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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 27 novembre 2002

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Bioéthique - Echange de vues sur une saisine de la délégation et nomination d'un rapporteur

Après un échange de vues au cours duquel M. Francis Giraud, rapporteur de ce projet de loi au nom de la commission des affaires sociales, a notamment évoqué son calendrier d'examen et le programme d'auditions élaboré par cette commission, la délégation a décidé de demander à être saisie du projet de loi n° 189 (2001-2002) relatif à la bioéthique.

La délégation a alors procédé à la nomination, sous réserve de sa saisine par la commission des affaires sociales, du rapporteur du projet de loi.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait part de la candidature de Mme Sylvie Desmarescaux.

Mme Gisèle Printz a présenté la candidature de Mme Claire-Lise Campion.

Par cinq voix contre deux, la délégation a désigné Mme Sylvie Desmarescaux comme rapporteur du projet de loi relatif à la bioéthique, sous réserve de la saisine de la délégation par la commission des affaires sociales.

Bureau de la délégation - Compte rendu

Mme Gisèle Gautier, présidente, a ensuite brièvement rendu compte de la réunion du Bureau de la délégation qui s'est tenue le 13 novembre 2002.

S'agissant des travaux en cours, elle a indiqué que le rapport d'information de Mme Janine Rozier sur le volet « prostitution » du projet de loi sur la sécurité intérieure avait été, semble-t-il, bien accueilli, et que certaines des recommandations qui y figuraient avaient été de facto prises en compte par le Sénat : c'est ainsi que la référence à la tenue vestimentaire, pour la qualification du racolage passif, a été écartée. Elle a rappelé que le Bureau avait justement dénoncé les conditions de travail, anormalement précipitées, imposées à la délégation et au Sénat dans son ensemble.

Elle a rappelé que les conclusions et propositions de la délégation sur les discriminations salariales entre hommes et femmes figureraient dans son rapport d'activité qui paraîtra au début de l'année prochaine et que le Bureau avait suggéré qu'une manifestation de type colloque ou journée d'études soit organisée à l'occasion de la sortie de ce rapport pour donner un écho et un prolongement concret à ce travail. Soulignant la nécessité de mieux faire connaître les travaux de la délégation, Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué la possibilité de faire participer à un tel colloque des représentants de comités d'entreprise, d'associations de femmes et de syndicats.

A propos des travaux à venir, la présidente a évoqué l'idée retenue par le Bureau de la délégation de travaux sur l'égalité hommes-femmes en matière de retraites et, plus particulièrement, de retraites des non-salariés, auxquels pourrait se consacrer la délégation tout au long de l'année 2003.

Elle a indiqué que le Bureau, compte tenu de l'intérêt porté par la délégation au problème du cancer du sein, avait également décidé de consacrer à des auditions sur ce sujet quelques-unes de ses réunions.

Mme Hélène Luc après avoir souhaité que la délégation puisse débattre en une autre occasion de ses travaux ultérieurs et des manifestations auxquelles ils pourraient donner lieu, a souligné l'importance et l'intérêt du problème des retraites.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Audition de Mme Catherine Sofer, professeur de sciences économiques à l'Université de Paris I - Panthéon - Sorbonne

La délégation a ensuite entendu Mme Catherine Sofer, professeur de sciences économiques à l'Université de Paris I - Panthéon - Sorbonne.

Mme Catherine Sofer
a tout d'abord indiqué que son exposé sur les inégalités salariales se fondait sur des chiffres datant de 1997, mais que la situation avait peu évolué depuis cinq ans.

Elle a ensuite commenté des séries statistiques en apportant les remarques suivantes :

- les femmes étant en moyenne plus diplômées que les hommes (64,2 % des femmes cadres ont, par exemple, un diplôme supérieur à Bac + 2, contre 52,8 % des hommes), les écarts de salaires ne peuvent plus être imputés à des différences de diplômes ;

- les hommes sont plus nombreux que les femmes à accéder à des positions de cadre, quels que soient leurs diplômes ; ainsi, la répartition des sexes par position professionnelle indique que 10,84 % des hommes en activité sont ingénieurs ou cadres, contre 4,66 % des femmes ; en revanche, 18 % des hommes en activité sont agents de service, aides-soignants ou gardiens d'enfants, contre 61,52 % des femmes ;

- de manière générale, on attend des femmes un niveau de qualification supérieur à celui des hommes pour des emplois similaires ; en effet, si l'évolution de la répartition des diplômes entre les sexes fait apparaître une prédominance des femmes sur le plan de la réussite scolaire, la répartition des positions professionnelles et la distribution des salaires sont défavorables aux femmes ;

- avec le même niveau de diplôme, les femmes n'accèdent pas aux mêmes emplois et n'ont pas le même profil de carrière ; les promotions en fonction de l'ancienneté sont ainsi accordées aux hommes du secteur public ou privé, dans une proportion supérieure de 20 % à celles dont bénéficient les femmes ;

- l'écart salarial global de 25 % en faveur des hommes, constaté en 1997, a peu évolué depuis cette date ; en réduisant l'analyse aux seuls salariés à temps complet, un écart de 13 % demeure.

Mme Catherine Sofer, en comparant les séries statistiques relatives à l'évolution des salaires, a fait apparaître, après trente ans de réduction des écarts, un maintien en l'état des inégalités de rémunération depuis 1990.

Elle a noté que l'explication de ces écarts tenait pour partie à des différences de durée du travail, mais qu'une part inexpliquée des inégalités de salaires subsistait, qui peut être assimilée à de la discrimination. Elle a d'ailleurs précisé que le taux de salaire horaire féminin à temps partiel était inférieur à celui des hommes ; elle a également fait observer que les écarts salariaux entre hommes et femmes, lors des premières embauches, étaient plus élevés pour les jeunes diplômés (les femmes issues des grandes écoles ou des second et troisième cycles de l'enseignement universitaire percevant des rémunérations inférieures de 16,6 % à celles des hommes possédant les mêmes diplômes) que pour les non-diplômés (l'écart étant de 3,8 % au détriment des femmes).

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est dite frappée par le creusement des écarts salariaux au cours du déroulement des carrières.

Mme Catherine Sofer a souligné l'impact très net de la maternité sur les perspectives de promotion des femmes : elle a noté l'augmentation du salaire masculin et la diminution de celui des femmes avec le nombre d'enfants. Elle a indiqué que le nombre moyen d'enfants des femmes-cadres (1,01) était sensiblement inférieur au nombre d'enfants moyen des femmes infirmières, assistantes sociales ou employées de bureau (1,31).

En conclusion de son intervention, elle a mis en évidence la difficulté pour les femmes de concilier leur vie professionnelle avec la maternité, et la persistance des discriminations frappant les femmes, les employeurs ayant tendance à se prémunir d'un plus fort risque -réel ou supposé- de démission ou d'interruption de carrière.

Au titre des recommandations, Mme Catherine Sofer a jugé souhaitable d'améliorer, du côté des entreprises, la compatibilité entre vie familiale et vie professionnelle, en évoquant, à titre d'exemple, la propension actuelle des entreprises à organiser des réunions de cadres à des heures tardives. Elle a également souligné l'importance du partage des tâches domestiques et la nécessité d'une plus grande participation des hommes à la prise en charge des enfants.

Mme Hélène Luc s'est alarmée de l'aggravation des inégalités entre hommes et femmes dans les catégories les plus diplômées.

Mme Catherine Sofer a expliqué cette situation par le fait que les femmes diplômées sont aujourd'hui plus nombreuses. Elle a également souligné que les filières de l'enseignement professionnel étaient sexuées et que la mixité progressait peu. Elle a toutefois noté que la tertiarisation de l'économie avait permis aux femmes, plus largement formées dans les filières des services, de bénéficier de la vague de créations d'emplois des dernières décennies.

A propos du partage des tâches domestiques, Mme Gisèle Gautier, présidente, a souligné le rôle de l'éducation des enfants et, notamment, des petits garçons.

Mme Catherine Sofer a noté, dans les pays nordiques, un creusement des écarts salariaux pour les hauts salaires en dépit d'une meilleure répartition des tâches domestiques entre les hommes et les femmes.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Audition de Mme Marie-Christine Desbois, chargée de mission au Cabinet d'assistance technique Europ'Expert

La délégation a, enfin, entendu Mme Marie-Christine Desbois, chargée de mission au Cabinet d'assistance technique Europ'Expert.

Mme Marie-Christine Desbois
a tout d'abord expliqué qu'en 1997, Mme Anne-Marie Couderc, ministre déléguée à l'emploi, l'avait chargée de réaliser un diagnostic sur la place des femmes dans le système français de formation par apprentissage. Elle a indiqué que ce rapport avait été structuré en onze secteurs professionnels, et s'était fondé sur des informations régionales. Elle a noté que, cinq ans plus tard, on assistait à la prolifération d'études de toutes sortes aboutissant, dans l'ensemble, à des constats similaires, mais que la mise en oeuvre d'actions de réforme pertinentes dans ce domaine soulevait de réelles difficultés.

Mme Marie-Christine Desbois a ensuite présenté les principaux constats effectués dans son rapport. Elle a indiqué que la proportion de jeunes femmes dans les filières de formation par apprentissage entre 1983 et 1993 était passée de 26 à 28 % en certificat d'aptitude professionnelle (CAP), de 26 à 30 % en brevet d'enseignement professionnel (BEP) et de 18 à 26 % en baccalauréat professionnel.

Plus que l'indice d'une évolution vers une meilleure mixité, elle a considéré que c'était la tertiarisation générale de l'économie et des formations qui expliquait cette augmentation, la part des métiers du commerce, de la santé, des soins personnels, de l'hôtellerie et du secrétariat - administration étant passée de 31 à 42 % entre 1983 et 1993.

Mme Marie-Christine Desbois a en revanche indiqué que les métiers traditionnellement masculins n'avaient enregistré aucune évolution positive du taux de présence féminine, quelques secteurs étant même déficitaires : le taux de féminisation a ainsi évolué dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) de 0,52 à 0,50 % et dans la mécanique de 0,53 à 0,44 %, l'électricité enregistrant une hausse peu significative de 0,66 à 0,76 %, tandis que le taux de féminisation est passé de 0,87 à 1,05 % dans le secteur « bois ».

Elle a ensuite rappelé que son rapport avait été élaboré sur la base d'un questionnaire structuré et précis et sur des investigations organisées dans six régions, mais que la réelle difficulté, pour établir un diagnostic, avait été d'aller au-delà du constat global et des poncifs sur les femmes mainte fois répétés. Elle a précisé que les acteurs interrogés avaient volontiers « philosophé » sur le thème, mais s'étaient trouvés, pour la plupart, dans l'impossibilité de proposer des solutions ou, tout au moins, des actions permettant d'évoluer vers une meilleure mixité.

Puis elle a résumé les quatre principaux constats et les recommandations de son rapport.

Mme Marie-Christine Desbois a tout d'abord souligné la forte emprise des facteurs culturels qui se traduit par une représentation très traditionnelle du rôle de la femme véhiculée par la famille (« la femme c'est avant tout la mère ! »).

Au titre des recommandations, elle a souligné que la quasi-totalité des personnes rencontrées s'accordait sur l'impact des médias et, notamment, de la télévision. Elle en a déduit que, pour faire évoluer les mentalités, il fallait « entrer dans les foyers » et multiplier, par exemple, les séries télévisées portant sur des métiers projetées à des heures de grande écoute. Elle a estimé que les crédits européens, notamment dans le cadre du programme Equal étaient à ce titre insuffisamment mobilisés par la France.

Mme Marie-Christine Desbois a, en second lieu, évoqué l'insuffisance de l'effort d'orientation, les conseillers d'information et d'orientation (CIO) se sentant pour la majorité peu concernés par la diversification de l'emploi féminin. Lorsqu'ils l'étaient, a-t-elle précisé, certains estimaient ne pas disposer des outils nécessaires pour remplir efficacement une telle mission et ne se reconnaissaient pas le droit de peser sur des choix qui peuvent s'avérer difficiles à assumer pour les jeunes filles. Elle a fait observer que les professeurs principaux avaient également un rôle important, bien que non formalisé, dans les choix d'orientation des jeunes, mais que leur formation ne les préparait pas à intervenir sur la diversification de l'emploi féminin.

Elle a préconisé de mobiliser les CIO ainsi que les professeurs principaux de collèges par la création d'un module de formation intégré dans leur cursus et, pour ceux déjà en poste, d'intégrer ces modules dans les cycles de formation continue. Elle a suggéré que ces modules intègrent des données sur l'économie des bassins d'emploi, l'évolution des principaux métiers, ainsi qu'une approche en termes de savoirs et de savoir-faire les plus récents. Pour les professeurs principaux de collèges, a-t-elle souligné, cette formation pourrait être dispensée au sein des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).

Mme Marie-Christine Desbois a rappelé qu'en 1998, elle avait préconisé d'intégrer la dimension « égalité des chances » dans le plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes, qui constitue un outil de mise en cohérence des différents dispositifs de formation professionnelle et, également, de mettre en oeuvre une politique contractuelle avec les autres partenaires de l'orientation et de l'insertion des jeunes. Les actions pertinentes dans ce domaine, a-t-elle souligné, ne seraient plus laissées à l'initiative de quelques personnes de bonne volonté, mais organisées de manière cohérente au sein de chaque région.

En matière de « processus formatif », elle a noté que la qualité de prestataire de services ne donnait aux centres de formation d'apprentis (CFA) qu'une marge d'intervention assez faible, ce qui n'incite pas ces structures à appliquer une politique volontariste en matière de diversification de l'emploi féminin. Elle a indiqué que les tuteurs étaient des professionnels qui, en même temps que leur savoir-faire, transféraient tout naturellement leur représentation du métier et les habitudes qu'elles suscitent, et que la présence d'une jeune fille sur un lieu de travail traditionnellement masculin amenait nécessairement un changement au plan du langage, des attitudes, mais aussi des conditions de travail.

En l'absence d'une volonté déclarée des CFA de prendre une part active dans la diversification de l'emploi féminin, elle a préconisé de les y inciter par la voie contractuelle. Elle a rappelé que la majorité des conseils régionaux avait engagé, dans le cadre de la loi de 1987 sur la rénovation de l'apprentissage, une démarche - qualité qui s'était développée depuis 1989 dans les contrats de Plan Etat-régions et qui semblait propice à engager les CFA dans une politique de diversification de l'emploi féminin, notamment grâce à des dispositifs de « formation de formateurs » et de développement de la fonction tutorale.

En matière d'insertion, elle a rappelé qu'en 1998, dans un monde où le travail se faisait rare, le chômage exacerbait un réflexe protectionniste, la femme étant supposée devoir « céder sa place » aux hommes sur le marché de l'emploi. Elle a fait observer que les difficultés d'insertion étaient un facteur de découragement très important des acteurs de l'orientation, et que les efforts faits en amont étaient souvent réduits à néant par les aléas rencontrés par les jeunes filles engagées dans des filières traditionnellement masculines.

Mme Marie-Christine Desbois a cependant observé que si, par hypothèse, certaines spécialités traditionnellement masculines devaient s'ouvrir aux jeunes filles, les professionnels admettaient qu'elles y seraient vraisemblablement plus performantes. Ainsi dans le bâtiment (peinture, carrelage, électricité et plomberie), elle a estimé que la place des jeunes filles dans les chantiers d'intérieur, et notamment pour tous les travaux de finition, pouvait être envisagée. De même, a-t-elle indiqué, un nombre grandissant de jeunes filles pourrait être accueilli dans les secteurs de la menuiserie et de l'ébénisterie, la charpente et les activités requérant une grande force musculaire restant, selon les professionnels, des métiers d'hommes.

Elle a conclu qu'en matière d'insertion, c'était branche par branche qu'il fallait déterminer avec les professionnels les métiers dans lesquels les jeunes filles pourraient être efficacement orientées dès maintenant et que, pour être efficace, la stratégie devait être nationale, relayée au niveau régional et s'appuyer sur des initiatives locales.

Mme Gisèle Gautier, présidente, en évoquant l'exemple de la Bretagne, a évoqué les carences de l'emploi féminin dans les métiers du bâtiment et des travaux publics. Elle a noté qu'aujourd'hui les préconisations présentées par Mme Marie-Christine Desbois restaient difficiles à mettre en oeuvre, en soulignant, en même temps, que les entreprises manifestent des difficultés de recrutement de personnel qualifié.

Constatant que l'état des lieux en matière d'insuffisance de mixité a été largement conduit, Mme Marie-Christine Desbois a souligné la nécessité de passer à des mesures d'action concrètes. Elle a, à ce titre, suggéré :

- de déclarer que la mixité des emplois est un objectif national et qu'il s'agit d'une réponse économiquement indispensable aux difficultés des secteurs où les femmes sont les moins représentées ;

- de faire le bilan des actions menées par les branches au cours des dix dernières années pour en généraliser les bonnes pratiques et analyser les freins ;

- de soutenir les actions régionales qui s'initient actuellement avec les branches ;

- et d'envisager la mise en place d'une veille sur la mixité des emplois dans chaque ministère.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est félicitée du caractère pragmatique des suggestions présentées par Mme Marie-Christine Desbois et a noté l'importance de l'implication des présidents des commissions de formation professionnelle des conseils régionaux.

Mme Marie-Christine Desbois a estimé qu'il convenait de mobiliser les fonds européens disponibles, notamment par le canal d'actions au titre des contrats de plan Etat-régions.