Mercredi 4 mars 2009

- Présidence de M. Claude Belot, président -

Audition de MM. Charles Buttner, président du conseil général du Haut-Rhin, et Guy-Dominique Kennel, président du conseil général du Bas-Rhin

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de MM. Charles Buttner, président du conseil général du Haut-Rhin, et Guy-Dominique Kennel, président du conseil général du Bas-Rhin.

Soulignant que l'Alsace était un territoire ayant une cohérence à la fois économique, géographique, historique et sociale, M. Charles Buttner, président du conseil général du Haut-Rhin, a indiqué qu'une réflexion s'était engagée au sein de cet ensemble alsacien sur la possibilité de renforcer les coopérations entre les conseils généraux composant la région et sur les modalités de mise en oeuvre d'une nouvelle entité chargée de la gestion régionale. Il a précisé que cette réflexion devait tenir compte des aspirations des habitants, dont certains, attachés aux identités communales et départementales reconnues et pérennes, ne sont pas favorables à une fusion des deux départements composant la région, qui aurait pour effet de diluer dans un ensemble plus vaste ou de faire disparaître l'identité haut-rhinoise.

M. Charles Buttner s'est donc prononcé en faveur de la création d'un binôme département - région interdépartementale dont les élus seraient désignés au scrutin uninominal afin de maintenir leur ancrage territorial. Cette structure permettrait une organisation plus souple et plus respectueuse des identités que la simple intégration des départements par la région. Les conseils généraux disposeraient de la faculté de continuer à gérer des affaires départementales, tout en ayant transféré une partie de leurs compétences à la nouvelle structure.

Par ailleurs, d'un point de vue plus général, il a estimé que la réflexion sur l'organisation territoriale de la République et une éventuelle redéfinition du périmètre des régions devraient tenir compte de la situation spécifique des régions transfrontalières et des actions entreprises dans le cadre de l'Union européenne pour promouvoir des régions métropolitaines européennes capables de supporter la compétition internationale. Ainsi, l'Alsace, mais c'est sans doute aussi vrai d'une partie de la Franche-Comté, a vocation à appartenir au territoire métropolitain du Rhin supérieur : cette zone, répartie sur trois pays (la France, l'Allemagne et la Suisse), regroupe près de six millions d'habitants et doit faire face à des problèmes communs pour développer les infrastructures, comme les lignes ferroviaires à grande vitesse, indispensables à son développement. Cette configuration métropolitaine soulève la question de la gouvernance des territoires transfrontaliers à dimension européenne.

M. Guy-Dominique Kennel, président du conseil général du Bas-Rhin, a précisé que si les conseils généraux alsaciens collaboraient ensemble depuis plusieurs années et procédaient à des échanges de bonnes pratiques, ce mouvement s'était accéléré après les déclarations du Président de la République sur la nécessaire simplification de l'organisation territoriale.

Cette collaboration interdépartementale est organisée dans le cadre d'un congrès réunissant l'ensemble des conseillers généraux des deux départements. Cette assemblée s'est prononcée en faveur de quarante actions communes, notamment dans les domaines de la gouvernance économique et du développement durable. Cet exercice est toutefois limité par le fait que les décisions exécutives ne sont pas adoptées dans le cadre du congrès mais au sein de chaque conseil général.

L'évolution de l'organisation administrative pourrait aboutir à la création d'un conseil d'Alsace unique, renouvelé intégralement tous les six ans. Dans cette perspective, deux modes d'élection pourraient être retenus : un premier collège d'élus serait soumis au scrutin uninominal afin d'assurer la représentativité des territoires - cette solution supposant un redécoupage des cantons actuels pour réduire les inégalités démographiques et tenir compte de l'évolution des bassins de vie - tandis qu'un second collège serait élu au scrutin de liste, avec application de la règle proportionnelle, afin de favoriser la représentation de tous les courants politiques et la parité hommes-femmes. Ce collège désignerait 40 % des élus au conseil d'Alsace unique, dans des circonscriptions qui restent à définir.

M. Guy-Dominique Kennel a observé que la position géographique de l'Alsace comme la nécessité de pouvoir structurer des territoires métropolitains situés dans plusieurs pays européens justifieraient que le conseil d'Alsace soit doté des compétences nécessaires pour conclure des accords bilatéraux avec les collectivités territoriales voisines. Il a estimé que cette nouvelle collectivité devrait également disposer de la clause générale de compétence pour régler les questions relatives à l'aménagement du territoire.

Puis, abordant la question de la création d'une métropole strasbourgeoise, il a souligné la nécessité de clarifier tant la question de la répartition des compétences entre cette collectivité et le département, par exemple pour la gestion des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), que celle du partage des ressources financières.

Un débat s'est ensuite engagé au sein de la mission.

M. Claude Belot, président, a souhaité savoir si, pour rapprocher les deux départements alsaciens et coordonner leur action, l'option d'un syndicat mixte interdépartemental avait été envisagée.

M. Charles Buttner a déclaré que, très rapidement, c'était la solution du Congrès, telle qu'elle a été présentée, qui s'était imposée. M. Guy-Dominique Kennel a fait valoir que, même si la formule des syndicats mixtes avait été à plusieurs reprises utilisée entre les deux départements, elle présentait l'inconvénient majeur de n'offrir qu'une réponse parcellaire, au cas par cas, à une problématique globale.

Saluant les initiatives engagées par les départements alsaciens, M. Yves Krattinger, rapporteur, a demandé certaines précisions sur la substitution du Conseil d'Alsace aux trois assemblées actuelles ou leur maintien sous une forme ou sous une autre, sur les relations financières entre les différents niveaux qu'une telle architecture serait susceptible d'engager, ainsi que sur le nombre total d'élus qui composeraient la nouvelle assemblée. Distinguant bien la notion de transfert de compétence de celle de délégation, il s'est interrogé sur les relations qui pourraient se nouer entre l'agglomération strasbourgeoise, si elle était érigée en métropole, et le nouveau Conseil d'Alsace.

M. Charles Buttner a souligné qu'il n'avait pas souhaité parler des aspects techniques du sujet, ayant avant tout tenu à décrire la démarche pour l'Alsace dans laquelle s'était engagé le Haut-Rhin. Il a rappelé que cette démarche ancienne, initialement conçue dans une perspective expérimentale, se trouvait aujourd'hui brouillée par la réforme annoncée dont les élus alsaciens craignaient, bien qu'ils en partageassent les objectifs de simplification et de clarification, qu'elle ne leur imposât des solutions inadaptées aux réalités locales faute d'avoir été conçue pas à pas, en accord avec les territoires. Sur la question de la métropole alsacienne, il a remarqué que le Haut-Rhin était plus dans l'orbite de Bâle que de Strasbourg et s'est interrogé sur les articulations possibles entre la métropole, le département et la région.

En réponse aux questions posées par M. Yves Krattinger, rapporteur, M. Guy-Dominique Kennel a estimé que, à terme, ne devait subsister qu'une seule assemblée, le Conseil d'Alsace, dont le nombre de membres devrait être fixé en fonction du nombre et du type de circonscriptions qui seraient retenus. Cette assemblée devrait impérativement être dotée de la clause générale de compétence. Il a estimé que la constitution de Strasbourg en métropole autonome irait à l'encontre de l'évolution souhaitée, alors même que, dès à présent, une coordination entre la ville et le département était organisée, qui procédait par délégations de compétence et pourrait, le cas échéant, aboutir à un véritable transfert de compétence. Enfin, approuvé en cela par M. Charles Buttner, il a rappelé que, avant de s'engager dans la réforme de l'assemblée unique, il convenait de consulter les citoyens d'Alsace sur cette question.

M. Philippe Richert a considéré que, en Alsace, l'idée que les collectivités territoriales travaillent ensemble, dans le respect de l'identité des territoires départementaux, recevait un soutien unanime. Le principe serait alors qu'il n'existe qu'une seule assemblée mais que celle-ci puisse, en tant que de besoin, se réunir en formation départementale restreinte. S'agissant de la transformation de l'agglomération strasbourgeoise en métropole, il a souligné tout l'avantage qu'il y avait à ne procéder, entre le département et la commune, que par délégation et non par transfert complet de compétence : cela garantit en effet que les principes généraux d'organisation de la compétence déléguée restent les mêmes sur la totalité du territoire, tout en évitant de maintenir, dans la zone urbaine, un système de double guichet. Pour cette raison, il s'est prononcé pour le développement de cette technique au niveau régional.

S'attachant aux modes de scrutin envisagés, Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, s'est déclarée très favorable au scrutin mixte, qui associe le scrutin uninominal et le scrutin de liste et permet ainsi de représenter à la fois les territoires et les grands courants de pensée. Elle a cependant estimé nécessaire que le scrutin proportionnel de liste soit organisé à l'échelle de la région, faute de quoi il perdrait tout son intérêt.

Interrogé sur la raison pour laquelle était conservée la possibilité pour les conseillers, au sein de l'assemblée unique, de se réunir par département, M. Guy-Dominique Kennel a jugé cette faculté nécessaire dans un premier temps, l'évolution naturelle devant progressivement permettre de l'abandonner.

Comparant la situation alsacienne avec celle des deux départements de la Savoie, M. Jean-Pierre Vial a considéré que la question de la taille du nouvel ensemble et celle de son intégration à une région de dimension européenne étaient déterminantes. Il a par ailleurs jugé nécessaire de préciser, au-delà du seul schéma général, la répartition des compétences qui était envisagée.

M. Dominique Braye s'est interrogé sur la fusion des deux départements alsaciens qui n'offre pas à la région une taille critique et sur le risque que cela crée une situation propre à l'Alsace qui la coupe du cadre d'administration en vigueur sur le reste du territoire.

Tout en saluant la créativité institutionnelle dont faisaient preuve les élus alsaciens, M. Pierre-Yves Collombat, vice-président, a souhaité connaître la manière dont, dans ce schéma, ils entendaient protéger les identités départementales.

En réponse, M. Charles Buttner a rappelé qu'il était totalement opposé à toute fusion ou toute disparition autoritaire d'un niveau de collectivité : l'énergie et l'initiative locales se trouvant dans les territoires, il a estimé qu'il convenait de les préserver, et, pour cette raison, a marqué son hostilité à toute velléité de recentralisation.

Saluant le lien historique qui unit l'Alsace et la Moselle, M. Philippe Leroy a indiqué que le débat qui se tient actuellement en Alsace était attentivement suivi en Moselle.

Audition de M. Adrien Zeller, président du conseil régional d'Alsace

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Adrien Zeller, président du conseil régional d'Alsace.

Après avoir exposé les caractéristiques du débat territorial en Alsace, à savoir une attente très forte, la dimension régionale de nombreux problèmes, un sud plus départementaliste que le nord, lequel est davantage prêt à évoluer institutionnellement, M. Adrien Zeller a observé que la stratégie régionale ne pourrait pas résulter d'une représentation trop cantonale. Il a manifesté son accord avec le terme fixé à 2014 par le rapport du comité Balladur pour l'évolution des structures territoriales, estimant qu'il permettrait la maturation de la réflexion en cours en Alsace.

Puis, se référant au référendum organisé, en 2003, en Corse sur la création d'une collectivité unique et la suppression des deux conseils généraux, M. Adrien Zeller a souligné l'analogie avec la situation alsacienne, la Corse du Sud s'était prononcée favorablement alors que la Haute-Corse, craignant un affaiblissement de sa position, avait voté contre. Il a considéré que la manière dont le problème était posé au niveau national était insuffisamment éclairée par les données européennes. A cet égard, il a cité l'Autriche, dont sept des neuf régions, bien que moins peuplées que l'Alsace, sont plus riches qu'elle car elles sont les acteurs majeurs du développement économique.

Estimant qu'il n'y avait pas d'échappatoire à la décentralisation et considérant même essentiel de l'accroître (innovation, services déconcentrés de l'Etat...), M. Adrien Zeller a souligné un problème d'articulation fondamental entre les administrations étatiques et les régions, citant en exemple la formation professionnelle. En outre, il a dénoncé l'existence de doublons entre l'Etat et les régions, plus nombreux que les doublons entre les régions et les départements.

Il a enfin relevé que, aujourd'hui, les territoires gagnants sont ceux dans lesquels existent des synergies fortes entre l'université, les collectivités territoriales, le système financier et les entreprises. Appelant à la maîtrise de la formation par les régions limitrophes des grandes écoles dépendant de l'Etat, il a regretté l'absence de mention dans le rapport du comité Balladur des mots « université » et « développement durable », y décelant une vision rétrograde de la vie des territoires.

A l'issue de cet exposé, M. Claude Belot, président, a jugé utile de resituer le rôle des régions avant d'aborder les questions institutionnelles. Il a ainsi interrogé le président Zeller sur le nombre de pôles de compétitivité créés en Alsace.

En réponse, M. Adrien Zeller a mentionné trois pôles, caractérisés par leur caractère interrégional : un volet véhicule du futur ; un pôle biotechnologies transfrontalier avec l'Allemagne et la Suisse ; un pôle relatif à l'eau en liaison avec l'Allemagne. De plus, il a évoqué des projets dans l'agroalimentaire et la plasturgie, organisés à un niveau inférieur à celui des pôles de compétitivité et en coopération avec les universités. Puis, après avoir relevé le silence du rapport du comité Balladur sur la stratégie d'innovation que les régions sont, en général, bien placées pour activer, il a considéré que la suppression de la clause générale de compétence de la région entraînerait des difficultés à innover, illustrant son propos par l'exemple des énergies renouvelables lancées par la région Alsace. Il a par ailleurs mis en garde sur les risques de paralysie entraînés par un excès de contrôle.

Admettant cependant que l'organisation territoriale devait évoluer et relevant des éléments positifs dans le rapport du comité Balladur, M. Adrien Zeller a estimé que la compétence sociale devrait être attribuée aux intercommunalités, remarquant que les problèmes sociaux ne peuvent pas être traités dans les petites communes.

M. Yves Krattinger, rapporteur, a souhaité connaître l'avis de l'intervenant sur la notion de région métropolitaine européenne, l'Alsace s'inscrivant dans celle du Rhin supérieur. Dans la perspective de la création de grandes métropoles, il l'a interrogé sur l'articulation entre les compétences qui leur seraient confiées et certaines des prérogatives des régions. Enfin, il a demandé, comme Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, ce que pourrait être l'organisation optimale entre les échelons départemental et régional en Alsace.

M. Philippe Richert a indiqué partager très largement les propos tenus par M. Adrien Zeller. Soulignant que le débat sur les évolutions institutionnelles ne saurait occulter la nécessité d'approfondir la décentralisation, il a toutefois estimé que l'Alsace se devait de relever le défi : il s'agit de renforcer l'échelon régional tout en maintenant les identités départementales.

M. Pierre-Yves Collombat, premier vice-président, a fait observer que le cas de l'Alsace était très spécifique et s'est donc demandé s'il était transposable sur l'ensemble du territoire. Puis il a souhaité connaître l'avis de l'intervenant sur les évolutions de la place de l'intercommunalité.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur, a estimé que le débat autour de la clause générale de compétence était peut être un faux problème, celle-ci n'excluant pas que soient précisées des compétences exclusives, et jugé nécessaire de laisser une capacité d'innovation aux collectivités territoriales. Dans le même sens, M. Yves Krattinger, rapporteur, a insisté sur le caractère essentiel de la dynamique territoriale.

Convenant que le fait de confier la clause générale de compétence à l'un des échelons ne devait pas être « stérilisant » pour les autres niveaux de collectivités, M. Dominique Braye a suggéré la définition d'un intérêt régional, sur le modèle de l'intérêt communautaire servant à la répartition des compétences entre les communes et leurs groupements.

En réponse, M. Adrien Zeller a apporté les précisions suivantes :

- les relations transfrontalières existent et s'organisent, par exemple dans le cadre de groupements locaux de coopération transfrontalières ; néanmoins, il ne faut pas en faire une question institutionnelle ; en réponse à M. Claude Belot, président, il a précisé que la polarisation au sein de l'ensemble transfrontalier auquel appartient l'Alsace se faisait autour de Strasbourg plutôt que de Bâle, qui compte deux fois moins d'habitants ;

- rapprocher métropole et département va dans le bon sens, la plupart des grandes agglomérations européennes ayant des compétences en matière sociale ; mais il faudra se donner du temps pour réussir une telle réforme ;

- les interventions de la région en faveur des pôles de recherche ou de compétitivité se concentrent au niveau de la métropole strasbourgeoise ; cependant, attentive à préserver un équilibre territorial, la région a maintenu un zonage pour sa politique en matière de développement économique ;

- l'échéance de 2014, proposée par le « Comité Balladur » dans son rapport, semble être un horizon réaliste pour une réforme institutionnelle ; en Alsace, il existe aujourd'hui une forme d'incertitude sur l'attitude du Haut-Rhin, qui exprime un attachement plus fort à l'identité départementale ; il convient donc de rassurer les uns et les autres et, à cet égard, un scrutin mixte devrait, le cas échéant, être privilégié ;

- le débat sur la taille des régions ne doit pas occulter les synergies qu'il est nécessaire de développer au niveau d'un territoire, cette capacité à travailler ensemble étant l'une des principales conditions de la puissance économique des régions en Europe ; les régions françaises pourraient avoir, par exemple, la responsabilité d'établir la carte des licences professionnelles ;

- l'intercommunalité existe dans d'autres pays européens ; cependant, ce mouvement a davantage consisté à unifier les administrations plutôt qu'à s'organiser en intercommunalités de projet comme l'a fait la France ;

- l'Alsace a des spécificités mais ne souhaite pas, pour autant, agir de façon isolée ; cependant, elle veut être « pilote », comme elle l'a été sur d'autres sujets, l'avantage de la décentralisation étant de permettre des échanges d'expériences ou d'initiatives entre les collectivités ;

- la clause générale de compétence a permis au conseil régional de présider le « canceropôle » alors qu'il n'a pas de compétence en matière de santé, et il existe de nombreux autres exemples d'interventions en dehors de toute base légale explicite ;

- il reste que la loi devrait aider à préciser ce qui a vocation à relever de l'échelon départemental ou régional.