Table des matières


OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DE LA LÉGISLATION

JEUDI 6 MAI 1999

- Présidence de Mme Catherine Tasca, présidente.

BUREAU - COMPOSITION - ELECTION DE DEUX VICE-PRÉSIDENTS ET D'UN SECRÉTAIRE

A la suite du renouvellement du Sénat du 27 septembre 1998, l'office a procédé àl'élection de deux vice-présidents et d'un secrétaire parmi les sénateurs.

Mme Dinah Derycke
et M. Patrice Gélard ont été élus vice-présidents et M. Michel Duffour, secrétaire.

En conséquence, le bureau est ainsi constitué :

-- Mme Catherine Tasca, présidente de droit ;

-- M. Jacques Larché, vice-président de droit ;

-- Mme Michèle Alliot-Marie, M. Christophe Caresche, Mme Dinah Derycke et M. Patrice Gélard, vice-présidents ;

-- MM. Michel Duffour et François Sauvadet, secrétaires.

JUSTICE - EXERCICE DE L'ACTION CIVILE PAR LES ASSOCIATIONS - EXAMEN DU RAPPORT

L'office a ensuite examiné le rapport de M. Pierre Albertini sur l'exercice de l'action civile par les associations.

Le rapporteur a précisé que, contrairement aux souhaits exprimés par certains membres de l'Office, son rapport ne portait pas sur les possibilités de recours des associations devant les juridictions administratives et civiles, mais sur l'exercice par les associations des droits reconnus à la victime devant le juge répressif.

Rappelant les circonstances dans lesquelles l'exercice de l'action civile par les associations avait été ponctuellement et progressivement admis, le rapporteur a souligné que le législateur n'avait pas été guidé en la matière par un fil conducteur. Il a indiqué que les modalités d'exercice de l'action civile étaient très différentes selon qu'elles étaient prévues par le code de procédure pénale ou par des codes spécialisés, tels que le code de l'urbanisme ou le code de la santé publique. Observant que les associations pouvant exercer l'action civile étaient soumises à des conditions d'ancienneté ou d'agrément variables, il a également remarqué que leur intervention n'était pas toujours de même nature, puisqu'elle se limitait parfois à une simple fonction d'assistance à la victime qui porte plainte devant le juge répressif. Il a constaté que le système français, par rapport à celui des autres pays européens, avait sa spécificité, centrée autour de l'importance accordée à la victime. Considérant que le cadre législatif de l'action civile exercée par les associations était globalement satisfaisant, il a cependant estimé qu'il pouvait comporter des risques.

Jugeant nécessaire de retenir une conception large du sujet soumis à l'office d'évaluation, le rapporteur a considéré qu'il convenait notamment de s'interroger sur la place de la victime dans le procès pénal et sur le monopole du ministère public dans l'exercice des poursuites. A cet égard, il a noté que ce monopole était une conquête récente du droit pénal français. Il a ajouté que la question de l'opportunité des poursuites devait être également examinée dans le cadre de cette réflexion, de même que les relations entre le parquet et la Chancellerie.

S'agissant du bilan de l'action des associations devant les juridictions, M. Pierre Albertini s'est d'abord inscrit en faux contre l'idée que l'exercice de l'action publique par celles-ci serait une des causes de l'engorgement de notre justice. Il a fait valoir qu'au contraire, les associations faisaient un usage mesuré de ce type de procédure et qu'elles privilégiaient dans leur action l'aspect pédagogique. Il a insisté sur le fait que les dysfonctionnements de notre système juridictionnel ne pouvaient être en aucun cas imputés à l'activité associative. Faisant le point des aspects positifs de leur action, il a d'abord souligné qu'elle permettait de faire apparaître au grand jour des faits délictueux et ainsi de les poursuivre, évoquant en particulier l'exemple de la lutte contre le proxénétisme. Il a noté également que les associations apportaient une assistance psychologique, juridique et morale aux victimes, notamment à la suite d'un attentat, pour les enfants ayant souffert de violences ou les victimes des sectes. Il a précisé que l'accompagnement des victimes par les associations était essentiel dans la mesure où celles-ci se trouvaient abandonnées par l'appareil judiciaire à l'issue d'un procès qui ne leur apportait, le plus souvent qu'une réparation très partielle. Il a considéré enfin que l'exercice par les associations de l'action publique constituait un garde-fou indispensable au monopole des poursuites par le ministère public, contribuant ainsi à la construction de notre Etat de droit. Considérant que la justice ne devait pas seulement protéger la société et punir les coupables, mais également se soucier des victimes, il a observé que, dans tous les pays européens, la place de celles-ci se renforçait dans le cadre des procédures judiciaires. Il a ajouté qu'il s'agissait là d'exprimer un souci d'humanité et de donner un visage au respect de la loi et a souhaité, en conséquence, que l'action des associations ne s'exerce pas en opposition au parquet, mais bien plutôt dans une relation de dialogue et de complémentarité.

Jugeant donc globalement positif l'exercice de l'action civile par les associations, le rapporteur a cependant évoqué l'existence de dérives exceptionnelles. Il a indiqué que certaines associations avaient parfois soit privilégié la course aux dommages-intérêts, voire la recherche de compensations financières en monnayant leur renoncement à déclencher l'action publique, soit porté atteinte aux libertés individuelles ou à la réputation d'une personne physique ou morale, certaines étant évidemment plus exposées que d'autres aux risques de poursuites.  Toutefois, il a souligné que ces dérives restaient très minoritaires et observé que la constitution d'associations destinées à déstabiliser des entreprises nationales, dans des secteurs sensibles comme la santé, au bénéfice d'entreprises étrangères relevait davantage d'un scénario catastrophe que d'une quelconque réalité.

Le rapporteur a ensuite proposé d'instituer trois niveaux d'exercice de l'action civile par les associations. Il a d'abord suggéré de reconnaître à toutes les associations investies dans de grandes causes nationales la possibilité d'exercer l'action civile et de déclencher l'action publique, tout en subordonnant ces prérogatives à une reconnaissance d'utilité publique. Il a ensuite proposé d'ouvrir beaucoup plus généralement la possibilité pour les associations d'intervenir au côté des victimes, sous trois conditions : l'accord de la victime, une ancienneté minimale de trois ans pour l'association, un lien direct entre la nature de l'infraction poursuivie et son objet statutaire. Il n'a pas souhaité, en revanche, prendre position sur la question de l'agrément des associations, la qualité de cet agrément étant aujourd'hui extrêmement variable. Enfin, il a envisagé la possibilité de généraliser la faculté, pour les victimes, de se regrouper aux fins d'exercer ensemble, devant un seul juge, l'action civile, comme cela est déjà possible pour les victimes d'accidents dans les transports collectifs ou les lieux publics.

M. Pierre Albertini, rapporteur, a ensuite évoqué la question de la réparation du préjudice subi par l'association, le préjudice s'analysant en la matière comme une atteinte aux intérêts qu'elle poursuit. Rappelant que les associations devaient souvent faire face à des frais importants pour l'engagement de poursuites devant la justice, il a déploré la pratique fréquente, qui consiste pour le juge à décider du versement du franc symbolique au bénéfice des associations. Il a toutefois estimé que l'excès inverse permettant aux associations de bénéficier d'un enrichissement sans cause du fait de leur action en justice, paraissait tout autant condamnable. Prenant exemple d'une négociation passée entre le Comité national contre le tabagisme et une chaîne de télévision pour la diffusion d'un grand prix automobile comportant des images de publicité interdite, M. Pierre Albertini a constaté que certaines associations étaient entrées dans une logique de compensation consistant à négocier le versement d'une somme en échange du non-engagement de poursuites. Regrettant cette dérive récente, il a rappelé que, dans le cas d'infraction caractérisée, il revenait en premier lieu au ministère public de prendre la responsabilité de l'engagement des poursuites, les associations n'ayant à intervenir qu'en cas de carence de celui-ci. Il a considéré, en l'occurrence, que la course aux dommages et intérêts poursuivie par certaines associations était une perversion du système.

Soulignant la qualité du rapport présenté par M. Pierre Albertini, Mme Catherine Tasca, présidente, a estimé que cette contribution donnait sur le sujet un éclairage intéressant et s'inscrivait dans le prolongement d'une évolution récente du droit consistant à établir un statut de la victime. Observant que le rapport de M. Pierre Albertini comportait des propositions très concrètes, Mme Catherine Tasca a considéré qu'il s'inscrivait parfaitement ainsi dans la mission de l'office parlementaire d'évaluation de la législation et exprimé le souhait que certaines de ces propositions soient reprises par le législateur.

M. Patrice Gélard s'est interrogé sur les dérives que pouvait comporter l'action en justice des associations ; il a ainsi évoqué les inégalités entre les parties qui pouvaient apparaître lorsque, par exemple, un grand nombre d'associations se portaient parties civiles face à un seul prévenu ou accusé. Il a également inclus, dans les dérives possibles, le dépôt systématique de plaintes par certaines associations au niveau local. Il a estimé, en conséquence, qu'il convenait de réfléchir aux remèdes à apporter contre les plaintes abusives, les tribunaux ne sanctionnant que rarement les recours abusifs.

M. Jean-Jacques Hyest a souligné le caractère mesuré du rapport présenté par M. Pierre Albertini. Jugeant utile la possibilité donnée aux associations de se constituer partie civile dans certaines instances, notamment celles faisant suite à des actes de terrorisme ou de grands accidents, il a cependant estimé que certaines d'entre elles abusaient du droit qui leur était reconnu. Il a considéré qu'il était de ce fait nécessaire de préciser les conditions de leur agrément ou de la reconnaissance d'utilité publique. Evoquant le cas des associations de défense de l'environnement, il a jugé que certaines d'entre elles avaient pu nuire à des entreprises en favorisant les situations de distorsion de concurrence. Pour cette raison, il a estimé nécessaire que les associations aient une ancienneté de cinq ans pour recevoir l'agrément leur permettant d'ester en justice. Il a en outre regretté la timidité des juges pour engager des poursuites en matière d'abus de droit. Enfin, évoquant la question des dommages et intérêts, il a considéré que ceux-ci étaient la plupart du temps impropres à réparer le préjudice subi par les associations, celui-ci n'étant d'ailleurs pas toujours lié à la gravité de l'infraction commise. Il a conclu son propos en indiquant qu'au travers de l'intervention des associations dans l'action civile se posait la question du rôle du ministère public, auquel il revenait, en premier lieu, d'engager des poursuites.

M. Jacques Larché, vice-président, a tout d'abord rendu hommage au travail accompli par M. Pierre Albertini. Il s'est cependant interrogé sur la place qu'il convenait de donner aux associations dans l'action civile. Evoquant l'exemple d'une procédure utile, mais dans laquelle vingt-quatre associations défendaient la même position face à un seul prévenu, il a jugé que la constitution en partie civile de multiples associations pouvait déséquilibrer le déroulement des audiences sans qu'aucune solution satisfaisante n'ait pu être trouvée. Il a par ailleurs observé que les poursuites pour plainte abusive demeuraient très rares, notamment en raison de la lenteur des procédures. Il a enfin jugé souhaitable que l'agrément permettant aux associations de se constituer partie civile soit réservé à celles qui ont une ancienneté de cinq ans.

M. Jacques Mahéas a considéré que le législateur devrait mieux préciser les critères d'agrément ou de reconnaissance d'utilité publique des associations pouvant se constituer partie civile, afin de mettre un terme à la situation actuelle caractérisée par l'arbitraire des décisions. Il s'est par ailleurs interrogé sur l'opportunité d'obliger les différentes parties civiles à un procès à se regrouper en association. Enfin, évoquant les quelque sept cents élus faisant l'objet d'une mise en examen, il s'est demandé dans quelle mesure les associations d'élus ne pourraient recevoir un agrément en vue de les défendre.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-- s'agissant de la multiplication des actions civiles, le rapporteur a reconnu que certains magistrats se considéraient submergés par la quantité de plaintes déposées par les associations ; il a cependant estimé que cette situation résultait plus de la pratique du procès pénal que des dispositions législatives. Il a, par ailleurs, rappelé que, de longue date, le reproche était fait à la procédure pénale de ne pas tenir assez compte du point de vue de la victime. A cet égard, il a fait observer que l'introduction croissante d'éléments contradictoires dans le déroulement du procès pénal pourrait permettre de réguler les excès, par exemple en autorisant le président du tribunal à équilibrer les temps de parole respectifs de la défense et de l'accusation ;

-- en ce qui concerne le problème des recours abusifs, il a rappelé qu'il existait, d'ores et déjà, des possibilités de sanctionner les recours manifestement infondés, tout en indiquant que, peu utilisé devant les juridictions judiciaires, cette procédure était plus fréquente en contentieux administratif, notamment dans les dossiers d'urbanisme où les sanctions prononcées étaient parfois non négligeables ;

-- s'agissant de l'agrément des associations autorisées à se constituer partie civile, il a considéré que la multiplication des conditions exigées lors de son octroi ne garantissait pas, en pratique, un exercice satisfaisant par l'association bénéficiaire des compétences qui lui sont reconnues par la loi et jugé, en conséquence, qu'il convenait surtout de réfléchir aux modalités de retrait éventuel de cet agrément ;

-- sur le principe même du recours associatif, il a insisté sur le fait que celui-ci se confondait fréquemment avec l'intérêt de la société, évoquant les recours formés par les associations de déportés ou de victimes de guerre ou ceux formés en matière de santé publique, qui permettent de faire valoir les intérêts de victimes disparues ou non identifiables ;

-- s'agissant de la question de la réparation du préjudice, il a insisté sur le fait que celui-ci ne pouvait se limiter au franc symbolique, faisant état d'une jurisprudence de la Cour de cassation qui réaffirme que le juge doit évaluer la réalité du dommage subi par les parties civiles ;

-- revenant sur ses propositions, il a souligné que leur mise en oeuvre permettrait de trouver un équilibre entre des objectifs parfois contradictoires, d'une part en responsabilisant davantage les associations représentant de grandes causes nationales et, d'autre part, en exigeant, pour les autres, l'accord de la victime et une plus grande ancienneté tout en limitant leur compétence à la possibilité de se joindre à l'action formée par la victime sans pouvoir déclencher par elles-mêmes l'action publique.

L'office a adopté les conclusions du rapporteur, puis, en l'absence d'opposition de Mme Catherine Tasca, auteur de la saisine, a décidé que le rapport serait déposé sur le Bureau de chaque Assemblée.