Mardi 16 décembre 2008

- Présidence de M. Joël Bourdin, président -

Audition de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique

La délégation pour la planification a procédé à l'audition de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique.

M. Joël Bourdin, président, a invité le secrétaire d'Etat à présenter à la délégation celles des propositions qui pouvaient déjà être dévoilées de son rapport, en cours d'achèvement, sur la France à l'horizon 2025, les principales conclusions de son rapport au Premier ministre, du 5 novembre 2008, sur la compétitivité des clubs de football professionnel français et de son plan d'octobre 2008 de développement de l'économie numérique.

A l'aide de transparents projetés sur un écran, M. Eric Besson a tout d'abord traité de l'exercice « France 2025 », en évoquant successivement ses objectifs, les conditions de son élaboration et la façon doit il pouvait guider l'action des pouvoirs publics et des agents économiques.

Il a souligné que les pays qui s'intéressaient le plus à la stratégie étaient en même temps les plus compétitifs et a regretté que la planification « à la française » ne se soit pas suffisamment réorientée dans cette voie dès la fin des années 80.

Il a rappelé que « France 2025 » tendait à éclairer le débat et les décisions concernant l'avenir à moyen et long termes de notre pays en identifiant les moyens d'action qui permettent, compte tenu des tendances de fond, de se rapprocher des scénarios possibles les plus favorables.

Il a fait valoir que l'organisation de l'élaboration de ce document prospectif avait permis d'associer à la définition des enjeux de l'avenir de très nombreux acteurs concernés au sein d'une commission plénière comprenant 62 membres (parlementaires, syndicalistes, représentants de la société civile et de l'administration...) et de huit groupes de travail, de quinze à trente personnes chacun, ayant fait appel, au total, à 350 experts.

Ainsi devraient être proposés aux réflexions du plus grand nombre (notamment sur le site www.france2025.fr) des choix stratégiques pour la France à l'horizon de 2025.

Le secrétaire d'Etat a donné cinq exemples illustrant la manière dont les travaux de « France 2025 » pouvaient servir à guider l'action des collectivités publiques et des entreprises :

- premièrement, les tendances actuelles au vieillissement de la population et à l'augmentation de la fréquence des divorces des couples ont des conséquences sur la demande de logements qui peuvent être anticipées dès maintenant ;

- deuxièmement, les entreprises ne doivent pas attendre pour se mobiliser en vue de saisir les opportunités offertes par le développement des grands pays émergents ;

- troisièmement, la mondialisation va de pair avec une régionalisation croissante des échanges commerciaux qui doit, également, être anticipée dès à présent ;

- quatrièmement, nos entreprises doivent suivre le déplacement des frontières technologiques et se trouver à l'avant-garde du progrès dans les principaux domaines concernés (technologies de l'information et de la communication, nanotechnologies, sciences du vivant, développement durable) ;

- enfin, cinquième et dernier exemple, en ce qui concerne la santé, la maîtrise du progrès technique suppose de concilier l'amélioration des soins et la prise en compte d'un risque d'individualisation de la protection sociale (avec la détection de plus en plus précoce de risques qui affectent plus particulièrement certains individus).

Abordant ensuite les problèmes de l'évaluation des politiques publiques, M. Eric Besson a évoqué les deux grands précédents que constituaient la LOLF (loi organique relative aux lois de finances n° 2001-692 du 1er  août 2001) et la RGPP (Revue générale des politiques publiques), lancée le 10 juillet 2007, qui tend, en même temps, à rendre l'administration plus simple et plus efficace, à mieux valoriser le travail des fonctionnaires et à diminuer le niveau des dépenses publiques.

Il a appelé, en premier lieu, de ses voeux, une meilleure coordination des instruments existant au sein de la sphère administrative, signalant que 100 millions d'euros, environ, avaient été consacrés, en 2007, à près de 800 évaluations et qu'il existait plus de cinquante instances (Cour des comptes, inspection des finances, etc.) compétentes en la matière.

Il a souhaité que l'évaluation soit intégrée au processus de décision lui-même et a cité en exemple la démarche de l'ancien Premier ministre britannique, M. Tony Blair, qui avait obtenu qu'à toute loi votée soient associées des procédures de suivi et d'évaluation.

Le secrétaire d'Etat a souligné les progrès qu'allait permettre d'accomplir la MEPP (Mission d'évaluation des politiques publiques), qui a succédé au Conseil national d'évaluation, notamment sur le plan de la méthodologie (davantage de comparaisons avec l'étranger, diversification des compétences mobilisées...), de la coordination (constitution d'un réseau des acteurs de l'évaluation) et de la pédagogie (création de cahiers de l'évaluation, cycle de séminaires de sensibilisation et de formation...).

Il a rendu compte de l'activité de son secrétariat d'Etat, en précisant que ce dernier avait publié, en collaboration avec les ministères, douze rapports au cours de l'année 2008, le plus récent, sur la formation des prix alimentaires, ayant été remis le 16 décembre à M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture.

Ensuite, M. Eric Besson a évoqué le problème de la compétitivité du football professionnel français.

Il a exposé les conclusions de son rapport, publié en novembre 2008 à ce sujet selon lesquelles :

- les moyens budgétaires du football français, considérés aussi bien, globalement, au niveau de la première ligue dans son ensemble, qu'individuellement, au niveau des clubs les plus riches, sont inférieurs à ceux consacrés à ce même sport professionnel par les grandes nations européennes (Angleterre, Allemagne, Espagne et Italie) ;

- les revenus issus des droits audiovisuels sont particulièrement importants et ceux procurés par la billetterie relativement faibles en France et en Italie (les produits commerciaux étant davantage développés en Allemagne et en Espagne), ce qui représente un facteur de vulnérabilité en cas de réduction des recettes télévisuelles ;

- ainsi, l'exploitation des stades - qui est au coeur du modèle des clubs les plus riches des autres pays d'Europe - ne joue pas un rôle suffisant en France, ce qui constitue le principal handicap du football professionnel français, avant le niveau des prélèvements obligatoires pesant sur les salaires des joueurs.

Après avoir souligné que la compétitivité sportive du football français était étroitement liée à sa compétitivité économique, M. Eric Besson a rappelé les quatre séries de propositions de son rapport tendant respectivement :

- premièrement, au niveau européen, à instaurer une régulation qui corrige les excès provoqués par l'arrêt Bosman, en harmonisant les règles de la concurrence, notamment par un plafonnement des salaires en proportion du chiffre d'affaires des clubs ;

- deuxièmement, en ce qui concerne les mesures relevant des pouvoirs publics français, à mener une politique des stades qui en fasse le principal facteur d'amélioration de la compétitivité du football professionnel (amélioration de leur financement, de leur exploitation, du régime de leur propriété, expérimentation de « stades privés », prise en charge par les collectivités territoriales des dessertes et accès, le statut d'équipement d'intérêt général étant conféré aux enceintes sportives, etc.).

Pour autant, ni le caractère populaire du football ni les liens de celui-ci avec les autres sports et entre ses différents niveaux (Ligue 1, Ligue 2, amateurs) ne devraient être remis en cause.

Le secrétaire d'Etat a souligné que les clubs performants devaient être, à l'avenir, propriétaires de leur stade ou en maîtriser l'exploitation ;

- en troisième lieu, l'Etat pourrait prendre des mesures pour aider les clubs à devenir de véritables entreprises de spectacle sportif, notamment en rapprochant du droit commun les statuts des sociétés sportives afin de faciliter la recherche d'investisseurs ;

- enfin, M. Eric Besson a indiqué que l'application de la dernière série de propositions de son rapport relevait d'une concertation entre l'Etat et les acteurs du football et concernait, par exemple, la formation des joueurs, les droits télévisuels, la gouvernance du football professionnel ou encore l'arbitrage.

Le secrétaire d'Etat a terminé son exposé liminaire par une évocation des principales conclusions de son plan de développement de l'économie numérique.

Il a rappelé, tout d'abord, l'objectif du Gouvernement, inscrit dans la loi de modernisation de l'économie, d'offrir à tous les Français en 2012 l'accès à internet haut débit (soit plus de 512 kilobits par seconde), tandis que l'arrivée progressive du très haut débit suppose d'accélérer le déploiement de réseaux de fibre optique.

Il a également confirmé le passage de la France au tout numérique audiovisuel avant le 30 novembre 2011, prévu par la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur. Il a souligné que plusieurs centaines de millions d'euros allaient être dépensés pour faciliter la transition des foyers les plus modestes vers la télévision numérique (aides financières à l'achat et à l'installation d'équipements de réception pour la télévision numérique terrestre et accompagnement renforcé par des « ambassadeurs » de certains publics sensibles comme les personnes âgées ou handicapées).

Le Secrétaire d'État a alors donné à la délégation des précisions au sujet des fréquences libérées par l'extinction de la télévision analogique et qui doivent être affectées à l'internet haut débit sans fil, à la télévision à haute définition, à la télévision mobile personnelle et à la radio numérique (en ce qui concerne la bande III actuellement utilisée par Canal +).

Il a fait valoir qu'en donnant à tous les foyers français les moyens d'accéder aux nouveaux réseaux de communication et de télévision, le Gouvernement faisait de la lutte contre la fracture numérique une priorité. Concernant les moyens d'accroître l'accès des Français aux équipements et services numériques, il a évoqué la filière « Ordi 2.0 », qui favorise le don aux salariés par les employeurs d'ordinateurs usagés et qui structure une filière de reconditionnement et de redistribution à des associations sociales, ainsi que les mesures envisagées pour favoriser l'usage du numérique par les seniors. Il a ensuite indiqué que la dernière partie du plan d'action était consacrée à la nécessaire rénovation de la gouvernance et de l'écosystème de l'économie numérique.

Enfin, M. Eric Besson a estimé que la France et l'Europe devaient réaffirmer leur présence et conforter leur rôle dans les instances mondiales chargées de la gouvernance de l'internet, à l'occasion du passage au système de nouvelle génération (web 3.0).

A l'issue de l'exposé du secrétaire d'Etat, M. Joël Bourdin, président, après avoir remercié celui-ci pour la qualité et l'intérêt de sa présentation, l'a interrogé au sujet :

- des initiatives prises pour relancer l'évaluation pluraliste et participative des politiques publiques ;

- du développement, grâce au numérique, du télétravail, notamment en milieu rural ;

- de la baisse de la part de la valeur ajoutée consacrée par les entreprises à la rémunération du travail ;

- enfin, des perspectives de progrès de productivité à l'horizon 2025.

M. Eric Besson, en réponse, a estimé que de nouvelles initiatives, en matière d'évaluation, étaient possibles et souhaitables, ce qui devait se traduire par une accentuation des efforts et une augmentation des moyens correspondants. Il a noté que la culture de l'évaluation gagnait progressivement toutes les institutions, mais a observé qu'il importait tout d'abord de mieux valoriser le travail déjà accompli dans ce domaine, les conclusions de nombreux rapports demeurant inappliquées, voire ignorées.

Il s'est félicité, à cet égard, de la brièveté du délai (trois mois) qui avait séparé la commande de la publication du rapport sur la mise en oeuvre de la « journée de solidarité » dans les entreprises et les administrations publiques.

Il a suggéré que l'obligation de procéder ex post à des évaluations soit inscrite dans les projets de loi eux-mêmes.

Concernant le télétravail, le secrétaire d'Etat a précisé que la question était abordée par le plan de développement de l'économie numérique qui lui consacre plusieurs recommandations. Il a estimé que les nouvelles technologies vont favoriser le recours, encore limité, à ce mode d'activité grâce à l'augmentation des débits, qui permet d'accroître la quantité et la qualité des échanges avec les donneurs d'ordre, et à des possibilités nouvelles de télésurveillance des travailleurs concernés.

S'agissant de l'évolution du partage de la valeur ajoutée, il a observé que la part des salaires avait diminué en faveur non pas tant de celle des profits, mais de la rémunération des actionnaires, au détriment de l'investissement.

Il a noté qu'il s'agissait d'une question controversée sur laquelle les Etats, dans une économie de marché, avaient peu d'influence.

Enfin, il a estimé que bien que l'existence même du progrès technique puisse être parfois remise en cause, il s'agissait d'un facteur qui continuerait, à l'avenir, à jouer un rôle-clé pour la compétitivité de l'économie, à condition qu'il s'accompagne d'une meilleure utilisation des ressources humaines.

Il a noté qu'un usage mieux maîtrisé des techniques, grâce à l'intelligence humaine, permettrait de résoudre plus efficacement l'ensemble des problèmes qui se posent à la société, y compris ceux que le progrès technique a lui-même provoqués, comme la pollution.

M. Yvon Collin a alors demandé au secrétaire d'Etat comment il voyait, d'un point de vue prospectif, l'avenir de la liberté, de l'égalité et de la fraternité qui sont les valeurs fondamentales de notre République.

Puis il l'a interrogé sur son rapport concernant la compétitivité du football professionnel français, rappelant qu'il avait lui-même rédigé, au nom de la délégation, en 2004, un rapport d'information sur les problèmes liés au développement économique du football professionnel.

Ses questions ont porté sur :

- la dimension culturelle du football dans nos sociétés ;

- les conséquences d'une certaine dérégulation européenne (distorsion de concurrence, difficultés des petits clubs, irrégularités financières, exploitations de très jeunes joueurs...) ;

- les incidences du droit à l'image collective ;

- la viabilité de l'acquisition et de la gestion de stades par les clubs, sans aides publiques ;

- le bilan de l'entrée en bourse de certains clubs.

M. Yvon Collin a déclaré approuver certaines recommandations du rapport de M. Eric Besson, comme la création d'une instance européenne de régulation et le plafonnement de la masse salariale, mais être en désaccord avec ce dernier sur d'autres points (droits à l'image collective, atténuation du principe de solidarité dans la gestion des recettes de la ligue de football professionnel au motif que les grands clubs représentent des locomotives pour les autres...).

En réponse, le secrétaire d'Etat a tout d'abord reconnu que certaines évolutions pouvaient sembler susceptibles de menacer la liberté, l'égalité et la fraternité telles que la montée des communautarismes qui accompagne la progression de la mondialisation, les contradictions entre les exigences de baisse des impôts et d'amélioration de la protection sociale que même les pays scandinaves avaient eu du mal à concilier. Il a estimé que la tendance à un renforcement du rôle de l'Etat, garant et protecteur ultime des personnes et de leurs droits, était déjà à l'oeuvre avant la crise. Il a fait valoir, à propos du financement de la protection sociale, que les salaires ne constituaient sans doute pas une assiette viable à long terme et que le progrès technique pourrait conduire à ce que la solidarité ou la liberté se trouvent menacées, s'agissant par exemple de l'individualisation de la couverture de certains risques de santé, précocement détectés, ou du harcèlement publicitaire des personnes, comme suite au repérage de leurs habitudes de consommation.

Concernant l'évolution du football professionnel, il a insisté à nouveau sur les relations entre compétitivité économique et résultats sportifs, estimant qu'il n'était pas indifférent, au regard des nombreux enjeux en cause, dont celui de la cohésion sociale de notre pays, de donner des chances à un club français de remporter une compétition européenne. Il a fait valoir que si des liens devaient être maintenus entre football amateur et professionnel, il existait entre eux des différences importantes tenant au fait que les clubs professionnels étaient devenus de véritables entreprises de spectacle exerçant leurs activités sur un marché qui devait être régulé. Il a rappelé les nécessités du renforcement de la sécurité dans les stades, de la lutte contre la violence et le racisme et l'amélioration de l'arbitrage des matchs.

Il a estimé que sans le DIC (droit à l'image collective qui justifie l'octroi aux joueurs professionnels de rémunérations spécifiques), les meilleurs talents français partiraient à l'étranger.

Il a reconnu que son rapport était plutôt axé sur la problématique des clubs des grandes villes qui tirent le football français. Il a observé, en outre, qu'il était intéressant d'expérimenter un appel à l'investissement privé, comme en Allemagne, en Italie et en Espagne, pour le financement de stades modernes qui nécessitent de vrais projets immobiliers, car ce sont de véritables lieux de vie, ainsi que des mises de fonds très importantes que les municipalités ne peuvent pas forcément assumer, si tant est que cela corresponde à leur vocation.

Enfin, il a admis que les bourses n'avaient pas constitué pour les clubs qui s'y étaient introduits la source de fonds propres que l'on espérait.

M. Jean-François Mayet a alors vanté les vertus écologiques du télétravail qui permet d'éviter les déplacements entre le domicile et les lieux d'activité professionnelle et s'est interrogé sur la pertinence de la taxation des propriétaires d'ordinateurs, en contrepartie de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, car, dans la plupart des cas, ils payent déjà la redevance.

Puis M. Bernard Angels, après avoir fait allusion à l'impact éventuel sur la croissance de la victoire de la France à la Coupe du monde de football de 1998, a interrogé le secrétaire d'Etat sur les rôles respectifs des marchés et de l'Etat dans le fonctionnement actuel de l'économie.

En réponse, M. Eric Besson a observé que le développement de la mondialisation n'empêchait pas les Etats de continuer de jouer un rôle important de régulateur et de garant des intérêts et des droits des personnes. Il a rappelé que le FMI et la Banque mondiale avaient récemment remis en cause certains aspects des politiques d'ajustement structurel préconisées en 1998. Il a estimé que les débats sur des questions telles que la délimitation du périmètre des interventions de l'Etat ou les partenariats public-privé étaient toujours d'actualité. Concernant la mondialisation, il a indiqué qu'elle lui semblait, à titre personnel, avoir été, au total, créatrice de richesses, y compris pour les pays les moins développés, mais que l'analyse de ses effets était devenue de plus en plus complexe, notamment sur le point de savoir s'il en était résulté un accroissement des inégalités, car les avantages comparatifs de différents pays avaient été modifiés et ne correspondaient plus aux schémas des théories traditionnelles.

Désignation de rapporteurs

La délégation a ensuite procédé à la désignation de rapporteurs.

Elle a chargé MM. Joël Bourdin et Yvon Collin de rédiger un deuxième rapport, qui fait suite à celui publié en décembre 2007, sur la coordination des politiques économiques en Europe.

Elle a demandé à M. Bernard Angels de lui présenter un rapport sur la relation macroéconomique entre la consommation des ménages et les importations.