonnent leurs orientations de manière à éviter que leurs programmations se chevauchent.

M. Henri de Raincourt, président. - Et pour mutualiser ! En ces temps de raréfaction des crédits publics, pourquoi payer une prestation plusieurs fois ?

M. Sylvain Robert. - On y gagnerait surtout en cohérence. En outre, si le politique connaissait mieux ce genre d'instrument, les organismes scientifiques rempliraient mieux leur mission. La balle est dans le camp du prescripteur...

Mme Marie-Annick Duchêne. - On se penche enfin sur le lac Tchad ! On avait tant espéré, tant rêvé. La volonté internationale a fait défaut alors que le lac Tchad n'est pas si éloigné du désert. Il est temps de se préoccuper de l'eau.

M. Jacques Lemoalle. - L'Orstom, l'ancien IRD, était arrivé dans cette région en 1953 pour traiter de la disparition possible du lac Tchad, parce qu'on parlait de capter une partie de l'eau vers le Niger. En fin de carrière, j'en suis venu à souhaiter que notre recherche soit mieux utilisée. Quand l'Orstom a créé un département dédié aux expertises, j'avais écrit à son responsable que nous pourrions ainsi offrir beaucoup plus qu'en répondant à des appels d'offres en même temps que des bureaux d'études. Notre place naturelle est d'aider les Etats ou les institutions à bien poser les questions, à s'assurer qu'il n'y a pas déjà été répondu et que les bureaux d'études le font bien. Là nous avons une légitimité, une connaissance utile. Nos instituts ont intérêt à mieux organiser cette activité.

M. Henri de Raincourt, président. - Quand publierez-vous vos travaux ?

M. Sylvain Robert. - Le rapport final sera remis mi-octobre. Une fois que le manuscrit sera définitif, c'est-à-dire après que la CBLT aura fait part de ses éventuelles observations, la publication demandera environ trois mois, ce qui nous mène début 2014.

M. Géraud Magrin. - La CBLT fêtant ses cinquante ans, valoriser nos travaux nous tient à coeur. Nous aimerions, en même temps que la synthèse accompagnée d'un CD-Rom, publier un livre, dont nous voulons faire une référence pour les études sur le lac Tchad ; nous élaborons avec les mêmes auteurs, un atlas plus pédagogique.

M. Henri de Raincourt, président. - Je vous remercie beaucoup de ces informations et suggestions.

Mercredi 26 juin 2013

- Présidence de M. Henri de Raincourt -

Audition de Madame Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

M. Henri de Raincourt, président. - Madame la ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir dans le cadre de la mission créée à l'initiative de Madame Ango Ela.

Cette mission s'inscrit dans le cadre de la politique extérieure de la France et propose de l'aborder sous l'angle original de la recherche et du développement. L'audition de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche était donc attendue avec impatience.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Je vous remercie de cette audition et de l'initiative de cette mission.

La recherche pour le développement constitue une mission transversale et requiert de ce fait une coopération dans le cadre de nos actions avec le ministère des Affaires étrangères, et plus particulièrement une coordination avec les actions menées par le ministre délégué Pascal Canfin.

Le Comité interministériel de la Coopération internationale et du Développement (CICID) de 2005 a considéré la recherche, qui ne peut être dissociée de l'enseignement supérieur, comme « un élément essentiel de l'aide publique au développement ». Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a donc un rôle majeur à jouer dans l'aide au développement : avec 1,15 milliard d'euros (12 % du montant total), le ministère est le premier levier direct de l'aide publique au développement (en excluant l'annulation de la dette, les prêts-dons, les actions de solidarité et les participations aux fonds multilatéraux couverts notamment par le programme 209).

Dans le cadre du projet de loi en cours, le ministère a mis en oeuvre une stratégie articulée autour de quelques principes simples.

Le premier d'entre eux veut que, dès lors que la France considère comme prioritaire l'aide au développement, la qualité de la recherche qui s'y attache se situe au meilleur niveau et soit en tout point comparable et intégrée à notre stratégie de recherche nationale. Cette intégration permet d'engager l'ensemble de la communauté scientifique dans cette orientation transversale.

Lorsqu'un programme de recherche est pensé, il doit l'être au niveau européen. Nous avons cependant reculé dans ce domaine, notre participation au dernier Programme Cadre de Recherche et Développement Technologique (PCRDT) étant de 5 points inférieure à son niveau dans le PCRDT précédent. Une forte croissance des appels d'offres nationaux a en effet conduit à un désengagement de nos chercheurs des programmes européens. Notre visibilité internationale est ainsi diminuée.

Deuxième principe : la recherche pour le développement ne doit pas être cantonnée à quelques organismes dédiés. L'ensemble de la communauté scientifique doit s'y engager.

L'offre multiple doit devenir encore plus accessible aux partenaires du Sud, pour lesquels elle manque aujourd'hui de visibilité. Nous devons renforcer la coordination, l'intégration et la visibilité de l'ensemble des acteurs. Dans l'attente d'une simplification de la visibilité de nos structures et organismes de recherche, il a ainsi été procédé lors du Pacte de la recherche de 2006 à cinq alliances thématiques : Aviesan, AllEnvi, Ancre, ATHENA, et Allistene. Les domaines concernés sont ceux de la santé, de l'environnement, de l'énergie, des technologies de l'information et de la communication et des sciences humaines et sociales.

Néanmoins, depuis leur création, ces alliances n'avaient pas été rendues opérationnelles et manquaient d'une stratégie commune de la recherche. Ce processus a désormais été entamé. Ainsi, les alliances ont largement contribué au texte France Europe 2020, qui est harmonisé avec le programme européen Horizon 2020.

Il s'agit donc de mobiliser l'ensemble des disciplines et des thématiques pour relever les défis globaux que nous partageons avec les pays du Sud, notamment sur l'environnement, la santé. Notre monde étant nomade, les problèmes de pollution ou de pandémies affectent toute la planète. L'intégration et la participation des sciences humaines et sociales à l'ensemble des thématiques, dans un objectif de décloisonnement et de visions partagées, participent de cette vision commune.

Nous avons identifié neuf défis globaux à relever dont plusieurs sont très sensibles dans les pays du Sud : la sécurité alimentaire, la santé (sida, paludisme et tuberculose), l'accès à l'eau, l'énergie et la biodiversité. Les réponses apportées en la matière doivent être collectives. La relation entre les pays concernés doit donc être fondée sur un partenariat équilibré. Par ailleurs, nous devons contribuer au développement économique et social de ces pays, afin que les réponses apportées s'inscrivent dans la durée.

Ces éléments peuvent paraître évidents, mais il convient de les préciser car les précédents programmes dits « de collaboration » n'étaient pas nécessairement opérés selon ces principes. Les actions ne sont pas à sens unique, les compétences de l'ensemble des pays concernés sont sollicitées et doivent se conjuguer.

Nous fournissons par ailleurs des efforts au niveau de la formation. Parmi les 290 000 étudiants étrangers accueillis par la France, 54 % sont originaires des pays du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne. Le développement de cet accueil constitue un enjeu important, tout comme le développement de partenariats amenant à installer des structures dans les pays du Sud.

La France se distingue des autres pays développés par l'existence de deux opérateurs : le CIRAD, qui compte 1 700 chercheurs et qui est doté d'un budget d'environ 200 millions d'euros, et l'IRD, pour qui travaillent 2 200 personnels, dont 850 chercheurs et 1 000 ingénieurs - 40 % de ces derniers étant installés dans les pays du Sud - et qui est doté d'un budget d'environ 230 millions d'euros. Par ailleurs, 50 % des publications scientifiques de ces deux organismes sont réalisées avec des partenaires du Sud.

Cet accompagnement réalisé par le Ministère a produit ses premiers résultats. Le CIRAD et l'INRA se sont rapprochés au sein du GIP Agreenium, qui a initié la diffusion, au sein de la communauté agronomique française, de la culture internationale. Montpellier accueille en outre le siège du Groupe consultatif pour la recherche agronomique internationale (GCRAI), qui gère 15 centres de recherches thématiques dans le monde. L'influence de ce rapprochement est également sensible dans la position forte acquise dans les réunions du G8 et du G20 consacrées à la recherche agronomique. J'ai rencontré mes homologues du G8 à Londres, et nous avons réaffirmé notre engagement commun en matière d'aide au développement.

L'IRD a poursuivi sa politique de mise en place d'unités mixtes de recherche avec les universités, atteignant près de 90 %. Cette intégration de l'IRD dans le monde universitaire a été particulièrement sensible et reconnue dans le cadre des investissements d'avenir, pour lesquels l'IRD est partenaire de quatre initiatives d'excellence (IDEX), de vingt laboratoires d'excellence (LabEx) et un institut hospitalo-universitaire (IHU).

Parallèlement, l'IRD et le CIRAD ont engagé une réflexion sur leur politique de sites. La qualité des publications a encore progressé : cette évolution est sensible dans les documents des deux établissements, qui font dorénavant référence dans la communauté scientifique nationale et internationale.

Si nous consacrons des moyens 100 fois inférieurs à ceux octroyés par les Etats-Unis à la recherche sur le sida (45 millions d'euros par an contre 4,3 milliards), notre nombre de publications n'est que de 10 fois inférieur. Nous sommes en outre les deuxièmes émetteurs de publications après les Etats-Unis. Notre ratio publications/moyens dédiés est donc excellent. Toutefois, je ne le mentionne que rarement, car la dernière fois que je l'ai fait devant le Président de la République, il a affirmé que tout n'était donc pas une question de moyens. Je lui ai répondu que les moyens étaient tout de même un paramètre majeur.

Pour améliorer l'efficacité des partenariats d'enseignement supérieur et de recherche avec le Sud, les alliances thématiques et le CNRS - présent dans chacune de ces alliances - sont en train d'engager une réflexion stratégique sur la formation, le transfert de compétences (le capacity building), et la recherche et l'innovation. Ils veillent à associer les établissements d'enseignement supérieur agronomique par l'intermédiaire d'Agreenium, et les établissements universitaires par l'intermédiaire de la Conférence des Présidents d'Université (CPU), dont l'un des vice-présidents est dédié à ces actions. Nous nous appuyons de plus sur les expériences des organismes dédiés. Le regroupement permet donc l'efficacité et doit être fondé sur une approche transdisciplinaire. Cette approche a été confortée lors des assises de l'enseignement supérieur et la recherche, durant lesquelles il est apparu que malgré un investissement budgétaire important, le dispositif manquait de visibilité, en raison probablement de son aspect morcelé.

Après avoir abordé l'organisation, la philosophie et la marge de progression dont nous disposons en matière de visibilité, je vais évoquer les grands objectifs des acteurs au regard du partenariat, de la démarche interdisciplinaire, de l'évaluation et de la charte à laquelle nous allons aboutir.

Si la recherche pour le développement est orientée vers des enjeux sociétaux répondant aux grandes orientations de notre politique nationale, elle s'inscrit dans un temps nécessairement long. La constance doit donc être de mise, et un cap doit être fixé. Toute une société doit être remise en mouvement dans les pays concernés, et la population doit s'approprier les résultats de la recherche.

L'objectif est de viser l'excellence dans le développement de la recherche dans ces pays et le transfert de connaissances. Les contrats d'objectifs que nous signons avec les établissements dédiés privilégient cette démarche.

Aux indicateurs globaux qui s'appliquent à l'ensemble des établissements de recherche s'ajoutent pour les établissements dédiés des indicateurs spécifiques. Ces derniers permettent de veiller à l'association équilibrée des partenaires du Sud dans les publications et les recherches menées. D'autres structures telles que le Conseil scientifique et le Comité d'éthique, régulièrement consultés par les responsables des deux organismes dédiés, concourent également au respect de l'équilibre des partenariats. La qualité de l'encadrement par la tutelle a d'ailleurs été soulignée par la mission de modernisation de l'action publique (MAP).

Afin d'établir des relations durables, les acteurs se sont engagés dans une association systématique des partenaires du Sud, tant au niveau de la conception que de l'investissement et de la gouvernance. Les documents de prospective des établissements sont établis après une large consultation des parties prenantes, qui sont souvent délocalisées. Les établissements ont pour objectif de créer des pôles de collaboration de long terme appelés « dispositifs de recherche et d'enseignement en partenariat » au CIRAD, et « programmes pilotes régionaux et laboratoires mixtes internationaux » à l'IRD.

A titre d'exemple, la collaboration des unités de l'IRD avec l'IMARPE (Institut de la mer au Pérou) engagée depuis plus de 10 ans a permis au gouvernement péruvien de mettre en place une gestion de la pêche qui tient compte des réserves et de l'impact des variations climatiques périodiques qui affectent le pays. Par ailleurs, un programme appelé SARI a amené à l'élaboration d'un système aquacole au Sénégal permettant d'utiliser les sous-produits des matières premières agricoles pour élever une variété de tilapia. Quant au Plumpy'nut, traitement diététique pour la malnutrition sous forme de substitut du lait en poudre, il a déjà bénéficié à plus de 7 millions d'enfants. Son brevet est libre d'accès pour les producteurs du Sud. Enfin le CIRAD a travaillé pour la Banque mondiale afin de parvenir à la reconnaissance des organisations de producteurs ruraux par les bailleurs.

La consultation des parties prenantes est un sujet central de recherche pour certaines unités, comme l'unité de recherche GREEN du CIRAD, qui vise à fournir des connaissances et outils pour accompagner la gestion collective des ressources renouvelables. Un autre exemple est le département en charge de l'expertise collective à l'IRD, qui a conceptualisé cette démarche de consultation.

Fortes de leur expérience au niveau européen pour les initiatives de programmation conjointe, les alliances les plus concernées par l'aide au développement que sont Aviesan et AllEnvi se sont impliquées dans un rôle privilégié d'animation de ces actions. Aviesan Sud regroupe ainsi les principaux acteurs de la recherche pour la Santé : Institut Pasteur, IRD, CIRAD, ANRS, Fondation Mérieux et AIRD, ainsi que plus récemment le CNRS et l'Inserm, en impliquant les ITMOs microbiologie et maladies infectieuses, technologies pour la santé, santé publique et cancer. Ce regroupement permet une meilleure lisibilité, tout en assurant la présence de chacun de ces organismes et la mobilisation de leurs compétences.

J'ai pu constater que les montants de notre aide au Fonds international de lutte contre le sida étaient souvent portés par de jeunes Américains. Il me semble paradoxal que nos fonds ne soient pas portés par nos chercheurs, et ne soient pas identifiés en tant que tels. Ils doivent être valorisés en tant que français en Afrique subsaharienne. Le modèle original adapté à la recherche en sciences de la vie et de la santé susmentionnée doit donc être structuré autour des programmes de recherche et être porté par des acteurs nationaux. Je fais également référence à d'autres programmes, comme le programme European & Developing Countries Clinical Trials Partnership (EDCTP), programme européen de collaboration sur les maladies infectieuses avec l'Afrique, cofinancé par la Commission européenne et les États membres via l'article 185 du traité de l'UE.

Afin que les échanges soient les plus fructueux, nous devons nous assurer de la qualité de notre engagement. Une charte sur la spécificité et la transversalité de la recherche au service du développement sera élaborée dans ce sens et proposée à la communauté scientifique nationale.

Nous partons de principes simples que la communauté scientifique et la société peuvent ensemble s'approprier. Nous soulignons l'importance de privilégier le développement durable, social et économique, et de veiller à mobiliser les moyens au service des communautés d'enseignement supérieur et de recherche du Sud. La charte devrait ainsi faire évoluer les comportements individuels et collectifs.

Outre la continuité et la visibilité, ces partenariats supposent d'être construits sur le respect et la confiance. Nous pourrons ainsi relever les défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés. Les partenariats auront toute leur place dans les prochains travaux du CICID.

Après cette approche globale, il convient de préciser la stratégie du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche concernant les pays émergents, l'Afrique, le flux des étudiants et les démarches pédagogiques innovantes que nous voulons promouvoir dans ces pays.

Concernant les étudiants, la mondialisation des connaissances est une réalité. Le nombre d'étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005. L'enjeu est donc culturel, sociétal et scientifique pour notre politique d'influence et pour notre compétitivité. Sur les 2 310 000 étudiants formés chaque année en France, la proportion d'étrangers est en moyenne de 12,6 %, avec toutefois des disparités selon les territoires. La part des étudiants étrangers est en phase de croissance depuis la licence jusqu'au doctorat, 38 % des doctorants étant étrangers, et plus d'un tiers d'entre eux sont issus d'Afrique. 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étrangers.

Les pays émergents fondent leur développement sur l'élévation du niveau de qualification, et souhaitent ainsi augmenter le nombre de leurs étudiants en mobilité. L'Inde compte par exemple doubler le nombre de ses étudiants, et doubler celui de ses étudiants en mobilité. Par ailleurs la Corée du Sud consacre 4,34 % de son PIB à la recherche et au développement. Avec une moyenne de 2,2 % de son PIB consacrés à ces enjeux, la France est loin des 3 % fixés par les objectifs de Lisbonne.

Je souhaite augmenter l'accueil d'étudiants venant de ces pays émergents, notamment dans les disciplines scientifiques, mais aussi d'Afrique. La France doit être reconnue pour sa recherche et sa technologie dans le monde.

Nous devons être très attentifs, d'autant plus que les pays émergents ont compris que les pays africains étaient des leviers de développement. Ces derniers connaissent en effet un taux de croissance de 5 %, et disposent d'une jeunesse nombreuse et enthousiasmée par l'avenir. Les économistes, après avoir longtemps ignoré le potentiel de l'Afrique comme levier de croissance pour la France et l'Europe, préconisent désormais de s'appuyer sur ce continent.

Nous avons plusieurs objectifs au regard de la mobilité étudiante. Le premier est de continuer à accueillir largement les étudiants des pays francophones, du Maghreb et d'Afrique subsaharienne. Nous devons également y installer des formations, en particulier au Maghreb, qui peut servir d'interface entre la France et l'Afrique subsaharienne. Il convient par ailleurs d'attirer davantage d'étudiants de pays émergents, notamment dans les filières scientifiques. Cet objectif a justifié l'article 2 du projet de loi, qui élargit la possibilité de bénéficier d'exonérations à la loi Toubon pour des formations en anglais dans les filières scientifiques et technologiques, faute de quoi les étudiants des pays émergents iront exclusivement dans les pays anglo-saxons.

J'ai signé un accord pour l'installation d'une Ecole centrale à Casablanca, dans laquelle nous enverrons également des étudiants français. Une école d'architecture sera également implantée, probablement à Rabat, et une école de médecine à Agadir. Des IUT seront en outre installés pour pallier le manque de techniciens dans les pays du Maghreb. Nous souhaitons initier des démarches similaires avec les pays d'Afrique subsaharienne.

Cette politique traduit donc une ambition plus diverse qu'auparavant, quand nous nous contentions d'accueillir des étudiants de ces pays, et pas toujours dans d'excellentes conditions. La circulaire Guéant avait par ailleurs constitué un très mauvais signe. Dans le cadre d'une loi proposée par Manuel Valls, nous proposerons des visas pluriannuels pour les étudiants et les chercheurs en provenance de l'étranger, en prévoyant une année de redoublement, rendue probable au regard du temps d'adaptation à un nouvel environnement. Nous envisageons également d'octroyer des visas de visite à vie pour les docteurs ayant effectué leur doctorat en France, cette mesure concernant un grand nombre de pays visés par notre aide au développement. Nous souhaitons enfin améliorer l'aide au logement, qui, en région parisienne, est d'une qualité insuffisante.

Lors de la clôture des assises du développement et de la solidarité internationale auxquelles j'ai tenu à assister, le Président de la République a posé les bases d'une refondation de la politique française de développement en la centrant autour de trois objectifs : le développement économique, la sécurité et la préservation de la planète.

Un CICID doit donc être organisé d'ici la fin de l'année, marquant un temps politique fort pour la promotion de l'aide publique au développement. Cette perspective représente une opportunité de préciser la place, l'organisation, les objectifs et les modalités de soutien de la recherche pour le développement.

Nous avons défini quatre dimensions dans le cadre de ce CICID. Le positionnement des ONG dans les actions de l'enseignement supérieur et de la recherche au Sud doit être renforcé. La place des ONG dans le projet de loi a d'ailleurs été intégrée par certains amendements. Par ailleurs nous ambitionnons de poursuivre l'ouverture des établissements dédiés à la recherche au Sud, au travers de leur participation active aux alliances. Nous projetons également de diversifier les modalités de financement de la recherche pour le développement. Enfin, nous comptons améliorer la visibilité des actions de recherche et d'enseignement supérieur grâce à des indicateurs précis, transparents et communicables.

Concernant les modes de financement, nous devons conforter le financement de la recherche au service du développement. Le CICID de 2006 avait chargé l'IRD de distinguer en son sein une fonction d'agence dédiée au financement de la recherche. Cependant, l'absence de fonds fléchés, le manque de distinction entre la fonction d'agence et d'opérateur, et l'inertie d'une partie de l'établissement n'ont pas permis de faire émerger un outil d'ingénierie qui soit reconnu par l'ensemble de la communauté scientifique et les bailleurs de fonds européens, internationaux et multilatéraux. Ce constat a été récemment confirmé par une inspection conjointe de l'Inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche et de l'Inspection des affaires étrangères. Nous disposons donc sur ce point d'une marge de progression.

La réflexion doit ainsi s'ouvrir à des modalités innovantes de financement. L'Agence française de développement n'abonde que très marginalement les projets de recherche. Les inspections conjointes ont identifié sa dimension d'établissement de nature bancaire comptant sur des retours sur investissement et se concentrant sur des financements dédiés à des études. Cette règle doit être assouplie dès lors que les projets de recherche peuvent s'inscrire dans la continuité de projets de développement économique, afin d'ouvrir de nouveaux financements à la recherche. Il s'agit d'identifier un rôle structurant de l'Agence française de développement, qui n'interviendrait plus comme bailleur principal mais comme participant à des tours de table financiers. Ces derniers permettraient de solliciter des bailleurs internationaux privés, comme les Fondations.

La France est le deuxième contributeur du Fonds mondial de lutte contre le Sida, avec 360 millions d'euros, loin toutefois des Etats-Unis. Nous avions une ambassadrice uniquement dévolue à la lutte contre le Sida, mais le rôle de son successeur a été élargi. J'espère que cet élargissement ne nuira pas à l'efficacité de la mission, la France ayant en effet perdu de son influence. Nous devons ainsi nous repositionner en termes de gouvernance et renforcer la visibilité des actions que nous menons au travers de ces fonds, en particulier UNITAID.

En conclusion, l'enseignement supérieur et la recherche occupent une place privilégiée dans le dispositif national d'aide au développement. Ils font preuve d'une grande dynamique sous l'impulsion du Ministère. L'exigence de la qualité de la recherche au sein des organismes dédiés et l'incitation de l'ensemble de la communauté nationale, au travers des alliances, à s'intéresser aux questions de développement ont donné des résultats probants.

Nous nous situons à la 6place mondiale pour la recherche, mais seulement à la 25e au niveau de l'innovation. Il est donc essentiel que l'excellence de notre recherche soit diffusée dans les organismes dédiés.

L'action de l'enseignement supérieur, essentiellement orientée vers des enjeux sociétaux, s'inscrit dans un temps long et en cohérence avec les besoins des pays bénéficiaires de l'aide au développement. Le long terme permet d'identifier et de construire des partenariats visant à l'établissement de relations scientifiques équilibrées, notamment au regard des publications conjointes.

Pour préserver ce modèle unique, nous devons entraîner les autres partenaires européens. J'ai constaté que nos partenaires du G8 étaient prêts. Nous devons trouver de nouvelles sources de développement et nourrir notre diplomatie avec des actions structurantes et innovantes.

Enfin, j'ai pu constater dans le cadre d'actions de lutte contre le Sida menées dans les pays bénéficiaires de l'aide au développement que ces actions profitent à la démarche globale de recherche. Nous devons écouter la parole de la population faute de quoi le succès des actions est compromis. Par ailleurs, cette démarche permet d'améliorer l'état d'esprit des chercheurs et des médecins, dont les relations avec les patients sont renforcées et tendent vers plus de proximité.

Nous avons donc non seulement intérêt à intégrer l'aide au développement et la recherche pour le développement dans notre action globale, mais en plus cette dernière bénéficiera des méthodes innovantes qui seront mises en place avec les pays concernés.

M. Henri de Raincourt, président. - Vous avez tenu des propos vastes, complets et utiles pour notre travail. Je me réjouis que votre ministère soit aussi actif, présent et entreprenant dans la politique d'aide au développement.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Nous manquons de vocations dans le domaine de la recherche. L'aide au développement peut constituer une motivation, la notion de citoyen du monde étant très présente chez les jeunes.

M. Henri de Raincourt, président. - La relation est fondée sur un rapport gagnant-gagnant, la France pouvant recueillir dans ces pays les points de croissance qu'elle ne trouve plus sur son territoire. La logique de partenariat équilibré constitue une nouvelle façon de faire de la politique : nous pouvons développer des relations économiques avec ces pays sans rien leur ôter, mais au contraire en leur apportant de la richesse.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Merci Madame la ministre pour votre présentation très complète.

Je voudrais revenir sur les principes que vous avez évoqués au début de votre intervention, et la distance entre ces principes et leur mise en oeuvre. Je fais référence aux pays avec lesquels la collaboration est plus difficile en raison du niveau d'appréhension et des écarts importants en termes d'habitudes.

Si nous avons des objectifs communs avec les pays émergents, facilitant ainsi l'interaction, je m'interroge sur la collaboration avec les pays en développement. Comment atteindre l'excellence de la recherche avec des écarts de formations importants qui génèrent une forte demande de renforcement des capacités ? Comment renforcer les équipes et les institutions dans les pays du Sud tout en recherchant à assurer notre rang mondial ?

A titre d'exemple, nous avons tendance à débaucher les meilleurs chercheurs du Sud, donc à identifier la personne plutôt que l'institution.

Si les principes suscitent un consensus, la mise en oeuvre de la complémentarité et de l'égalité pose des difficultés. Dans un pays ayant peu développé sa politique de recherche, avons-nous tendance à influencer la définition de cette politique ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Nous avons identifié des marges de progression. Notre volonté d'infléchir notre politique résulte de notre ambition non pas d'attirer en France les meilleurs étudiants, qui seraient tentés de ne pas retourner dans leur pays d'origine, mais bien de les former dans leur pays. Nous parvenons ainsi à la création d'une communauté attrayante pour ces chercheurs.

J'ai par exemple rencontré l'épouse du président du Mali, qui a abordé le sujet du numérique. Le Mali souffre d'illettrisme et d'un déficit d'infrastructures. La première Dame nous a donc demandé d'aider son pays à développer ses infrastructures numériques, afin de faire progresser rapidement, avec des spécialistes locaux, l'alphabétisation. Ainsi dans les pays très en retard en termes de développement, si nous coordonnons l'aide au développement avec les autorités locales, nous pouvons imaginer des innovations pédagogiques très rapides. Les blocages académiques seront en outre inexistants car ces pays sont dépourvus de secteur académique.

Toujours à titre d'exemple, le président d'une université indienne que j'ai visitée avait imaginé des formations très originales pour ses étudiants, comparables à des formations en alternance, mais axées sur des programmes de développement régionaux. Toutes les disciplines étaient tournées vers ces projets. J'ai trouvé incroyable de devoir aller en Inde pour rencontrer des étudiants aussi responsables et à l'aise sur des projets d'innovations pédagogiques adaptés à leur pays, toute la promotion étant concernée par ces formations. Les présentations de leur projet par les étudiants étaient excellentes, incarnées, témoignant d'une acquisition de savoirs académiques par l'intermédiaire de ces projets. Les étudiants bénéficient ensuite sans difficulté d'une insertion professionnelle. Nous pouvons ainsi tirer parti d'innovations technologiques transposables en France.

Les partenariats dans les pays doivent donc correspondre aux besoins de ces pays.

M. Henri de Raincourt, président. - Le numérique peut en effet permettre à des pays d'atteindre rapidement la modernité. J'ai constaté ce phénomène en Géorgie, totalement démunie après la chute de l'URSS, mais qui s'est très vite pourvue de téléphones mobiles.

Vous avez évoqué la nécessité de nouveaux financements. Comment y parvenir dans le contexte budgétaire actuel ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Certaines fondations peuvent être sollicitées. La Fondation BioMérieux mène ainsi des actions intéressantes. L'Institut Pasteur vit par ailleurs en partie des collectes de son action.

M. Henri de Raincourt, président. - Les fondations sont en effet indispensables.

Toutefois j'évoquais le financement public. Pensez-vous que la taxe sur les transactions financières, que nous appelons de nos voeux, et dont la réalisation se fait attendre, peut être performante ? L'ancien Directeur général du FMI, qui a été auditionné ce jour dans un autre cadre au Sénat, a affirmé que cette taxe relevait de la simple communication et n'apporterait rien. Je suis toutefois en désaccord avec cette idée, au regard de l'assiette de la taxe. Selon lui, si nous souhaitons dégager des ressources financières, mieux vaut procéder à un renforcement de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt comparable.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Je ne commenterai pas les déclarations faites dans le cadre de l'audition que vous évoquez, car nous avons une approche prospective.

La taxe sur les transactions financières dédiée aux projets d'aide au développement est un engagement du Président de la République. J'y souscris, bien que les modalités doivent être précisées. Le Président Jacques Chirac avait instauré une taxe sur les transports aériens qui a bénéficié à la lutte contre le Sida. Nous ne devons donc pas avoir d'a priori.

Nous devons toutefois veiller à l'indépendance des recherches menées, afin qu'elles ne soient pas excessivement liées au financeur. Les personnels des organismes concernés disposent néanmoins du discernement nécessaire pour distinguer les contributeurs portés par l'intérêt général et ceux qui obéissent à leur seul intérêt propre.

Des interrogations sont cependant légitimes, notamment lorsque nous constatons que la Fondation Gates a recueilli davantage de fonds que la somme de l'ensemble des budgets de Santé mondiaux. Or cette fondation est peu ouverte à la coopération internationale et favorise largement les programmes américains. Notre vocation étant de développer les projets européens, nous devons renforcer les actions européennes.

M. Henri de Raincourt, président. - L'opérateur peut-il être national et européen ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Nous devons préalablement disposer d'un opérateur national...

M. Henri de Raincourt. - ... qui doit être performant.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Vous soulevez cette éventuelle lacune de performance.

Je dirais que l'opérateur national doit être plus visible et rassembler plusieurs compétences.

Nous devons ensuite constituer un réseau européen avant de disposer d'un opérateur européen unique.

M. Henri de Raincourt, président. - Au regard de l'aide au développement, la politique européenne doit être plus marquée et plus active.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Les gouvernances au sein de l'Agence française de développement évoluent, et peuvent amener à des conceptions plus fédératrices et plus convaincantes.

M. Henri de Raincourt, président. - Espérons-le.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Tel est en tout cas l'enjeu. Son accomplissement est possible.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Votre présentation était passionnante et ouvre de larges perspectives.

Je m'interroge sur les fondations. Celles-ci interviennent largement. Conseillez-vous à des associations très performantes, comme le Sipar au Cambodge qui a lancé des bibliothèques en français et a créé par la suite un service d'édition en khmer, de passer au statut de Fondation ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Je ne pense pas qu'un seul type de structure soit efficace. Certaines actions réclamant des investissements importants et une fédération d'expertises requièrent un engagement public. Tel est le cas de la lutte contre le Sida ou contre les pandémies. Ces actions peuvent appeler un partenariat avec des Fondations. Toutefois, certaines actions sont du ressort des associations, dont le fonctionnement est plus souple.

Chaque intervention appelle une structure adaptée. Cependant, chacune doit faire l'objet d'un contrôle afin d'éviter les dérives.

Les missions comme la vôtre sont à cet égard importantes. Le député-maire de Grenoble, Michel Destot, a en outre réalisé il y a quelques années une mission d'évaluation de l'action des ONG.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - L'IRD et le CIRAD sont largement implantés dans le monde, bien que concentrés sur l'Afrique et la Méditerranée. Se pose donc la question de la construction institutionnelle : comment cette présence s'articule-t-elle avec celle d'Aviesan Sud et plus largement les autres opérateurs ? Nous avons par ailleurs compris l'importance de la dissociation entre les bailleurs et les opérateurs.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. - Nous sommes victimes du caractère épars des actions que nous menons. Les regroupements préconisés par le projet de loi n'ont pas pour objectif de constituer des institutions trop grandes. Il s'agit de proposer un cadre de coopération entre les différentes entités constituant les pôles universitaires tout en leur laissant une certaine autonomie. Nous souhaitons que l'ensemble des acteurs d'un pôle universitaire se réunissent régulièrement pour évoquer leurs stratégies, dont la coopération internationale. Les actions sont actuellement trop dissociées les unes des autres.

Je fais confiance aux nouvelles gouvernances de l'Aide française au développement et à la Direction de nos deux opérateurs pour construire une stratégie d'alliances. Cet objectif est intégré au cahier des charges qui leur a été demandé.

M. Henri de Raincourt, président. - Merci Madame la ministre.

Audition de Monsieur Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF)

M. Henri de Raincourt, président. - Monsieur le Recteur, merci pour votre présence.

Vous connaissez l'objet de la mission créée par le Sénat à l'initiative de Madame Ango Ela. Nous appréhendons la politique extérieure de la France sous l'angle de la recherche et du développement. La politique de développement impacte en effet le rayonnement de la France.

La francophonie est historiquement tournée vers l'Afrique, qui offre par ailleurs de réelles perspectives d'avenir, ne serait-ce que par son évolution démographique.

L'AUF a dans ce contexte un rôle très important.

M. Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la francophonie. - Nous sommes très honorés de votre invitation. Je suis accompagné du vice-recteur Émile Tanawa, professeur à l'université de Yaoundé, et d'Aïcha Moutaoukil, mon adjointe pour les liens avec les organisations de la francophonie.

Nous représentons un organisme international et multilatéral. L'AUF est un partenaire quotidien de la France dans le domaine de la recherche et du développement. Je me réjouis que l'objectif assigné à votre mission soit, à quelques nuances près, identique à celui de notre agence. En effet, le thème central qui fonde notre stratégie, notre communication et même notre programmation quadriennale, telle qu'elle a été définie au cours de notre dernière Assemblée générale, se résume dans la thèse suivante : l'université est le moteur du développement des sociétés. Pour paraphraser une phrase célèbre, l'enseignement supérieur et la recherche forment un lien nouveau.

L'enseignement supérieur comme fondement du développement est une idée neuve. Pendant longtemps, les grands partenaires, que ce soient l'Unesco, la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement, ont tout misé sur l'enseignement primaire. Ce dernier est, certes, fondamental, mais les maîtres et les savoirs neufs sont issus de l'enseignement supérieur, qui forme donc les cadres utiles pour le développement.

Depuis quelques années, la Banque mondiale et l'Agence française de développement se préoccupent de l'enseignement supérieur. Cette évolution conforte notre idée que notre mission consiste à mobiliser l'intelligence francophone au service du développement. Nous associons formation et recherche, englobées dans l'enseignement supérieur grâce à la mobilisation des universitaires.

La distinction majeure entre l'enseignement supérieur et les autres enseignements tient au fait que l'université enseigne des savoirs neufs et liés à un progrès accompli par la recherche. Le rôle de l'AUF est donc de mobiliser les enseignants-chercheurs francophones au profit du développement de tous.

La double nature de l'AUF fait sa richesse. Nous sommes historiquement et stratégiquement une association, fondée à Montréal en 1961. Nous avons été fondés par des souverainistes et des indépendantistes québécois qui ne disposaient pas des moyens de structurer une diplomatie et qui ont tiré profit de la liberté académique. Alors que nous réunissions 40 universités en 1961, nous en rassemblons maintenant 739, et nous serons bientôt 800. Nous sommes l'une des plus grandes associations d'universités au monde, et la seule fondée sur un critère linguistique. La langue française s'associe ainsi à des valeurs de solidarité. La date de notre création coïncidant avec l'accession des pays africains à l'indépendance, la francophonie a été créée par l'université avant d'être politiquement institutionnalisée.

Quelques années après notre création, nous avons été reconnus comme l'opérateur de la francophonie pour l'enseignement supérieur et la recherche. Nous employons dans ce sens 435 personnes réparties dans 65 implantations à travers le monde. Nos crédits proviennent des cotisations mais surtout des Etats, la France étant notre premier contributeur, à hauteur de 75 %. Nous sommes d'ailleurs le seul organisme international que la France continue à financer à plus de 50 %. Ces chiffres témoignent certes de l'importance de la France, mais également de notre fragilité. Nos implantations comprennent 10 bureaux régionaux et plus de 45 campus numériques.

Nous avons eu l'idée, il y a 20 ans, que le numérique était l'outil du développement. Notre premier campus numérique a ainsi été fondé dès 1961 à Dakar et à Madagascar, avec l'installation de Minitels. Internet a en outre été inventé en 1989, et nous avons été les premiers à l'utiliser dès 1991 en Afrique. Un Ministre Sénégalais m'a récemment indiqué qu'il avait envoyé son premier courrier électronique depuis le campus numérique de l'AUF à Dakar. Nos campus ont depuis évolué, et nous disposons d'une soixantaine de lieux sécurisés et équipés pour permettre la formation à distance.

L'essentiel de nos moyens étant assurés par la France, ils sont appelés à baisser puisqu'elle a décidé de diminuer son aide de 3 millions d'euros l'an prochain. Nous poursuivons toutefois notre mission.

La France est également notre premier partenaire. Le Directeur de l'IRD, opérateur avec lequel nous travaillons quotidiennement, vient d'être élu à notre Conseil d'administration. Les représentants du CIRAD siègent dans nos Comités d'experts régionaux, et participent à des projets dans le cadre d'une coopération constante. La Conférence des Présidents d'Université est également un partenaire de premier rang, les universités françaises étant présentes dans la plupart des projets de recherche que nous soutenons.

L'AUF a un rôle de facilitateur. Nous montons des consortiums et rapprochons des experts.

Nous tenons une Assemblée générale tous les quatre ans, la dernière ayant été un grand succès. Le nombre de Présidents ou Recteurs d'université présents a atteint le niveau record de 610, soit une affluence totale de 750 personnes en incluant les Vice-Présidents et les adjoints. Les débats ont duré 3 jours et ont porté sur la recherche, le développement, la professionnalisation des études, le classement des universités, et sur le numérique comme outil de développement et de recherche. L'Assemblée générale a publié une déclaration finale à l'issue de ces échanges. Elle s'est tenue à São Paulo, les 14 premières universités du Brésil étant membres de l'agence universitaire, témoignant ainsi de notre mobilisation en faveur d'une francophonie dynamique et mondiale. Des représentants d'université chinois étaient en outre présents.

Nous avons à cette occasion validé plusieurs principes amenés à orienter notre action dans le cadre de la recherche.

Nous avons rappelé que notre action était centrée sur les institutions plutôt que sur les individus. Si nous avons longtemps semblé être une agence de moyens, et bien que nous continuions à ce titre à octroyer 2 000 bourses chaque année pour les doctorats, certaines institutions expriment des besoins spécifiques. Le boursier est donc dorénavant aidé par l'AUF et par l'université à laquelle il appartient.

Nous ambitionnons de plus de mener une action de coopération rompant avec la logique d'assistance ou de substitution qui prévalait à nos origines. Nous envoyions auparavant des universitaires dans les régions concernées, mais face au développement des universités dans ces pays, les besoins ont évolué vers des demandes d'aide structurelle.

Enfin, nous souhaitons stimuler la coopération entre établissements. Nous avions préparé une matinée de rencontres entre les différents Recteurs au cours de notre dernière Assemblée générale, afin qu'ils signent des accords et lancent des projets de recherche. Un millier de rencontres ont ainsi été organisées, témoignant du succès de cette manifestation ouverte par la Ministre Yamina Benguigui.

La recherche peut être soutenue dans un but de développement selon plusieurs modalités.

Le soutien aux équipes de recherche constitue la première d'entre elles. Nous travaillons dans ce cadre avec le CIRAD, l'IRD et les universités. Nous identifions les problématiques importantes, les équipes témoignant d'un besoin de renforcement. L'aide apportée, même limitée financièrement, est décisive, et permet au processus de démarrer et d'exister, pour ensuite permettre l'octroi d'autres aides. Nous intervenons par le biais de nos bureaux régionaux, en faisant voyager les chercheurs ou en les aidant à publier ou à organiser des colloques. Nous recourons par ailleurs de plus en plus aux partenariats.

Nous aidons en outre à la mise en réseaux indispensable à la recherche. Notre action, à cet égard, ne s'assimile pas à celle du CNRS, mais est celle d'une association qui facilite les échanges entre chercheurs d'une même discipline.

Enfin, nous aidons les chercheurs à se professionnaliser dans le lancement de projets, comme les projets méditerranéens de recherche scientifique, financés à la condition qu'ils associent trois pays de la Méditerranée. Les chercheurs du Sud doivent apprendre à démarcher des financeurs, par exemple à Bruxelles : six projets européens ont profité de notre aide durant leur phase de lancement.

Nous avons ainsi soutenu 142 projets de recherche l'an dernier, impliquant différents opérateurs, et portant sur les domaines de la biodiversité, de la santé publique, de l'environnement, des biotechnologies, de l'agronomie, des territoires et urbanismes, des énergies renouvelables, de l'économie, et de la gestion durable des ressources en eau, conformément aux demandes qui nous ont été adressées.

Nous aidons également des enseignants-chercheurs à améliorer leurs capacités, ceci dans le cadre de projets. Le projet Horizon Francophone tente de résorber une fragilité des universités émergentes : face à l'accroissement du nombre d'étudiants, les maîtres de conférences recrutés ne sont pas tous titulaires d'un doctorat. Or les maîtres de conférences devraient avoir prouvé leur capacité à produire des savoirs neufs. Le Vice-Premier ministre du Vietnam m'a ainsi informé que 17 % des universitaires vietnamiens étaient docteurs, ce qui est insuffisant. Le pays a donc décidé de former 20 000 docteurs dans les prochaines années, et nous l'y aidons. Haïti est confronté à une problématique similaire. Nous ouvrons ainsi à Haïti le premier collège doctoral du pays. Nous collaborons sur ce projet avec l'IRD.

L'AUF exprime et prouve chaque jour le rôle de levier pour le développement joué par la recherche et l'enseignement supérieur.

M. Henri de Raincourt, président. - Nous partageons votre conclusion, ainsi que le reste de votre présentation.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Je suis très heureuse de revoir après de nombreuses années Émile Tanawa.

Je vous remercie, Monsieur le Recteur, pour votre passion.

M. Bernard Cerquiglini. - Comme le disait le Général de Gaulle, « rien de grand ne se fait sans passion ».

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Dans le domaine dont nous parlons, la passion et la conviction sont en effet des qualités indispensables.

L'AUF est une institution pour laquelle nous avons beaucoup de sympathie. Elle est bien connue, elle évolue et elle s'est montrée novatrice à bien des égards. Sa démarche relative aux campus numériques a été suivie : j'ai constaté comment les universités tentaient d'en bâtir, parfois dans le cadre de partenariats très complexes. Cette réussite n'était pas évidente, le défi ayant consisté à amener le numérique sur un continent qui subit la fracture numérique.

Quel bilan pouvez-vous dresser de la structuration de la recherche au Sud et sur les partenariats ?

M. Bernard Cerquiglini. - Les partenariats doivent être développés car ils permettent le bon fonctionnement de la recherche scientifique.

Par ailleurs, nos moyens ne sont plus en expansion. Le Président Chirac avait accordé à mon prédécesseur, lors du sommet de 2003, une augmentation de la contribution française de 20 millions à 30 millions d'euros. Notre budget étant depuis en baisse régulière, les partenariats permettent de compenser cette évolution.

Nous recourons depuis longtemps aux partenariats, mais sans le penser. Les liens avec l'IRD ont été approfondis comme en témoigne l'élection de Michel Laurent à notre Conseil d'administration. Nous rencontrons régulièrement le CIRAD et la CPU. Notre partenariat avec celle-ci diffère cependant de ceux avec l'IRD et le CIRAD, car elle est plus lointaine. Toutefois, lorsque nous établissons le bilan de la participation des universités françaises à nos projets de recherche, elle est très significative : les universités françaises sont présentes dans plus de la moitié de nos 142 projets. Le CNRS est également un partenaire de premier plan.

Nous faisons donc de cette réalité une philosophie. Notre objectif est ainsi de multiplier les partenariats, notamment avec la Banque mondiale, l'UEMOA et l'UNESCO en Côte d'Ivoire. La part de nos crédits qui proviennent de contrats est en outre de 18 %, ce qui est pour l'AUF une nouveauté positive car notre financement se rapproche de celui de nos chercheurs.

Mme Kalliopi Ango Ela. - Vous affirmez travailler avec des opérateurs de recherche hors de France. Comment l'AUF se coordonne-t-elle avec la stratégie française de la recherche ?

M. Bernard Cerquiglini. - Pour des raisons financières, notre partenaire principal est le Quai d'Orsay, et notre budget annuel est de 25 millions d'euros. Le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche prévoit de nous en octroyer 1,8 million cette année, mais j'espère obtenir 2 millions d'euros.

Nous voulons être en en phase avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous le sommes sur le numérique, le ministère ayant demandé l'aide de l'AUF pour la numérisation.

M. Émile Tanawa, vice-recteur de l'AUF, professeur à l'Université de Yaoundé. - Je suis très heureux d'accompagner M. le Recteur, et de retrouver Madame Ango Ela.

Le bilan global est positif. Il doit toutefois être relativisé en raison des difficultés de gouvernance dans nos universités.

L'AUF est parvenue à enraciner dans les équipes de recherche l'idée d'ingénierie de projet et les stratégies de collaborations interuniversitaires. Le travail a été progressif. Ayant dirigé une jeune équipe de recherche, je peux témoigner des apports de l'association de laboratoires francophones.

Le doctorat est le levier de la recherche. L'AUF étant la structure qui épaule les États grâce à son savoir-faire, elle se renforce par le potentiel d'universitaires qu'elle peut mobiliser.

En dépit des difficultés actuelles de gouvernance et d'explosion démographique au sein des universités, la dynamique est définitivement enclenchée. Les universitaires contactent l'AUF en sachant qu'ils disposeront d'un espace de partage et de collaboration. Sur les principaux projets comme le numérique éducatif, nous tâchons d'être en avance sur les universités afin de pouvoir leur apporter l'expertise la plus adaptée.

M. Henri de Raincourt, président. - Avez-vous des concurrents ?

M. Émile Tanawa. - Nous sommes très clairement concurrencés : les pays africains et de l'Est s'ouvrent à d'autres partenariats mondiaux. Comme nous sommes souvent sollicités pour publier en anglais, alors que nous travaillons en Français, le jeu est faussé. Les Anglo-Saxons ont en effet été les premiers à comprendre que les publications étaient un outil de conquête.

Nous devons donc élaborer une stratégie forte, avec l'appui des pouvoirs publics, afin de consolider cette dynamique de coopérations interuniversitaires menacée par des logiques de marchandisation. L'édifice est très fragile, d'autres bailleurs de fonds sont très puissamment dotés. L'argent peut contribuer à tuer des initiatives requérant du temps pour se consolider.

M. Henri de Raincourt, président. - Une politique de développement doit être globale. Or nous sommes peu nombreux à adopter cette vision. Notre pays avait sur ce point un avantage, et nous devons le préserver. J'espère donc que vos conversations budgétaires avec la ministre Geneviève Fioraso seront fructueuses. Toutefois, même si tel était le cas, les efforts financiers seraient insuffisants dans un contexte d'accentuation de la concurrence mondiale.

Quand nos collègues et amis chinois agissent en Afrique, ils importent leur propre main-d'oeuvre, qui repart une fois les travaux réalisés. Les Français au contraire profitent généralement de ces réalisations pour y associer des partenaires locaux. Notre stratégie est la clé de la permanence de notre présence en Afrique, cette présence étant portée non pas par un passé révolu, mais par un avenir fondé sur un équilibre Nord-Sud. Par ailleurs, nous avons un intérêt primordial au développement de l'Afrique afin d'y dégager des opportunités de croissance que nous ne trouvons plus sur notre sol.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quel regard portez-vous sur les atouts, les qualités et les faiblesses du dispositif français de la recherche pour le développement ?

M. Émile Tanawa. - Les coopérations entre les universités françaises et africaines se sont fortement réduites. Les financements se sont taris. En outre, la relève des professeurs qui avaient établi des relations de coopération n'a pas été assurée. Certains établissements inscrits dans une démarche de coopération durable échappent néanmoins à cette tendance.

Un renouvellement de la coopération doit donc être opéré dans des perspectives de long terme. Le potentiel est réel.

M. Bernard Cerquiglini. - Nous avons par exemple des filières trilingues à Hanoï, en français, vietnamien et anglais, mais la France a opté pour le financement d'une université des sciences et techniques dont les enseignements sont en anglais. La question de la pertinence de ce type de décisions doit être posée.

M. Émile Tanawa. - Nous pourrions développer les formations à distance pour les masters : c'est un monde très ouvert à explorer.

Mme Aïcha Moutaoukil, adjointe de Bernard Cerquiglini pour les liens avec les organisations de la Francophonie. - Nous ressentons ce recul de la France. Or il impacte négativement l'influence française : lorsque nous formons des étudiants et des chercheurs, nous participons à la formation d'élites et, par conséquent, de futurs décideurs. Ces formations permettent de créer des liens avec la France.

M. Henri de Raincourt, président. - Dans un contexte de difficultés financières, des baisses de crédits dans des secteurs d'intervention comme le vôtre sont sans conséquence politique, car seuls les spécialistes les remarquent. La bataille est donc permanente, nous la livrons avec énergie.

M. Bernard Cerquiglini. - Nous avons répercuté ces baisses sur notre fonctionnement. Nous ne pouvons toutefois continuer sur cette voie. Nous avons donc engagé la suppression de certaines actions à partir de la rentrée pour la première fois de notre histoire. Nous envisageons l'hypothèse d'un plan social.

M. Henri de Raincourt, président. - Nous ne le souhaitons pas.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Concernant les partenariats nouveaux de l'AUF avec l'UNESCO et la Banque mondiale, cette dernière va effectuer un gros effort de structurations en pôles, notamment autour de centres d'excellence.

L'AUF entend-elle mener une action particulière ? Allez-vous mobiliser l'IRD ou le CIRAD hors de France ?

M. Bernard Cerquiglini. - Émile Tanawa a rencontré à Dakar les responsables de ces projets au sein de la Banque mondiale. Ils nous ont informés très tôt de leur projet de centres d'excellence, démarche qui illustre la place qu'ils nous accordent. Nous attendons la publication de ce projet, pour lequel nous sommes prêts.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - La mobilité Nord-Sud a longtemps été très encouragée par l'AUF. Comptez-vous renforcer la mobilité Sud-Sud ? Comment conforter les carrières des enseignants-chercheurs au Sud ?

M. Bernard Cerquiglini. - La collaboration Sud-Sud est la marque de l'équipe dirigeante actuelle de l'AUF. Nous devons démontrer que de bonnes universités africaines existent, et qu'elles peuvent accueillir des chercheurs.

M. Émile Tanawa. - Dans le cadre du programme Horizon Francophone, les regroupements sont opérés dans les pays du Sud. Nous intégrons toujours deux universités du Sud et une du Nord, qui oeuvrent ensuite sur les continents qui nous intéressent.

Nous travaillons avec le Conseil Africain et Malgache pour l'Enseignement supérieur (CAMES) et la Conférence des Recteurs des universités d'Afrique et de l'Océan Indien sur la préparation au concours d'agrégation en sciences économiques, en sciences politiques et en sciences juridiques. Le partenaire principal était au départ l'Université de Bordeaux IV, mais plusieurs centres de préparation se sont développés en Afrique : Dakar-Saint-Louis, Lomé-Cotonou, et Douala-Yaoundé. Chaque centre est spécialisé, et est renforcé par des personnels de Bordeaux IV, qui demeure un centre d'appui dynamique pour les jeunes agrégés.

M. Henri de Raincourt, président. - Merci Monsieur le Recteur.

M. Bernard Cerquiglini. - Je vous remercie pour cette conversation très chaleureuse et féconde.