Mercredi 2 juin 2010

- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, président -

Table ronde

La mission a tenu une table ronde consacrée aux établissements dispensant des enseignements de management.

Elle a entendu M. Norbert Alter, professeur et codirecteur du master « Management, travail et développement social » à l'université de Paris Dauphine, Mmes Françoise Camet, directrice de la formation à l'Ecole nationale d'administration (Ena), et Marie-Christine Huvet, directrice générale adjointe en charge de l'administration générale et du dialogue social de l'institut national des études territoriales (Inet), MM. Charles-Henri Besseyre-des-Horts, responsable du département « Management et ressources humaines » à HEC, et Alan Jenkins, directeur académique de l'executive MBA de l'Essec.

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a rappelé que l'enseignement du management dans les établissements d'enseignement supérieur et les méthodes de management elles-mêmes ont été mises en cause à plusieurs reprises durant les auditions auxquelles a procédé la mission. Les jeunes cadres ne seraient pas suffisamment formés à la gestion d'équipe et certaines méthodes managériales auraient des conséquences négatives pour les salariés et seraient facteur de mal-être. Il a souhaité savoir si ces critiques sont connues dans les écoles de management et si l'émergence récente, dans le débat public, du thème de la souffrance au travail les a conduits à réfléchir à une évolution de leurs enseignements.

Mme Françoise Camet, Ena, a expliqué que l'école nationale d'administration, qui a toujours mis en avant les valeurs qui sont propres à la fonction publique, en termes d'éthique ou de déontologie, a progressivement aménagé son cycle de formation pour accorder plus de place au management. Depuis 2006, un module, s'étalant sur sept mois, soit un tiers de la scolarité, y est spécifiquement consacré. Il comporte des mises en situation, une formation à la gestion de crise, à la gestion d'équipe et au dialogue social. Les formations tiennent compte des accords de Bercy sur la rénovation du dialogue social et des travaux de William Dab sur la santé au travail.

L'école a pris en compte les méthodes de gestion et de management en vigueur dans le monde de l'entreprise, mais en les adaptant à la fonction publique, qui est porteuse de valeurs et régie par un statut. L'Ena travaille avec un groupe de réflexion indépendant, présidé par Yves Cannac, consacré à la réforme de l'Etat. Dans ce cadre, elle a mis en avant la notion de « management par la confiance » : confiance dans la relation avec les équipes, avec la hiérarchie, avec les donneurs d'ordres, c'est-à-dire les cabinets ministériels.

Depuis un an environ, dans la perspective de la suppression du classement de sortie, qui permettra aux employeurs de choisir leurs collaborateurs parmi les élèves, une commission de professionnalisation, composée à parité de personnes issues du privé et du public, travaille sur de nouvelles méthodes d'évaluation de la scolarité.

M. Charles-Henri Besseyre-des-Horts, responsable du département « Management et ressources humaines » à HEC, a estimé que les systèmes de management très individualisés posent effectivement des problèmes. S'il existe un consensus sur ce point chez les professeurs de ressources humaines, il n'est pas sûr, cependant, que les enseignants en finances en aient également conscience... Depuis cinq ans, la démographie du corps enseignant a beaucoup changé : la majorité des professeurs sont maintenant étrangers, la plupart anglophones.

Au sein du groupe HEC, le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises ont été progressivement mis en avant, notamment à la suite des incidents survenus dans certaines entreprises, par exemple chez Renault. Cette nouvelle sensibilité est présente dans l'ensemble des formations. La directrice du MBA d'HEC a par exemple décidé de donner la priorité au management humain, au leadership, à la responsabilité sociale. L'essentiel de l'activité des étudiants, qui à 87 % viennent de l'étranger, se déroule au sein de groupes de travail collectif.

Il a ensuite expliqué faire partie d'un jury chargé de remettre un trophée à une entreprise du Cac 40, récompensée pour la qualité de sa politique sociale. Seules dix-sept entreprises du Cac ont accepté, cette année, de participer à cette compétition.

M. Alain Gournac a souligné l'importance d'apprendre les règles de management qui correspondent à la culture de la France ou de l'Europe. Autant il est nécessaire d'étudier l'ensemble des systèmes pour en tirer des expériences, autant il est nuisible de vouloir calquer un modèle qui soit extérieur aux valeurs de la société.

M. Charles-Henri Besseyre-des-Horts, HEC, a rappelé que le groupe HEC se positionne dans une compétition mondiale. On reproche souvent aux anciens élèves d'être arrogants, mais il faut observer que les deux tiers des étudiants de première et de deuxième années participent à des actions humanitaires ou caritatives, dans un cadre associatif. La population étudiante est donc sensible aux messages relatifs à la dimension humaine du management d'équipes. Parmi les étudiants du MBA, on compte, dans la dernière promotion, 25 % d'Indiens : ils viennent en France pour étudier un modèle différent du modèle anglo-saxon.

Mme Annie David s'est déclarée choquée par le terme « d'incidents » utilisé pour évoquer les drames survenus chez Renault. Cet exemple permet au fond de comprendre pourquoi on peut parfois constater un manque de responsabilité de la part de managers formés dans ce type d'école.

M. Ronan Kerdraon a également regretté l'emploi de ce terme, qui révèle un décalage avec les réalités vécues par les salariés. Les mots ont un sens et il est important de redonner une dimension humaine à l'ensemble de ces systèmes de gestion.

M. Charles-Henri Besseyre-des-Horts, HEC, a noté que l'une des conséquences de la crise économique actuelle est la volonté de redonner plus de place au collectif, au détriment de l'évaluation individuelle de la performance. Chez Renault, un contrat a ainsi été conclu pour maintenir le salaire des ouvriers placés en chômage technique grâce à un effort financier consenti par le personnel plus qualifié. Enfin, les technologies nomades ont un impact important sur les conditions de travail : elles peuvent libérer ou asservir, selon l'usage social qui en est fait.

M. Jacky Le Menn a souhaité savoir si les entreprises sont demandeuses d'enseignements relatifs à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) dans le cadre de la formation continue.

M. Charles-Henri Besseyre-des-Horts, HEC, a répondu que tous les programmes de formation permanente d'HEC, notamment ses huit executive MBA, intègrent des enseignements sur la RSE. Il existe par ailleurs au sein du groupe une filière dénommée « Altermanagement », qui procède à un examen critique des principaux modèles de management.

Interrogé par M. Jean-Pierre Godefroy, président, M. Charles-Henri Besseyre-des-Horts a précisé que le contenu des modules d'enseignement est défini de manière autonome par HEC.

En réponse à une question de M. Jean-Pierre Godefroy, président, sur le nombre de professeurs étrangers à HEC, M. Charles-Henri Besseyre-des-Horts a rappelé le choix stratégique de l'école de se placer parmi les meilleurs groupes de formation au monde ; pour cela, il est nécessaire de recourir à des professeurs étrangers qui participent aux travaux de recherche et publient dans les revues anglo-saxonnes.

Mme Marie-Christine Huvet, directrice générale adjointe en charge de l'administration générale et du dialogue social de l'institut national des études territoriales (Inet), a tout d'abord précisé que la thématique du mal-être au travail est apparue dans les formations dispensées par l'Inet au milieu des années 2000. Les collectivités ont connu de grands bouleversements, du fait de la décentralisation et des transferts de compétences, ce qui pèse sur le ressenti des agents.

L'ensemble de la chaîne de management est interpellée par la question des conditions de travail, de nombreux cadres intermédiaires étant en effet directement concernés par ce mal-être. Si le management peut être parfois maladroit, la pression de la population, la détresse de certains publics, par exemple dans les services d'aide au logement, sont des sources de mal-être plus importantes pour les agents.

L'Inet se caractérise par des promotions réduites, l'absence d'enseignants professionnels et l'importance des stages en collectivité, si bien qu'un enseignement consacré à la santé au travail a naturellement été intégré aux différentes formations.

Dans le secteur public, la préoccupation principale est de répondre aux demandes des élus et de la population, et non la recherche de la performance. Les échanges d'expériences sont facilités par l'absence de concurrence entre collectivités.

S'appuyant sur son expérience d'élu local, M. Alain Gournac a relevé que la prise en compte d'indicateurs de performance a été intégrée dans la gestion de nombreuses collectivités. Par ailleurs, la coexistence de deux chaînes hiérarchiques, administrative et politique, est-elle source de difficultés pour les fonctionnaires territoriaux ?

Mme Marie-Christine Huvet, Inet, a précisé que cette dualité conduit souvent les agents à se poser des questions sur la manière dont sont prises les décisions. Cependant, la présence des élus ouvre une voie de recours aux décisions administratives et peut donc être vécue positivement.

M. Jacky Le Menn a noté que la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui conduit à faire plus avec moins, est un nouveau défi pour la gestion publique. Comment se traduit-elle en termes de management ?

M. Ronan Kerdraon a estimé que la notion même de service public est au coeur de ces problématiques et que les fonctionnaires territoriaux sont à un carrefour entre l'administration, les élus et la population. Il a indiqué avoir constaté un nombre élevé d'arrêts maladie dans sa commune, ce qui a un coût pour la collectivité. Comment mieux évaluer les conséquences de la décision politique qui reste difficile à réaliser ?

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a ensuite posé la question de la mobilité des agents, car il est très difficile de réaliser toute sa carrière dans un même service, surtout s'il est particulièrement exposé au public (aide au logement, action sociale...).

Mme Marie-Christine Huvet, Inet, a répondu que les formations de l'Inet prennent en compte les questions de reconversion et d'accompagnement des parcours professionnels. Elle a insisté sur l'importance de la prévention et de l'anticipation, pour éviter les problèmes liés à de mauvaises conditions de travail, et de promouvoir, dans les collectivités, des « démarches qualité ».

M. Alan Jenkins, directeur académique de l'executive MBA de l'Essec, a noté que les questions de mal-être au travail sont abordées, à l'Essec, dans quatre types de cours : les ressources humaines, l'évolution des organisations, l'éthique et le leadership. L'Essec tient à certaines valeurs - la responsabilité, l'excellence et l'humanisme - qui sont portées par les élèves eux-mêmes et qui structurent les programmes. Le travail d'équipe est encouragé, que ce soit dans de petits groupes de travail ou à l'occasion de la réalisation d'un projet par l'ensemble d'une promotion. Cette méthode tend à faire le lien entre responsabilités individuelle et collective.

Pour autant, les valeurs que l'Essec tente d'inculquer à ses étudiants déterminent-elles ensuite le comportement des managers ? Il faut rester humble sur ce point car les managers, au sein de l'entreprise, sont soumis à des forces multiples.

M. Jacky Le Menn a souhaité savoir si les étudiants sont sélectionnés selon des critères qui tiennent compte de ces valeurs.

M. Alan Jenkins, Essec, a précisé que la sélection n'est pas faite sur les valeurs mais que l'école se pose la question de savoir si les candidats sont prêts à contribuer à la collectivité. Par ailleurs, le travail en équipe n'est pas non plus une panacée, certains groupes pouvant parfois fonctionner de manière autoritaire et écraser les individus.

Revenant sur les interactions entre la formation et les autres influences à l'oeuvre dans l'entreprise, Mme Annie David a souligné la responsabilité du monde économique dans la situation vécue aujourd'hui par les salariés, qui n'est pas tenable.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est également étonnée de l'éventuelle contradiction entre les valeurs de l'école et les pressions au sein de l'entreprise : l'enseignement est-il utile dans ces conditions ?

M. Alan Jenkins, Essec, a estimé que l'enseignement ne conditionne pas l'individu, il l'influence éventuellement et, en tout état de cause, lui apprend des techniques.

M. Alain Gournac a affirmé que les managers en poste regrettent régulièrement que leur formation ne les ait pas mieux armés pour répondre au mal-être des salariés.

M. Norbert Alter, professeur et codirecteur du master « Management, travail et développement social » à l'université de Paris Dauphine, a indiqué que cette université a fondé un master sur les risques psychosociaux, qui accueille, dans le cadre de la formation continue, environ un tiers de cadres, un tiers de spécialistes du monde du travail et un tiers de syndicalistes.

Ce ne sont pas tant les dispositifs de gestion qui posent des difficultés que leurs changements permanents qui débouchent sur des « injonctions paradoxales ». Si les salariés appliquent les procédures qui leur sont prescrites, il entre également dans leur travail une part d'ingéniosité et d'intelligence, indispensable au bon fonctionnement de l'entreprise. Or, ce travail réel, distinct du travail prescrit, n'est pas suffisamment reconnu.

L'application de plus en plus rigoureuse des principes du taylorisme a fait disparaître les moments qui permettent de fabriquer du lien social ; la lutte contre la « flânerie » ou le « temps perdu » est un obstacle à une coopération efficace entre les salariés. Face à cela, les managers et dirigeants doivent apprendre à connaître le travail de leurs collaborateurs pour mieux apprécier les efforts fournis. Avant de changer telle ou telle procédure, il est nécessaire d'évaluer les expériences passées et d'accepter de perdre du temps pour reconstruire le collectif.

M. Alain Gournac a demandé si le passage aux trente-cinq heures a aggravé le phénomène qui vient d'être décrit.

M. Norbert Alter, Dauphine, a estimé que cette réforme a entraîné un décompte plus strict du temps de travail, qui a pu diminuer les temps d'échanges entre les salariés.

Mme Annie David en a déduit que c'est l'application qui a été faite des trente-cinq heures dans les entreprises qui a pu poser un problème, pas le principe en lui-même.

M. Jacky Le Menn a considéré que le souci exclusif du travail prescrit augmente la souffrance au travail. « Perdre du temps » participe, dans une certaine mesure, au bon fonctionnement d'un service.

M. Norbert Alter, Dauphine, a souligné la prise de distance croissante des salariés, notamment les plus jeunes, à l'égard de l'engagement professionnel. Si les suicides sont un drame, ils ne doivent pas masquer ce phénomène plus général.

Mme Annie David a demandé si un jeune cadre qui prend ses fonctions ne devrait pas d'abord consacrer du temps à découvrir les métiers exercés dans son entreprise.

M. Norbert Alter, Dauphine, a rappelé que les jeunes qui sortaient des grandes écoles débutaient autrefois leur carrière en « allant au charbon », c'est-à-dire en étant affectés, pendant une durée suffisamment longue, dans un poste opérationnel et de production. Ces périodes formatrices ont disparu ou durent trop peu de temps. Enfin, les dirigeants doivent comprendre que le travail n'est pas une variable d'ajustement, mais une valeur ajoutée.

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé si les élèves de l'Ena ont l'occasion de diriger des équipes durant leurs stages et si leur formation les prépare bien à la direction d'entreprise.

Mme Françoise Camet, Ena, a répondu que les anciens élèves sont en définitive assez peu nombreux à travailler dans le secteur privé. Les occasions de travailler en équipe sont fréquentes, notamment pendant les stages. Un stage de quinze semaines en entreprise est désormais obligatoire, les affectations privilégiées étant la direction des ressources humaines ou la direction administrative et financière.

Audition de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique

Puis la mission a entendu M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé au ministre quel bilan il est possible de dresser du plan d'urgence sur les risques psychosociaux lancé par son prédécesseur, Xavier Darcos, et de quelle manière le deuxième plan « santé au travail » intègre la dimension des risques psychosociaux. Il s'est ensuite enquis des suites qui seront données au rapport « Bien-être et efficacité au travail », remis par Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, et au rapport de la « commission Copé » de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, quels sont les grands axes de la réforme de la médecine du travail actuellement en préparation et est-il opportun de renforcer l'indépendance des médecins du travail vis-à-vis des employeurs ? Enfin, sachant qu'un accord a été signé, en novembre 2009, sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique, quels sont ses premiers effets et sera-t-il décliné dans différents services publics ?

M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, a souligné que le mal-être est présent dans tous les milieux professionnels, dans le public comme dans le privé. Cependant, le travail en soi n'est pas source de souffrance. Il est, au contraire, facteur d'épanouissement, de lien social et, au fond, de meilleure santé. Certains phénomènes peuvent néanmoins causer du mal-être et il faut y répondre. Les risques psychosociaux ne sont pas nouveaux mais la société y est devenue plus attentive, ce dont le Gouvernement a pris pleinement conscience.

Sur le bilan du plan d'urgence sur les risques psychosociaux, il faut d'abord rappeler que le rapport de Philippe Nasse et Patrick Lègeron sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux du travail a été remis à Xavier Bertrand, alors ministre du travail, dès mars 2008. La même année, un accord national interprofessionnel (ANI) a été signé par les partenaires sociaux sur la prévention du stress : il prévoit la mise en place de mesures de prévention, d'élimination ou de réduction des problèmes liés au stress au travail.

Depuis mai 2009, toutes les entreprises sont soumises à cet ANI, qui n'a cependant que rarement été décliné au niveau des branches ou des entreprises. C'est pourquoi, en octobre 2009, Xavier Darcos a demandé aux 1 500 entreprises qui emploient plus de mille salariés d'engager, avant le mois de février 2010, des négociations en vue d'aboutir à un accord ou à un plan d'action sur le stress au travail. Pour les y aider, des séminaires ont été organisés dans les régions. Un bilan de cette initiative a été rendu public sur un site internet ouvert par le ministère, qui recense également les bonnes pratiques. Pour prolonger cette politique, il serait intéressant que les entreprises de plus de mille salariés mentionnent dans leur bilan social les actions mises en place pour prévenir le stress, ce qui supposerait une modification législative.

En ce qui concerne le deuxième plan « santé au travail », qui couvre la période 2010-2014, les risques psychosociaux font partie de ses priorités, au même titre que les troubles musculo-squelettiques (TMS) et que les risques cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Prenant en compte les recommandations du rapport Lachmann, le plan prévoit de mieux surveiller les risques psychosociaux grâce à des indicateurs statistiques nationaux, de développer les outils d'aide à la prévention auprès des branches et des entreprises et de prendre en compte la prévention des risques psychosociaux lors des restructurations d'entreprise.

Le rapport Lachmann, qui a reçu un bon accueil de la part des partenaires sociaux lors de sa présentation au conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct), va être largement diffusé auprès des entreprises, notamment grâce à l'organisation de séminaires régionaux. Il souligne que les conditions de travail ne peuvent être améliorées sans une implication de l'ensemble de la chaîne hiérarchique de l'entreprise et que la prévention du stress est un facteur de performance pour l'entreprise. Il recommande de mieux former les managers à la santé au travail, ce qui est cohérent avec l'objectif poursuivi par le réseau francophone de formation en santé au travail lancé par le ministère à la fin de l'année 2009 : à terme, toutes les écoles d'ingénieurs et de mangement intègreront dans leur cursus un module sur la santé au travail qui vient d'être élaboré sous l'égide du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

La commission de réflexion des députés UMP et Nouveau Centre sur la souffrance au travail a également publié un rapport qui rassemble ses propositions autour de quatre axes :

- rétablir le dialogue dans le monde du travail, notamment en renforçant les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) : cette proposition doit être discutée par les partenaires sociaux dans le cadre de la délibération sociale en cours sur les institutions représentatives du personnel ;

- mieux former : certaines propositions sont en cours de mise en oeuvre dans le cadre du réseau francophone de formation en santé au travail qui vient d'être évoqué ;

- promouvoir au quotidien les bonnes pratiques et les comportements vertueux, par exemple en créant une certification « santé et qualité de vie au travail » sur le modèle des certifications ISO : le Conseil économique, social et environnemental (CESE) doit rendre un avis sur cette question au mois de juin ;

- mieux organiser les services de santé au travail, objectif que partage pleinement le ministère.

M. Eric Woerth, ministre, a ensuite présenté les grandes orientations de la réforme de la médecine du travail en préparation :

- généraliser les équipes pluridisciplinaires, coordonnées par le médecin du travail, associant des spécialistes et des techniciens ;

- mieux couvrir tous les salariés, notamment les intérimaires ;

- tenir compte de la démographie médicale, 75 % des médecins du travail ayant plus de cinquante ans ;

- mieux prévenir la désinsertion professionnelle en cas d'inaptitude : les salariés déclarés inaptes à leur poste de travail doivent pouvoir se reconvertir, par exemple grâce à un tutorat.

La réforme sera articulée, dans son contenu et son calendrier, avec celle des retraites, en ce qui concerne la pénibilité et l'emploi des seniors.

Il est souhaitable de renforcer l'indépendance des médecins du travail, ce qui suppose une amélioration de la gouvernance des services de santé au travail et un contrôle par les représentants des salariés.

Enfin, pour ce qui concerne les actions menées en matière de santé au travail dans la fonction publique, après une longue négociation, un accord a été conclu en novembre 2009 avec l'ensemble des organisations syndicales, à l'exception de Solidaires. Les employeurs hospitaliers et locaux ont été associés à cette négociation et sont également signataires de l'accord.

L'accord devrait ouvrir la voie à plusieurs avancées :

- la généralisation des CHSCT dans la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale, qui disposaient seulement, jusque là, de comités d'hygiène et de sécurité (CHS) ;

- une meilleure prévention des risques professionnels ;

- une meilleure connaissance des risques professionnels grâce à l'extension de l'enquête Sumer à la fonction publique de l'Etat et à la fonction publique territoriale ;

- une meilleure prévention des risques psychosociaux, s'appuyant sur un plan national de lutte contre ces risques, décliné localement.

La mise en oeuvre de l'accord est en bonne voie. Certaines de ses dispositions sont déjà entrées en vigueur : les décrets instituant un suivi médical post-professionnel pour les agents de l'Etat exposés aux risques CMR sont par exemple parus au mois de décembre. D'autres figurent dans le projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, notamment la généralisation des CHSCT dans toutes les administrations et établissements, hors Epic de l'Etat, et dans chaque collectivité d'au moins cinquante agents. Les mesures relatives aux risques professionnels seront appliquées en 2011, après la mise en place d'une instance commune aux trois fonctions publiques. Un groupe de travail sur les risques psychosociaux va se réunir, à compter du mois de juillet, à la demande des organisations syndicales. D'autres groupes de travail permettront de tirer parti des bonnes pratiques en vigueur dans différents ministères.

En conclusion, le ministre a souligné que l'absence de travail est aussi une source de mal-être et a insisté sur la nécessité de respecter l'homme au travail.

M. Alain Gournac a fait observer que le mal-être est présent dans tous les secteurs et qu'il est important de repérer les bonnes pratiques pour les diffuser ailleurs. Le monde du travail souffre d'un manque d'écoute, de lien social, de moments de respiration, alors que de nombreux problèmes peuvent être résolus autour de la machine à café. S'appuyant sur son expérience d'élu local, il a souligné que le fait de s'engager dans une « démarche qualité » constitue un moyen efficace de mobiliser les agents et de faire évoluer les comportements. Une polyvalence, une mobilité entre services sont nécessaires pour éviter la monotonie résultant de tâches répétitives. Enfin, c'est une grave erreur de se priver de l'expérience et de la mémoire des seniors dans les entreprises.

Mme Annie David a demandé si les entreprises de plus de mille salariés n'ont pas déjà l'obligation de publier des indicateurs relatifs au stress au travail. Elle a ensuite souhaité connaître la réaction du Medef au rapport Lachmann, qui contient des recommandations susceptibles de déplaire aux employeurs. Concernant la réforme de la médecine du travail, les organisations syndicales auditionnées par la mission ont condamné le projet du Gouvernement : son contenu est-il de ce fait susceptible d'évoluer ? Si le travail est source d'épanouissement, le ministre devrait proposer les mesures qui s'imposent pour revenir au plein emploi, notamment l'interdiction des licenciements uniquement motivés par la recherche d'une meilleure valorisation boursière. Enfin, elle a souhaité avoir des exemples de bonnes pratiques en vigueur dans les entreprises ; une démarche de certification, pour complexe qu'elle soit, aurait alors du sens.

Mme Sylvie Desmarescaux a souligné que la médecine du travail doit être indépendante pour bien accomplir sa mission. L'affaire de l'amiante a montré à quel point un défaut d'indépendance peut avoir des conséquences dramatiques. Par ailleurs, s'il est légitime de souhaiter augmenter le nombre de médecins du travail en activité, est-il réaliste de vouloir réorienter des médecins généralistes vers cette spécialité, compte tenu du manque criant de médecins en zone rurale ?

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé au ministre s'il serait favorable à une gestion paritaire des services de santé au travail, comme le réclament certains médecins du travail. Il a ensuite regretté que les observations formulées par les médecins du travail restent souvent sans suite et s'est interrogé sur la possibilité de leur attribuer plus de leurs pouvoirs ou de renforcer leurs liens avec l'inspection du travail.

M. Ronan Kerdraon a jugé indispensable que les médecins du travail ne soient plus perçus comme les parents pauvres de la médecine. La souffrance d'un salarié victime de stress ou de conditions de travail pénibles n'est pas facile à diagnostiquer.

M. Eric Woerth, ministre, a approuvé les remarques d'Alain Gournac avant de souligner que la réduction du temps de travail a eu aussi pour effet de rendre le temps de travail plus contraint. Concernant l'emploi des seniors, il a souligné que si l'actuelle majorité a mis un terme à la plupart des dispositifs de préretraite, ceux-ci ont instillé dans la société française l'idée que les salariés ne sont plus aptes au travail après un certain âge. Il faudra du temps pour faire évoluer les mentalités et changer le regard sur les quinquagénaires dans le monde du travail. S'il faut encourager le travail des seniors, il faut aussi tenir compte de leurs besoins et donc veiller à adapter, le cas échéant, leur poste de travail ou les faire bénéficier de la formation continue.

En réponse à Annie David, il a rappelé que Xavier Darcos avait choisi de cibler les entreprises de plus de mille salariés puis avait rendu publique une liste classant les entreprises en trois catégories - rouge, orange ou verte - en fonction du degré d'avancement de leur négociation sur le stress. Cette méthode a été abandonnée, d'une part, parce qu'elle a créé beaucoup de polémiques, d'autre part, parce qu'elle n'était pas exempte d'erreurs et qu'elle était donc susceptible de porter injustement atteinte à l'image de certaines entreprises. Il est cependant possible de consulter la liste des neuf cents entreprises qui ont conclu un accord ou adopté un plan d'action. La direction générale du travail étudie maintenant leur contenu.

Le Medef était favorable aux préconisations du rapport Lachmann et s'est déclaré ouvert à l'élaboration d'une éventuelle certification, qui peut être le point d'appui d'un projet d'entreprise mobilisateur, même si elle apparaît complexe à mettre en oeuvre.

Il est souhaitable que l'indépendance des médecins du travail soit confortée, afin qu'ils ne soient plus perçus, comme cela arrive parfois, comme les « médecins du patron ».  Cela n'empêche pas que les médecins soient employés dans une structure hiérarchisée : un médecin hospitalier est indépendant dans l'exercice de son art, en dépit de l'existence d'un directeur d'hôpital. La médecine du travail peine à attirer les jeunes, sans doute parce que le statut social des médecins du travail n'est pas à la hauteur de celui d'autres spécialistes. L'idée d'une gestion paritaire des services de santé au travail mérite d'être étudiée, le Gouvernement étant, d'une manière générale, favorable au développement du dialogue social.

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé si le fait que les médecins du travail soient uniquement chargés d'une mission de prévention ne dissuade pas les étudiants de choisir cette spécialité dans la mesure où les futurs médecins peuvent avoir également envie de soigner leurs patients.

M. Eric Woerth, ministre, a noté que la prévention est peut-être la meilleure des médecines puisqu'elle empêche la maladie.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a souligné que la prévention est trop souvent reléguée au second plan en France, au profit du curatif.

M. Jacky Le Menn a estimé que le débat actuel sur le mal-être au travail révèle une crise du lien social, une incapacité à analyser les conséquences des décisions prises, qui conduit parfois à prendre des décisions aberrantes, et un manque d'attention portée au travail réel par rapport au travail prescrit aux salariés.

Mme Annie David a jugé positif que le Cnam ait élaboré un module d'enseignement destiné à être diffusé dans les écoles de management. Cependant, comment faire pour que les contraintes économiques ne priment pas sur toute autre considération une fois que les cadres ainsi formés prennent leurs fonctions ?

M. Eric Woerth, ministre, a souligné que l'on passe moins de temps au travail qu'autrefois mais que le travail est, en contrepartie, plus intense. Il faut rappeler toutefois que le temps de récupération dont bénéficient les salariés est également plus long. Il a récusé l'idée selon laquelle il y aurait un intérêt économique qui primerait sur tous les autres : certes, l'entreprise doit être viable économiquement mais il y a plusieurs manières d'atteindre cet objectif ; si certaines entreprises négligent leurs salariés, d'autres sont soucieuses, au contraire, de l'impact social et environnemental de leur activité. Les grandes entreprises veillent à leur image de marque, qui est un atout pour attirer et retenir les talents. Il ne faut pas diaboliser non plus les entreprises : le mal-être est présent également dans les administrations ou dans des associations.

M. Jean Desessard ayant demandé au ministre s'il ressent de la souffrance au travail, celui-ci a répondu que si les ministres peuvent souffrir, ils n'ont pas le droit de le montrer.