Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 10 février 2004

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

La mixité dans la France d'aujourd'hui - Table ronde avec les représentants des parents d'élèves : Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP), Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques (FCPE), Union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL)

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé pour quelles raisons elle avait souhaité, dans le cadre des auditions sur la mixité dans la France d'aujourd'hui, organiser une table ronde avec les représentants des associations de parents d'élèves.

M. Faride Hamana, secrétaire général de la FCPE, a affirmé que la mixité, principe découlant naturellement des réalités humaines, permettait de nourrir les échanges entre les garçons et les filles et de fonder la socialisation, notamment dans le souci du respect de l'égalité entre les sexes. De ce point de vue, elle contribue à l'éducation à la citoyenneté. Il a néanmoins fait observer que la mixité n'avait pas de réalité dans certaines filières scolaires et professionnelles, où l'on ne trouve que soit des garçons soit des filles, ce qui pose un problème d'intégration, dont la société porte, selon lui, la responsabilité. Il a considéré qu'il convenait de s'interroger sur la surreprésentation des filles dans les filières littéraires ou les sciences médico-sociales et sur leur sous-représentation dans les filières scientifiques et industrielles. Il a jugé nécessaire d'entreprendre un effort de sensibilisation des chefs d'entreprise, mais aussi des parents, afin de modifier l'orientation professionnelle des filles pour la mettre davantage en relation avec leurs résultats scolaires. Enfin, il a constaté, pour s'en féliciter, que la mixité à l'école n'était aucunement remise en cause aujourd'hui.

Mme Véronique Gass, vice-présidente de l'UNAPEL, a indiqué que l'enseignement catholique avait engagé une réflexion sur la mixité à l'école depuis décembre 2001. Elle a précisé qu'il ne s'agissait, en aucun cas, de remettre en cause le principe de la mixité, mais plutôt de réfléchir sur la façon d'en faire un outil pédagogique. Elle a rappelé la pertinence des analyses du sociologue Michel Fize dans son récent ouvrage intitulé « Les pièges de la mixité scolaire ». Elle a souligné que la mixité s'imposait aujourd'hui avec la force de l'évidence, même si aucun débat n'avait jamais eu lieu sur son principe. Elle a indiqué que l'UNAPEL avait engagé une réflexion au côté de l'enseignement catholique sur plusieurs problèmes. Afin de lutter contre les violences sexistes à l'école qui sont, selon elle, un problème quotidien, une réflexion a été entreprise sur les relations entre les garçons et les filles dans ce qu'elles peuvent avoir de complémentaire. De même, la question de « l'hétérogénéité pédagogique » est abordée par les enseignants. Le but est de proposer des outils opératoires à l'ensemble des acteurs du monde éducatif, qu'il s'agisse des enseignants, des personnels non enseignants ou des parents.

M. Serge Lagauche a voulu savoir si l'UNAPEL ne représentait que les parents d'élèves de l'enseignement catholique.

Mme Véronique Gass a indiqué que l'UNAPEL représentait les parents d'élèves de l'enseignement libre, composé, pour plus des trois quarts, d'établissements d'enseignement catholique privés, sous contrat avec l'Etat, non confessionnels, tout en précisant que l'UNAPEL n'était pas une association confessionnelle de parents d'élèves.

Mme Lucile Rabiller, secrétaire générale de la PEEP, a relevé que la mixité à l'école s'était imposée en dehors de toute réflexion préalable. Elle a estimé que, pour autant, elle ne saurait être remise en cause, la séparation des garçons et des filles ne constituant pas, de toute façon, une solution pour régler les problèmes auxquels l'école est aujourd'hui confrontée, la violence en particulier. Elle a souligné la nécessité d'approfondir la réflexion sur les projets d'établissement, qui devraient davantage aborder la question du fonctionnement de la mixité, et sur les relations entre les parents et les enseignants. Il convient également, a-t-elle rappelé, de veiller à une plus grande stabilité des équipes pédagogiques. Elle s'est interrogée sur les conséquences de la féminisation importante de la profession enseignante.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a noté que de nombreux intervenants avaient souligné l'absence de réflexion sur la mixité à l'époque où celle-ci s'était imposée.

Mme Dominique Padro, vice-présidente de la FCPE, a rappelé que, si la mixité n'avait pas été pensée, elle avait, en revanche, été revendiquée. Elle a insisté sur la nécessité de compléter la formation des enseignants pour leur permettre de mieux appréhender la mixité dans les classes, les enseignants eux-mêmes disant souffrir d'un manque de formation en matière de psychologie de l'enfant. Elle s'est interrogée sur les conséquences de la forte féminisation du corps enseignant, un élève pouvant n'avoir aucun enseignant masculin pendant une dizaine d'années.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur les raisons de ce phénomène.

Mme Dominique Padro a estimé qu'il fallait y voir un reflet de la société. En effet, le métier d'enseignant est présenté comme comportant des avantages appréciables pour les femmes, en particulier une organisation du temps de travail permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. Elle a néanmoins rappelé que, si les femmes étaient très présentes dans le corps enseignant, elles le sont beaucoup moins dans l'enseignement supérieur, ainsi qu'aux postes d'encadrement de l'administration de l'éducation nationale.

M. Jean-Guy Branger a d'abord affirmé son attachement à la mixité à l'école. Il a souligné les meilleurs résultats scolaires des filles et a considéré que les femmes, dans un métier identique, s'investissaient souvent plus que les hommes. Il a insisté sur la nécessité de « travailler » les relations entre les garçons et les filles dans un souci de respect de l'autre, notamment, dans le contexte actuel, dans le respect de la femme. A cet égard, il a jugé que le comportement de certains hommes vis-à-vis des femmes n'était pas digne d'un pays civilisé, rappelant que 10 % des femmes françaises étaient battues.

M. Serge Lagauche a souligné la tendance de l'éducation nationale à ne pas accorder une place suffisante aux femmes dans les programmes scolaires. Il s'est ensuite demandé si les questions soulevées par la mixité étaient assez discutées au sein des conseils d'administration des établissements. Il s'est interrogé sur la possibilité d'élire les délégués des élèves selon le principe de parité. Enfin, il a estimé que la conception des établissements scolaires devait mieux prendre en compte la mixité et les exigences de son bon fonctionnement.

Mme Véronique Gass a regretté que la mixité ne soit quasiment pas débattue dans les conseils d'administration des établissements. Elle s'est déclarée favorable au développement de la parité pour l'élection des délégués de classes, d'autant qu'elle participe de l'éducation civique. Notant que la féminisation du corps enseignant était un fait, aujourd'hui bien établi, qui ne pourrait évoluer que très lentement, elle a suggéré de valoriser l'investissement des parents dans les écoles, en particulier celui des pères de famille. Sur la base d'une comparaison entre la famille et l'école, elle a observé que, si la famille était mixte, il existe néanmoins des moments où les garçons et les filles souhaitent se retrouver dans des lieux distincts. Elle a, dès lors, évoqué la possibilité de faire la même chose à l'école, ce qui permettrait de faire « respirer » la mixité, notamment à l'occasion de certains travaux. Elle a estimé que l'organisation d'une telle « pause » devait être organisée, prioritairement, au niveau du collège, indiquant que l'école primaire était soumise de façon moins exacerbée aux éventuels problèmes induits par la mixité, tandis qu'au lycée, la personnalité des élèves est déjà bien souvent construite. Le collège constitue le « maillon faible » du système éducatif en raison, entre autres, d'un « décalage » de maturation psychologique et sexuelle entre les filles et les garçons. Aussi bien, pour cette raison, est-ce à ce niveau qu'il conviendrait, d'abord, d'intervenir.

M. Faride Hamana a déclaré partager ce point de vue et s'est demandé s'il n'était pas souhaitable d'instaurer quelques espaces d'expression séparés pour les filles et les garçons. Il a, lui aussi, estimé que la mixité n'était pas abordée dans les conseils d'administration des établissements, ni dans sa dimension pédagogique, ni dans sa dimension fonctionnelle. Il a souligné la forte persistance de stéréotypes sexués entretenus, notamment, par la télévision et la publicité. A cet égard, il a considéré contradictoire le discours sur l'égalité entre les sexes et l'image de la femme véhiculée par la société.

Interrogé sur l'équilibre entre filles et garçons de la représentation des élèves au sein des conseils de classe, M. Faride Hamana a insisté sur la nécessité d'un apprentissage de la citoyenneté pour les jeunes élèves qui sont amenés à siéger dans ces instances.

Mme Lucile Rabiller a signalé les efforts consentis pour garantir une composition paritaire, puis elle a, à son tour, souligné la nécessité d'une formation aux fonctions de délégué.

Prenant l'exemple de sa participation à trois conseils d'administration de collèges de son département, Mme Hélène Luc a indiqué que le thème de la mixité était insuffisamment débattu dans ces réunions. Elle a également estimé souhaitable de demander plus systématiquement l'avis des élèves dans les instances où ils sont représentés. Evoquant ensuite les débats qui ont lieu dans le cadre de « Sénat Junior », elle a noté que les jeunes filles prenaient plus volontiers la parole que les garçons.

S'agissant des locaux scolaires, elle a rappelé que les efforts consentis par les collectivités territoriales étaient importants, mais pas encore suffisants, notamment pour aménager des espaces d'intimité pour les élèves filles qui tiennent compte de leurs problèmes physiologiques et psychologiques propres.

Elle a fait observer qu'historiquement la mixité, qui avait été dans les années 1960 une occasion de réaliser des économies d'échelle dans la construction d'établissements scolaires, était devenue, aujourd'hui, un principe de vie en commun, et a demandé aux intervenants quelles étaient leurs propositions en la matière.

Faisant référence aux travaux de Mme Nicole Mosconi, Mme Hélène Luc a indiqué que le regard des enseignants n'était pas tout à fait le même vis-à-vis des devoirs scolaires réalisés par les filles et les garçons.

Elle a signalé l'importance du problème de la mésentente des couples, qui peut donner lieu à une maltraitance des femmes sous le regard des enfants. Par ailleurs, elle a souhaité la revalorisation de la fonction enseignante.

Mme Dominique Padro a souligné, au titre des propositions de sa fédération, la nécessité de combattre les stéréotypes et appelé les conseils généraux et régionaux à veiller tout particulièrement à la construction de vestiaires séparés pour les filles dans les locaux d'enseignement des collèges et lycées professionnels en particulier. Puis elle a évoqué le caractère trop sexué de l'orientation tout en indiquant que les cloisonnements perduraient aujourd'hui dans la vie professionnelle et sur le marché de l'emploi.

Souscrivant à ce dernier propos, Mme Gisèle Gautier, présidente, l'a illustré en indiquant que, dans les institutions locales, les femmes ont tendance à être chargées des affaires sociales, éducatives ou culturelles.

M. Faride Hamana a rappelé que des textes dignes d'intérêt étaient parus au bulletin officiel de l'éducation nationale et qu'il conviendrait de les utiliser avant de faire observer qu'il fallait, non seulement faciliter l'accès des filles aux filières scientifiques et techniques, mais également favoriser l'orientation des garçons vers les disciplines médico-sociales et de services à la personne.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a interrogé les intervenants sur leur perception de la cohabitation des cultures religieuses à l'école et sur le port des signes.

M. Faride Hamana a estimé que les élèves avaient été « les grands oubliés » des débats et des travaux conduits en matière de laïcité. Il a noté que ces derniers étaient sans doute d'une plus grande tolérance que les adultes dans ce domaine. Il a ensuite mentionné des cas de parents d'élèves qui sont des femmes voilées et se voient parfois écartées, aujourd'hui, de certains conseils de classes.

Mme Lucile Rabiller a distingué, dans le port du voile, l'aspect religieux et l'aspect « discrimination des femmes » ; elle a jugé ce dernier aspect inacceptable. Elle a insisté sur le fait que les très nombreux témoignages et « appels au secours » de jeunes filles qui s'étaient exprimées dans diverses instances de réflexion montraient la nécessité de légiférer et le bien-fondé d'une attitude ferme.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé des témoignages selon lesquels un certain nombre de femmes était aujourd'hui forcées par leur famille de porter le voile.

Mme Lucile Rabiller a affirmé la possibilité d'une cohabitation harmonieuse des religions et souligné, en même temps, la nécessité du respect des valeurs de la République. Elle a également estimé nécessaire le renforcement de l'enseignement des faits religieux, dans leurs aspects culturels et de civilisation, ainsi qu'une meilleure formation des enseignants dans ce domaine.

Mme Véronique Gass a rappelé que les familles inscrivaient librement leurs enfants dans les écoles d'enseignement privé sous contrat, où il n'est pas prévu d'appliquer le projet de loi en discussion sur le port des signes. Elle a estimé qu'il convenait, pour les familles, de prendre en compte la nécessité de respecter le principe de la scolarité obligatoire et des contenus pédagogiques, et manifesté les réserves de l'UNAPEL sur les dispositions du projet de loi en discussion au Parlement, tout en estimant bienvenu le dispositif qui prévoit un dialogue avec l'élève, préalablement à la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire.

M. Serge Lagauche a évoqué les différentes conceptions de la mixité qui se manifestent à travers les religions chrétienne, musulmane, juive et bouddhiste et les spécificités qui peuvent en découler, notamment pour l'application aux filles et aux garçons des programmes d'éducation physique.

Rappelant que dans l'administration des normes de progression de la mixité ont été fixées, il s'est interrogé sur la pertinence d'une démarche analogue qui consisterait à définir des objectifs et des indicateurs de mixité dans les différentes filières d'enseignement.

Mme Véronique Gass a évoqué la nécessité politique de « faire passer un certain nombre de messages » et de faire adopter par la société« un autre regard ». Elle a estimé que la suggestion de M. Serge Lagauche, consistant à « définir des objectifs et des indicateurs de mixité », pouvait contribuer à renforcer une réflexion plus positive et constructive sur la mixité.

Mme Hélène Luc a rappelé que, sur le terrain, peu de cas conflictuels de port du voile se manifestaient. Elle s'est ensuite demandé si le projet de loi pourrait, à lui seul, apporter une solution. Puis elle a regretté que des mesures n'aient pas été prises plus tôt.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué, de manière plus générale, les difficultés de l'intégration, faisant valoir que celles-ci étaient la première cause des problèmes constatés aujourd'hui.

Mme Dominique Padro s'est déclarée perturbée par l'absence de dimension pédagogique dans le débat sur le port des signes et a souhaité le développement de l'histoire des religions pour remédier à cette situation et répondre à l'intérêt manifesté par les jeunes sur ce thème. L'ignorance engendre la peur. La peur engendre la violence.

Mme Lucile Rabiller a estimé qu'un important travail restait à faire en direction des messages délivrés par les médias. Elle a également observé que les parents étaient les premiers éducateurs et les premiers responsables de leurs enfants.