Mardi 29 mars 2011

- Présidence de M. François Autain, président -

Audition de M. Dominique Maraninchi, directeur général, et de Mme Fabienne Bartoli, adjointe au directeur général, de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

M. François Autain, président. - Nous poursuivons le cycle de nos auditions et nous recevons aujourd'hui le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), M. Dominique Maraninchi, et la directrice adjointe de cette agence, Mme Fabienne Bartoli. Mme la rapporteure nous rejoindra dans peu de temps, mais je vous propose d'ouvrir cette séance dès à présent.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement, en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement sur Public Sénat.

Monsieur Maraninchi, vous avez indiqué, lors de la séance de la commission des affaires sociales du Sénat, que, depuis cinq ans, vous n'aviez aucun lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, comme Mme Bartoli, je présume. Il me semble d'ailleurs que Mme Bartoli a exercé des responsabilités au ministère de l'Industrie.

Mme Fabienne Bartoli. - Pas du tout. J'ai travaillé au sein de ce qui correspond à l'actuelle direction générale du Trésor et de la politique économique, qui dépend du ministre de l'économie et des finances et pas du ministre de l'industrie.

M. François Autain, président. - Je vous avais demandé des documents, dont je n'aurai pas nécessairement besoin aujourd'hui, et en particulier le rapport du centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Besançon sur l'Isoméride et l'hypertension artérielle, qui a été présenté lors de la réunion de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) le 10 mai 1994.

Mme Fabienne Bartoli. - Ce document n'est pas présent dans nos archives et, suite à votre requête de la semaine dernière, nous l'avons demandé au centre régional de pharmacovigilance de Besançon, qui n'en dispose plus. Nous pouvons toutefois vous remettre l'étude menée en 1995 et dirigée alors par M. Abenhaïm.

M. François Autain, président. - Je dispose du rapport que je vous avais demandé. Comment se fait-il néanmoins que ce document ait disparu de vos archives ? Ce document évoque le Mediator et c'est dans celui-ci que, pour la première fois, il est stipulé qu'une association de l'Isoméride et du Mediator est susceptible de provoquer des hypertensions artérielles. Nous nous étonnons dès lors que ce document soit si difficile à retrouver.

Mme Fabienne Bartoli. - Nous poserons cette question au service des archives.

M. François Autain, président. - De nombreuses autres questions restent sans réponse. J'ai ainsi demandé à M. Abenhaïm quand il avait entendu parler du Mediator et il m'a répondu qu'il n'en avait eu vent qu'en 2009, au moment de la suppression du médicament. Par ailleurs, une note de 1995, qui ne figure pas dans les annexes du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) évoque clairement le Mediator. Or il ne me semble pas que M. Tabuteau, directeur général de l'Afssaps en 1995, nous ait indiqué qu'il avait eu connaissance du Mediator à l'époque. Ces éléments sont donc préoccupants. Je pourrais vous transmettre cette note si vous le souhaitez et, si vous disposez dans vos archives de notes qui seraient susceptibles de nous intéresser, je vous serai reconnaissant de nous les adresser sans que nous ayons à vous les demander.

Souhaitez-vous procéder à une intervention liminaire ou répondre à nos questions d'emblée ?

M. Dominique Maraninchi. - Nous sommes là pour répondre à vos questions.

M. François Autain, président. - Estimez-vous, comme le révèle le rapport de l'Igas, que « notre police du médicament a failli à sa mission » ?

Etes-vous d'accord avec les inspecteurs de l'Igas, lorsqu'ils écrivent dans leur rapport : « de manière plus globale, l'Afssaps, qui est une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l'heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d'intérêts, pas en raison de son financement, qui s'apparente à une taxe parafiscale, mais en raison d'une coopération institutionnelle avec l'industrie pharmaceutique, qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent » ?

A propos de la gestion des conflits d'intérêt, Madame Bartoli, vous avez indiqué au Télégramme de Brest, le 17 février 2011, que « les règles sont les mêmes dans tous les pays européens ». Il nous a cependant semblé que les règles en vigueur, notamment au Royaume-Uni, n'étaient pas les mêmes que celles de l'Afssaps, par exemple en ce qui concerne l'indépendance des experts. Ainsi, à la Medicines and Healthcare products Regularory Agency (MHRA), les experts rendant leur avis au sujet de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) n'ont aucun lien d'intérêts. J'estime pour ma part que nous pourrions nous inspirer de cet exemple avec profit.

Madame Bartoli, dans la Croix du 26 octobre dernier, vous déclariez : « nous avons une règle intangible, les présidents de nos commissions ou groupes de travail ne peuvent avoir de lien durable avec l'industrie à travers, par exemple, un poste de consultant. C'est un conflit élevé qui a priori nous conduit aussi à juger comme contre-indiquée la présence d'un expert au sein d'un groupe de travail ». Je souhaite donc que vous m'assuriez que les présidents et vice-présidents des commissions d'AMM et des multiples groupes de travail n'entretiennent pas de liens d'intérêts de ce type avec l'industrie. Néanmoins, il semble que le professeur Lechat a été longtemps directeur du groupe thrombose, alors qu'il avait des liens très importants avec Sanofi-Aventis. Même s'il apparaît positif que des médecins entretiennent des liens avec les laboratoires, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions pour le compte de l'Etat, ces situations sont inacceptables.

M. Dominique Maraninchi. - Il me semble effectivement que l'Afssaps a failli à sa mission. La situation avec le Mediator souligne les faiblesses du système de l'Afssaps. Qu'est-ce qui a failli et comment faire pour que cela ne se reproduise plus ? Cette question doit guider notre réflexion dans le futur et vous contribuez à nous donner des pistes pour y parvenir.

Le travail de l'Afssaps est d'assurer la sécurité des produits de santé et l'équité de leur distribution, à partir de la remise en question des bénéfices et des risques de ces produits de santé. Nous devons réexaminer ces bénéfices et ces risques selon une analyse dynamique. Dans l'ancien système, il fallait prouver que des risques très importants existent avant de remettre en question l'intérêt d'un médicament. Or un médicament qui n'a pas beaucoup de bénéfices a beaucoup de risques, par nature. Il en va de notre responsabilité d'évaluer cette balance des bénéfices et des risques.

En ce qui concerne le Mediator, si nous avons beaucoup débattu des risques, nous avons très peu examiné les bénéfices. L'agence doit questionner les experts. Ainsi, si nous nous étions interrogés sur la molécule mère du Mediator et sa nature pharmacologique, nous aurions pu constater qu'il s'agissait d'un anorexigène de la famille des amphétamines. Nous aurions également pu nous demander si une amphétamine fait maigrir, ce qui est le cas, et si l'amaigrissement réduit la tolérance au glucose, ce qui est encore le cas, comme pour la réduction de la tolérance aux lipides.

M. François Autain, président. - Le professeur Alexandre avance que le benfluorex n'est pas un anorexigène, mais un antidiabétique mal étudié. Nous sommes donc bien obligés de constater que les thèses erronées du laboratoire ont été prises pour argent comptant par l'Afssaps, ce qui pose un véritable problème, relatif à l'incapacité de l'agence à développer une analyse autonome face au laboratoire. J'espère que cette situation changera.

M. Dominique Maraninchi. - Cette situation doit changer car l'affaire du Mediator ne doit plus se reproduire.

C'est en interne que nos pharmacologues doivent analyser la nature pharmacologique de la molécule et questionner des experts externes. D'autre part, ce qui était peut-être vrai dans les années 1980 et 1990 n'est plus forcément vrai dans les années 2000. Il me semble donc que c'est le devoir de l'agence, si elle prend la responsabilité de distribuer des médicaments sur la base de la balance bénéfices-risques, de poser elle-même les questions et de ne pas attendre des évènements effroyables pour remettre en cause l'utilité et donc la distribution d'un médicament. Voilà ce qu'on attend de l'agence, mais qui n'est pas facile, en raison des contraintes réglementaires auxquelles elle est soumise. Notre travail est de garantir les bénéfices et de limiter les risques pour les patients. L'agence n'a pas déployé son expertise et sa neutralité par rapport à l'objet qu'elle devait traiter. Dans le cadre de mes responsabilités, je tâcherai d'inverser ce processus, pour que nous questionnions nous-mêmes les bénéfices et les risques selon un processus itératif, car les connaissances, la relation entre les bénéfices et les risques évoluent au cours du temps.

M. François Autain, président. - Si vous êtes favorable à un processus itératif, vous êtes donc hostile à cette disposition de la directive de 2004 qui prévoit que, après une première période de cinq ans, le rapport entre les bénéfices et les risques ne soit plus réexaminé tous les cinq ans en ce qui concerne l'AMM.

M. Dominique Maraninchi. - Nous avons le devoir de continuer à suivre le rapport bénéfices-risques des médicaments, même si la directive ne contraint pas à un réexamen de l'AMM. Si les agences effectuent leur travail de suivi, elles peuvent elles-mêmes alerter.

M. François Autain, président. - Vous estimez donc qu'il n'est pas nécessaire que les agences soient soumises à des obligations de réévaluations périodiques.

M. Dominique Maraninchi. - Nous avons le devoir de remettre un médicament en question avant cinq ans, si nous estimons que les risques sont trop importants. Une AMM n'est ainsi pas forcément définitive, de même que son contenu. Les indications et les contre-indications doivent être adaptées et modulées au fil du temps et des connaissances, et tout particulièrement pour les prescriptions hors AMM. Si les agences qui assurent la sécurité ne réexaminent pas les bénéfices et les risques dans une indication qui pourrait se restreindre ou s'élargir dans l'intérêt des patients, le système restera aveugle et nous devrons attendre des complications catastrophiques pour corriger le tir.

Au sujet de la coproduction, je suis réservé par rapport à cette remarque, même si je la comprends dans la globalité du rapport de l'Igas. Il reste que cette vision peut sembler polémique. Les agences du médicament et des produits de santé doivent selon moi entretenir des relations avec les industriels. Elles doivent indiquer aux industriels les règles en matière de développement, les attentes médicales et sociales de la France ou de l'Europe vis-à-vis d'un médicament innovant. Elles doivent ensuite vérifier sur des faits que la relation bénéfices-risques est positive. Il faut que l'AMM soit donnée à l'appui du dossier et que l'agence ait une capacité d'inspection et de contrôle.

M. François Autain, président. - Estimez-vous qu'une réforme vous permettant de disposer d'une unité pharmacologique indépendante qui contrôlerait certains essais concernant des médicaments serait positive ? En effet, vous ne pouvez à l'heure actuelle déterminer l'AMM que sur la base d'essais proposés par l'industrie. Cette unité pourrait, de plus, être utilisée pour les examens post-AMM.

M. Dominique Maraninchi. - Il est de la responsabilité de l'Afssaps, comme de toute agence donnant une autorisation de mise sur le marché, de se doter des moyens de vérifier que cette autorisation est basée sur des faits. Il faut donc que l'agence conserve sa capacité d'inspection et de contrôle, comme c'est le cas à l'Afssaps. Nous pouvons en effet vérifier et auditer les essais.

M. François Autain, président. - Si vous avez des doutes sur certains médicaments en phase pré ou post-AMM, avez-vous la possibilité de procéder à des essais ?

M. Dominique Maraninchi. - En pré-AMM, nous devons vérifier la qualité des essais, ce qui constitue un travail complexe, que nous ne menons pas suffisamment. Le niveau européen, dans le cadre de l'European Medicines Agency (EMA), donne une plus grande force de frappe pour vérifier ces données sources et éviter les fausses interprétations, mais il n'est pas assez utilisé. En outre, en post-AMM, nous devons avoir les moyens de vérifier, d'inspecter et de contrôler. Il faut stimuler des études post-AMM, avec des promoteurs publics et non industriels.

M. François Autain, président. - Je suis d'accord avec vous.

M. Dominique Maraninchi. - Si les agences s'associent de façon plus satisfaisante, dans le cadre d'une politique complète du médicament, des ressources pourraient peut-être être davantage affectées à cette problématique. Le fonds du programme hospitalier de recherches cliniques sert à financer beaucoup d'essais cliniques, très souvent post-AMM. Cependant, quelle est notre capacité à intégrer les résultats de ces essais pour modifier nos pratiques et nos connaissances ? Il faut que nous soyons plus incisifs dans ce domaine. L'Afssaps donne l'autorisation de réaliser des essais cliniques, académiques ou industriels, mais elle doit être capable de se pencher davantage sur le déroulement de ces essais, les interrompre en cas d'insuffisances. L'agence doit également pouvoir demander aux promoteurs de ces essais des résultats précoces, qui permettraient, pour des raisons de santé publique, d'orienter la bonne pratique du médicament. Il s'agit d'un champ nouveau qui devrait nous permettre de ne pas subir les études. En effet, de nombreuses études post-AMM sont des études marketing, alors qu'elles devraient être des études de développement dans le système de santé.

M. François Autain, président. - De plus, de nombreuses études ne sont jamais réalisées.

M. Dominique Maraninchi. - Ces études doivent être interrompues et sanctionnées.

M. François Autain, président. - Quelques sanctions sont prévues, mais elles ne sont pas appliquées. Le comité économique des produits de santé (Ceps) avait un projet de sanction, mais il a été abandonné après contact avec le laboratoire. Concrètement, les laboratoires ne sont pas sanctionnés.

M. Dominique Maraninchi. - Comme vous le savez, il y a de nombreux débats sur les effets du médicament dans la vie réelle par rapport à l'essai clinique d'enregistrement. En particulier, la majorité des essais cliniques portent la limite d'âge de recrutement à soixante-quinze ans. Or la majorité des personnes qui consomment des médicaments ont plus de soixante-quinze ans. Nous devons donc peser sur les firmes ou les promoteurs académiques pour qu'ils incluent dans leurs études des personnes ayant réellement besoin de médicaments et pour que nous anticipions sur les risques et les bénéfices de ces personnes.

Mme Virginie Klès. - Que pensez-vous du système des moyens alloués aujourd'hui aux médicaments vétérinaires ? En effet, l'Agence du médicament vétérinaire s'appuie sur le laboratoire qui la jouxte. Je me souviens avoir réalisé en tant que toxicologue des essais de contrôle à la demande de l'Agence nationale du médicament vétérinaire. Je me souviens également avoir accueilli une délégation de l'Afssaps, qui venait s'inspirer de nos pratiques pour contrôler la sûreté des vaccins, notamment. Pourquoi ce système n'est il pas en place au sein de l'Afssaps ? Que pensez-vous de son éventuelle mise en place ? Il est positif de s'intéresser en amont à la formule chimique, aux isomères d'une molécule, surtout lorsque l'on sait le brouillard qui entoure la composition chimique du Mediator.

M. Dominique Maraninchi. - Votre remarque est pertinente.

L'Afssaps effectue des contrôles à l'échelle nationale comme à l'échelle internationale, en partenariat avec d'autres agences qui contrôlent certaines étapes de la chaîne du médicament. Nous devrons réfléchir sur les moyens dont nous disposons pour assurer une très bonne qualité de contrôle avec les nouveaux produits qui se présentent. Les enjeux concernent à présent des produits issus de la biologie et des biotechnologies. La manière de contrôler ces produits suppose une capacité de codéveloppement et de maîtrise de techniques très sophistiquée. Nous devrons donc investir en France ou développer des partenariats avec d'autres pays, sinon nous supporterons des produits pour lesquels notre capacité de vérification sera limitée. Nous devons, en effet, nous adapter aux produits qui vont se présenter sur le marché, afin que notre capacité d'inspection s'améliore en matière de biologie. Il faut que nous puissions contrôler la firme, ce qu'il est possible de faire et que nous devrons développer à l'Afssaps.

Au sujet de l'indépendance des experts et de la gestion des conflits d'intérêts, nous devons régler cette situation de façon définitive. Lorsque j'ai rejoint l'Afssaps, je n'étais guère inquiet, car les déclarations d'intérêts étaient dans l'ensemble assez bien gérées, mais avec insuffisamment de fermeté et d'autorité. Il est du rôle des responsables de l'Afssaps d'imposer des règles et de faire sortir de l'agence toute personne ayant un lien d'intérêts qui nuit à l'indépendance de l'expertise. Nous ne pouvons plus supporter la remise en question permanente de l'expertise et il faut que les experts n'aient plus aucun lien d'intérêts.

Je souhaite par ailleurs dissocier le cas des présidents de commissions de celui des membres des groupes de travail.

M. François Autain, président. - Combien l'Afssaps compte-t-elle de commissions et de groupes de travail ?

M. Dominique Maraninchi. - Nous vous préciserons cet élément par écrit. La notion de « groupe de travail » est parfois surestimée. Les groupes de travail peuvent en effet parfois se réunir une fois par an, pour rendre un avis sur un sujet mineur. Dans le futur, il faudra éviter de multiplier les groupes de travail.

M. François Autain, président. - Il me semble que l'Afssaps compte 70 groupes de travail, ce qui est considérable.

Mme Fabienne Bartoli. - S'agissant du seul médicament, les chiffres sont moins importants. Trente et un groupes de travail sont rattachés à la commission d'AMM. L'agence compte douze commissions, qui concernent tant les médicaments que les produits cosmétiques, les biocides, les stupéfiants ou les dispositifs médicaux.

M. François Autain, président. - Pour revenir aux questions posées initialement, vous avez indiqué qu'à l'Afssaps, les experts étaient traités comme dans toutes les autres agences, ce qui me semble faux, en tout cas pour trois des principales commissions (CNPV, commission d'AMM, commission de la publicité).

Mme Fabienne Bartoli. - Il m'est difficile, monsieur le président, de vous répondre sur un extrait de citation, qui ne correspond pas à l'ensemble de l'interview que j'ai donnée et, dans ce genre d'exercice, les propos qui vous sont attribués, comme vous le savez, ne sont pas toujours exacts, surtout quand il n'est pas possible de les relire.

Au sujet de l'interview que j'ai donnée à la Croix, je vous renverrai aux documents que nous mettons en ligne sur le site de l'Afssaps. Lors du point presse réalisé le 30 mars 2010, nous avions repris l'historique de la façon dont les conflits d'intérêts sont gérés à l'agence. Nous avions ainsi bien précisé que c'est à partir de la fin de l'année 2006 que l'agence avait renforcé ses exigences d'indépendance pour les présidents de commission et de groupe de travail. Elle a ainsi généralisé les appels publics à candidatures pour recruter les experts membres de ses groupes de travail et de ses commissions. Elle a également souhaité renouveler les membres des commissions et groupes de travail, dans un souci de transparence et d'élargissement du recrutement. Nous avons alors demandé aux présidents des groupes de travail de ne plus avoir de liens d'intérêts. L'exemple que vous mentionnez est donc antérieur à 2006.

M. François Autain, président. - Un problème de permanence se pose cependant, car certains présidents de commission conservent leurs fonctions durant douze ou quinze ans. De plus l'agence ne respecte pas la réglementation, car en février 2007, vous écrivez aux entreprises du médicament (Leem) : « La récente publication du rapport de l'Igas sur le rôle de l'Afssaps ainsi que les nombreux débats publics ont remis en question la présence des représentants du Leem au sein des différentes commissions et groupes de travail de l'agence. Cette présence apparaît en effet comme incompatible avec la garantie d'indépendance des avis donnés par ces commissions et groupes de travail. » J'avais moi-même fait ce constat depuis de nombreuses années et je suis très heureux que vous parveniez aux mêmes constatations. Vous écrivez également dans cette lettre : « L'article R. 5121-54 du code de la santé publique ne prévoit pas de représentant de votre organisme professionnel. » Or des représentants du Leem ont siégé au sein des différentes commissions et groupes de travail de l'agence. Dès lors, pour quelle raison l'Afssaps ne respectait-elle pas la réglementation ? Etait-ce le seul domaine dans lequel elle ne respectait pas la réglementation ? Je ne comprends pas que ces personnes aient siégé dans des commissions dans lesquelles elles n'avaient pas leur place. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ?

Mme Fabienne Bartoli. - Cette réglementation dépend du ministère de la Santé. La présence d'un organisme professionnel est prévue dans le texte qui régit la commission d'AMM, mais avec une voix non délibérative. C'est à ce motif que nous demandons à l'organisme professionnel de ne plus être présent dans cette commission, sans pour autant rendre illégal les votes de la commission. L'Afssaps n'était pas hors de la réglementation, puisque le texte prévoit une présence non délibérative de l'organisme professionnel. En février 2011, nous avons souhaité que le Leem ne soit plus présent dans ces commissions.

M. François Autain, président. - Effectivement, que ce soit à titre délibératif pour la commission de la transparence ou une simple représentation à la CNPV, la présence de représentants du Leem est prévue par la réglementation. J'ignorais cependant que la réglementation prévoyait cette présence en commission d'AMM, avec voix non délibérative. Vous êtes donc allé au-delà de la réglementation dans ce courrier et avez estimé qu'il fallait modifier la réglementation, pour que l'industrie pharmaceutique ne dispose plus de représentants au sein de ces commissions.

M. Dominique Maraninchi. - Suite aux évènements qui se sont produits, nous avons souhaité rapidement modifier le fonctionnement de la commission d'AMM, afin de le rendre plus transparent. Nous avons, par exemple, entrepris de publier les ordres du jour des réunions sur notre site. Toutes les interventions qui se tiennent durant ces réunions sont de plus intégralement retranscrites et peuvent également être consultées en ligne. Je veille, en outre, personnellement à la déclaration des conflits d'intérêts, affichée en début de séance et le responsable de l'Afssaps publie et affiche les noms des personnes susceptibles d'être en conflit d'intérêts, mineur ou majeur, toujours dans un souci de transparence.

Par ailleurs, pour éviter toute suspicion quant à d'hypothétiques pressions de l'industrie pharmaceutique, Fabienne Bartoli a demandé à la chambre patronale de l'industrie pharmaceutique, qui siégeait avec voix non délibérative, de se retirer des commissions. La prochaine réunion de la commission sera filmée et les débats donnant lieu à délibération seront accessibles sur Internet. Les invités à cette commission seront des associations de patients. Si la chambre de l'industrie pharmaceutique était représentée, il faudrait qu'elle le soit en tant que partie prenante, avec d'autres parties prenantes, comme les professionnels de la prescription, les pharmaciens d'officine, les associations de patients et de consommateurs. Il ne faut pas que l'on puisse douter de l'équité des débats.

Enfin, si la réglementation était amenée à évoluer, nous souhaiterions qu'elle prévoit la création de commissions ad hoc, qui permettraient de traiter des dossiers très importants pour la santé publique, comme les dossiers de génériques ou de reconnaissance mutuelle, car les ordres du jour de la commission d'AMM sont souvent très chargés.

M. François Autain, président. - Vous semblez donc favorable à une organisation semblable à celle de la FDA, dans laquelle siègent douze commissions consultatives. Je suis effectivement d'accord avec vous ; la commission d'AMM a trop de travail.

M. Dominique Maraninchi. - On l'accuse de fixer des ordres du jour trop chargés, de compter des experts qui ne connaissent pas suffisamment les dossiers. En fait, ces experts connaissent les dossiers, mais chacun sous l'angle de son expertise.

M. François Autain, président. - Comment envisagez-vous l'avenir de la commission d'AMM par rapport à l'agence européenne ? Les laboratoires empruntent ainsi de plus en plus la procédure centralisée, à laquelle ils sont d'ailleurs parfois contraints. Nous pouvons donc supposer que le travail va diminuer et même que la totalité des AMM devienne de la compétence de l'agence de Londres. Le rôle de la commission d'AMM de l'Afssaps serait alors réduit à sa plus simple expression. Le rapport des professeurs Debré et Even envisage de fondre dans une même entité la commission d'AMM et la commission de la transparence.

Par ailleurs, êtes-vous favorable à une plus grande autonomie de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) par rapport à la commission d'AMM ? Est-il nécessaire que, lorsque la CNPV émet un avis au sujet d'un médicament, elle soit obligée de passer par la commission d'AMM pour réévaluer la balance bénéfices-risques ? En 2007, la première a souhaité interdire le Mediator, contrairement à la seconde, rendant alors nécessaire un arbitrage de la direction générale de l'Afssaps.

M. Dominique Maraninchi. - Nous avons pour mission d'évaluer la balance bénéfices-risques avant l'AMM, au moment de l'AMM et après à l'AMM. Ce travail doit être mené de façon conjointe. Tous les principes actifs contiennent des effets négatifs et des effets positifs et on ne saurait dissocier ces aspects avant l'AMM, au moment de l'AMM et après à l'AMM.

M. François Autain, président. - Vous êtes donc plutôt favorable à la création d'une commission unique, qui rassemblerait la commission nationale de pharmacovigilance et commission d'AMM ?

M. Dominique Maraninchi. - Je respecte la réglementation, mais c'est là mon sentiment. Il me semble dangereux de dissocier les bénéfices des risques. Or, ce sont souvent les mêmes experts qui évaluent les bénéfices et les risques. L'expertise doit être par nature contradictoire, pour déterminer un ratio final, l'équilibre entre les risques et les bénéfices. La surveillance du risque doit de plus être associée à la surveillance du bénéfice et, dès l'année prochaine en Europe, les firmes devront produire des documents sur les bénéfices et les risques de leurs produits au fil du temps et les agences, dont l'Afssaps, auront la responsabilité de corriger les documents produits par les firmes, voire parfois de corriger le tir. Par exemple, le thalidomide est indiqué dans le traitement des myélomes après soixante et un ans. Certains dermatologues jugent intéressant de l'indiquer aussi dans des maladies de la peau. Si l'agence européenne l'accepte avec un suivi particulier du risque, la France peut dire qu'elle refuse une exposition au risque et que, dans ce cas, elle doit préparer un dossier ad hoc car nous ne voulons pas voir un seul bébé souffrir des effets du thalidomide en France.

La commission d'AMM ne doit pas être une chambre d'enregistrement de l'agence européenne...

M. François Autain, président. - Cependant, en ce qui concerne la procédure centralisée, la commission d'AMM fait figure de chambre d'enregistrement.

M. Dominique Maraninchi. - Dans cette procédure, oui, mais en amont, c'est la France qui donne l'autorisation des essais cliniques.

Mme Fabienne Bartoli. - Dans les procédures centralisées au niveau européen, l'Afssaps est rapporteur ou corapporteur d'une vingtaine de dossiers sur une centaine par an, ce qui nous place parmi les cinq principales agences européennes. Et dans ce cas, seuls les équipes internes participent à l'évaluation du dossier. Il faut également savoir que, sur chaque dossier, douze évaluateurs travaillent durant toute l'année. L'Afssaps prend donc une part active à l'évaluation des dossiers. Sur les 80 autres dossiers traités au sein de l'agence européenne, la France fait partie des pays qui lèvent des objections majeures et posent beaucoup de questions.

M. François Autain, président. - Je souhaitais pour ma part évoquer le rôle de la commission d'AMM de l'Afssaps dans la procédure centralisée, pas de sa participation au sein du Committe for Medicinal Products for Human Use (CHMP). La commission d'AMM peut-elle se saisir elle-même pour un médicament et prescrire un plan de gestion des risques (PGR) complémentaire ?

M. Dominique Maraninchi. - Oui. La commission française doit selon moi se saisir beaucoup plus souvent des modalités d'utilisation et de distribution des produits enregistrés en France. Les circuits d'utilisation et de distribution sont sous notre responsabilité. Une commission examinant les bénéfices et les risques de façon récurrente trouverait son sens dans ce cadre. Il faut travailler sur la distribution des produits de santé.

Au sujet de la transparence, si nous devons examiner les bénéfices et les risques de façon régulière, nous devons le faire dans un contexte donné. Si des médicaments sont plus performants que d'autres, nous devons pointer dans l'examen des bénéfices et des risques ceux qui présentent moins de bénéfices qu'auparavant. Il est donc paradoxal de séparer les bénéfices des risques, dont l'examen doit être indépendant du remboursement, afin que les décisions de distribution ne soient pas influencées par des restrictions budgétaires.

Notre agence doit travailler sur le progrès thérapeutique, qui, en général, étouffe les produits antérieurs. La Haute Autorité de santé (HAS) joue un rôle crucial sur le système de santé, car elle intègre le parcours thérapeutique du médicament ; aucune agence de médicament dans le monde ne joue un tel rôle, par exemple sur le nombre de cures que doit comporter un traitement anticancéreux.

M. François Autain, président. - Une organisation similaire n'a-t-elle pas été mise en place au Royaume-Uni ou en Allemagne ?

M. Dominique Maraninchi. - Effectivement. Toutefois l'agence anglaise ne s'intéresse pas aux comparateurs des médicaments, mais à l'utilité dans le système de santé du partage des liens. Par exemple, il dira qu'il ne faut jamais faire de chimiothérapie dans le cancer de la prostate, ou ne le faire que dans 5 % des cas. Ce n'est pas le rôle d'une agence du médicament.

M. François Autain, président. - Et les raisons sont essentiellement économiques ?

M. Dominique Maraninchi. - Parfois, mais leur organisation de santé est différente.

Mme Marie-Christine Blandin. - Au sujet de la commission d'AMM, vous aviez indiqué que les conflits d'intérêts étaient affichés. Des personnes ayant des conflits d'intérêts sont-elles pour autant exclues de certains débats ?

M. Dominique Maraninchi. - A présent, oui.

Mme Marie-Christine Blandin. - Etes-vous favorable à une proposition du Grenelle, votée par le Parlement, d'une instance extérieure, chargée de vérifier que les agences respectent bien leur protocole éthique en quelque sorte, par exemple dans l'actualisation des conflits d'intérêts ?

M. Dominique Maraninchi. - Nous devons effectivement nous prêter à ces règles.

J'insisterai pour ma part sur l'expertise citoyenne, qui doit donner son regard. Aux Etats-Unis, des représentants d'associations de patients participent aux débats. J'ai l'intention d'expérimenter un fonctionnement semblable en France. Dans notre pays, le débat citoyen est néanmoins déjà bien organisé, mais, pour autant, il ne faut pas mélanger les citoyens et les parties prenantes. Par exemple, pour la mucoviscidose, il est normal que les associations soient présentes.

M. François Autain, président. - Faut-il selon vous sanctionner les experts qui ne publient pas leurs liens d'intérêts ou qui effectuent de fausses déclarations ?

M. Dominique Maraninchi. - C'est à l'évidence une faute grave, puisqu'il s'agit d'une tromperie. Un expert qui agirait de cette façon risquerait d'être banni de la communauté scientifique internationale, ce qui s'est déjà produit. Il faudra effectivement une sanction et il faut que les liens d'intérêts soient affichés clairement. Il faut en effet que tous sachent si des experts sont payés, par qui et pour quoi ils le sont.

M. François Autain, président. - Il y a un consensus sur ce point. Les laboratoires sont également favorables pour que les liens d'intérêts qu'ils ont noué avec les médecins soient rendus publics. Nous sommes toutefois en avance sur les Etats-Unis, où il n'est pas obligatoire pour les laboratoires de publier les liens qu'ils entretiennent avec les associations, ce qui m'a étonné. Les sociétés savantes doivent elles aussi publier leurs liens d'intérêts, car nous nous sommes aperçus que, sans les laboratoires, elles n'auraient pas d'existence. Néanmoins, il semble que certaines universités, comme celle de Paris Descartes, parviennent à organiser des colloques sans l'aide de l'industrie pharmaceutique, contrairement aux médecins. Il y a là un problème.

M. Dominique Maraninchi. - Le fait de déclarer ses liens change tout. De nombreux congrès, surtout à l'échelle mondiale, ne peuvent pas se tenir sans le soutien de l'industrie pharmaceutique. Ces congrès sont en effet de plus en plus souvent mondiaux. Le congrès qui se tient à Lascaux, par exemple, s'apparente à un salon, ce qui ne signifie pas toutefois que certaines interventions qui y sont prononcées ne sont pas d'un excellent niveau.

M. François Autain, président. - Il faut préciser que l'argent dont disposent les laboratoires correspond à de l'agent public, car, si les médicaments n'étaient pas remboursés par la sécurité sociale, ces derniers ne bénéficieraient pas d'autant de moyens pour financer les colloques, faire de la publicité, etc.

M. Dominique Maraninchi. - Je suis d'accord avec vous ; il faut donc être très clair au sujet des liens d'intérêts, limiter les financements de l'industrie pharmaceutique aux sociétés savantes et renforcer le financement public de celles qui appliquent des règles déontologiques, sans accepter d'argent de la publicité. Par ailleurs, dans le domaine de l'édition scientifique, les plus grands scientifiques du monde se sont associés pour fonder une revue totalement indépendante du financement de l'industrie pharmaceutique, la public library of science.

M. François Autain, président. - Connaissez-vous Lourmarin ?

M. Dominique Maraninchi. - Oui. J'y suis allé une fois.

Après Lourmarin, se tient un colloque à Giens. Il est financé par l'Afssaps et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Tous les chercheurs et industriels y sont présents. Les débats s'y déroulent en toute transparence.

M. François Autain, président. - N'invitez-vous jamais les industriels à des colloques organisés à l'Afssaps ?

Mme Fabienne Bartoli. - Si bien sûr. Par exemple, à Saint-Denis, dans nos locaux, nous avons consacré une journée aux PME innovantes et une autre aux équipes académiques innovantes.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Pouvez-vous nous dire quelle est la procédure habituelle de remontée et de traitement de l'information entre votre agence et le gouvernement, au sujet des effets indésirables d'un médicament ? Les anciens ministres auditionnés ont affirmé ne pas avoir été informés concernant le Mediator.

Mme Fabienne Bartoli. - La direction générale de la santé (DGS) est présente dans toutes les commissions, notamment celle de la commission d'AMM et la CNPV. De ce fait, le représentant de la direction générale de la Santé fait entendre sa voix dans ces différentes instances. De plus, en cas de doute sur les indications, l'agence prend des décisions au nom de l'Etat.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Au sujet du cloisonnement des circuits d'information et de décision, souvent critiqué, quel rôle de coordination la direction générale de l'Afssaps joue-t-elle ? Envisagez-vous des évolutions institutionnelles ?

M. Dominique Maraninchi. - La direction générale de l'Afssaps assure la responsabilité de la décision relative aux produits. Il est donc important de prendre en compte et de déclarer les éventuels avis contradictoires au sujet d'un produit. Notre travail consiste en l'évaluation des bénéfices et des risques. Il peut donc sembler dangereux que certaines commissions n'examinent que les risques et d'autres, que les bénéfices. Nous devons statuer sur les bénéfices et les risques dans le cadre d'une commission unique ou en confrontant deux commissions. C'est sur cette base que la direction générale de l'Afssaps doit prendre la responsabilité d'un avis final. Nous devons, en outre, tous pouvoir être interpellés, en vue de réexaminer rapidement la relation bénéfices-risques d'un produit de santé, lorsque des signaux sont remontés du terrain par le système de vigilance ou d'autres canaux.

Mme Marie-Thérèse Hermange . - Les professeurs Debré et Even ont proposé de transformer l'Afssaps en s'inspirant du modèle américain et en regroupant au sein d'une agence du médicament deux agences autonomes : une agence d'évaluation et une agence de pharmacovigilance. Ils ont également suggéré de fusionner la commission de la transparence avec la commission d'AMM. Jean-François Girard a par ailleurs proposé de sortir le dispositif de pharmacovigilance de l'Afssaps, pour l'intégrer à l'InVS. Quelles sont vos observations sur ce point ?

M. Dominique Maraninchi. - La responsabilité de l'agence et la richesse de notre système consistent à se pencher sur la relation bénéfices-risques dans le temps, de façon récurrente. Il faut intégrer dans cette analyse l'ensemble des bénéfices et des risques au fil du temps, ce qui impose que nous gardions en tête la comparaison avec d'autres pays. Je suis donc assez favorable qu'une partie au moins des fonctions de la commission de la transparence fusionne avec la commission d'AMM, car ce sont les mêmes experts qui participent à l'élaboration des avis. C'est donc un paradoxe que d'avoir deux sources d'information. Cependant, le rôle de la HAS est capital pour positionner le médicament dans un parcours thérapeutique, par exemple en cas d'efficacité pour une partie seulement des patients atteints d'une pathologie.

En ce qui concerne la vigilance, l'Afssaps doit conserver des vigilances, puisque l'évaluation des bénéfices et des risques doit se baser sur une comparaison, mais d'autres vigilances peuvent être traitées à l'Institut de veille sanitaire (InVS), comme la remontée et le traitement des signaux faibles ou les effets indésirables des vaccins, généralement associés à la propagation d'agents infectieux.

De façon plus concrète, nous devons nous articuler et tous ceux qui exercent des responsabilités de sécurité sanitaire doivent pouvoir alerter sur des vigilances. Un portail des vigilances serait donc extrêmement utile. L'Afssaps doit toutefois conserver un système de vigilance, afin d'examiner de façon transparente et complète la relation bénéfices-risques sur la vie du médicament après son enregistrement. Sans cela, elle ne se pencherait plus que sur les bénéfices et la situation serait dangereuse.

M. François Autain, président. - Le mode de financement de l'Afssaps a fait l'objet de controverses jusqu'à ce que le ministre, lors de la conférence de presse prononcée à l'occasion de la publication du rapport de l'Igas, déclare que le mode de financement de l'Afssaps serait désormais assuré par l'Etat, alors que l'Afssaps est aujourd'hui financée à 100 % par l'industrie pharmaceutique. La coïncidence est donc apparue frappante. Le ministre a déclaré que l'Etat recevrait les redevances de l'industrie pharmaceutique, puis financerait l'Afssaps. Quel est votre sentiment sur ce point, d'autant que Mme Bartoli a déclaré que l'actuel financement de l'Afssaps ne posait pas problème ?

Mme Fabienne Bartoli. - Je vais remettre mes propos dans leur contexte. Ces déclarations du ministre datent du 15 janvier dernier et mon intervention sur ce sujet était antérieure et visait à répondre à une question concernant le mode de financement de l'Afssaps, relatif à un éventuel lien de subordination entre l'agence et les opérateurs. Ma réponse sur ce point reste négative quant aux problèmes que poserait le mode actuel de financement. L'agence est financée par des taxes assimilées à des impôts dont le montant est fixé par le législateur. Or, à présent, ce qui pose problème, c'est que l'agent comptable perçoit ces recettes directement pour le compte de l'établissement. Le ministre a donc souhaité clarifier cette situation et a fait en sorte que ces prélèvements obligatoires soient versés à un agent comptable qui dépendrait de la direction générale des finances publiques, à Bercy. Il faudra un débat législatif sur ce point.

M. François Autain, président. - Ne pensez-vous pas qu'il y a un risque d'effets pervers, puisque certaines taxes sont perçues en fonction du nombre de dossiers traités par l'agence ? En effet, moins de dossiers seront traités, moins les revenus de l'Afssaps seront importants. Or les perspectives ne semblent guère optimistes, puisque, si le travail de l'agence européenne est amené à croître, celui de l'Afssaps devrait diminuer, ainsi que ses ressources. L'Afssaps est donc tributaire de l'argent de l'industrie pharmaceutique, ce qui porte atteinte à l'indépendance de l'institution, qui peut songer à multiplier les dossiers. Partagez-vous cette inquiétude ?

Mme Fabienne Bartoli. - 80 % des AMM concernent aujourd'hui des médicaments génériques. Ces volumes n'ont pas tendance à décroître, bien au contraire, et nous nous réunissons souvent au sein du réseau européen pour organiser l'évaluation de l'ensemble des dossiers génériques, afin que les médicaments parviennent sans retard et permettent d'engendrer les économies que les Etats attendent de ce dispositif. Nous avons enregistré des augmentations de volume et avons dû procéder à des gains de productivité pour y répondre correctement. En France, nous comptons 14 fabricants de médicaments génériques et, pour un brevet qui tombe dans le domaine public, plus d'un laboratoire demandera une AMM pour cette molécule.

Par ailleurs, les redevances versées à l'agence européenne sont reversées aux agences nationales. Plus de 10 % de nos revenus proviennent actuellement des AMM centralisées, pour lesquelles nous sommes rapporteurs ou co-rapporteurs. Enfin, plus de 40 % de nos revenus proviennent de la taxe assise sur les demandes d'AMM.

M. François Autain, président. - Nous n'avons donc pas d'inquiétude à nous faire sur ce point.

M. Dominique Maraninchi. - L'agence doit avoir les moyens de remplir ses objectifs et sa mission. Il serait donc grave de limiter les capacités d'inspection et de contrôle de l'agence, au prétexte de coupes budgétaires. Ces missions d'inspection et de contrôle doivent parfois être rapidement diligentées et il est exclu que le financement soit effectué par les personnes contrôlées. Enfin, dans l'onéreux domaine des biosimilaires, la Food and Drug Administration (FDA) va augmenter sa taxation, sur proposition du gouvernement Obama. Il reste que les industriels ne financent pas volontiers une agence qui les inspecte, les contrôle et, éventuellement, les sanctionne.

M. François Autain, président. - Une commission de l'Afssaps est chargée d'examiner la publicité en direction du public et des médecins. Il s'agit d'un contrôle a posteriori pour la publicité en direction des médecins, mais d'un contrôle a priori pour la publicité en direction du public. Or la publicité, si elle est mensongère, a déjà produit ses effets pervers auprès des médecins, puisqu'elle est contrôlée a posteriori, ce qui est déjà arrivé. Ne faudrait-il pas dès lors aligner le contrôle de la publicité en direction des médecins sur le régime de la publicité en direction du public ? De plus, la commission de la publicité ne devrait-elle pas être transférée à la HAS, comme certains le préconisent ?

M. Dominique Maraninchi. - La publicité en direction des patients est assez bien régulée et des sanctions sont prévues.

En outre, à la différence de la FDA, l'Afssaps ne s'adresse pas de façon suffisamment claire aux personnes malades, aux médecins, aux pharmaciens, ce qui lui est reproché. C'est notre rôle d'informer loyalement sur les produits de santé prescrits par les médecins, mais sans faire de publicité.

En ce qui concerne l'information médicale par le biais de sponsorings dans des colloques, la HAS doit veiller à ce qu'une information médicale de très bonne qualité circule sur le territoire. Je n'ai pas à me prononcer sur le contrôle et la sanction, qui sont difficiles à effectuer, mais pas impossibles. En ce qui concerne l'Afssaps elle-même, elle doit informer les médecins sur l'ensemble des produits d'une gamme, de façon loyale, et se positionner sur ces sujets vis-à-vis des patients et des médecins. Il n'appartient enfin pas aux firmes de décrire des parcours thérapeutiques, mais à la HAS.

M. François Autain, président. - Nous constatons effectivement certaines redondances entre l'Afssaps et la HAS concernant l'information sur le médicament. Il faut donc veiller à ce que chacun fasse bien son travail. Il n'est pas question d'interdire à l'Afssaps de communiquer sur le médicament, mais il faut que cette communication soit bien encadrée, car, selon notre système de santé, la HAS doit garder sa compétence en matière d'information des médecins et des patients.

Par ailleurs, les laboratoires se sont engagés à rendre publics leurs essais cliniques une fois l'AMM délivrée. Toutefois, dans des pays étrangers, notamment aux Etats-Unis, les laboratoires sont contraints de publier leurs essais, qu'ils soient positifs ou négatifs. Qu'en pensez-vous ?

M. Dominique Maraninchi. - Merci de cette question, qui me tient à coeur. La France a été très en avance sur les essais cliniques, sur l'autorisation de procéder à des essais cliniques. Il ne faut pas oublier que c'est l'Afssaps qui donne l'autorisation de procéder à des essais cliniques, ce qui cependant ne suffit pas. Il faut en effet donner une information plus complète, indiquer à quel endroit se réalise l'essai clinique. L'Afssaps doit également pouvoir surveiller l'essai clinique. Il faudra une transparence totale sur le site de l'Afssaps, au sujet de tous les essais cliniques ouverts en France, du nombre de malades inclus dans ces essais, des lieux dans lesquels la recherche biomédicale est effectuée. Sous l'influence des associations de patients, dans les domaines du syndrome d'immunodéficience acquise (sida) et du cancer, nous disposons d'une cartographie exhaustive de ces essais cliniques. Il s'agit d'un sujet majeur et la suspicion demeurera si nous ignorons où se déroulent les essais cliniques ainsi que leurs résultats. Votre sagesse législative pourrait s'exercer dans ce domaine, afin que ceux qui autorisent les essais cliniques puissent exiger du promoteur des rapports d'étape.

M. François Autain, président. - Aucune obligation juridique ne prévaut effectivement dans ce domaine pour l'heure.

M. Dominique Maraninchi. - Les associations de patients ont exercé une forte pression sur les promoteurs, mais, paradoxalement les promoteurs publics sont les plus frileux dans ce domaine. C'est le rôle de l'agence que d'en exiger un tableau de bord au moins trimestriel.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Merci de vos réponses.

Dans le projet de loi bioéthique, nous avons réintégré l'ensemble des éléments de la proposition de loi sur la recherche et le consentement des personnes. La commission mixte paritaire n'a pas eu lieu et nous avons dû réintroduire ces dispositions dans le projet de loi sur la bioéthique. Les parlementaires sont tenaces.

M. François Autain, président. - Nous allons effectuer des propositions dans notre rapport au sujet des essais cliniques.

M. Dominique Maraninchi. - Je me suis engagé à ce que l'Afssaps accentue la transparence de l'accès aux essais cliniques en France.

M. François Autain, président. - Je souhaitais également vous interroger sur la liste des soixante-seize médicaments, qui a été beaucoup critiquée, bien qu'il s'agisse là d'un effort de communication de votre part. Quelle leçon tirez-vous sur cette information concernant des médicaments sous surveillance, l'un au moins ayant été retiré ?

M. Dominique Maraninchi. - L'Afssaps n'était pas prête à parler des médicaments ni de leur relations bénéfices-risques à la population, aux pharmaciens, aux prescripteurs. Néanmoins, nous avons le devoir d'évoquer ces questions régulièrement, d'alerter, d'informer de façon très transparente. Nous avons été contraints par les évènements subis par notre pays d'afficher rapidement la liste des médicaments sous surveillance, sans pouvoir être explicites sur les raisons de leur surveillance. Cette liste a donc créé beaucoup d'émoi, ce que je comprends.

Tout d'abord, les informations de ce type doivent être partagées avec les médecins prescripteurs et les pharmaciens. L'agence du médicament doit pouvoir parler avec régularité du médicament à la population et aux médecins, en dehors d'une ambiance de drame. Ensuite, il ne faut pas évoquer uniquement les risques des médicaments. Nous en sommes donc à la deuxième version de cette liste, qui sera meilleure que la première car elle tiendra compte des classes thérapeutiques. Je me suis engagé à ce qu'une nouvelle version sorte tous les mois, afin que, progressivement, nous dédramatisions la situation. Nous serons très transparents au sujet de toutes les suspensions, mais il est inutile d'affoler la population. Cette liste sera donc réévaluée chaque mois, selon un processus évolutif. Nous devrons prendre le temps d'y intégrer les personnels de santé, comme c'est le cas dans la deuxième version que j'évoquais. Il s'agit d'un travail sur le long terme et j'espère que nous parlerons désormais de « la liste des médicaments » et non de « la liste des médicaments préoccupants ».

M. François Autain, président. - Parmi les médicaments sous surveillance, certains n'apportent aucun progrès thérapeutique, l'amélioration du service médical rendu (ASMR) étant au niveau 5. Dès lors, pourquoi maintenir ces médicaments ?

M. Dominique Maraninchi. - Vous avez tout à fait raison. Un médicament qui n'engendre pas de bénéfices ne produit que des risques et il faut le suspendre. Nous prendrons des mesures lors des prochaines commissions d'AMM au sujet de ces réévaluations. En ce moment, l'Afssaps peut donner l'impression qu'elle n'est vertueuse que depuis peu, alors qu'elle suspend des produits depuis toujours, même si une faille d'importance est intervenue concernant le Mediator. Une telle faille ne se produira plus et la liste de tous les médicaments dont nous réévaluons les bénéfices et les risques doit être rendue publique régulièrement. Je suis donc d'accord avec vous : cette liste n'a pas été adaptée à son objectif. Je m'engage à la faire évoluer chaque mois.

M. François Autain, président. - Il existe sans doute trop de médicaments et il est de plus en plus difficile de surveiller tous ces médicaments, ce qui pose problème. Une réflexion doit être mise en oeuvre pour éviter d'augmenter ce nombre. Ne faudrait-il pas être plus sévère en ce qui concerne le remboursement et éliminer les médicaments ne présentant pas d'intérêt majeur par rapport à ceux qui existent déjà ? L'obligation d'essais comparatifs en phase pré-AMM pourrait être une façon de nous prémunir contre ce trop grand nombre de médicaments mis sur le marché, qui ne sont pas utiles aux patients. Recherchons-nous l'intérêt du patient ou celui de l'industrie ? La réponse de certains experts à cette question est ambiguë.

M. Dominique Maraninchi. - Notre intérêt est un intérêt de santé publique. Les Français consomment trop de médicaments, ce qui n'engendre que peu de bénéfices et trop de risques. Nous devons donc changer collectivement notre pédagogie sur ce point. Il est ainsi possible de consulter un médecin, sans pour autant que ce dernier fasse une prescription. Les médicaments doivent être utilisés avec parcimonie et, lorsqu'un médicament est utilisé à long terme, il présente forcément un risque, notamment chez les personnes âgées. En sus de la pédagogie, si nous voulons des progrès, nous devons autoriser de nouvelles molécules plus intelligentes, plus précises. Nous devons donc abandonner certaines molécules. Ces progrès doivent également être soumis à un comparateur, qui doit être très bon. En cancérologie, nous comparions les médicaments à l'absence de traitement. Lorsque les médicaments sont comparés à un traitement, il faut choisir le meilleur. Or les traitements établis ne sont pas forcément très standardisés. Je partage votre avis ; nous devons nous doter de comparateurs à l'enregistrement, mais c'est le rôle des experts et des agences de trouver le meilleur comparateur à un moment donné.

M. François Autain, président. - Nous pouvons établir une liste des comparateurs pour chaque famille thérapeutique.

M. Dominique Maraninchi. - C'est en cours, notamment à la Food and Drug Administration (FDA). Il s'agit néanmoins d'un débat complexe et les médecins ne sont jamais d'accord pour savoir quel est le meilleur traitement. Il faut également réévaluer les comparateurs.

Il importe par ailleurs d'enregistrer de nouveaux médicaments selon moi.

M. François Autain, président. - Même s'ils ne sont pas meilleurs ni plus efficaces ?

M. Dominique Maraninchi. - Oui. Certains malades supportent mal tel principe actif et doivent changer de me too. Il ne faut toutefois pas pour autant de concurrence entre les me too. Le fait de disposer de plusieurs classes d'antibiotiques est positif, mais il faut les utiliser avec parcimonie. Il faut également veiller à ne pas arrêter le développement de nouveaux antibiotiques. Nous sommes impatients de disposer d'une nouvelle génération d'antibiotiques, ce qui ne signifie pas que son usage doive être disséminé.

M. François Autain, président. - Nous avons besoin d'un antibiotique efficace contre les souches de microbes résistantes. Il ne s'agirait donc pas de me too, mais d'un nouvel antibiotique. Par ailleurs, il faut prendre garde à ne pas multiplier les me too - je pense en France aux statines et aux hypotenseurs - si les nouveaux ne sont pas forcément meilleurs que les précédents, non seulement dans l'intérêt du patient, mais aussi dans celui de l'assurance maladie. Ces nouveaux médicaments sont toujours beaucoup plus chers que ceux qui existent déjà ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils sont mis sur le marché. Il ne s'agit pas là d'une bonne politique, c'est pourquoi je préconise les essais comparatifs, sans être beaucoup entendu, quoique, sur le plan européen, 50 % des médicaments bénéficient d'essais comparatifs, ce qui n'est pas négligeable.

Mme Virginie Klès. - En ce qui concerne le vaccin contre la grippe, l'étude de la balance des bénéfices et des risques a été très rapide. Les firmes pharmaceutiques ont-elles exercé une forte pression pour produire ce vaccin ? Avons-nous pris toutes les précautions au sujet de ce vaccin ?

M. Dominique Maraninchi. - Le vaccin constitue un bien de santé très particulier, car la personne vaccinée n'obtient pas toujours de bénéfice et elle court plus de risques que de bénéfices lorsqu'elle est vaccinée. Les vaccins sont donc mis sur le marché dans un intérêt individuel et collectif, ce qui diffère de la situation que nous avons connue avec le Mediator. Certains vaccins sont conçus pour stopper la propagation d'une épidémie, au sujet de laquelle les connaissances sont parfois parcellaires et il me semblerait opportun d'associer la vigilance contre les propagations épidémiques à celle portant sur la toxicité des vaccins.

M. François Autain, président. - C'était une pandémie de grippe, pas une grippe banale...

Mme Fabienne Bartoli. - Des auditions et des commissions d'enquête ont été effectuées sur ce sujet et l'agence européenne a été plus précautionneuse que la FDA, car elle a souhaité des essais cliniques complémentaires, tandis que la FDA a autorisé tous les vaccins contre la grippe, selon une procédure d'extrapolation des résultats cliniques aux nouvelles souches à partir desquelles ont été produits les vaccins contre la pandémie de grippe A (H1N1)v. En Europe, un dispositif spécifique, accéléré et destiné à répondre à une urgence de santé publique, a été mis en place. Néanmoins, l'évaluation des vaccins et des produits de santé a répondu à une procédure envisagée dès 2005, en vue de répondre à une urgence de sécurité sanitaire. L'évaluation a été rapide, mais pas au rabais pour autant, car les évaluateurs ont accru les contraintes et ces vaccins ont été évalués de façon prioritaire. Les AMM délivrées alors ont, de plus, été conditionnées à la mise en place de plans de gestion de risque et de suivi épidémiologique. Ces plans nous permettent d'ailleurs aujourd'hui de disposer d'informations complémentaires sur ces vaccins.

M. François Autain, président. - Merci, madame Bartoli.

Je m'adresse aussi à l'ancien président de l'Institut national du cancer (INCa). J'ai lu dans la presse que certains proposaient d'intégrer l'INCa et l'Agence de la biomédecine (ABM) à la HAS. Qu'en pensez-vous ?

M. Dominique Maraninchi. - Il faut économiser l'agent public et il faut que les agences soient efficaces.

Les principaux intérêts de l'INCa sont d'intégrer la dimension de santé publique, d'appuyer la distribution de l'organisation des soins pour les personnes atteintes de cancer et, surtout, la vocation de l'INCa est d'être une agence nationale de recherche contre le cancer : 80 % des fonds de l'INCa sont dispensés sur des bases compétitives à des projets innovants dans l'organisation des soins et la recherche. Je souhaiterais donc, pour ma part, que cette agence conserve son organisation actuelle, sous votre contrôle, afin qu'elle n'outrepasse pas ses prérogatives. 160 personnes travaillent à l'agence, qui ne peut fonctionner que si elle est en lien avec les autres agences. Par ailleurs, elle accueille en son sein les associations caritatives et d'usagers. La HAS a de nombreuses préoccupations de santé publique et elle pourrait choisir de ne pas considérer le cancer comme une priorité. Il est donc positif que nous conservions sous l'autorité du législateur une agence dédiée au cancer. Il faut obliger l'INCa à travailler avec les autres agences, ce qui est le cas.

M. François Autain, président. - Merci, madame Bartoli et monsieur Maraninchi, d'avoir répondu à nos questions.

Jeudi 31 mars 2011

- Présidence de M. François Autain, président -

Audition de M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale (2000-2002)

M. François Autain, président. - Nous recevons aujourd'hui M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales et ancien directeur de la sécurité sociale. C'est à ce dernier titre que nous l'auditionnons mais aussi parce qu'il est l'auteur d'un rapport remarqué, paru en septembre 2007, et portant sur l'information des médecins généralistes sur le médicament. Nous lui demanderons si ses propositions ont reçu un accueil favorable du gouvernement et si, depuis, la situation s'est améliorée.

Ouverte à la presse, cette audition fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Notre objectif est de nous interroger sur la politique publique d'évaluation et de contrôle du médicament.

En 1999, la commission de la transparence classe « insuffisant » le service médical rendu (SMR) du Mediator. Le Comité économique des produits de santé (Ceps), sur indication des ministres, diminue le prix des médicaments à SMR insuffisant.

M. François Autain, président. - Le Ceps a agi sur indication des ministres ou les ministres ont-ils pris la décision sur indication du Ceps ? On peut se poser la question.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pour le Mediator, cette baisse s'effectue en trois étapes entre 2000 et 2002. Dans le même temps, la direction de la sécurité sociale, que vous dirigez alors, propose aux ministres une baisse du taux de remboursement du Mediator par note du 24 décembre 2001. Selon le rapport de l'Igas, vous n'obtenez pas de réponse à la nouvelle note du 8 août 2002 qui rappelle le caractère nécessaire de cette baisse compte tenu du montant des dépenses de remboursement de ce produit. Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont contribué à retarder cette baisse ? Y a-t-il eu de tels retards pour d'autres médicaments ? Et comment s'effectue une baisse de remboursement d'une manière générale ?

L'Igas considère que la proposition de déremboursement de 65 à 35% « n'aurait toutefois pas eu de conséquence en matière de prescription et de consommation, contrairement à une décision de déremboursement ». Partagez-vous cet avis ?

M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur de la sécurité sociale. - Je commence par la baisse des prix puisque, avant d'être directeur de la sécurité sociale, j'étais au cabinet de Mme Martine Aubry. La ministre a décidé que tous les médicaments à SMR insuffisant devaient être déremboursés dans un délai de trois ans, mais non immédiatement pour tenir compte des habitudes des patients et des prescripteurs ainsi que des intérêts des industriels. On a donc commencé par diminuer le taux de remboursement des vasodilatateurs et à abaisser certains prix. Ensuite, en 2001, la direction de la sécurité sociale a préparé un passage du remboursement de 65 à 35% pour les médicaments à SMR insuffisant pour lesquels les laboratoires ne feraient pas d'observations. Or, les laboratoires Servier ont fait des observations, ce qui a entraîné une nouvelle réunion de la commission de la transparence à la suite de laquelle, le 24 décembre, la direction de la sécurité sociale a proposé au ministre de faire passer le remboursement du Mediator de 65 % à 35 %. Cette note n'a pas eu de réponse. Une relance de mon adjoint faite en août 2002 non plus. Quand il a pris ma succession, il a encore fait deux rappels sans recevoir davantage de réponse.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelle appréciation portez-vous sur la complexité et la longueur de la procédure de déremboursement ? Ne concernent-elles que le Mediator ou bien tous les médicaments en général ?

M. Pierre-Louis Bras. - A l'époque, nous n'en étions pas au déremboursement mais seulement au passage du remboursement de 65 % à 35 %. En général, ce passage n'a pas d'incidence sur le volume des ventes parce que les complémentaires prennent ces médicaments en charge à 100 %. Il est vrai que les laboratoires, lorsqu'ils sont procéduriers - et avec Servier, c'était le cas - peuvent se défendre efficacement contre les décisions de l'administration. Avant de faire entrer les nôtres en vigueur, nous étions soumis à un véritable parcours du combattant juridique. Par exemple, certaines de nos décisions sur les vasodilatateurs ont été annulées.

M. François Autain, président. - Le premier arrêté de Mme Aubry avait été annulé....

M. Pierre-Louis Bras. - De lourdes procédures contradictoires nous étaient imposées avant de pouvoir prendre une décision.

M. François Autain, président. - Donc, vous aviez eu connaissance du dossier Mediator bien avant d'autres experts.

M. Pierre-Louis Bras. - Le Mediator était un des 835 médicaments à SMR insuffisant. Mais insuffisant ne signifie pas inutile et encore moins dangereux.

M. François Autain, président. - Comment un médicament insuffisant peut-il être utile ?

M. Pierre-Louis Bras. - Lorsque le rapport bénéfice-risque est positif, il obtient l'AMM. C'est une présomption basée sur des études cliniques. Et en France, il y a un deuxième obstacle à la vie du médicament qui est la possibilité de le dérembourser.

M. François Autain, président. - Est-ce vraiment un obstacle ?

M. Pierre-Louis Bras. - Oui, car on a, quand même, depuis déremboursé les 835 médicaments à SMR insuffisant.

M. François Autain, président. - Il a fallu dix ans !

M. Pierre-Louis Bras. - On peut ne pas rembourser un médicament, même s'il a l'AMM, dès lors que la commission de la transparence le considère comme insuffisant. Insuffisant ne veut pas dire inutile puisque l'AMM garantit son utilité. C'était la norme à partir de laquelle nous fonctionnions à l'époque. Nous ne disions pas a fortiori qu'ils étaient dangereux.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - En tant que directeur de la sécurité sociale, disposiez-vous d'éléments sur les prescriptions hors AMM du Mediator ? Et déplorez-vous ces prescriptions hors AMM ?

M. Pierre-Louis Bras. - Pour le Vastarel, nous avions des remontées sur ses prescriptions hors AMM et j'avais proposé au ministre de le dérembourser. Ces données venaient du système Doréma, outil informatique dont dispose l'industrie pour suivre l'impact de ses visites médicales et les habitudes de prescription des médecins.

M. François Autain, président. - Vous aviez écrit à la ministre votre « intention de radier le Vastarel de la liste des spécialités remboursables ». Dommage que vous n'ayez pas été suivi...

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelle est, selon vous, l'influence de la visite médicale sur les prescriptions des médecins ? Disposent-ils des outils suffisants pour exercer leurs avis critiques sur les informations délivrées par les laboratoires ?

M. Pierre-Louis Bras. - L'industrie pharmaceutique reste prépondérante dans l'information des généralistes, sauf pour la minorité qui résiste et ne reçoit pas les visiteurs médicaux. Les visites ont une incontestable influence sur les prescriptions ; sinon les laboratoires n'investiraient pas dans ces visites. En 2007, l'effort marketing de ces derniers se montait à 3 milliards d'euros, la visite médicale représentant 25 000 euros par an pour chaque généraliste. Si l'on consacrait seulement le dixième de ces sommes à la formation continue des généralistes, le progrès serait déjà considérable. Les laboratoires consacrent donc une débauche de moyens à la visite médicale. Celle-ci peut être utile quand il est nécessaire de développer l'usage d'un médicament novateur. Mais l'information délivrée par ces visiteurs médicaux est biaisée parce qu'ils sont rémunérés en fonction de leurs résultats en termes de prescriptions et parce que la rivalité entre laboratoires les fait se limiter à déplacer la prescription d'un produit A vers un produit B qui n'est pas meilleur. Il y a là une grande perte de temps, et d'argent pour la collectivité puisque c'est nous qui payons la visite médicale : c'est la collectivité, qui, en fixant le prix des médicaments, octroie aux laboratoires leurs ressources. La visite médicale est donc un mécanisme d'information pervers - puisqu'il n'est pas objectif - et extrêmement coûteux. Mais c'est un mode d'information gratuit, pratique, valorisant et agréable pour le médecin qui, entre ses nombreux malades, reçoit une personne en bonne santé et pleine d'attention à son égard. De même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, les médecins ne vont pas rechercher ailleurs - par exemple sur les sites de la HAS ou de l'Afssaps - une information plus objective mais plus difficilement accessible. Ils sont une majorité à apprécier l'information des visiteurs médicaux, même s'ils sont conscients qu'elle n'est pas objective. Cette ambivalence tient au fait qu'on se pense toujours capable de résister à une influence marchande. Mais toutes les études montrent l'impossibilité d'un regard critique face à l'argumentation d'un commercial.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Si les médecins avaient 25 000 euros annuels à leur disposition, où iraient-ils se former ?

M. Pierre-Louis Bras. - Il est vrai que les pouvoirs publics n'assurent pas cette fonction d'information sur le médicament. Notre rapport proposait que ce soit là une mission claire de la HAS mais nous considérions aussi qu'il fallait aller au-delà de l'information, jusque dans l'univers de la stratégie d'influence des laboratoires. Face à une telle stratégie, un organisme qui ne délivrerait que de l'information pure a perdu d'avance. Nous disions que les pouvoirs publics devaient se donner les moyens d'informer les médecins et, aussi, de développer une stratégie de promotion du bon usage du médicament ; c'est-à-dire que la HAS doit avoir un organisme de veille sur la stratégie des laboratoires. Diffuser l'information, sans se préoccuper des possibilités de son détournement par l'industrie, c'est insuffisant. Je peux citer l'exemple d'un médicament nouveau dont une fiche de bon usage de la HAS avait averti qu'il s'agissait d'un médicament de deuxième intention. La stratégie du laboratoire a été de le faire passer en première intention : des leaders d'opinion sont intervenus dans la presse pour dénoncer la timidité de la HAS et dire que ce médicament méritait d'être prescrit en première intention. La HAS doit donc développer une capacité de veille sur ces stratégies des laboratoires, et y répondre.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous me faites là une réponse d'ordre général. Mais, concrètement, si je suis médecin, où vais-je me former avec mes 25 000 euros annuels ?

M. Pierre-Louis Bras. - L'information sur le médicament doit provenir du site de la HAS qui doit être complet et ergonomique. Pour la formation continue, une réforme est en cours et je ne sais pas où on en est puisque les décrets ont été bloqués - notamment en ce qui concerne les organismes agréés - après l'affaire du Mediator. Pour moi, la référence, c'est ce que faisait l'assurance maladie. Elle finançait...

M. François Autain, président. - Pourquoi en parlez-vous au passé ?

M. Pierre-Louis Bras. - Parce que, avec la réforme, ce n'est plus elle qui gèrera les crédits de la formation conventionnelle. Elle les gèrera de façon tripartite avec l'Etat et la profession. Je ne critique pas ce tripartisme car la formation ne doit pas dépendre que d'un organisme dont l'objectif principal est la maîtrise des dépenses. Dans le dispositif que pilotait la Cnam, les médecins étaient subventionnés pour aller dans des programmes agréés après avis d'un conseil scientifique : c'est une garantie car il ne faut pas se contenter d'agréer des organismes, il faut aussi agréer des programmes, même si c'est une lourde procédure. Comme la réforme a rebattu toutes les cartes et que les décrets ne sont pas encore parus, je ne peux aller plus loin dans l'appréciation de ce que sera l'organisation de la formation. Il faut reconnaître que c'est depuis 1996 qu'on rebat les cartes. La dernière réforme date de la loi HPST, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur.

M. François Autain, président. - Dans votre rapport, vous faites sur la visite médicale des propositions un peu différentes de celles qu'avance la députée Catherine Lemorton dans son rapport de 2008. Les délégués de l'assurance maladie (les Dam) visitent les médecins pour tenter de rééquilibrer leur information mais, comme ils sont sous la responsabilité de l'assurance maladie, les médecins considèrent qu'ils ne sont pas indépendants. Vous, vous proposez de ne pas confier à la HAS la totalité de la gestion des Dam mais d'en sous-traiter une partie, sur certains sujets, à l'assurance maladie. Catherine Lemorton propose de transférer tous les Dam à la HAS, tandis que Martin Hirsch, plus radical, veut supprimer toute visite médicale. Que pensez-vous de sa proposition et de celle de Mme Lemorton ?

M. Pierre-Louis Bras. - Les Dam sont un moyen de contrer la visite médicale des laboratoires en employant la même méthode qu'eux. Nous n'avions pas proposé de les transférer à la HAS parce que cette structure, nouvelle, ne dispose pas des capacités de management suffisantes pour gérer un tel réseau, et parce que les Dam travaillent en lien étroit avec les médecins conseils de l'assurance maladie. La difficulté est que nous avons d'un côté une industrie pharmaceutique qui promeut la prescription et, d'un autre côté, une assurance maladie qui promeut la restriction de la prescription. Or il ne faut promouvoir ni l'un, ni l'autre ; il faut promouvoir le bon usage des soins. L'actuelle division du travail n'étant pas saine, nous avions proposé un compromis : permettre à la HAS d'utiliser le réseau des Dam pour certaines campagnes thématiques. Cela n'a pas été fait parce que cet organisme n'a pas été doté des moyens, ni chargé de promouvoir le bon usage des soins. Quant à la radicalité de M. Martin Hirsch, je la salue.

M. François Autain, président. - Moi aussi. Il m'a dit que cette suppression radicale était possible. Mais cela pose un problème politique. Cela ne peut se faire qu'en transférant les 18 000 visiteurs médicaux vers la HAS ou l'assurance maladie. Aucun ministre ne peut envisager une mesure aussi radicale sans compensation.

M. Pierre-Louis Bras. - Plus prudemment, nous nous étions bornés à dire que les pouvoirs publics devaient programmer le désarmement de la visite médicale. Pour des raisons sociales et humaines évidentes, cela ne peut qu'être étalé dans le temps. Mais pour ce faire, encore faut-il que ce soit une option politique affichée.

Ensuite pour financer cela, nous proposions d'utiliser la taxe sur la promotion. Plus cette promotion est taxée, moins les visites médicales sont rentables et moins il y en aura.

M. François Autain, président. - Cette taxe qui existe depuis longtemps n'a pas atteint son objectif et on a restreint son assiette. Il est anormal que la presse médicale n'y soit pas incluse. Je doute de la vertu de cette taxe pour faire diminuer la visite médicale.

M. Pierre-Louis Bras. - L'assiette de cette taxe a été progressivement érodée. On peut s'interroger... Elle n'est pas dissuasive ? Comme pour toute taxe, son effet dissuasif dépend de son taux. Si ce taux augmente, la visite médicale deviendra moins rentable. Je ne sais pas quel taux serait nécessaire. Il suffit de tester.

Le problème, c'est que l'effort de promotion sera seulement déplacé. Il se déplace déjà des généralistes vers les spécialistes et les hospitaliers, vers les « leaders d'opinion clés » (les Kee Opinion Leaders, les Kol). Dans la presse pharmaceutique on voit déjà la publicité d'agences qui se vantent d'avoir des réseaux de ces leaders d'opinion. Ces agences se constituent des « cheptels » de Kol. Actuellement ces leaders d'opinion sont à l'hôpital. Il convient donc de se poser maintenant la question des visites médicales à l'hôpital. Il faudrait leur appliquer les principes que s'imposent les hôpitaux américains les plus vertueux : pas de visite individuelle ; on reçoit les visiteurs en groupe pour pouvoir opérer des comparaisons et c'est l'équipe médicale entière qui les reçoit. Ils doivent venir sur rendez-vous et sur invitation. Tous les contacts doivent être tracés et documentés. Un visiteur médical n'a rien à faire dans l'hôpital, rien à faire auprès des internes. J'ai la faiblesse de penser que ceux-ci doivent être formés par leurs maîtres, non par ces visiteurs.

Que l'hôpital n'ait pas les moyens d'assurer cette information et cette formation alors que l'industrie pharmaceutique les a, cette idée me choque, parce que c'est nous, c'est la collectivité qui, en fixant le prix des médicaments, fournit à cette industrie ses moyens. L'argent est quelque part et, pour rendre à l'hôpital public ce qui devrait être une politique publique, il faut prendre l'argent là où il est, dans les entreprises privées, et le rendre au public, en diminuant le prix des médicaments. Actuellement, l'hôpital ne finance que 10% de la formation hospitalière ; l'industrie pharmaceutique finance le reste...

M. Jacky Le Menn. - Puisque, dites-vous, la visite médicale ne fait que déplacer la prescription d'un produit vers un autre, globalement, la dépense médicale ne devrait pas augmenter. Les divers laboratoires viennent-ils voir tous les médecins ou bien se partagent-ils le territoire ?

M. Pierre-Louis Bras. - La visite médicale a pour effet de déplacer les marges entre produits similaires mais aussi d'augmenter la prescription. Au total, le marché est globalement soutenu.

M. François Autain, président. - Encore une concurrence qui ne fait pas baisser les prix !

M. Pierre-Louis Bras. - Traditionnellement, l'industrie pharmaceutique corrélait parts de voix et parts de marché. Maintenant, avec les génériques, ce n'est plus aussi simple.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'équipe hospitalière, dont vous recommandiez qu'elle reçoive collectivement les visiteurs médicaux, est-elle interdisciplinaire ? Que faire en cas d'essais cliniques ? Et comment un interne pourrait-il contester l'avis de son chef de service ?

M. Pierre-Louis Bras. - Cela signifie seulement qu'il ne doit pas y avoir de relations individuelles. Dans un staff hospitalier il y a des praticiens capables de discuter des vertus d'un médicament avec le chef de service. J'ajoute qu'il est bon de joindre les pharmaciens à l'équipe qui reçoit les visiteurs. Si un essai clinique est en cours, il faut bien sûr en tenir compte. L'important, c'est que la décision soit collective et transparente, afin d'éliminer tout conflit d'intérêt. C'est ce qui se pratique dans les hôpitaux américains qui ont décidé de se doter d'une charte déontologique fondée sur ces principes. Tout le monde y gagnerait du temps et l'assurance maladie y gagnerait de l'argent.

M. François Autain, président. - Le rôle du visiteur médical est, souvent de déplacer la prescription vers des médicaments nouveaux, plus chers mais pas meilleurs, au détriment des génériques. Depuis que les statines sont génériquées, la prescription se déplace vers celles qui ne le sont pas encore. La visite médicale incite à prescrire des princeps, beaucoup plus chers. Plutôt que de se ruiner à envoyer des Dam auprès des médecins, mieux vaudrait agir à la source en évitant de mettre sur le marché ces médicaments et, si on les y met, en leur fixant un prix inférieur à celui des produits existants. Or, ce n'est pas du tout la politique actuelle. Au motif de ne pas mécontenter tel ou tel laboratoire, on accorde à chacun d'eux le droit d'avoir sa statine. Chacun a obtenu satisfaction, ce qui a abouti à augmenter la consommation, à augmenter les dépenses de la sécurité sociale et à renforcer la compétition entre laboratoires sans aucun effet bénéfique sur la santé publique. La Nouvelle-Zélande ne compte que deux statines - au lieu de sept - et l'on n'y connaît pas plus de complications cardiovasculaires qu'en France.

Maintenez-vous les positions de votre rapport à ce sujet ?

M. Pierre-Louis Bras. - Depuis la parution de mon rapport, la situation est devenue encore plus ubuesque, avec les contrats d'amélioration des pratiques individuelles (Capi), promus par la Cnam et auxquels ont adhéré 15 000 médecins. On leur impose de prescrire dans le « répertoire » la liste des princeps et de leurs génériques. Les médicaments qui n'ont pas de génériques sont hors répertoire. Les princeps non génériqués augmentent leurs parts de marché, du fait de la visite médicale. Maintenant, donc, d'un côté on laisse se développer la visite médicale et, de l'autre, l'assurance maladie paye des Dam pour vendre des CAPI aux médecins, et elle paye ceux-ci pour résister à cette visite médicale ! C'est Ubu ! Et ce n'est possible qu'à cause de l'existence de deux centres d'impulsion : le ministère et l'assurance maladie.

Les Allemands, eux pratiquent le jumbo class : en cas de médicaments équivalents, ils les remboursent sur la base du moins cher ; automatiquement, tous les laboratoires s'alignent sur ce prix remboursé.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'encouragement à la consommation de génériques a suscité des concurrences entre nombre de ces génériques, non indispensables, et certains excipients posent problème.

M. Pierre-Louis Bras. - Normalement, les génériques sont bioéquivalents ; et je crains que cette histoire d'excipient ne soit une propagande anti-générique. Si un jour, il y a un problème d'excipient, on le traitera mais ce n'est pas, actuellement, le problème de sécurité sanitaire qui, dans notre pays, m'inquiète le plus.

La concurrence entre génériques vient de ce que le prix est administré. Le prix des génériques est de 45 % du princeps mais leur coût de production pouvant n'en être que de 20 %, les marges sont parfois énormes et tous les génériqueurs se jettent dans un concurrence qui ne profite pas à l'assurance maladie mais aux pharmaciens. Avec un plafond de remise limité à 17 %, ces derniers font jouer la concurrence.

M. François Autain, président. - Le Gouvernement en est un peu responsable. On a donné aux pharmaciens un rôle qu'ils n'auraient pas eu si la prescription s'était faite en DCI (dénomination commune internationale). Maintenant, il serait difficile de leur retirer ce rôle.

M. Pierre-Louis Bras. - Pour que cette concurrence entre génériques profite à l'assurance maladie et non plus aux pharmaciens, la Cnam a proposé de faire des appels d'offres à tous les laboratoires du monde pour les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), la HAS ayant établi que génériques et princeps étaient tous équivalents. Elle choisirait deux ou trois fabricants, pour ne pas avoir de rupture d'approvisionnement ; ils auraient l'exclusivité du remboursement en France. On aurait ces IPP au meilleur prix et, en plus, cela aurait l'avantage de faciliter le travail de l'Afssaps qui aurait moins d'entreprises à contrôler. Il faut étudier cette proposition de la Cnam. Je ferais cependant une réserve pour les statines dont la HAS a établi qu'elles n'étaient pas toutes équivalentes. Je m'en tiens à ce que dit la science...

M. François Autain, président. - Vous considérez donc que la charte de qualité de la visite médicale et les limitations imposées par le Ceps ont échoué ?

M. Pierre-Louis Bras. - En 2007, nous disions que cette charte ne servirait à rien. En 2009 la HAS a confirmé notre intuition : ce n'était qu'une typique proposition d'autorégulation destinée à éviter la régulation.

M. François Autain, président. - Et la limitation du nombre de visites par classe de médicament ?

M. Pierre-Louis Bras. - C'était dans la charte, cela a été abandonné.

M. François Autain, président. - Et les reversements destinés à limiter les prescriptions, par convention entre les laboratoires et le Ceps, sont-ils efficaces ?

M. Pierre-Louis Bras. - C'est la clause de sauvegarde. C'est un outil très faible, et c'est un outil à un coup puisque chaque année la base de départ est celle du dépassement de l'année précédente. Il s'agit d'un élément du compromis.

M. François Autain, président. - Je l'avais critiqué au Sénat et n'avais pas toujours été compris.

M. Pierre-Louis Bras. - Cela ramène un peu d'argent, c'est une petite mesure comptable mais ce n'est pas une mesure fondamentale de régulation.

M. Jacky Le Menn. - Il existe une commission des médicaments dans tous les établissements hospitaliers publics, qui mène une politique de gestion maîtrisée, notamment par le biais de groupements d'achats.

M. Pierre-Louis Bras. - Le médicament étant déjà géré à l'hôpital, ce que je propose devrait instaurer naturellement une véritable discipline à l'égard des visiteurs médicaux. Les prises de position ne seraient pas influencées par la relation, la déontologie pourrait conforter la gestion du médicament à l'hôpital public.

M. François Autain, président. - Vous proposez de réactiver l'Observatoire national des prescriptions et des consommations. Pourtant, M. Bouvenot, qui en a été le premier président, a estimé, lorsque nous l'avons auditionné, que « cet observatoire devient suranné dès lors que l'assurance maladie, qui effectue notamment des enquêtes régionales, met à disposition l'ensemble de ses données : il semble qu'elle prenne cette orientation. Désormais, le problème essentiel réside plutôt dans leur exploitation ». Pensez-vous qu'on aurait obtenu des résultats différents sur le Mediator, et la loi de 1991 sur la codification des pathologies est-elle appliquée ?

M. Pierre-Louis Bras. - Non ! Les débats n'ont jamais abouti. Rapprocher prescriptions et codage des pathologies donnerait un outil plus performant, mais il faut que ce soit acceptable par les généralistes. Depuis 1993, les sociétés savantes de généralistes ont progressé sur ce point. Je pense que cette question pourrait être réactivée. L'observatoire des prescriptions aurait plus de moyens que dans les années 2000 : on dispose de plus d'informations. Que la HAS fasse régulièrement le point par aire et par classe thérapeutique sur les comportements des prescriptions me paraîtrait utile (les rapports des années 2000 ont fait progresser les connaissances) et permettrait de promouvoir le bon usage grâce à la surveillance du marché. En effet, la politique de communication de l'HAS est indexée sur l'actualité, alors que le Mediator remonte à plusieurs dizaines d'années.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La HAS devrait-elle être l'émetteur unique des recommandations sur le médicament ?

M. Pierre-Louis Bras. - C'est ce qu'a dit le législateur, sauf pour les alertes sanitaires. Mais l'Afssaps veut continuer... Notre démarche doit partir des médecins généralistes, qui ont besoin d'un émetteur officiel d'information. Nous avons besoin d'un outil ergonomique pour une information officielle adaptée.

M. François Autain, président. - Recommanderiez-vous de fondre l'Afssaps et la HAS ?

M. Pierre-Louis Bras. - Ce serait revenir sur la loi de 2004. J'ai été sensible à la théorie du double rempart, l'Afssaps et la HAS. Celle-ci peut intervenir pour correction quand celle-là se tient tenue par les autorisations de mise sur le marché, notamment européennes. C'est devenu un enjeu important, compte tenu de l'actualité et je vois mieux qu'à l'époque l'intérêt d'un autre lieu d'expertise, d'un double rempart. J'avais consacré une annexe de mon rapport aux glitazones.

M. François Autain, président. - C'était prémonitoire... On en a retiré une, en attendant la suite...

M. Pierre-Louis Bras. - On ne savait pas ce qu'il en était à l'époque : Prescrire les excluait quand le Quotidien du médecin publiait des pages de publicité pour Aventis. Selon les recommandations officielles, on pouvait en prescrire en deuxième ou troisième intention malgré de moindres évaluations et un risque vasculaire. Quand vous interrogez l'Afssaps, elle explique qu'elle « transmet ses incertitudes » aux généralistes, lesquels ne peuvent aller plus loin que les experts. Elle se sent surtout tenue par les autorisations de mise sur le marché qu'elle a donnée, d'où ces recommandations en forme de communiqués de l'Onu. La HAS peut alors former un deuxième rempart. Je dis non à la fusion.

M. François Autain, président. - Vous dites donc non à la fusion. Un mot, si vous le voulez bien, des hospitalités, c'est-à-dire du financement de tout ou partie d'une manifestation dans le domaine de la santé et de l'accueil de participants, ainsi que de la loi anti-cadeaux de 1993. Le contrôle, qui incombe au Conseil de l'Ordre, laisse à désirer. Quelles mesures peut-on prendre et une autre instance peut-elle s'en charger ?

M. Pierre-Louis Bras. - La jurisprudence du Conseil de l'Ordre ne nous était pas apparue très claire. La transparence, voilà l'essentiel à mettre en place, grâce à une transposition du Sunshine Act. Il importe que les laboratoires déclarent, que l'on contrôle les procédures, que tout cela soit centralisé et rendu public. Je crois que c'est l'esprit d'un article de la loi Fourcade, à cette réserve qu'il faut renvoyer cela au ministre de la santé pour rendre public « qui touche quoi », et non au Conseil.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le ministre ?

M. Pierre-Louis Bras. - C'est une mission de service public.

M. François Autain, président. - L'ordre est une sorte de tribunal administratif privé.

M. Pierre-Louis Bras. - Il n'a pas les moyens d'assurer la transparence. Aux Etats-Unis, tout est retracé : les avantages, l'hospitalité, les rémunérations, les conférences et les expertises. C'est essentiel à l'égard des leaders d'opinion.

M. François Autain, président. - On les nomme à la tête de la HAS !

M. Pierre-Louis Bras. - La transparence doit être la règle.

M. François Autain, président. - Y compris vis-à-vis des sociétés savantes ?

M. Pierre-Louis Bras. - Bien sûr, et aussi des économistes de la santé - et des politiques. Ne stigmatisons pas les médecins.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Recommanderiez-vous de recentraliser la politique du médicament au ministère de la santé ? Certes, l'Afssaps a plus de moyens, mais il s'agit d'une mission régalienne.

M. Pierre-Louis Bras. - En termes fonctionnels, une agence dispose de plus de moyens, en termes politiques, réintroduire le ministre dans le processus, je ne vois pas l'intérêt. Cela n'aurait rien changé dans l'affaire du Mediator, le risque aurait été de jeter le soupçon sur la classe politique. La décision ne doit être prise que pour des raisons de santé publique ; le principe n'est pas remis en cause ; nul besoin, donc, d'accroître la confusion. Le directeur général de l'Afssaps doit, il y va de sa responsabilité, retirer un médicament dès que le rapport bénéfice-risque devient négatif. Les politiques, quant à eux, ont à assumer un rôle d'un autre ordre : fixer la règle.

M. François Autain, président. - Que pensez-vous de la proposition de M. Xavier Bertrand de retirer au ministre l'inscription des médicaments sur les produits à rembourser ?

M. Pierre-Louis Bras. - L'enjeu de l'asymétrie établie par la loi entre le directeur de la Cnam pour les actes et le ministre de la santé pour les médicaments est l'homéopathie, qui relève de la tradition...

Le ministre doit organiser la prise de décision, mais ne peut prendre une décision d'ordre scientifique.

M. François Autain, président. - Et la fixation du prix des médicaments ?

M. Pierre-Louis Bras. - Le prix des médicaments ne se négocient pas ainsi : il est fixé par un Comité économique des produits de santé (Ceps). Puisqu'on a évoqué l'ASMR 5 de médicaments nouveaux, et plus chers, je puis dire que je n'ai jamais - quand j'étais représenté au Ceps - et que le directeur de la sécurité sociale n'a jamais fixé un ASMR 5 à un prix supérieur. Demandez des explications au Ceps. Je me rappelle que toute la complexité tient à la détermination du bon comparateur.

M. François Autain, président. - N'est-ce pas la commission de la transparence qui compare ?

M. Pierre-Louis Bras. - On peut par exemple débattre du dosage le plus proche. Si j'entends vos critiques, je n'ai pas le sentiment d'avoir toléré de telles pratiques et mon successeur pas plus que moi. Que l'on vide cette querelle en posant la totalité du problème ! Ce dossier doit être instruit.

M. François Autain, président. - On ne m'a jamais donné le montant des économies réalisées.

M. Pierre-Louis Bras. - Une ASMR 5 est toujours fixée en-dessous du comparateur de référence.

M. François Autain, président. - Une note de la sécurité sociale explique pourtant que l'augmentation des remboursements résulte pour moitié de médicaments nouveaux à ASMR 5.

M. Pierre-Louis Bras. - Il faut purger la question.

M. François Autain, président. - Le directeur général de l'assurance maladie est très gêné ; le Ceps est placé sous la tutelle du ministre ; il y a les intérêts des patients et aussi ceux des industriels. Quel est le bon comparateur ?

M. Pierre-Louis Bras. - Le Ceps, qui se renvoie la balle du comparateur avec la Cnam, vous doit une réponse car cela fait peser des suspicions...

M. François Autain, président. - Il nous faudrait plus de temps, mais nous avons déjà beaucoup prolongé cette audition, dont je vous remercie.

Audition de M. Louis-Charles Viossat, inspecteur général des affaires sociales, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (2002-2004)

M. François Autain, président. - Nous avons souhaité entendre M. Louis-Charles Viossat, inspecteur général des affaires sociales, parce qu'il a été directeur de cabinet de M. Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées de 2002 à 2004, que nous avons déjà reçu.

Cette audition, qui est publique et ouverte, sera diffusée sur le site du Sénat et sur Public Sénat.

Vous n'êtes plus, je crois, dans la fonction publique ?

M. Louis-Charles Viossat, ancien directeur du cabinet du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. - Membre de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) depuis 1992, j'ai été mis à la disposition du ministère des affaires étrangères et ambassadeur de 2007 à 2009. Je suis actuellement en disponibilité et j'exerce les fonctions de directeur des affaires gouvernementales pour l'Europe d'Abbott, un groupe qui produit des traitements, des dispositifs médicaux et des spécialités pharmaceutiques.

Lorsque Jean-François Mattei m'a proposé de diriger son cabinet en 2002, j'avais passé trois ans à la Banque mondiale, aux Etats-Unis, avant de rejoindre la filiale française du laboratoire pharmaceutique américain, Lilly.

M. François Autain, président. - Déjà ?

M. Louis-Charles Viossat. - J'ai demandé à l'époque au ministre d'être déchargé des décisions concernant les médicaments. Ces questions ont été traitées par Jacques de Tournemire, conseiller technique chargé du médicament, et par le ministre lui-même.

M. François Autain, président. - Auriez-vous pu être membre du cabinet du ministre actuel qui a fixé des règles très strictes en ce qui concerne les liens d'intérêt ?

M. Louis-Charles Viossat. - Je ne me suis pas posé la question. J'avais demandé à ne pas traiter ces questions, à être déchargé des relations avec les laboratoires pharmaceutiques pour éviter toute suspicion et garantir l'impartialité des décisions du ministre. Cela a été suffisant. Au cours de cette période, je n'ai donc jamais été informé ni saisi de la moindre question concernant le Mediator.

M. François Autain, président. - Vous n'êtes pas le seul : personne n'a rien vu venir.

M. Louis-Charles Viossat. - Les décisions relatives au remboursement relevaient aussi du conseiller en charge du médicament. Je tiens à souligner à ce sujet que la baisse du taux de remboursement et le déremboursement pour service médical rendu insuffisant ne constituent pas une réponse adaptée lorsque la sécurité sanitaire des patients est en jeu. Dans ce genre de situation, la seule réponse valables est l'arrêt de la commercialisation du produit suspect, une décision qui relève soit du laboratoire soit de l'Afssaps.

Pourquoi le taux de remboursement n'a-t-il pas été abaissé entre 2002 et 2004 ? Je n'ai pas d'élément à ajouter à ce que Jacques de Tournemire vous a déjà dit. Le rapport de l'Igas décrit très bien la politique de déremboursement en trois phases, imaginée par M. Mattei. Selon ce schéma, le Mediator, à propos duquel rien n'avait été signalé sur le plan sanitaire, faisait partie de la troisième vague. La complexité de la procédure de déremboursement résultait de décisions du Conseil d'Etat rendues notamment à la requête des laboratoires Servier. Dans ce contexte, Jacques de Tournemire a, à mes yeux, bien fait son travail.

Le ministre se préoccupait de renforcer la sécurité sanitaire. L'Afssaps était alors en phase de construction. Aussi avons-nous cherché à la renforcer en nous appuyant notamment sur les préconisations des rapports d'audits de l'Igas et de l'IGF. Un rapport d'information du Sénat a souligné par la suite le travail accompli dans le domaine de la pharmacovigilance.

Que faire pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ? Nous devons bien entendu attendre les conclusions et les recommandations des travaux d'expertise en cours. Mais les réformes envisagées devront prendre en compte avant tout l'intérêt du patient - j'ai une pensée pour les familles qui ont perdu un des leurs ou pour ceux qui craignent aujourd'hui pour leur santé. Il est clair que nous devons ensuite tenir compte de la réalité européenne et de la réglementation de l'Union dans le domaine du médicament. De nombreuses réformes sont en cours au niveau de l'Union européenne mais aussi dans certains Etats membres, dont il est possible de s'inspirer. Elles portent tantôt sur l'expertise, tantôt sur la réévaluation de la balance bénéfice-risque, le suivi post-AMM ou encore sur le remboursement. Soyons attentifs au réalisme des solutions : méfions-nous des solutions miracles ! Mieux vaut d'abord améliorer la gestion interne de l'Afssaps ; confrontée, comme les autres agences, à une croissance rapide, elle a besoin de financements adéquats et pérennes. Nous devons ensuite réévaluer le rôle, le statut et la rémunération des experts. Il convient encore de renforcer le rôle des lanceurs d'alerte et de mieux prendre en compte à l'avenir les signalements spontanés y compris les signaux faibles. Il faut aussi être plus strict dans la détection contre les conflits d'intérêts, poursuivre dans le sens des progrès déjà accomplis tout en continuant à attirer les meilleurs experts. Nous devons en outre accroître la transparence en faisant connaître les opinions dissidentes, en rendant les auditions publiques, en révélant les subventions de l'industrie aux associations de patients ou de professionnels de santé, dans l'esprit du Sunshine Act. Il s'agit enfin de former et d'informer : de former les médecins à la prescription et d'informer les patients et l'opinion publique sur le bon usage des médicaments.

M. François Autain, président. - Sachez que nous avons appris, à notre grande surprise, que le Sunshine Act n'oblige pas les laboratoires à rendre publics les liens d'intérêts avec les associations. Nous sommes donc en avance sur ce point, en France.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. -Plutôt que de vous interroger sur le Mediator, je vous demanderai si, à votre avis, il faut recentraliser cette mission régalienne qu'est la sécurité sanitaire ou en laisser la charge à une agence.

M. Louis-Charles Viossat. - La création d'une telle agence, en France, a marqué un progrès significatif. On série ainsi clairement les responsabilités tout en professionnalisant la fonction et en évitant les interférences.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - N'y a-t-il pas de professionnels dans une administration centrale ?

M. Louis-Charles Viossat. - C'est une affaire de moyens. L'ancienne DPHM (Direction de la pharmacie et du médicament) n'aurait jamais eu les moyens de l'Afssaps. Tous les Etats européens ont créé des agences ; le seul contre-exemple doit être la Belgique. Je vois plus d'inconvénients à un retour au statu quo ante qu'à une amélioration du fonctionnement de l'Agence existante.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Que pensez-vous de la proposition du rapport Debré-Even sur la création d'une commission indépendante des contrôles et de la méthodologie d'évaluation des essais cliniques ?

M. Louis-Charles Viossat. - Je n'ai pas encore lu ce rapport. Ce qui compte, c'est que le travail de l'Agence soit bien fait, pour le reste, je ne crois pas en l'efficacité du Meccano institutionnel : il ne modifie pas fondamentalement les choses.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La Commission européenne propose de donner aux laboratoires pharmaceutiques la possibilité de communiquer au grand public des informations sur les médicaments, sans que cela puisse être considérer comme de la publicité. Ne considérez-vous pas que l'Etat doit être le seul à produire de l'information sur les médicaments ?

M. Louis-Charles Viossat. - Vous faites allusion au projet de directive sur l'information des patients inclus dans le « paquet » pharmaceutique. C'en est d'ailleurs le point le plus discuté de tous bords et la présidence espagnole a présenté un nouveau projet que le Parlement européen a amendé. Cela reste encore flou. Il y a une multiplicité de sources d'informations, qu'il convient d'organiser.

Mme Marie-Christine Blandin. - J'ai été agréablement surprise de vos préconisations. L'on doit être à l'écoute des lanceurs d'alerte, qu'on a refusé de prendre en compte pour le Mediator, et être sensible aux signaux faibles, dites-vous, mais selon quel protocole et par quelles méthodes ?

M. Louis-Charles Viossat. - Cela dépend d'abord de la législation européenne. La directive sur la pharmacovigilance, qui sera transposée en 2012, constitue un élément de réponse. Le développement de la base de données européenne Eudravigilance permettra de relayer davantage les informations ; elle sera d'autant plus utile que les médicaments ne sont pas commercialisés partout, et que les éléments d'information à cet égard sont rares et anciens. Grâce à un portail Internet, les patients pourront également signaler les problèmes qu'ils rencontrent. L'on gagnera aussi à associer aux dispositifs de pharmacovigilance des personnes qui ne le sont pas aujourd'hui.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les études post-AMM sont aujourd'hui financées par l'industrie. Ne devraient-elles pas l'être sur fonds publics ?

M. Louis-Charles Viossat. - Cela représente 15 % des dépenses de recherche et développement des laboratoires. Faut-il faire évoluer les sources de financement ? Aux Etats et aux laboratoires de s'entendre si, par exemple, les exigences en matière d'études vont croissant.

M. François Autain, président. - Sur 120 études post-AMM demandées depuis 2004, 20 à 25 sont terminées... La moitié n'est même pas commencée.

M. Louis-Charles Viossat. - Leur nombre va augmenter dans le cadre des plans de gestion des risques mis en place par l'Agence européenne du médicament et, si les exigences s'accroissent, il ne serait pas illogique qu'il y ait des partenariats. Libre à chaque Etat de retenir un mode de financement.

M. François Autain, président. - Je vous remercie de vos réponses.

Audition de MM. Daniel Vittecoq, président, et Jean-François Bergmann, vice-président, de la commission d'autorisation de mise sur le marché de l'Afssaps

M. François Autain, président. - Au moment d'ouvrir l'audition de MM. Daniel Vittecoq et Jean-François Bergmann, président et vice-président de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de l'Afssaps, je rappelle qu'elle est publique et ouverte à la presse et qu'elle donnera lieu à une diffusion sur le site du Sénat ainsi que sur Public Sénat.

En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d'intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.

M. Daniel Vittecoq, président de la commission d'AMM de l'Afssaps. - Ma déclaration publique d'intérêts figure sur le site de l'Afssaps.

M. François Autain, président. - Celle que j'ai consultée date du 1er octobre 2009. J'y lis l'acronyme de GlaxoSmithKline, laboratoire bien connu.

M. Daniel Vittecoq. - J'actualise très régulièrement ma déclaration de liens d'intérêts - je l'ai encore fait il y a deux ou trois mois. Tous les membres de la commission le font chaque année et nous sommes également tenus de déclarer tout nouveau lien d'intérêts.

M. François Autain, président. - Ce que je constate, c'est que celle figurant sur le site de l'Afssaps date du 1er octobre 2009 et qu'elle fait apparaître un lien d'intérêts.

M. Daniel Vittecoq. - Effectivement, j'avais alors participé à une étude épidémiologique, mais ce n'était pas un lien d'intérêts majeur.

M. Jean-François Bergmann, vice-président de la commission AMM de l'Afssaps. - Le site de l'Afssaps fait apparaître les déclarations d'intérêts une fois seulement publié le rapport de l'année : celui de 2010 ne l'est pas encore, ce qui explique le décalage dans le temps. J'ai avec moi les déclarations d'intérêts de tous les membres de la commission à la date de sa dernière réunion : les intérêts ne sont pas majeurs, dans la hiérarchie établie par l'Afssaps.

M. François Autain, président. - Votre propre déclaration du 11 décembre 2009 fait apparaître un lien avec Sanofi-Aventis, sous la forme d'une rémunération personnelle : ce lien d'intérêts est-il mineur ?

M. Jean-François Bergmann. - Oui.

M. François Autain, président. - Que faut-il donc, pour qu'un intérêt soit qualifié de majeur ?

M. Jean-François Bergmann. - Il faut avoir des parts dans un laboratoire, ou faire partie de son conseil d'administration, intervenir dans la décision. Les liens que j'entretiens avec Sanofi-Aventis tiennent à une étude thérapeutique internationale auprès de 9 000 patients, destinée à la prévention de la mortalité en médecine interne. Je me suis battu pour que cette étude soit réalisée et je suis fier de faire partie de son comité scientifique de suivi. Les résultats de cette étude seront présentés prochainement lors d'un congrès pharmacologique à Kyoto et je ne peux compter ni sur l'Afssaps, ni sur l'AP-HP, ni encore sur mon université pour m'envoyer à ce congrès.

M. François Autain, président. - Tandis que vous pouvez compter sur l'industrie pharmaceutique et que vous acceptez même son invitation !

M. Jean-François Bergmann. - Oui, je n'ai guère d'autre choix... C'est nécessaire à la recherche.

M. François Autain, président. - Mais comment donc font les autres disciplines ? Par exemple les sociologues ou les philosophes, pour se réunir en congrès ?

M. Jean-François Bergmann. - Ils comptent sur les éditeurs...

M. François Autain, président. - Pour leur payer le voyage ? C'est peu probable...

M. Jean-François Bergmann. - Vous-mêmes quand vous vous déplacez pour le Sénat, c'est bien le Sénat qui paie votre voyage...

M. François Autain, président. - Oui, parce que je suis sénateur. Vous-même, avant d'être employé par l'industrie pharmaceutique, vous êtes professeur d'université et salarié de l'hôpital : tout comme le Sénat paie mes voyages professionnels, ce devrait être à votre université ou à l'AP-HP de vous défrayer, mais en l'occurrence, c'est l'industrie pharmaceutique ! Un groupe agroalimentaire m'a récemment invité à visiter la plus grande fabrique de chocolat du monde, à La Haye, j'ai refusé d'y aller, même si certains de mes collègues ont fait le voyage, parce que j'ai estimé qu'il y avait un conflit d'intérêts.

M. Jean-François Bergmann. - L'université nous fait obligation de faire de la recherche, qui entre dans notre évaluation en points, mais elle ne nous en donne pas les moyens. Je serais ravi que mon université ou l'AP-HP finance l'essai thérapeutique international auquel je suis associé, mais cela n'a pas été possible et je n'avais pas d'autre choix que de me tourner vers l'industrie pharmaceutique, en l'occurrence Sanofi-Aventis.

M. François Autain, président. - Je ne vois aucune objection à ce que vous participiez aux essais financés par Sanofi-Aventis et que vous en fassiez bon usage. Le problème vient simplement du fait que vous participiez également à la commission chargée d'autoriser la mise sur le marché de médicaments produits par le même laboratoire pharmaceutique. Le règlement de l'Afssaps est très clair, contre les conflits d'intérêts. Or, ce que je constate, c'est que les quatorze membres de votre commission qui ont des liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis, ont pris part à des décisions sur des médicaments fabriqués par ce même laboratoire : c'est violer le règlement de l'Afssaps, voilà où est le problème ! C'est arrivé en septembre 2010.

M. Daniel Vittecoq. - Je peux témoigner qu'à chaque fois qu'une décision a concerné Sanofi-Aventis, M. Bergmann est sorti de la salle.

M. François Autain, président. - J'ai devant moi le compte rendu de la réunion du 9 septembre 2010, il n'est nulle part indiqué que M. Bergmann soit sorti, alors que le sort de médicaments de Sanofi-Aventis comme le Lovenox ou le Maalox a été décidé. Le seul qui soit sorti, c'est M. Jean-Roger Claude, en raison d'un conflit d'intérêts important sur le dossier du Bufexamac.

M. Daniel Vittecoq. - Je dois préciser ici que les comptes rendus de réunion n'étaient pas aussi détaillés qu'aujourd'hui, en particulier sur les « sorties de salle ». Ce n'est que depuis cette année que nous publions un véritable verbatim de nos réunions. Mais cela n'enlève rien à l'information que je vous ai donnée.

M. François Autain, président. - Vous reconnaissez cependant que, le 9 septembre 2010, votre règlement n'a pas été respecté ?

M. Daniel Vittecoq. - Non, je n'ai pas avec moi le détail des « sorties de salle », qui n'étaient pas portées alors au compte rendu.

M. Jean-François Bergmann. - Nous avons changé notre procédure et désormais, tous les membres de la commission qui ont un conflit d'intérêts majeur sont prévenus à l'avance des dossiers lors de l'examen desquels ils devront sortir de la salle. Il faut savoir aussi que les médicaments peuvent être examinés par groupes, par exemple les antitussifs, et qu'il s'agit parfois de changer une ligne au registre des caractéristiques du produit (RCP). Et si nous devons sortir systématiquement quand nous avons un lien d'intérêts avec un laboratoire, pourquoi ne devrions-nous pas aussi sortir quand il s'agit d'un concurrent de ce laboratoire ? A ce jeu, nous sortirions tous à tout moment...

M. François Autain, président. - N'apportez-vous pas ici la preuve que le système actuel ne peut pas fonctionner ? Pourquoi ne pas plutôt faire de l'absence de tout lien d'intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques, une condition de participation à la commission d'autorisation de mise sur le marché ? Ce serait plus clair !

Ensuite, nous avons appris incidemment que le Leem, c'est-à-dire le syndicat professionnel des entreprises du médicament, était systématiquement présent aux réunions de la commission d'autorisation de mise sur le marché. Ici encore, la réglementation n'était pas respectée : cela ne vous posait pas un problème ?

M. Daniel Vittecoq. - Personnellement, si, et je m'en suis ouvert au directeur général de l'Afssaps.

M. François Autain, président. - Il semble que vous n'ayez pas été entendu !

M. Daniel Vittecoq. - De fait, le Leem avait le statut d'invité permanent lorsque je suis arrivé à la tête de la commission, et je m'en suis inquiété auprès du directeur général de l'époque.

M. François Autain, président. - Rien, dans le règlement de votre commission, n'autorise une telle présence, et votre règlement ne comporte nulle trace d'un statut d'invité permanent ! L'article 4-7 précise quelles personnes non-membres de la commission peuvent participer à ses réunions. Outre les évaluateurs, qui peuvent y assister en tant que de besoin, cet article dispose que toute autre présence devra être dûment autorisée, en particulier par le président de la commission. Et j'y lis encore ceci : « Exceptionnellement, des personnes extérieures à l'Afssaps, notamment des stagiaires, pourront assister en nombre restreint à une séance de la commission avec l'accord préalable du directeur de la DEMEB et du président de la commission. Il sera fait état de la présence de ces personnes en début de séance afin de s'assurer qu'elle ne suscite pas d'objection de la part des membres de la commission. Ces personnes signent un engagement de confidentialité avant la séance. »

Etait-ce le cas avec le Leem ? Assurément non ! C'est donc que cet article de votre règlement intérieur n'a pas été respecté ! L'Igas a dit vrai, dans son rapport, en parlant d'une « coproduction » de la politique du médicament entre les industriels et les experts ! Il faudrait peut-être mettre fin à de telles pratiques si l'on veut rétablir la confiance de nos concitoyens dans leurs autorités de santé !

M. Daniel Vittecoq. - En 2003, je m'en étais inquiété auprès du directeur général de l'époque, M. Philippe Duneton, j'ai recommencé auprès de son successeur, M. Jean Marimbert. On m'a opposé des raisons techniques, en m'affirmant que cette présence était un gage d'efficacité pour mieux répercuter les décisions de l'Agence auprès des industriels. Je n'avais guère de moyens de m'y opposer, sauf à démissionner, mais cette présence du Leem ne m'est pas apparue nocive à ce point et j'avais obtenu que les membres de la commission sortent de la salle en cas de conflit d'intérêts. Le nouveau directeur général, M. Dominique Maraninchi, a accepté de mettre fin à la présence du Leem, c'est une bonne chose.

M. François Autain, président. - Etiez-vous convaincu par les motifs qu'on vous présentait pour justifier la présence des représentants du Leem ?

M. Daniel Vittecoq. - Non.

M. Jean-François Bergmann. - Je crois entendre vos sous-entendus, monsieur le président...

M. François Autain, président. - Lesquels ?

M. Jean-François Bergmann. - Que nous serions des vendus, des pourris...

M. François Autain, président. - Je n'ai rien dit de tel !

M. Jean-François Bergmann. - Une certaine presse l'a dit et des parlementaires lui ont emboîté le pas ! Quoi qu'il en soit, je veux préciser que le Leem n'a jamais pris part à nos débats et que sa présence répondait à un souci d'efficacité pour l'Afssaps elle-même, s'agissant de faciliter certaines démarches réglementaires.

M. François Autain, président. - Vous est-il venu à l'idée, par exemple, d'inviter à votre commission des associations de malades ? Cela est-il arrivé ? Ceci même occasionnellement, je ne parle pas, bien sûr, de ce « statut d'invité permanent » que vous réserviez aux laboratoires...

M. Daniel Vittecoq. - Les associations de malades n'ont jamais participé à notre commission, je le regrette et mon combat de longue date pour faire prendre en compte leur point de vue, atteste de ma bonne foi. Je crois que vous surestimez notre pouvoir d'influence.

M. François Autain, président. - Non, je vous reproche seulement de ne pas avoir bien appliqué la réglementation ! Je ne mets pas en doute votre intégrité, je constate seulement que vous n'appliquiez pas l'article de votre règlement intérieur relatif à la participation à vos réunions. Comme sénateur, il est de mon devoir de contrôler l'action de l'administration !

M. Jean-François Bergmann. - Je peux témoigner de ce que M. Vittecoq s'est engagé de longue date pour faire connaître le point de vue des patients ! Vous paraissez méconnaître nos conditions d'intervention. Savez-vous que nous sommes parfaitement bénévoles ?

M. François Autain, président. - C'est important de le dire.

M. Jean-François Bergmann. - Si nous participons aux travaux de l'Afssaps, ce n'est pas pour l'argent, mais uniquement parce que nous croyons à l'évaluation, à la santé publique. Pourquoi croyez-vous que nous acceptons de lire le dimanche des rapports de 900 pages et de passer des matinées en réunion ?

M. François Autain, président. - Ma perspective n'est pas de croire, mais d'observer...

M. Jean-François Bergmann. - Nous faisons bénévolement tout ce travail en plus de nos fonctions de recherche et d'enseignement, alors acceptez que nous ne connaissions pas dans le détail toute la réglementation relative à l'Afssaps !

M. François Autain, président. - Remplissez-vous ces fonctions bénévoles à côté, ou bien sur votre temps de travail ? Ensuite, je ne vous parlais que du règlement intérieur de votre commission, pas de toute la réglementation relative à l'Afssaps.

M. Jean-François Bergmann. - Notre participation aux réunions elles-mêmes compte sur notre temps de travail, au titre de nos missions de pharmacovigilance, mais pas le travail préparatoire, qui est souvent très important.

Mme Marie-Christine Blandin. - Vous nous dites que le Leem était présent en permanence, que ses représentants ne participaient pas au débat de fond mais qu'ils n'étaient pas muets non plus. Ces représentants, étaient-ils toujours les mêmes ? Combien étaient-ils ?

M. Daniel Vittecoq. - Il y avait deux représentants, toujours les mêmes. Ils n'intervenaient pas sur le fond, mais sur des questions réglementaires.

M. François Autain, président. - S'ils étaient là, vous ne leur refusiez pas non plus la parole...

M. Daniel Vittecoq. - Cependant, lorsqu'une décision devait être prise en équité, je leur demandais de sortir de la salle.

M. Jacky Le Menn. - Comment votre commission décide-t-elle son avis ? Par un vote à main levée ?

M. Daniel Vittecoq. - Les groupes de travail examinent les rapports, souvent volumineux, y compris l'évaluation interne et les expertises externes. La décision elle-même est généralement consensuelle, mais on vote à main levée.

M. François Autain, président. - Sous les yeux, donc, des représentants des laboratoires pharmaceutiques !

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous arrive-t-il de recourir au vote secret ?

M. Daniel Vittecoq. - Sur certaines questions sensibles, nous votons par écrit.

M. François Autain, président. - Le proposez-vous systématiquement, pour le cas où l'un des membres de la commission le souhaiterait ?

M. Daniel Vittecoq. - Oui.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pourquoi est-il si facile d'obtenir une AMM - accordée dans 95 % des cas - et si difficile de la retirer ?

M. Daniel Vittecoq. - Pourquoi est-il si difficile de retirer une AMM ? C'est notre douleur... Je dirais qu'il y a d'abord le risque contentieux, que le laboratoire se retourne contre la décision de retrait, c'est arrivé récemment.

M. François Autain, président. - C'est l'exception qui confirme la règle !

M. Daniel Vittecoq. - Le risque est bien réel, les laboratoires recourent à des avocats très avisés et puissants. Il est certain que, plus les procédures seront transparentes, plus nous gagnerons en capacité d'action.

M. Jean-François Bergmann. - Il faut distinguer entre les années 1970-80, où l'obtention d'une AMM était sans difficulté pour les laboratoires, du fait d'un contrôle sanitaire insuffisant, les années quatre-vingt-dix, où l'AMM a fait l'objet de règles nationales strictes, et la période actuelle, où l'AMM est devenue européenne et d'obtention moins contraignante que sous l'empire des règles nationales. De fait, les règles européennes sont plus souples et il suffit que la majorité des Vingt-Sept valide, pour que l'AMM vaille en France, alors même que nous ne l'aurions pas accordée en appliquant nos critères nationaux. Or, certains de nos voisins ne sont pas aussi stricts que nous, pour des raisons diverses. Aux Pays-Bas, par exemple, l'Autorité de santé est plus souple, mais parce qu'elle sait pouvoir compter sur la prudence des médecins hollandais.

M. François Autain, président. - Les médecins hollandais seraient plus prudents que les médecins français ?

M. Jean-François Bergmann. - Non, c'est plutôt qu'ils auraient moins tendance à prendre une AMM pour une recommandation... En Europe orientale, la souplesse tient à ce qu'on ne veut pas donner l'impression d'être en retard dans la pharmacopée, même si l'on sait pertinemment que l'assurance maladie ne remboursera pas les nouveaux médicaments autorisés.

Pour retirer une AMM, il faut des éléments nouveaux, qui démontrent une moindre efficacité que prévu, ou encore une nocivité qui apparaîtrait. Mais pour établir ces éléments, il faut des études précises, et les laboratoires ne se précipitent pas toujours pour réaliser ces études, alors qu'ils sont les seuls à disposer des ressources nécessaires.

M. François Autain, président. - Si vous disposiez de plus de moyens, réaliseriez-vous ce type d'études ?

M. Jean-François Bergmann. - Bien sûr, même si, évidemment, l'efficacité du système dépend de la pharmacovigilance. Il faut pouvoir identifier les liens de causalité, chercher là où l'on a une chance de trouver, l'arbitrage entre priorités est essentiel. On l'a vu par exemple avec les statines : une seule a été retirée du marché, parce qu'elle avait un effet musculaire plus important que les autres - encore fallait-il bien l'identifier. Or, notre système de recueil des effets indésirables est encore bien trop poreux pour que la collecte soit efficace sur ce plan.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions l'AMM du Mediator a été délivrée aux laboratoires Servier ?

M. Jean-François Bergmann. - C'était en 1974, autant dire sinon dans le désert, du moins dans la brousse...

M. Daniel Vittecoq. - Effectivement, nous n'étions guère organisés... Cependant, les autorités sanitaires n'ont pas rien fait puisqu'elles ont demandé des études post-AMM en 2000, alors que le risque de valvulopathie n'était pas identifié. Mais l'étude a démarré tardivement et elle n'a livré ses résultats qu'en 2009.

M. François Autain, président. - C'est particulièrement long, en effet ! D'autres études post-AMM sont bien plus diligentes !

M. Daniel Vittecoq. - Certes, mais il faut réaliser aussi que le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) n'avait pas identifié le risque de valvulopathie.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le PHRC n'est pas suffisant ?

M. Daniel Vittecoq. - Pas dans le cas du Mediator. Les experts ne peuvent être tenus pour responsables de tout, il faut prendre en compte les outils dont nous disposions !

M. François Autain, président. - L'efficacité des laboratoires force l'admiration... J'aimerais pouvoir en dire autant des autorités de santé...

M. Daniel Vittecoq. - Je ne vois pas en quoi un laboratoire qui traîne à faire une étude qu'on lui demande, force l'admiration... Ensuite, je crois que, si les effets indésirables avaient été mieux collectés, en particulier par les médecins, il aurait été plus facile d'y voir clair.

M. François Autain, président. - Ce qui est admirable de la part de Servier, c'est d'avoir pu maintenir pendant trente ans un médicament inutile et toxique, sans que les autorités de santé l'en empêchent ! Il a fallu qu'Irène Frachon déploie une énergie colossale pour faire admettre la toxicité du Mediator ! Cependant, je sais que vous attribuez cette découverte non pas à son travail acharné mais à l'étude Regulate... Je le lis dans un mail que vous avez envoyé à Mme Nancy Claude, chargée des relations avec la presse de Servier et qui est tout à fait explicite sur ce point !

M. Daniel Vittecoq. - Vous évoquez un mail privé que j'ai envoyé à M. Jean-Roger Claude, dont l'épouse travaille effectivement pour Servier.

M. François Autain, président. - Vous me l'apprenez, mais cela ne change rien à l'affaire...

M. Daniel Vittecoq. - Puisque vous m'en donnez l'occasion, je tiens à dire mon admiration pour Irène Frachon, qui a su déceler ce qu'aucun d'entre nous n'avait vu, en particulier les chirurgiens cardiologues...

M. François Autain, président. - Comment auraient-ils pu l'être, si les risques du Mediator pour l'hypertension et la valvulopathie étaient dissimulés ?

M. Daniel Vittecoq. - Le Mediator produit une forme atypique de valvulopathie, d'aspect bourgeonnant, qui aurait dû frapper les chirurgiens, mais ceux-ci ont pu avoir du mal à repérer le lien de causalité. Cependant, si le système de pharmacovigilance avait bien fonctionné, ce lien aurait pu être établi bien plus tôt.

L'étude que nous avons demandée a démarré tardivement, heureusement qu'Irène Frachon avait avancé de son côté, en réalisant un travail de très grande qualité auquel je rends hommage puisqu'elle a comparé les données cliniques avec celles du PMSI. Dans mon établissement, j'ai réalisé une étude comparant, à partir du PMSI, la tolérance aux anticancéreux et leurs effets secondaires, en m'appuyant sur le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et je n'ai pas trouvé grand-chose. Irène Frachon, elle, a frappé dans le mille.

M. François Autain, président. - Dès 1999, le professeur Georges Chiche, de Marseille, alertait les autorités sur les dangers possibles du Mediator, il faisait donc le rapprochement, mais tout le monde lui est tombé dessus !

M. Daniel Vittecoq. - Je l'ai appris tardivement.

M. François Autain, président. - Il y avait donc au moins un cardiologue qui avait vu quelque chose, mais personne ne l'a pris au sérieux, on lui a fait une réputation de farfelu !

M. Jean-François Bergmann. - Nous sommes au coeur du problème. On peut certes regretter de ne pas avoir fait nous-mêmes le travail décisif d'Irène Frachon, mais aussi que les premières alertes, dont celle du professeur Chiche en 1999, n'aient pas déclenché une procédure, pour qu'au moins le RCP soit modifié, ce qui aurait facilité le recueil d'information pertinentes. Pourquoi ce recueil de données est-il si difficile ? J'étais récemment au congrès de la société française de pharmacologie et de thérapeutique à Grenoble...

M. François Autain, président. - Invité par un laboratoire ?

M. Jean-François Bergmann. - Non, j'ai payé moi-même mon billet de train, ce qui n'est guère normal, vous en conviendrez. Et lors de ce congrès, chacun pouvait se rendre compte du nombre très important d'alertes de pharmacovigilance. Idem pour tout lecteur de la revue Prescrire, que je connais bien pour avoir participé à son comité de rédaction pendant des années...

M. François Autain, président. - Vous n'y êtes plus ?

M. Jean-François Bergmann. - Non, j'en ai été chassé le jour où je suis devenu maître de conférences à l'université, ce qui ne m'a pas empêché de continuer à la lire et à l'aimer... Dans chaque livraison, on trouve au moins quarante avis de pharmacovigilance !

M. François Autain, président. - Je le lis également et je trouve que vous exagérez ce chiffre...

M. Jean-François Bergmann. - En tout cas, les alertes sont en nombre bien plus grand que celui des études que nous pouvons lancer, et si nous avons manqué de génie scientifique, c'est dans la sélection des priorités. Il faut aussi coupler les informations avec celles du PMSI et avec celles de la Cnam, laquelle a mis beaucoup de temps à accepter de coopérer.

M. François Autain, président. - Il faudrait aussi joindre l'Insee, pour la mortalité...

M. Jean-François Bergmann. - Encore que les statistiques de la mortalité soient réalisées à partir d'actes de décès rendus anonymes... Ce que je veux dire, c'est que le système public d'information est lourd à mettre en place, que les résistances au partage des sources y sont nombreuses, mais qu'en face, les laboratoires disposent de moyens très importants pour bloquer les informations pertinentes. Dans l'affaire du Mediator, j'ai été étonné de la rapidité avec laquelle Servier a lâché du lest, alors qu'il avait fallu trois ans au professeur Gérald Simonneau pour obtenir le retrait de l'Isoméride.

M. François Autain, président. - L'interdiction de l'Isoméride aux Etats-Unis n'y était pas étrangère.

M. Jean-François Bergmann. - C'est vrai, mais pour le Mediator, trois mois, cela a été rapide.

M. François Autain, président. - Il faudra que vous l'expliquiez aux Français...

M. Jean-François Bergmann. - Ce que je vous accorde volontiers, c'est que le système sanitaire a été lent, trop lent, empêtré dans ses habitudes et qu'il a été particulièrement inefficace face à la mauvaise volonté de Servier.

M. François Autain, président. - Servier est-il une exception ?

M. Jean-François Bergmann. - En trente-cinq ans d'expertise, je n'ai jamais rien vu de tel.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Deux génériques du Mediator ont été mis sur le marché en 2009, deux mois avant la suspension du Mediator : pourquoi ?

M. Daniel Vittecoq. - Parce que la procédure était déjà lancée et que l'AMM d'un générique se contente de la bioéquivalence. Nous nous sommes focalisés sur le princeps, et pour les génériques, la bioéquivalence suffit.

M. François Autain, président. - Le doute sur le médicament n'était-il pas suffisant ? L'Igas n'a-t-elle pas raison de dire que le doute profite toujours aux labos et jamais aux patients ?

M. Daniel Vittecoq. - Faut-il refuser de « génériquer » tous les médicaments sur lesquels nous avons des doutes ? La règle, c'est la bioéquivalence.

M. François Autain, président. - Ne peut-on surseoir, dans l'attente de la décision sur le princeps ? Avez-vous à ce point peur du contentieux, que vous préférez prendre de tels risques pour la santé des patients ?

M. Jean-François Bergmann. - Il est toujours plus facile de se positionner a posteriori... Cependant, sur ces deux génériques, nous ne sommes pas fiers...

M. François Autain, président. - Vous ne recommencerez donc pas, comme on le dit aux enfants qu'on vient de gronder ?

M. Jean-François Bergmann. - Nous avons à examiner trente à soixante-dix génériques tous les quinze jours, nous nous contentons de la bioéquivalence : les experts ne peuvent pas refaire le travail des études cliniques, s'il y a bioéquivalence, le générique suit le princeps ! Si la réglementation ne convient pas, ce n'est pas à nous de la changer...

M. Daniel Vittecoq. - Cependant, il y a bel et bien un problème spécifique avec les génériques, notamment pour ceux dont le princeps a été retiré du marché, parce que la pharmacovigilance est moins efficace pour les génériques.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - L'AMM est accordée d'après un préjugé favorable, qui résulte d'études sur des populations ciblées, tandis que le retrait d'AMM exige la démonstration d'un échec, par l'accumulation d'informations apparemment difficiles à recueillir : n'y a-t-il pas un décalage entre les deux procédures ?

M. Daniel Vittecoq. - Le retrait peut également résulter d'une étude qui fasse apparaître un rapport bénéfice-risque- défavorable.

M. François Autain, président. - Ce que Mme le rapporteur souligne, c'est que pour une AMM, il suffit d'une présomption, alors que pour un retrait, il faut une preuve.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - De plus, lors de la mise sur le marché, on a testé le médicament en fonction de normes pasteuriennes, alors que dans la réalité, les malades susceptibles de prendre le médicament sont souvent atteints de maladies chroniques, ce qui constitue un tout autre environnement, avec des risques d'effets indésirables bien plus nombreux, et non testés avant l'AMM.

M. Daniel Vittecoq. - Il est vrai que l'étude préalable à l'AMM, qui établit si la balance avantage-risque est favorable ou non, ne se déroule pas dans la vraie vie, mais en laboratoire, ou bien auprès de populations ciblées, avec tout le talent que l'on sait des laboratoires pour bien cibler les populations en fonction des résultats désirés. L'Afssaps met en place des plans de gestion des risques, qu'il faudrait évaluer. Ensuite, dès lors que les pathologies évoluent, les médicaments ont eux-mêmes un cycle de vie, leur efficacité n'est pas constante, ni le spectre de leurs effets. Tout ceci doit être mieux pris en compte dans les alertes.

M. Jean-François Bergmann. - Les laboratoires, de leur côté, en sont à demander - et ils ont des chances de l'obtenir des autorités européennes - une AMM conditionnelle, c'est-à-dire une mise sur le marché autorisée avant que toutes les études ne soient terminées.

M. François Autain, président. - Ce sont les autorisations temporaires d'usage (Atu) ?

M. Jean-François Bergmann. - Non, c'est une nouvelle procédure, qui est en cours d'instruction. Il ne faut pas perdre de vue que l'autorisation résulte d'un arbitrage de santé publique entre bien des considérations. Un industriel peut faire valoir que le traitement réussi de plusieurs dizaines de milliers de patients peut justifier quelques accidents, une mortalité très limitée. Des associations de malades sont allées dans ce sens, s'agissant de la sclérose en plaques. Et la nocivité d'un médicament peut se réduire avec le temps. L'arbitrage est complexe, souvent très difficile à faire : nous sommes parfois bien incapables de dire où est le juste.

M. François Autain, président. - Si vous ne le savez pas, qui le saura ?

M. Daniel Vittecoq. - Dans cet ordre d'idées, j'ai demandé, et obtenu, de pouvoir inviter des associations de patients pour assister à certaines de nos commissions, pour mieux faire connaître leur position et qu'elles soient mieux informées de notre travail.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Etes-vous saisis des dispositifs médicaux ? Quid des produits technologiques innovants ?

M. Daniel Vittecoq. - Les dispositifs médicaux n'entrent pas dans nos compétences et les produits technologiques innovants ne font pas l'objet d'essais randomisés, c'est un vrai problème, surtout que ces produits peuvent servir dans le cadre d'essais comparateurs.

M. François Autain, président. - Que pensez-vous des essais comparatifs pré-AMM ?

M. Daniel Vittecoq. - Ils sont systématiques, sauf pour les maladies orphelines, quand l'essai comparateur n'est guère possible.

M. Jean-François Bergmann. - Quand un industriel développe un nouveau médicament, il espère toujours qu'il sera meilleur que ceux qui se trouvent sur le marché. Aussi fait-il des études fondées sur des études dites de « non-infériorité » aux médicaments disponibles, ce qui n'est pas de la plus grande exigence quant à l'amélioration du service médical rendu (AMSR).

Et ces essais de non-infériorité sont, pour des raisons méthodologiques, très faciles à biaiser. On leur demande de faire des essais qui ne sont pas forcément une garantie absolue de non-infériorité. D'autre part, avons-nous vraiment besoin d'élargir notre arsenal avec des produits qui sont au mieux non inférieurs ? On l'élargit parce les industriels espèrent, au départ, que leur produit est meilleur et parce que nous sommes dans une économie libérale où rien n'interdit de créer un 24ème bétabloquant alors qu'il en existe déjà 23 sur le marché. Et nous n'avons pas le droit de l'interdire dès lors qu'il a montré sa non-infériorité.

M. François Autain, président. - Et pourquoi n'exigez-vous pas qu'il soit plus efficace ?

M. Jean-François. Bergmann. - Si un jour, vous législateurs, décidez qu'on ne donnera l'AMM qu'au meilleur médicament, nous appliquerons cette règle. Mais vous ne prendrez jamais cette décision ; ce serait la mort de la recherche et de l'industrie pharmaceutiques.

M. François Autain, président. - Pourtant, de plus en plus, les laboratoires se séparent de leurs centres de recherche.

M. Jean-François Bergmann. - Non. Seul Abbott a fermé son centre d'Angleterre pour s'installer en Russie où c'est moins cher....

M. François Autain, président. - En tout cas, ils investissent moins dans la recherche que dans le marketing. A mettre sur le marché des médicaments pas plus efficaces que les anciens, on tue la recherche. Nous avons besoin de médicaments, non pour faire vivre la recherche, mais pour soigner les patients. Je ne dis pas qu'il ne faut plus financer la recherche ; il faut le faire mais par d'autres moyens.

M. Jean-François Bergmann - Dans les années quatre-vingt, ce fut l'âge d'or de la recherche, où l'on a découvert beaucoup de produits nouveaux. Nous voudrions tous avoir encore de belles AMM pour de nouveaux produits et de bonnes ASMR à 1, 2 ou 3. Mais que faire face à l'industriel qui se lance, investit 2 milliards, développe un produit, puis n'aboutit qu'à un résultat de non-infériorité ? On lui refuse la mise sur le marché ? Si vous prenez des décisions législatives en ce sens, il nous sera facile de les appliquer. La Finlande a fait cela il y a quelques années. Résultat ? Il n'y a plus là-bas aucun laboratoire qui ait développé quoi que ce soit.

M. François Autain, président. - Les médicaments bénéficiant de l'AMM sont automatiquement remboursés. C'est donc l'assurance maladie qui finance la recherche par le biais de ces médicaments que vous mettez sur le marché uniquement pour que l'industrie puisse continuer à faire de la recherche mais aussi rémunérer grassement ses actionnaires.

M. Jean-François Bergmann. - Jusqu'à nouvel ordre nous sommes dans une économie libérale et, dans notre pays, on n'a pas encore décidé d'administrer la recherche pharmaceutique. Et si, demain, on la limite à l'Inserm et au CNRS, les laboratoires iront ailleurs, aux Etats-Unis, en Suisse ou au Japon qui regroupent déjà 65 % de l'industrie pharmaceutique.

M. François Autain, président. - Les laboratoires cherchent, mais trouvent de moins en moins. On continue de mettre sur le marché des médicaments inutiles, à seule fin de perpétuer une recherche qui ne trouve pas grand-chose d'utile.

M. Jean-François Bergmann. - Il y a quand même des nouvelles spécialités qui sont utiles. Et lorsque vous commencez une recherche, vous espérez mais ne savez pas d'avance ce que vous trouverez.

M. François Autain, président. - C'est la même chose pour n'importe quelle industrie où il arrive de mettre au point une nouveauté que le consommateur n'apprécie pas.

M. Jean-François Bergmann. - Dans ce monde du médicament, le libre choix ou le plaisir du consommateur n'existent pas et c'est là la difficulté. On peut avoir l'impression qu'un médicament permettra à un patient d'aller mieux mais ce ne sera pas valable pour un autre patient. Cette impression n'a pas de valeur scientifique. Ce secteur souffre de l'absence d'outils de mesure d'efficacité... et de la crédulité des prescripteurs.

M. François Autain, président. - Sont-ils entièrement responsables ?

M. Jean-François Bergmann - Ils sont coresponsables. En tant qu'enseignant, je tente de former les futurs médecins au bon usage du médicament, et à l'esprit critique. Mais, ensuite, intervient le rouleau compresseur des visiteurs médicaux, des porte-clés et autres « stylobilles ». C'est David contre Goliath ! Et le médecin français est ce que, en marketing, on appelle « un prescripteur rapide ». Il aime beaucoup le médicament moderne et, dans notre pays, la vitesse de pénétration d'un nouveau produit est beaucoup plus rapide qu'ailleurs.

M. François Autain, président. - Je lis dans Le Monde : « Jean-François Bergmann met le doigt sur le cancer qui ronge l'hôpital public et, hélas, l'ensemble de la médecine française ». « Le soin aux malades est devenu une industrie qui doit faire du profit. D'où le déluge de scanners, d'IRM, d'appareils de plus en plus coûteux. Il faut les user, les amortir, les remplacer. Leurs fabricants sont à la porte dans l'attente fébrile de nouvelles commandes » etc., etc. Je suis tout à fait d'accord. Mais le médicament dans tout cela ?

M. Jean-François Bergmann. - C'est pareil.

M. François Autain, président. - Vous l'avez oublié ? On pourrait croire que vous n'avez pas de liens d'intérêts avec les fabricants de scanners mais que vous en avez avec l'industrie pharmaceutique.

M. Jean-François Bergmann. - J'ai très souvent écrit sur le médicament et, là, dans cet article « Trois maladies de l'hôpital public », j'ai abordé d'autres aspects de la question. J'ai écrit dans Le Monde, une fois sur les évaluateurs et plusieurs fois sur le médicament et la FMC. Le scannographiste qui explique que son scanner précédent est démodé est exactement comme mes enfants qui réclament la Nintendo 4 pour remplacer la Nintendo 3 obsolète.

M. François Autain, président. - Oui, mais la Nintendo n'est pas remboursable par la sécurité sociale...

M. Jean-François Bergmann. - Le visiteur médical incite le praticien à prescrire le médicament le plus moderne et non le générique. Je suis le premier à dénoncer ce système mais c'est notre système, celui que le législateur a voulu.

M. François Autain, président. - Dans Le Monde, vous aviez défendu le Vioxx...

M. Jean-François Bergmann. - J'y écrivais qu'on n'avait pas tenu compte des hémorragies digestives. Aujourd'hui, en termes médiatiques, provoquer un infarctus, c'est un crime, mais provoquer une hémorragie digestive, c'est moins grave. C'est l'éternel problème du rapport bénéfice-risque. Il aurait fallu mesurer le nombre d'infarctus induits et celui des hémorragies digestives évitées. Merck a retiré le Vioxx du marché après avoir comparé le coût d'indemnisation d'un infarctus américain avec le profit qu'il retirait de ce produit. En AMM, il aurait fallu étudier les données de pharmacovigilance et celles de l'efficacité du produit.

M. François Autain, président. - C'est sans doute pourquoi vous avez mis l'Arcoxia sur le marché...

M. Jean-François Bergmann. - L'Arcoxia a été mis sur le marché par une AMM européenne à laquelle la France s'était opposée. L'Afssaps a utilisé toutes les arguties pour tenter d'empêcher cette mise sur le marché.

M. Daniel Vittecoq. - Elle l'a tenté pendant trois ans et n'a cédé qu'après une menace de sanction européenne.

M. François Autain, président. - Beaucoup de médecins prescrivaient le Vioxx en même temps qu'un inhibiteur de la pompe à protons. C'était ceinture et bretelle...

M. Daniel Vittecoq. - En dehors de l'étude Mucosa, aucune autre étude ne démontre que l'association IPP et anti-inflammatoire non stéroïdien diminue l'incidence des hémorragies digestives. Donc c'est une prescription un peu conjuratoire. Un échec de plus...

M. François Autain, président. - J'espère que beaucoup de médecins vous entendront. Merci et peut-être à bientôt.