Mardi 20 février 2007

- Présidence de M. Jean François-Poncet, président.

Audition de MM. Jean-Michel Charpin, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et Bernard Morel, chef du département de l'action régionale

La délégation a entendu MM. Jean-Michel Charpin, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et Bernard Morel, chef du département de l'action régionale, sur l'évolution démographique de l'espace rural.

A titre liminaire, M. Jean-Michel Charpin, directeur général de l'INSEE, a rappelé le nouveau dispositif de recensement prévu par la loi du 27 février 2002, qui substitue au comptage exhaustif antérieurement effectué tous les huit ou neuf ans une technique d'enquêtes annuelles : chaque année, sont recensés un cinquième des communes de moins de 10.000 habitants et, dans les villes de plus de 10.000 habitants, un échantillon d'adresses représentant environ 8 % de la population.

M. Claude Belot ayant remarqué que les enquêtes annuelles risquaient de conduire à des erreurs, par exemple en cas de mouvements de population entre deux communes voisines qui ne seraient pas recensées la même année, M. Jean-Michel Charpin est convenu que de telles erreurs pouvaient se produire mais seraient sans doute de portée d'autant plus limitée qu'elles se compenseraient au niveau national. Il a noté que les interrogations qu'avait pu susciter la nouvelle méthode de recensement avaient cessé dès la publication en janvier 2005 des résultats de la première enquête annuelle et il a ajouté que les enquêtes annuelles portant sur des espaces plus limités, la nouvelle méthode permettait de réduire le nombre des personnes « échappant » au recensement.

Rappelant que la nouvelle technique de recensement exigeait cinq enquêtes annuelles pour produire des résultats complets, il a en premier lieu présenté les évolutions que les enquêtes effectuées depuis 2004 avaient déjà permis de mesurer au niveau des départements.

Il a tout d'abord relevé l'amplitude importante des évolutions annuelles moyennes de la population entre 1999 et 2005, qui ont varié entre -0,7 % pour la Haute-Marne et +1,7 % pour la Haute-Garonne, les départements où la croissance démographique a été la plus forte s'organisant selon une ligne verticale le long de la façade atlantique, une ligne horizontale au sud du territoire et une « verticale alpine » : il a noté que ces départements peuvent être aussi bien des départements à très forte densité de population, comme la Haute-Garonne ou l'Hérault, que des départements à densité très faible, comme les Hautes-Alpes ou les Alpes-de-Haute-Provence.

La carte des départements dont la population augmente a ainsi très sensiblement évolué depuis 1999 : l'extrémité sud-ouest de la « diagonale aride » qui traversait alors la France est désormais une zone de relatif dynamisme démographique. D'une façon générale, la population croît dans les régions de l'Ouest, du Sud, dans le Sud-Est et en Alsace, les départements dont la démographie est la moins dynamique se situant au nord-est du territoire et à la périphérie du Bassin parisien.

En réponse à une question de M. Jean François-Poncet, président, M. Bernard Morel a précisé que l'on ne comptait que cinq départements dont la population avait décru entre 1999 et 2005, dont deux situés en Champagne-Ardenne -les Ardennes et la Haute-Marne- et trois dans le centre du pays -l'Allier, la Creuse et la Nièvre.

M. Jean-Michel Charpin a souligné que l'analyse comparée des soldes naturels et des soldes migratoires en fonction de la densité de population donnait une indication sur les mouvements de population vers les zones rurales : on constate en effet que l'évolution due aux soldes naturels croît avec la densité de population, tandis que le solde migratoire, nettement positif dans le sud et sur la façade atlantique mais déficitaire dans les autres parties du territoire, est d'autant plus important que la densité est faible.

Il a ensuite exposé qu'il existait deux définitions de l'espace rural.

La première, et la plus ancienne, est fondée sur la notion de commune rurale, définie selon des critères tenant à la taille des communes et à la continuité de l'habitat.

La seconde, élaborée par l'INSEE au milieu des années 1990, définit l'espace à dominante rurale par rapport à l'espace à dominante urbaine, ce dernier incluant les pôles urbains et les zones périphériques dont plus de 40 % de la population travaillent à l'intérieur de la zone urbaine : l'espace à dominante rurale est alors celui où les connexions en termes d'emploi avec la zone urbaine sont relativement faibles.

Ces définitions conduisent à des appréciations différentes de l'importance et de l'évolution de l'espace rural, surtout si l'on tient compte de la variation des périmètres ainsi définis, qui ont tendance à se réduire en fonction du développement des zones périurbaines. On constate donc d'une manière générale une tendance à l'augmentation du peuplement de l'espace rural, mais aussi à la réduction de son périmètre.

M. Jean-Michel Charpin a illustré son propos en commentant l'évolution des définitions des zones rurales entre les recensements de 1990 et 1999 :

- le nombre des communes répondant à la définition de la commune rurale a baissé de 31.251 à 30.611, la population totale des communes rurales diminuant parallèlement de 14,7 à 14,3 millions d'habitants ;

- le périmètre -plus restreint- de l'espace à dominante rurale s'est plus nettement contracté (23.341 communes en 1990, 18.535 en 1999) et sa population a corrélativement décru de 13,4 à 10,55 millions d'habitants. En revanche, à périmètre fixe, on constate que la population de l'espace rural tel que défini en 1999 a augmenté de 10,48 à 10,55 millions d'habitants entre 1990 et 1999.

Après avoir précisé, en réponse à une question de M. Alain Fouché, que l'intégration dans les zones urbaines était appréciée au niveau des communes et non des établissements publics de coopération intercommunale, M. Jean-Michel Charpin a souligné la stabilité entre 1968 et 1999 de la population rurale, qui contraste avec l'accélération, entre 1999 et 2004, du rythme de croissance de la population des communes rurales, passé de 0,5 à 1,3 % par an, cette croissance étant désormais nettement plus forte que dans les zones urbaines, dont la population a augmenté en moyenne de 0,5 % par an entre 1999 et 2004.

Il a relevé que l'analyse par tranche d'âge faisait notamment apparaître une très importante augmentation de la population des enfants de moins de 14 ans.

Observant que cette évolution reflétait l'implantation des jeunes familles dans l'espace rural, M. Jean François-Poncet, président, a demandé si les chiffres faisaient également apparaître une tendance à l'installation en zone rurale des retraités.

M. Jean-Michel Charpin a précisé que la proportion des personnes de plus de 60 ans augmentait partout, en conséquence du vieillissement de la population, mais de manière plutôt moins marquée dans les zones rurales : il est donc tout à fait possible que l'installation de retraités soit importante dans certaines régions, mais ce phénomène ne paraît pas être général. En revanche, la migration des familles vers les zones rurales apparaît beaucoup plus nettement et s'explique sans doute par l'évolution des prix du foncier et la recherche d'une meilleure qualité de vie.

M. Alain Fouché a fait remarquer que l'implantation des familles en zone rurale était aussi perceptible à travers l'augmentation, depuis quelques années, des dépenses scolaires des communes rurales.

M. Jean-Michel Charpin a ensuite indiqué que la période récente avait également montré une accentuation de la croissance de la population des communes périurbaines, cette tendance semblant gagner les zones rurales, où la croissance démographique des pôles d'emploi est moins dynamique que celle de leur périphérie.

M. Bernard Morel a ajouté, en réponse à une demande de précision de M. Aymeri de Montesquiou, que le ralentissement de la croissance démographique des pôles d'emplois ruraux affectait également leurs couronnes proches, le rythme de croissance des communes rurales étant en revanche passé de 0,1 % pendant la période 1990/1999 à 0,9 % entre 1999 et 2004. Il a toutefois noté que cette absence de « polarisation » de l'habitat dans l'espace rural demanderait à être confirmée par les prochaines enquêtes de recensement.

Pour illustrer l'amplification des migrations « centrifuges », M. Jean-Michel Charpin a exposé que le taux annuel de migration nette des villes vers les couronnes périurbaines, qui était de 122 habitants pour 10.000 pendant la période 1990/1999, était passé à 143 habitants pour 10.000 entre 1999 et 2004. L'accroissement du taux de migrations entre la ville et l'espace à dominante rurale est aussi très sensible, de 8 à 23 habitants pour 10.000. On observe également que la distance entre le lieu d'installation et le centre-ville a tendance à augmenter.

M. Jean François-Poncet, président, a remarqué qu'il serait intéressant de savoir quelles sont les catégories de population qui s'installent le plus loin du centre-ville, cet éloignement ne posant pas les mêmes problèmes dans le cas des familles, en raison des déplacements entre domicile et lieu de travail ou de scolarisation, et dans celui des retraités.

M. Alain Fouché a demandé si l'on ne pouvait pas assister aussi à des retours des personnes les plus âgées vers les centres-villes.

MM. Jean-Michel Charpin et Bernard Morel ont indiqué que l'on ne disposait pas des éléments permettant une analyse des migrations centrifuges assez fine pour répondre à la question posée par M. Jean François-Poncet, président. En ce qui concerne les personnes de plus de 60 ans, les flux nets font apparaître une prédominance des migrations hors des zones urbaines, mais cela n'exclut pas des mouvements de retour de personnes âgées vers les centres-villes.

M. Jean François-Poncet, président, a également souhaité savoir si le phénomène de migration vers l'espace rural concernait l'ensemble du territoire.

M. Bernard Morel a répondu qu'il était nettement plus sensible dans les régions les plus « attractives », en particulier l'ouest et le sud, les communes de moins de 10.000 habitants dont la population diminue étant en revanche plus nombreuses dans les espaces urbains ou ruraux situés au nord et à l'est du territoire ou dans la grande périphérie du bassin parisien, zones où les villes de plus de 10.000 habitants peuvent également voir décliner leur population.

M. Jean François-Poncet, président, ayant émis l'hypothèse que l'attraction de la région parisienne pouvait expliquer le déclin relatif de sa périphérie et M. Claude Belot celle que le dépeuplement de certaines villes moyennes pouvait être compensé par un développement périurbain, M. Bernard Morel a répondu que l'on pouvait observer dans les régions de faible dynamisme démographique des cas de décroissance de la population touchant à la fois les villes et campagnes, en particulier dans les départements dont la population continue de décroître, rappelant que le nombre de ces derniers était actuellement de cinq, contre plus d'une dizaine dans les années 1990 :  M. Claude Biwer a souligné l'importance de ce renversement de tendance.

Des questions ont ensuite été posées sur la nouvelle méthode de recensement.

M. Alain Fouché a souhaité savoir combien de personnes étaient concernées chaque année par les enquêtes de recensement.

M. Claude Belot a demandé si les enquêtes annuelles étaient réellement plus efficaces, un certain nombre de personnes étant réticentes à l'égard du recensement. Il s'est également interrogé sur les conditions de recensement de certaines catégories de la population, comme les personnes, en particulier les jeunes, qui se déplacent très fréquemment à l'étranger, ou les immigrés en situation irrégulière, M. Alain Fouché soulevant également le cas des gens du voyage.

En réponse à ces questions, M. Jean-Michel Charpin et Bernard Morel ont notamment apporté les précisions suivantes :

- les enquêtes de recensement touchent environ 9 millions de personnes chaque année ;

- l'on a recensé, lors des enquêtes annuelles, plus de gens que l'on que l'on ne s'attendait à en trouver au vu des recensements antérieurs, ce qui tend à confirmer que cette méthode est plus efficace que celle du comptage général. Il convient en outre de souligner que le recensement est la seule enquête atteignant un taux de réponse de 98 % ;

- les enquêteurs ne demandent pas leurs papiers aux personnes recensées : il est donc probable que le recensement inclut un nombre non négligeable de personnes en situation irrégulière, mais elles ne sont pas identifiées comme telles ;

- un recensement des gens du voyage a été effectué dans les grandes villes en 2006 et il est fait dans les autres communes lors des enquêtes qui les concernent, mais il n'est pas certain que ce recensement soit très performant. On peut aussi penser que le chiffre des personnes sans abri -15.000- est sous-estimé, même s'il ne faut pas confondre les personnes sans abri et les personnes sans domicile -86.000 selon une enquête réalisée en 2001- qui peuvent être hébergées, même temporairement, chez d'autres personnes ;

- il est assez rare que des personnes passent plus de la moitié du temps à l'étranger, et toutes les personnes qui ne sont pas dans ce cas ont vocation à être recensées.

M. Jean François-Poncet, président, est ensuite revenu sur la question de la définition de l'espace rural et de la population rurale, jugeant le critère de la résidence plus pertinent que celui du lieu d'emploi. Il a également souhaité savoir si les motivations des personnes qui s'installaient en zones rurales avaient fait l'objet d'enquêtes permettant de définir les raisons de l'attraction nouvelle exercée par l'espace rural. Relevant enfin que certains départements considérés comme ruraux comportaient des villes importantes, il s'est demandé s'il ne fallait pas raisonner au niveau du canton pour apprécier le repeuplement des zones rurales.

MM. Jean-Michel Charpin et Bernard Morel ont apporté à ces questions les éléments de réponse suivants :

- il n'est pas certain que les données les plus récentes concernant les départements soient encore assez complètes pour pouvoir être affinées au niveau des cantons ;

- le critère du lieu d'emploi permet d'étudier la structuration dans l'espace du système de production, mais la définition ancienne de l'espace rural fondée sur le lieu de résidence est sans doute plus proche de la réalité démographique ;

- il n'y a pas d'étude détaillée des raisons du dynamisme démographique des zones rurales : il est cependant fort probable que l'effet foncier contribue très largement au développement actuel de l'installation des familles hors des villes.

Commentant ces réponses, M. Jean François-Poncet, président, a considéré qu'il serait intéressant d'analyser le poids relatif des différents facteurs -le cadre de vie, la pollution des villes, le désir de « changer de vie »- qui peuvent expliquer le renouveau démographique de l'espace rural et la moindre attirance pour les grandes villes, et en particulier pour la capitale.

M. Claude Belot a observé que pendant très longtemps les modes de vie avaient été très différents en ville et à la campagne, en raison en particulier de la lenteur avec laquelle avait progressé l'équipement des zones rurales, l'extension des réseaux électriques ou d'alimentation en eau potable ayant pu s'étaler sur plusieurs dizaines d'années, ce qui a sans doute contribué à retarder la valorisation de l'image du monde rural.

S'associant à cette analyse, M. Jean François-Poncet, président, a souligné qu'il était frappant de constater que le thème de la désertification des campagnes, qui avait été longtemps un leitmotiv du débat public, n'était plus aujourd'hui évoqué par personne.