Mardi 3 mai 2011

- Présidence de M. Claude Jeannerot, président -

Table ronde - Associations de chômeurs et de salariés précaires

La mission commune d'information auditionne, lors d'une table ronde, des représentants d'associations de chômeurs et de salariés précaires : M. Alain Marcu, chargé de mission, et Mme Catherine Quentier, représentants d'AC ! Agir ensemble contre le chômage, Mme Hela Khamarou et M. Yannick Comenge, représentants de Génération précaire, M. Marc Desplats, président, Mme Marie Lacoste, secrétaire, et M. Robert Scalese, représentants du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), M. Patrick Boulte, vice-président, et Mme Sophie Bonnaure, déléguée générale, de Solidarités nouvelles face au chômage (SNC).

M. Claude Jeannerot, président. - Mesdames et messieurs, je suis heureux, au nom de la mission commune d'information relative à Pôle emploi, de vous accueillir au Sénat. Je vous remercie d'avoir accepté ce moment de partage et d'échange avec nous.

Cette rencontre est importante à nos yeux car nous avons beaucoup entendu les acteurs du service public de l'emploi. Mais il nous paraît essentiel d'entendre votre point de vue sur la manière dont Pôle emploi accueille, indemnise et accompagne les demandeurs d'emploi. Vous êtes vous-même quotidiennement au contact des chômeurs ou des salariés précaires et votre expérience de terrain est, au regard des objectifs que nous nous donnons, irremplaçable. Nous sommes intéressés par les suggestions et les propositions que vous pourriez nous faire afin que Pôle emploi améliore son offre de services au bénéfice des demandeurs d'emploi. Notre but n'est pas seulement de dresser un état des lieux du fonctionnement de Pôle emploi. C'est surtout, à partir du diagnostic que nous en ferons, de formuler des recommandations et des préconisations afin que Pôle emploi fonctionne mieux dans l'intérêt de ses bénéficiaires.

M. Alain Marcu, chargé de mission à AC ! Agir ensemble contre le chômage. - Nous avons lu avec attention le compte rendu de l'audition de M. Christian Charpy. Nous avons rencontré M. Christian Charpy, bien avant la création de Pôle emploi, mais pour ce faire, nous avions dû occuper les locaux de l'ANPE, à la suite de quoi il nous avait accordé un entretien. Nous avons retrouvé dans les propos qu'il a tenus devant la mission d'information les mêmes éléments que lors de cet entretien : Pôle emploi est un service public animé par des salariés de droit privé, avec des critères de rentabilité. Il y a là une grande distance avec notre appréciation de ce que doit être réellement un service public de l'emploi.

M. Christian Charpy argumente ensuite en rappelant l'explosion du chômage, dans une situation économique que chacun connaît. Dans une telle situation, l'accueil des chômeurs, dont le nombre a augmenté, suppose de leur accorder du temps et ceci vaut pour tous les types de demandeurs d'emploi : jeunes, salariés ayant occupé un emploi unique au cours de leur carrière, chômeurs de longue durée, chômeurs de plus de cinquante-cinq ans, etc. Or, tout a été fait pour « rentabiliser » l'activité de Pôle emploi. C'est pourquoi les entretiens sont courts, vingt à vingt-cinq minutes selon le portefeuille de chaque conseiller. Nous avons demandé à M. Christian Charpy si un demandeur d'emploi pouvait résumer ses compétences en vingt-cinq minutes d'entretien. Je note qu'il n'a pas répondu à cette question. Toujours est-il que la mission de service public n'est pas remplie, car les moyens permettant d'effectuer le « profilage » des demandeurs d'emploi n'ont pas été réunis. Les conséquences qui en découlent sont connues : brièveté des rendez-vous, mauvais fonctionnement du 39 49... Cela se traduit aussi par des tracasseries qui expliquent un nombre élevé de radiations, sans parler des conséquences sur le plan humain. Nous allons l'observer dans un proche avenir car 680 000 chômeurs de longue durée vont être convoqués prochainement. Nous savons que cette opération donnera lieu à 10 % ou 15 % de radiations automatiques car, devant l'inutilité des services de Pôle emploi, il est probable qu'une telle proportion des demandeurs d'emploi de longue durée ne se présentera pas au rendez-vous. Je note que ce chiffre de 10 % à 15 % de radiations est cohérent avec l'objectif fixé par le ministre du travail, M. Xavier Bertrand, de faire diminuer de 55 000 le nombre de demandeurs d'emploi. Tout ceci me fait dire qu'un mécanisme est en train de se mettre en place pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage.

Mme Catherine Quentier, représentante d'AC ! Agir contre le chômage. - Les associations de chômeurs sont assez unanimes pour considérer que la fusion s'est faite à marche forcée et n'était pas très réfléchie. Nous pensions qu'il s'agissait du mariage de la carpe et du lapin, compte tenu des fonctions très différentes remplies par l'ANPE et les Assedic. Nous en avons très rapidement vu les effets, avec du personnel insuffisamment formé et en sous-effectif. Les chômeurs peinaient à trouver des réponses à leurs questions, ce qui dégradait le climat dans les agences, car les chômeurs attendent des réponses claires et précises. Cette situation a duré longtemps. Elle s'est peut-être un peu stabilisée aujourd'hui mais cela dépend des endroits. Nous recevons des échos différents suivant les agences de Pôle emploi concernées.

La situation s'est améliorée là où les deux fonctions remplies par Pôle emploi, indemnisation et placement, sont représentées à l'accueil dans les agences. Il manque toujours du personnel et le suivi est toujours aussi difficile car le personnel a encore trop de demandeurs d'emploi à suivre. Les beaux chiffres que M. Christian Charpy met en avant, soixante-dix demandeurs d'emploi par « portefeuille », dans le langage de Pôle emploi, constituent une moyenne. En réalité, ce nombre peut atteindre cent, cent cinquante ou deux cents demandeurs d'emploi. Les employés de Pôle emploi ont fait grève récemment car ils n'en peuvent plus. L'offre de services est donc toujours dégradée et des sanctions interviennent car les chômeurs ne pouvant pas tous être reçus, ils sont convoqués à des entretiens téléphoniques à leur domicile : il leur est demandé d'être chez eux à une heure précise. Ils reçoivent un ou deux jours plus tard un courrier et même s'ils étaient là, on leur annonce qu'ils n'étaient pas là, sous des prétextes injustifiés, ce qui se traduit par leur radiation temporaire. Ceci s'est produit récemment encore - même si les radiations injustifiées ont toujours eu lieu.

Pour le reste, il existe un surcroît de travail qui nous inquiète du point de vue de l'accueil des chômeurs de longue durée. M. Christian Charpy nous annonce aussi que l'appel d'offres à l'intention des opérateurs privés de placement sera réduit des deux tiers. Il en résultera un afflux de travail supplémentaire pour le personnel de Pôle emploi et nous voyons mal comment celui-ci pourra l'absorber, compte tenu de la réduction du personnel. Il existe ainsi des aberrations que nous ne comprenons pas.

Nous pensons que des dépenses injustifiées ont été effectuées comme nous l'avons dit à M. Christian Charpy, que nous rencontrons régulièrement dans les comités nationaux de liaison. Les associations de chômeurs ont souligné que le recours à des prestataires privés constituait, à leurs yeux, une gabegie financière. En outre, la fusion a requis des investissements immobiliers mal calculés et cela a entraîné un coût considérable pour Pôle emploi.

Mme Hela Khamarou, représentante de Génération précaire. - Nous faisons partie du collectif Génération précaire qui s'est constitué en 2005 sur la base d'un appel lancé sur Internet pour défendre les stagiaires. Avec la situation de crise, nous voyons de plus en plus des gens qui cumulent des stages, des CDD ou des expériences d'intérim et qui se retrouvent face à Pôle emploi. Je parlerai ici des jeunes qui sont confrontés pour la première fois à Pôle emploi et qui n'ont souvent pas connu l'ANPE.

Je rappelle que Pôle emploi a des missions étendues en matière d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement des personnes à la recherche d'un emploi ou d'une formation, de versement des allocations, de prospection du marché du travail et de collecte des offres d'emploi.

Lorsque nous avons été invités à nous exprimer devant votre mission d'information, nous avons collecté les témoignages des membres de notre collectif. Nous avons d'abord relevé une inadéquation entre la formation des demandeurs d'emploi et l'interface informatique utilisée par Pôle emploi qui, pour certains d'entre nous, ne comportait pas, à sa création en décembre 2008, notre diplôme ou notre catégorie de recherche d'emploi. Cela a conduit à une prise en compte approximative, voire fantaisiste, suivant les cas, des demandes. Les conseillers nous disaient clairement que cela les conduirait à nous proposer des offres ne correspondant pas à notre profil.

Il est possible d'adresser des questions par mail, par l'intermédiaire du site internet de Pôle emploi, qui promet une réponse en vingt-quatre heures. En réalité, il faut souvent plusieurs jours, voire un mois pour avoir une réponse. Nos interlocuteurs nous invitent souvent à contacter un conseiller par téléphone, au motif que ce mode de contact est beaucoup plus simple. Il s'avère cependant que la plate-forme téléphonique ne dispose pas des compétences requises et ferme très tôt. Elle ne répond pas aux questions auxquelles nous sommes confrontés. Or un jeune qui entre sur le marché du travail a de nombreuses questions et reste souvent sans réponse.

Chaque conseiller doit suivre plus d'une centaine de demandeurs d'emploi. Les chiffres fournis font effectivement état de soixante à quatre-vingt dix demandeurs d'emploi par conseiller. Des documents officiels révélés par Le Canard enchaîné ont fait état de plus de trois cents demandeurs d'emploi par conseiller dans certains sites. Il en résulte l'annulation de rendez-vous, faute de temps, à tel point que certains demandeurs d'emploi attendent pendant des mois un rendez-vous. Ils sont informés par courrier ou par téléphone de l'annulation de leur rendez-vous. A titre d'exemple, j'attends un rendez-vous depuis plus de trois mois.

Dès lors qu'un conseiller propose une offre d'emploi à un demandeur, nous entendons souvent dire que l'offre ne correspond pas au profil du candidat. Un profil est établi lors de l'inscription du demandeur à Pôle emploi. Un salaire minimum est alors défini mais celui-ci est généralement bien supérieur à ce qui nous sera proposé par la suite. Une conseillère a par exemple fixé à 2 400 euros le salaire minimum d'une collègue de niveau Bac + 5. Lorsqu'un emploi lui a été proposé, il s'agissait d'une mission d'intérim de vingt jours rémunérée 1 200 euros. Si l'on définit un niveau de salaire minimum en fonction du niveau d'études, je pense que nous sommes en droit d'attendre que ce niveau de rémunération soit atteint.

Le manque de personnel est manifeste. Quelques mois après la fusion des Assedic et de l'ANPE, nous étions dans un contexte de hausse du chômage. Aussi a-t-il été décidé d'embaucher 1 840 personnes à Pôle emploi. Dix-neuf mois plus tard, la direction de Pôle emploi a annoncé la suppression de 1 800 postes. Au total, quarante nouveaux postes ont donc été créés, alors que le nombre de demandeurs d'emploi s'est accru de plusieurs centaines de milliers dans l'intervalle, ce qui n'a pu qu'aggraver les problèmes posés par le manque de personnel. On observe par ailleurs un manque de connaissances criant de la part du personnel, qui connaît mal les secteurs d'activité. En outre, nous sommes souvent ballottés d'une agence à une autre. Il est par exemple demandé à des journalistes ou à des intérimaires de s'orienter vers un bureau spécialisé et nous sommes transférés d'un conseiller à un autre. Dans certains cas, le conseiller nous suggérait de supprimer quelques diplômes sur un CV, qui était jugé surqualifié.

Des motifs d'étonnement nous ont également été rapportés concernant les contrôles effectués lorsqu'il faut s'actualiser chaque mois. Cette étape est souvent perçue de façon humiliante car nous sommes réellement à la recherche d'un emploi. Il s'agit d'un travail en soi mais nous devons prouver notre bonne volonté. En tant que jeunes et précaires, nous sommes considérés comme des parasites de la société, de la mauvaise herbe et des paresseux. Nous avons l'image du chômeur fraudeur. Nous sommes nécessairement mauvais. Le suivi mensuel obligatoire ou les stages de coaching ne servent pas à grand-chose, quand il y reste des places.

Cela nous humilie encore davantage et en tant que jeunes, nous refusons d'être la variable d'ajustement du marché du travail ou de l'insertion. Nous avons des compétences. Il n'est pas normal d'être confronté à tant de difficultés avant même d'avoir mis un pied sur le marché du travail.

Il existe un besoin de transparence, notamment face aux pratiques abusives de radiation. Il existe une politique du secret au sein de Pôle emploi, où les effectifs sont insuffisants. Les grèves au sein même de l'institution attestent de l'ambiance délétère qui y règne. Il existe aussi un besoin considérable de formation du personnel de Pôle emploi. Au moment de la création de Pôle emploi, il avait été décidé d'inviter chaque conseiller à une formation de trois à sept jours. Ce projet a très vite été abandonné. Nous nous retrouvons face à des conseillers très gentils mais on ne demande pas à un conseiller d'être gentil. Son rôle est de nous aider à trouver du travail. Un jeune à la recherche d'un emploi, a fortiori dans un contexte de crise, n'a aucune connaissance de ses droits, des aides qu'il peut demander, s'il a droit à des indemnités chômage ou au RSA, etc. Ce sont des questions que les jeunes se posent. La fusion Assedic-ANPE a créé de nombreuses perturbations. On peut citer notamment le cas des intermittents du spectacle, qui sont moins bien pris en compte dans le nouveau système. Il se pose le problème de l'actualisation mensuelle obligatoire. Aucune prestation réelle n'est proposée au titre des missions « officielles » de Pôle emploi de conseil, d'orientation et d'accompagnement. Je terminerai par la formule d'un jeune demandeur d'emploi qui nous a dit : « L'accompagnement, avant d'être efficace, il faudrait qu'il existe. » Je n'ai pas parlé des entreprises mais nous pourrions aussi évoquer cet aspect.

M. Yannick Comenge, représentant de Génération précaire. - Il ne faut pas nécessairement accabler Pôle emploi car c'est aussi la vision du chômeur par la société qui est en cause. J'ai quatre-vingts mois de chômage, la plupart du temps sans indemnisation. J'ai dû me débrouiller de cette façon. La vision de la société nous renvoie toujours l'image du fraudeur, du fainéant, etc. Autour de moi, au sein d'associations de chômeurs qui sont parfois des associations locales, j'ai rencontré des gens qui se sentent plutôt « périmés ». A quarante ans, un professionnel du marketing qui a l'expérience du montage d'opérations de grande ampleur à titre bénévole se voit souvent rejeté par le marché du travail au motif qu'il serait dépassé. Cette vision, qui émane des employeurs et des directions des ressources humaines, est catastrophique et Pôle emploi peut difficilement agir de ce point de vue, si ce n'est, peut-être, pour tenter de décourager ces comportements désastreux. Certains partis politiques nous voient aussi en tant que fraudeurs et fainéants. Il est catastrophique de nous renvoyer ces images. Je côtoie, pour ma part, de nombreuses personnes qui font tout pour s'en sortir. Parfois, le travail gratuit est accepté en espérant un jour obtenir un CDI ou un CDD. Imaginez ce que l'on peut ressentir lorsqu'on s'entend dire, à l'âge de quarante ans, que l'on est « périmé », alors même que l'espérance de vie augmente et que nous serons tous amenés à travailler de plus en plus longtemps.

Pour faire évoluer la vision de la société vis-à-vis des demandeurs d'emploi, il faut voir comment se compose la population des demandeurs d'emploi. Nous avons des gens surqualifiés avec des diplômes de niveau bac + 5 ou bac + 8 qui sont malgré tout au chômage. Ces formations ont coûté à la société de 100 000 euros à 300 000 euros, dans certains cas, par exemple pour un chercheur dans le nucléaire ou en biologie. Ces gens-là se trouvent aujourd'hui au chômage et ne parviennent pas toujours à s'en sortir.

Mme Marie Lacoste, secrétaire du Mouvement national des chômeurs et précaires.  Le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) est une fédération d'associations locales qui reçoivent quotidiennement des chômeurs et précaires sur l'ensemble du territoire. Le MNCP existe depuis plus de vingt ans. Je viens, pour ma part, d'une association toulousaine.

Nous avons préparé, en prévision de cette rencontre, un document élaboré localement dans nos associations. Il prend la forme d'un cahier de doléances intitulé « propositions pour un Pôle emploi humain et efficace ». Telles sont, en effet, les deux principales pistes d'amélioration que nous identifions pour Pôle emploi.

Nous constatons que la fusion a été réalisée à marche forcée. Les agents n'ont pas été suffisamment formés : une formation de trois jours est extrêmement courte pour apprendre comment fonctionne le système d'indemnisation dans notre pays. Nous constatons que les personnels ne sont pas compétents, si tant est qu'une personne puisse être compétente pour répondre à des questions aussi différentes que l'indemnisation et l'accompagnement. Il existe aussi un considérable manque de personnel et donc de disponibilité pour recevoir les demandeurs d'emploi. Il faut absolument trouver des solutions pour que les compétences qui étaient celles de l'ANPE et des Assedic soient exercées par des personnes dédiées, au travers d'un accueil physique ou téléphonique. Le 39 49 permet d'orienter plus facilement les demandeurs d'emploi vers une personne plus compétente. Nous sommes en relation avec les syndicats de Pôle emploi et il est assez amusant de constater que les agents ont souvent conservé leur ancienne fonction. Dès qu'une personne est confrontée à une question à laquelle elle ne sait pas répondre, elle peut ainsi faire appel à un collègue plus spécialisé.

Nous demandons davantage de moyens pour cette énorme machine qui gère de plus en plus de personnes. La fusion a été faite à marche forcée pour des raisons très politiques, alors même que la crise faisait sentir ses effets. Pôle emploi a ainsi été confronté à un afflux important de demandeurs d'emploi et des problèmes sont apparus dans la gestion des dossiers. Les choses se sont un peu améliorées du point de vue des retards dans le traitement des dossiers. Ceci témoigne cependant du fait que Pôle emploi n'était pas en mesure de répondre à un afflux de dossiers soudain. Souhaitons qu'une crise ne se produise pas chaque année... Toujours est-il que cet afflux ne se dément pas, alors que le nombre d'agents tend à diminuer. Le manque de moyens de Pôle emploi a en tout cas été relevé dans un rapport de l'inspection générale des finances.

Il existe par ailleurs une confusion insupportable entre la mission d'accompagnement et la fonction de contrôle et de sanction. Comment peut-on être à la fois juge et partie ? Cette situation a pour conséquence une perte de confiance des demandeurs d'emploi dans leur conseiller, ce qui est très grave. Comment peut-on faire confiance à une personne qui a la possibilité de vous supprimer pendant deux mois les allocations qui vous permettent de vivre ? Une personne qui subit une radiation pendant deux mois ne peut plus payer son loyer, se nourrir ou payer ses charges pendant cette période. Les conséquences de telles radiations sont très graves. Du coup, nous savons que les agents utilisent cette sanction avec parcimonie.

Cette sanction s'applique toutefois aux demandeurs d'emploi qui ne se présentent pas à un entretien. On peut être absent à une convocation pour de multiples raisons, mais Pôle emploi considère que certaines raisons sont valables et d'autres non. Si votre voiture tombe en panne, Pôle emploi considère ainsi que ce n'est pas une raison valable. Si vous êtes malade, vous pouvez fournir un certificat du médecin. Dans le cas d'une panne de voiture, il ne viendrait à l'esprit de personne de demander une attestation à son garagiste. Je citerai un autre exemple éloquent : à Toulouse, il existe des quartiers en difficulté où l'acheminement du courrier est complexe et où de nombreuses lettres se perdent. Une personne ne recevant pas son courrier de convocation à un entretien a peu de chances de s'y présenter et risque d'être sanctionnée alors que seules les défaillances du système d'acheminement du courrier sont en cause. C'est pourquoi nous avons demandé à Pôle emploi d'envoyer aux demandeurs d'emploi des courriers avec accusé de réception. Cela coûte cher. Si une telle mesure ne peut être mise en oeuvre pour des raisons de coût, l'absence au contrôle ne doit pas être sanctionnée de cette manière. C'est absolument intolérable. La fonction de contrôle appartenait aux directions départementales du travail avant d'être transférée aux agents de Pôle emploi. La situation actuelle doit cesser. Nous en arrivons à des situations ubuesques et parfois très conflictuelles au sein des agences. Ces dernières années, des agences ont brûlé. Des agents ont été insultés, voire molestés. Des vitrines ont été cassées. On ne peut pas réellement s'étonner que l'on en arrive à des situations pareilles.

Un autre point est central à nos yeux : la relation entre les demandeurs d'emploi et leur conseiller référent. La communication devient virtuelle entre ces deux intervenants. Peut-être est-ce plus simple pour les jeunes d'utiliser Internet mais de nombreux demandeurs d'emploi n'ont pas d'ordinateur ni d'accès à Internet. Nous rencontrons régulièrement les directions départementales de Pôle emploi dans le cadre des comités locaux de liaison, qui sont des instances de dialogue social qui ont été « ranimées » depuis un an. Nous expliquons régulièrement aux directeurs de Pôle emploi que les demandeurs d'emploi n'ont pas de moyen de contacter leur agent. Lorsqu'on appelle le 39 49, il arrive souvent que l'agent soit indisponible, car en entretien. Si l'on ne dispose pas d'un accès à Internet, comment peut-on faire ? Ne pourrait-on pas au moins être autorisé à se déplacer dans l'agence afin de le rencontrer ou de rencontrer un autre agent ? La réponse est négative, car il faut de moins en moins de demandeurs d'emploi dans les agences de Pôle emploi. Une telle orientation est catastrophique. Pôle emploi gère de l'humain. Nous parlons de la vie des gens. Il nous paraît donc normal que des rencontres physiques puissent être demandées. Nous proposons des solutions dans notre document. Il faut réintroduire du lien et de l'humanité. Le rapport de M. Benoît Genuini, ancien médiateur de Pôle emploi, est tout à fait explicite à ce sujet.

Enfin, je voudrais évoquer la représentation des usagers. Depuis janvier 2010, ont été remis en place des comités départementaux de liaison. Y siègent des représentants des usagers qui font partie d'associations de chômeurs. Le dialogue peut se nouer dans ces lieux que nous jugeons très importants. Pour autant, les directeurs départementaux de Pôle emploi ont un pouvoir relativement restreint. Nous leur avons dit par exemple qu'il serait souhaitable que les coordonnées des associations locales de chômeurs figurent sur le site de Pôle emploi. Ils nous ont renvoyé, sur ce point, à la direction nationale de Pôle emploi. Nous pouvons le comprendre mais nous souhaiterions avoir la certitude que la direction nationale de Pôle emploi entendra nos préconisations.

Enfin, au-delà de la consultation au niveau local, nous jugeons fondamental qu'à terme un représentant des usagers soit présent au conseil d'administration de Pôle emploi.

Mme Sophie Bonnaure, déléguée générale de Solidarités nouvelles face au chômage. - Solidarités nouvelles face au chômage est une association de bénévoles, qui existe depuis 1985. Nous partons du principe que chacun, là où il vit et où il travaille, peut faire quelque chose pour aider des personnes en recherche d'emploi. Nous accompagnons des personnes en recherche d'emploi à travers un binôme de bénévoles, qui se réunit dans le cadre de groupes d'une quinzaine de personnes. Nous sommes ainsi en relation avec environ deux mille demandeurs d'emploi chaque année. Nous les accompagnons dans la durée et cet accompagnement, qui n'est pas institutionnel, dure aussi longtemps que nécessaire. Nos constats et préconisations sont tirés des échanges que nous avons quotidiennement avec les demandeurs d'emploi. En revanche, nous n'avons pas de capacité à établir un bilan global des deux mille personnes que nous accompagnons chaque année. Nous avons monté deux colloques avec le Mouvement national des chômeurs et précaires, en 2007 et 2008, en vue notamment de faire revivre les comités de liaison, qui nous paraissent extrêmement utiles du point de vue du fonctionnement de Pôle emploi.

M. Patrick Boulte, vice-président de Solidarités nouvelles face au chômage. - Nous recevons des personnes qui ont atteint, en quelque sorte, les limites du service public de l'emploi et qui restent sans solution. Nous les accompagnons dans leur recherche d'emploi. Nous effectuons ainsi un travail de « suppléance » par rapport à Pôle emploi et nous n'avons aucun élément d'évaluation de l'efficacité du travail de Pôle emploi dans ses deux fonctions majeures que sont l'aide à la recherche d'emploi et l'appariement d'une demande et d'une offre d'emploi.

Je voudrais d'abord rappeler que tout le monde a le droit de recourir aux services de Pôle emploi, que l'on soit en emploi, en formation, rémunérée ou non, ou employé dans le cadre d'un contrat aidé. Le fait qu'une personne occupant un emploi aidé ne puisse rester inscrite à Pôle emploi constitue une véritable aberration. Peut-être cet effet pervers découle-t-il du fait que Pôle emploi sert d'instrument de comptabilisation du chômage. Toujours est-il que cette situation est tout à fait anormale à nos yeux. J'ai encore vu récemment l'exemple d'une personne percevant l'allocation de solidarité spécifique (ASS) qui suivait une formation non rémunérée et qui a été radiée des listes de Pôle emploi alors qu'elle n'avait aucune ressource. Une telle décision est incompréhensible - en dehors des aspects statistiques que j'évoquais.

Je voudrais également évoquer l'économie des démarches qui incombent au demandeur d'emploi. Chaque fois qu'un manque de transparence est constaté, le demandeur d'emploi est « embarqué » dans des démarches inutiles. Il existe par exemple un dispositif nouveau d'aide individuelle à la formation, potentiellement très intéressant, auquel une page du site Internet de Pôle emploi est consacrée. Il semblerait que la mise en oeuvre de ce dispositif soit entourée de restrictions non explicitées et non publiées. Des demandeurs d'emploi vont ainsi se faire des idées fausses sur ce dispositif et rechercher les formations qui leur sont nécessaires mais risquent de se retrouver, une fois de plus, face à une déception en raison d'une règle cachée.

Tel était déjà le cas lorsque les Assedic existaient. Chaque agence avait une politique d'accès à la formation assortie d'un certain nombre de critères qui n'étaient pas rendus publics. De ce point de vue, le même type d'organisation prévaut.

Je ne reviendrai pas sur les difficultés qui ont été mises en lumière, de façon tout à fait appropriée, par les intervenants précédents. Je voudrais, en revanche, évoquer les difficultés d'accès au médiateur. Si l'on peut comprendre que le médiateur ne réponde pas instantanément aux demandes qui lui sont adressées, il est anormal qu'il réponde en quatre mois à un demandeur d'emploi qui l'a saisi. En renvoyant son interlocuteur à l'agent de Pôle emploi, le médiateur ne fait pas son métier.

Je voudrais enfin dire deux mots du système d'indemnisation du chômage. Il existe encore un déficit d'explication et de transparence face aux demandeurs d'emploi dans les modalités de calcul des droits. Cela ne permet pas au demandeur d'emploi de vérifier la bonne application de la règle et peut le mettre en situation d'abus sans qu'il ne s'en rende compte - avec toutes les conséquences que cela suppose.

Certains problèmes tiennent aux pratiques des employeurs, concernant notamment la remise de l'attestation d'emploi. Le problème se posait particulièrement avec les employeurs publics, dont les pratiques doivent aussi être abordées. Je sais que des améliorations ont été apportées récemment dans les pratiques des employeurs publics vis-à-vis de leurs employés contractuels, notamment en vue de la remise systématique de ce document. Je souhaitais simplement rappeler que tous les dysfonctionnements, dans la mise en oeuvre du service de Pôle emploi, ne relèvent pas de Pôle emploi.

Enfin, le rôle de Pôle emploi est essentiel dans l'accès des demandeurs d'emploi à la formation professionnelle. L'accord national interprofessionnel (ANI) de 2009, et la loi qui a suivi, ont constitué une avancée, dans la mesure où les demandeurs d'emploi n'étaient même pas mentionnés dans celui de 2003, mis à part pour les contrats de professionnalisation. La prise en compte de ce que j'appellerai la formation des « pré-embauchés » s'est ainsi améliorée. Il reste cependant de nombreuses choses à faire et Pôle emploi est irremplaçable dans ce domaine. Les partenaires sociaux ne sont pas bien placés pour porter les préoccupations des demandeurs d'emploi qui ne sont pas déjà pré-embauchés. Qui peut le faire, si ce n'est Pôle emploi ? S'agissant de la récupération de sommes sur le fonds de péréquation, le dialogue entre les partenaires sociaux, qui prélèvent des ressources pour la formation professionnelle, et les régions est très important.

La question du fonctionnement des instances paritaires régionales doit également être évoquée. Cet aspect nous intéresse beaucoup. Je reprendrai les mots qu'a employés, devant votre mission, M. Gaby Bonnand, le président de l'Unedic : « Il ne sera pas possible de travailler à des plans d'insertion et des plans de formation des demandeurs d'emploi correspondant aux besoins des entreprises si nous n'y associons pas leurs représentants dans les territoires. » Nous sommes intéressés par cette question.

S'agissant de l'adaptation de la formation, il y a aussi énormément à faire. On évoque souvent, à titre d'exemple, le problème de la reconversion des salariés. Dans un pays qui consacre, chaque année, plusieurs dizaines de milliards d'euros à la formation, il est choquant que ce soient des fonds d'origine caritative comme les nôtres qui financent des actions de formation au bénéfice des demandeurs d'emploi, de façon adaptée à leur problématique, car ils n'ont pas trouvé de réponse du côté du service public de l'emploi. Nous avons placé beaucoup d'espérance dans le fonctionnement du dispositif d'aide personnelle à la formation. Je pense que les agents de Pôle emploi ne se le sont pas encore approprié. Encore faut-il définir des axes de progrès. Pôle emploi ne définit pas ces axes de progrès et ce que nous venons d'entendre l'illustre bien.

Il y a un manque de transparence que nous avons pu constater dès les premiers pas de la fusion. Si des voies d'amélioration étaient définies, tous les acteurs auraient sans doute davantage d'espérance dans l'évolution du système.

Mme Sophie Bonnaure. - La création de Pôle emploi a apporté une simplification pour les demandeurs d'emploi mais elle n'a apporté aucune transparence. Elle a asséché la relation humaine et l'accompagnement n'est pas assuré. Il arrive trop tard, après quatre mois d'inscription. En Allemagne, le nombre d'agents assurant l'accompagnement des demandeurs d'emploi est deux fois plus élevé qu'en France. Cela montre qu'un meilleur accompagnement est possible et peut donner des résultats. Nous avons besoin d'un Pôle emploi humain et efficace. M. Christian Charpy souligne souvent que Pôle emploi traite le chômage de masse, ce qui semble sous-entendre que l'institution ne peut pas être efficace pour chacun. Il doit pourtant exister une solution permettant de le faire.

M. Claude Jeannerot, président. - C'est effectivement une belle synthèse en forme d'interrogation.

Monsieur Marcu, vous avez dénoncé les critères de rentabilité assignés à Pôle emploi. Mais ne peut-on accepter l'idée qu'un service public soit soumis à des critères d'efficience ? En première analyse, cela ne me semble pas contradictoire avec une authentique démarche de service public.

Une autre question porte sur la confusion des fonctions d'accompagnement et de sanction. Ne considérez-vous pas que l'on pourrait s'inscrire, vis-à-vis de Pôle emploi, dans une démarche contractuelle, au travers de laquelle le demandeur d'emploi demanderait à Pôle emploi un certain nombre de prestations, moyennant quoi il s'engagerait à être présent aux rendez-vous ? S'il ne peut y être présent, il doit se justifier dans un dialogue avec Pôle emploi mais j'ai cru comprendre que cela n'était pas possible. Il serait sans doute intéressant que vous y reveniez.

Monsieur Boulte, quelle évolution pourrait-on proposer pour la fonction du médiateur, puisque vous semblez dire qu'elle ne répond pas à son objet ?

Je laisse maintenant à mes collègues de la mission commune d'information le soin de s'exprimer.

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. - Il me paraît particulièrement intéressant de repérer, dans la discussion, les pistes permettant d'améliorer le fonctionnement de Pôle emploi. Les comités de liaison en constituent un exemple. Leur création est récente et je n'ai pas bien compris quelle était la fréquence de leurs réunions. Cela me paraît constituer une voie de progrès, pourvu que les interlocuteurs se trouvant face à vous soient en mesure de vous apporter des réponses.

Une autre voie de progrès me semble résider dans la fonction du médiateur. Nous avons reçu l'actuel médiateur de Pôle emploi et son prédécesseur. Nous avons un peu l'impression que le médiateur manque de moyens et que sa présence sur le terrain est assurée au travers d'un mécanisme complexe. Les médiateurs régionaux sont intégrés dans la structure de Pôle emploi et ne semblent pas disposer d'une autonomie suffisante. Quel regard portez-vous sur le rôle du médiateur et celui-ci peut-il constituer un mécanisme de correction ou d'adaptation de cette composante essentielle du service public de l'emploi qu'est Pôle emploi ?

Rappelons que le service public de l'emploi ne se réduit pas à Pôle emploi. De multiples autres organismes fonctionnent sur le terrain. Pôle emploi constitue-t-il, à vos yeux, un « guichet unique » qui simplifie le dispositif ou existe-t-il une sorte d'émulation, du fait de la multiplicité d'intervenants, qu'il vous paraît nécessaire de maintenir ?

Enfin, à qui avez-vous posé la question de la représentation des associations au conseil d'administration de Pôle emploi et quelles sont vos relations avec les organisations syndicales sur ce sujet ?

Mme Annie David. - Je voudrais vous remercier car au travers de vos interventions, nous nous sommes rendu compte de la diversité des demandeurs d'emploi et des travailleurs précaires. Il était intéressant notamment d'entendre les difficultés que peuvent rencontrer les jeunes arrivant sur le marché de l'emploi, qui ne sont pas toujours identiques à celles rencontrées par ceux qui ont atteint les limites de ce que peut offrir le service public de l'emploi.

Vous avez jugé insuffisamment opérant le 39 49. Nous avons visité une plate-forme téléphonique et, pour avoir vu les conditions de travail des agents qui animent ce service, j'ai eu beaucoup d'admiration à leur égard. Force est de constater qu'ils sont courageux et j'ai trouvé que les réponses qu'ils apportaient aux demandeurs d'emploi au téléphone étaient de qualité, au regard des moyens dont ils disposent. Je souhaiterais donc mieux comprendre en quoi vous jugez cette plate-forme insuffisamment efficace. Je comprends que vous déploriez le manque de contact humain et d'humanité dans ce type de service mais nous savons que les moyens humains de Pôle emploi ne seraient pas suffisants pour répondre, dans le cadre d'un accueil physique, à l'ensemble des demandes. Que préconiseriez-vous, dès lors, en termes de modification ou d'évolution du service apporté par le 39 49 ?

Vous nous avez dit que les systèmes informatiques ne permettaient pas de tenir compte de tous les diplômes existants. Il serait sans doute nécessaire de revoir l'ensemble du système informatique pour prendre en compte les nouveaux diplômes. Quelles améliorations identifiez-vous dans ce dispositif ? Personnellement, je n'ai pas voté en faveur de la fusion car les métiers du placement et de l'indemnisation sont distincts. Je ne suis pas opposée en soi à leur regroupement dans un même lieu, si cela peut simplifier les démarches du demandeur d'emploi. Il me semblait toutefois nécessaire de conserver une spécialisation de ces deux métiers. Maintenant que la fusion a été réalisée, comment faire pour améliorer la situation ?

Enfin, vous avez rappelé des cas d'agression qui se sont produits dans des agences de Pôle emploi. Ce fut le cas encore récemment à Grenoble, où un agent présent au guichet a reçu un coup de poing. Je comprends qu'il existe de l'agressivité. La généralisation de la présence d'un accueil de premier niveau, permettant d'orienter le demandeur d'emploi vers un conseiller en placement ou un conseiller en indemnisation, vous semble-t-elle de nature à diminuer le niveau de tension et d'incompréhension qui existe parfois dans certaines agences ?

M. Alain Marcu. - La rentabilité suppose un retour sur investissement. La recherche d'efficience consiste à savoir si un résultat est jugé satisfaisant, pour un temps de travail donné. On peut estimer que la nouvelle structure de Pôle emploi n'est pas efficiente, mais comme il s'agit d'un service public, il ne doit pas y avoir de notion de rentabilité : l'Etat détermine si ce service public répond aux missions qui lui sont confiées et le niveau des ressources qui doivent y être consacrées. Il s'agit donc d'une question d'efficience et non de rentabilité. Si l'on veut définir des critères économiques, ce qui ne paraît pas aberrant, il conviendrait d'abord de ne pas mettre en concurrence le service public de l'emploi avec des sociétés privées. Comme nous l'ont appris les organisations syndicales, le coût du placement d'un chômeur est sept fois supérieur lorsqu'il est effectué par un opérateur privé, ce qu'a admis M. Christian Charpy. Arrêtons de gâcher de l'argent public.

J'ai été cadre commercial et licencié à trois reprises. Dans l'exercice de mes fonctions, on m'a appris que le pouvoir d'une personne résidait dans sa faculté de dire non d'un trait de plume. Statutairement, le médiateur n'a aucun pouvoir. Il recommande au directeur d'agence ayant effectué une radiation de bien vouloir reconsidérer sa propre décision. Il lui est donc demandé d'être juge et partie. Donnez des pouvoirs au médiateur, qui doit être indépendant des structures de Pôle emploi pour commencer.

Il a été question des comités de liaison. Je rappelle que nous avons participé aux réunions du comité de liaison national, où siégeait la direction générale de Pôle emploi. Nous lui avons posé les mêmes questions que celles soulevées par nos collectifs régionaux et départementaux. Nous n'avons pas reçu davantage de réponses. Les comités de liaison sont une structure creuse, dans laquelle nous n'avons pas réellement voix au chapitre.

Il y aurait beaucoup à dire au sujet du 39 49, qui pourrait être une plate-forme de redirection des demandeurs d'emploi.

Mme Catherine Quentier. - Lorsqu'un demandeur d'emploi souhaite un rendez-vous pour s'entretenir avec un agent, il est souvent invité à prendre le téléphone pour appeler le 39 49. Certaines personnes d'origine étrangère rencontrent des difficultés pour utiliser ce service téléphonique, dans la mesure où un serveur vocal invite d'abord l'usager à prononcer des mots clés. S'il ne les prononce pas correctement, la situation se complique et le demandeur d'emploi peut perdre patience.

L'enquête de satisfaction réalisée auprès des usagers a laissé de côté un grand nombre d'usagers qui n'ont pas accès à Internet. De nombreux usagers ont déjà des difficultés lorsqu'ils doivent utiliser des machines ou des dispositifs automatisés en matière de recherche d'emploi ou pour actualiser leur dossier. Tout ceci contribue à la déshumanisation que nous dénonçons.

M. Claude Jeannerot, président. - Nous avons le sentiment, en dialoguant avec Pôle emploi, que le 39 49 et d'autres initiatives ont pour but de développer l'autonomie du demandeur d'emploi, c'est-à-dire sa capacité à rechercher lui-même les réponses à ses propres questions. C'est un souci d'efficacité qui est ainsi affiché. Nous pourrions revenir quelques instants sur ce point.

Mme Marie Lacoste. - Certaines personnes se sentent relativement autonomes dans leur recherche d'emploi. Pour elles, la rencontre mensuelle constituerait presque un fardeau. C'est souvent le cas de cadres ou de personnes très diplômées. C'est aussi le cas de personnes exerçant des métiers très atypiques, pour lesquels Pôle emploi est souvent démuni et reconnaît l'être. Un sportif de haut niveau a, par exemple, peu à attendre de Pôle emploi.

D'autres personnes ont besoin, au contraire, d'un accompagnement renforcé, qui leur soit adapté et qui ne soit pas vécu comme une contrainte. Certains demandeurs d'emploi sont orientés vers des prestataires privés tels qu'Adecco et croient que celui-ci ne leur proposera que des missions d'intérim... Il existe un réel problème de transparence.

Nous ne sommes pas opposés à l'existence d'une forme de contractualisation entre Pôle emploi et le demandeur. Cependant, le jeu est faussé par ce que l'on pourrait appeler la carotte et le bâton. Un directeur d'agence de Pôle emploi m'a dit : « Dans un pays où, lorsqu'on brûle un feu rouge et que l'on risque de mettre en péril sa vie et celle des autres, l'on risque une amende de 90 euros, il est totalement disproportionné de perdre deux mois de revenu parce qu'on n'a pu se présenter à un rendez-vous. » Je partage cette analyse : il existe une disproportion entre la « faute » commise et la sanction appliquée. Les termes du contrat ne sont donc pas justes et les demandeurs d'emploi le perçoivent ainsi.

M. Claude Jeannerot, président. - Lorsqu'un demandeur d'emploi est absent à un rendez-vous fixé par Pôle emploi, la radiation n'intervient pas immédiatement après. Je crois qu'il reçoit une deuxième convocation.

Mme Marie Lacoste. - L'absence du demandeur d'emploi est enregistrée dans le système informatique, ce qui déclenche l'envoi d'un courrier fixant un délai dans lequel le demandeur d'emploi doit justifier son absence. Comme je l'ai indiqué, certaines raisons sont jugées recevables par Pôle emploi et d'autres ne le sont pas. Si un demandeur d'emploi est absent parce que son enfant est malade, il doit présenter un document du pédiatre en attestant.

M. Claude Jeannerot, président. - Pouvez-vous nous confirmer qu'il ne suffit pas d'affirmer que l'on n'a pas pu se rendre à un rendez-vous et en solliciter un deuxième ?

Mme Marie Lacoste. - Je puis vous l'assurer. Les critères d'absence sont extrêmement stricts. Je connais certaines personnes qui n'ont pu se présenter au rendez-vous parce qu'elles participaient, au même moment, à un entretien d'embauche. Pôle emploi leur a demandé de fournir un document de l'employeur attestant la réalité de cet entretien, faute de quoi elles allaient être radiées ! Récemment, une personne de plus de cinquante ans a été convoquée à une réunion collective qui vaut entretien. Cette réunion devait avoir lieu à 9 heures. A 9 heures, lorsqu'elle arrive dans l'agence, cette personne est informée que la réunion a été reportée à 14 heures. Pôle emploi a indiqué à cette personne, lorsqu'elle s'est étonnée de ne pas avoir été prévenue, que l'agence n'avait pas eu le temps de l'informer. La personne a indiqué qu'elle ne pourrait être présente l'après-midi dans la mesure où elle avait rendez-vous chez le médecin. Son interlocuteur lui a demandé d'annuler son rendez-vous chez le médecin, en ne lui laissant aucun autre choix. La dame a alors protesté et la personne qui se trouvait à l'accueil de Pôle emploi lui a dit : « Si vous n'êtes pas contente, vous savez ce qui va se passer. Cela peut aller très vite. » Lorsqu'on emploie ce ton dans une agence, il est clair que cela peut susciter des réactions un peu vives. Cette femme vit avec l'ASS, c'est-à-dire 420 euros par mois. Si elle a l'impression d'être maltraitée dans une agence, alors qu'elle se considère déjà comme une « sous-citoyenne », cela ne donne évidemment pas envie d'y retourner par la suite.

Les comités de liaison existent depuis la loi de lutte contre les exclusions de 1998. Ils ont mal fonctionné au départ et leur fonctionnement a été revu. Toutes les conditions sont aujourd'hui réunies pour qu'ils fonctionnent bien. C'est maintenant une question de volonté. Les directeurs territoriaux ont un rôle à jouer. Rouvrir des toilettes fermées après la mise en oeuvre du plan Vigipirate paraît un minimum. Disposer de chaises pour s'asseoir lorsqu'on consulte le site de Pôle emploi constitue aussi un minimum. Ces décisions peuvent être prises localement. A une échelle nationale, les comités nationaux de liaison se réunissent deux fois par an pendant deux heures. Mais M. Christian Charpy ne respecte pas les ordres du jour qui ont pourtant été fixés en commun et nous estimons que les réponses apportées sont extrêmement insuffisantes. Il ne sert à rien de créer des comités de liaison si l'on ne prend pas en compte les demandes qui y sont présentées. Ils mourront de leur belle mort et nous serons les premiers à le déplorer si nous continuons ainsi. Nous avons adressé une demande très claire au conseil d'administration de Pôle emploi, qui doit se réunir spécifiquement sur cette question.

M. Pierre Boulte. - Concernant le médiateur, je pense que celui-ci devrait être nommé par le conseil d'administration et lui rendre compte.

M. Claude Jeannerot, président. - Aujourd'hui, le médiateur est salarié de Pôle emploi. Son patron est donc le directeur général de Pôle emploi.

M. Pierre Boulte. - Sa fonction est d'aider les demandeurs d'emploi à résoudre les problèmes qu'ils rencontrent dans leurs relations avec Pôle emploi. Elle ne consiste pas à renvoyer les demandeurs d'emploi avant qu'une solution n'ait été trouvée et qu'une position n'ait été arrêtée. Il est très important de maintenir la qualité de la médiation et d'aller jusqu'au bout de la fonction de médiation. Il semble qu'il y ait eu une dégradation de cette fonction.

La question de la formation me paraît également très importante. Les divers acteurs du service public de l'emploi, au sens large (régions, associations, partenaires sociaux, Pôle emploi) doivent se rencontrer sur ce sujet. Le problème consiste à savoir qui convoque les réunions. Au niveau régional, les services de l'Etat semblent très absents de ces débats et nous ne parvenons jamais à rencontrer la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Il ne me semble donc pas possible que les services de l'Etat soient la « puissance invitante ». Les régions seraient probablement réticentes pour jouer ce rôle. Les partenaires sociaux n'ont pas vocation à s'intéresser aux problèmes des demandeurs d'emploi stricto sensu et ne joueront donc pas un rôle moteur. Il faudrait que cette fonction soit remplie par Pôle emploi mais ce dernier n'a pas nécessairement la capacité politique de convoquer les différents acteurs.

Nous avions demandé, en 2004, une auto-saisine du Conseil économique et social sur cette question. Le Président du Conseil économique et social avait accueilli favorablement cette demande mais cette position n'a pas été suivie par la section en charge du travail. La question de l'accès des demandeurs d'emploi à la formation a donc été très peu prise en charge au fil des années. Une commission quadripartite s'est réunie en 2009 mais je ne sais pas si elle a évoqué la façon dont pourrait s'organiser le débat et qui devrait convoquer les réunions. Il faudrait se reporter aux travaux de l'époque car la question se pose. Celle-ci me paraît en tout cas fondamentale compte tenu de la nécessité d'impliquer les partenaires sociaux dans le problème de l'utilisation des fonds de la formation, afin d'éviter que l'Etat ne vienne prélever les sommes qui seraient considérées comme non utilisées. Les régions, quant à elles, sont des acteurs de la formation professionnelle, y compris pour les demandeurs d'emploi.

M. Pierre-Edouard Magnan, représentant du Mouvement national des chômeurs et précaires. - Pôle emploi est peut-être l'un des seuls établissements publics administratifs de ce pays qui n'intègre pas les usagers dans son conseil d'administration. Le MNCP n'a pas vocation à représenter les salariés, même si nous en accueillons dans nos locaux. Les organisations syndicales sont des partenaires que nous rencontrons et avec qui nous apprécions de travailler aujourd'hui - ce n'était pas aussi vrai il y a vingt ans. Il n'en demeure pas moins que les organisations syndicales représentatives, selon la loi, ne représentent pas les chômeurs.

M. Claude Jeannerot, président. - Elles représentent les actifs, parmi lesquels figurent les demandeurs d'emploi.

M. Pierre Boulte. - Si les organisations syndicales avaient représenté les demandeurs d'emploi, l'accord de 2003 n'aurait pas été ce qu'il fut.

M. Pierre-Edouard Magnan. - Les organisations syndicales siègent au sein du comité national de liaison ou dans les comités départementaux de liaison. Je ne vois donc pas pourquoi nous ne siégerions pas au conseil d'administration de Pôle emploi. Il s'agit d'une demande récurrente de notre part et je note que la position des organisations syndicales évolue, puisque celles-ci n'y semblent plus opposées. Il ne s'agit donc pas d'un sujet de friction mais il me paraît important que chacun exerce son métier. Les organisations syndicales ont été fondamentalement conçues pour représenter les personnes qui travaillent et qui sont en activité au sens premier du terme. Tel n'est pas le cas des chômeurs - ce qui ne signifie pas que ceux-ci soient inactifs. Il serait normal que les demandeurs d'emploi soient présents au sein du conseil d'administration de Pôle emploi par le biais des organisations qui les représentent.

Je souhaiterais également revenir sur la question des prestataires privés. Je n'ai jamais croisé un demandeur d'emploi qui se soit déclaré satisfait de leurs services, ce qui est assez étonnant. Cela soulève de réelles interrogations. Je suis encore plus frappé de constater que Pôle emploi se dit incapable de nous fournir une évaluation de l'activité de ses prestataires. Soit c'est vrai, auquel cas le directeur général de Pôle emploi est incompétent ; soit c'est un mensonge, auquel cas la situation est tout aussi grave. Je suis prestataire de collectivités. Si je répondais la même chose aux collectivités dont je suis prestataire, elles me renverraient à bon droit à mes études. Je ne trouve pas choquant que l'on sollicite des prestataires lorsqu'on ne dispose pas d'une compétence en interne, à condition que l'on me démontre que cette prestation remplace une compétence que l'on n'a pas ou que le prestataire réalise mieux l'activité considérée. Jusqu'à nouvel ordre, Pôle emploi est incapable de faire cette démonstration, ce qui constitue un réel problème.

Enfin, je voudrais dénoncer l'infantilisation permanente dont sont victimes les demandeurs d'emploi. Lorsque je me rends au comité national de liaison, j'ai parfois l'impression d'être un délégué de classe que les enseignants condescendent à recevoir et à écouter avant de l'envoyer s'ébattre dans la cour de récréation pendant que les enseignants prennent des décisions. Nous ne sommes pas des délégués de classe et les chômeurs ne sont pas des élèves. Nous sommes des adultes et nous avons droit à une représentation. Pôle emploi n'est pas un lycée et les agents de Pôle emploi ne doivent pas être placés dans la posture de surveillants ou d'enseignants. Agir en ayant ces représentations en tête conduirait tout droit à l'échec, vis-à-vis des chômeurs comme vis-à-vis de leurs organisations représentatives.

Mme Sophie Bonnaure. - La mise en place des comités de liaison auprès de l'ANPE s'était soldée par un échec car l'information n'était que « descendante » dans ces instances, qui passaient une heure et demie à examiner les statistiques fournies par l'agence. Ce risque existe de nouveau aujourd'hui. Pôle emploi a décidé de conduire une étude afin de savoir comment ces comités fonctionnent et mettre en évidence les bonnes pratiques. Nous ne sommes pas du tout sûrs que ce dispositif soit pérenne car la réunion et l'échange ne font manifestement pas partie de la culture des directeurs locaux de Pôle emploi.

Il semble aussi que les référentiels « métier » n'évoluent pas assez vite. Les codes ROME de Pôle emploi n'évoluent pas aussi vite que les métiers à l'intérieur des entreprises. Il faut rechercher plus rapidement cette adéquation avec le terrain.

Enfin, il arrive que le fonctionnement de Pôle emploi gêne celui des prestataires. J'ai appris cela aujourd'hui. Des prestataires perdent des marchés et ne peuvent accompagner les demandeurs d'emploi car Pôle emploi n'est pas en mesure d'organiser des séances d'information collective, c'est-à-dire de réunir quinze demandeurs d'emploi qui pourraient être accompagnés, faute d'effectifs suffisants au sein de Pôle emploi. Une telle situation est à peine croyable mais force est de constater qu'elle pénalise les prestataires et les demandeurs d'emploi.

Mme Hela Khamarou. - La question des codes ROME est une question technique qui n'a rien d'insurmontable. Il suffit de regarder ce qui se fait et de mettre à jour ces codes. Cela n'a rien de compliqué.

Les demandeurs d'emploi qui le souhaitent peuvent désormais recevoir des informations par texto. Ils peuvent notamment être rappelés à l'ordre par ce moyen lorsqu'ils ont oublié d'actualiser leur dossier. Cependant, lorsqu'on est à la recherche d'un emploi, on ne pense pas toujours à actualiser son dossier à la fin du mois. Pourquoi un texto ne pourrait-il pas être envoyé quelques jours avant l'échéance et pas seulement lorsque le demandeur d'emploi a oublié de s'actualiser ?

S'agissant du 39 49, peut-être les demandeurs d'emploi hautement qualifiés et les jeunes sont-ils plus à même de gérer ce type de service téléphonique, qui est en revanche inadapté au profil et aux attentes d'une grande masse de demandeurs d'emploi. La technologie n'est pas nécessairement bonne pour tous.

Enfin, Pôle emploi cautionne, à mes yeux, la précarisation de l'emploi. Je suis titulaire d'un diplôme de niveau bac+5 et le salaire minimum estimé pour mon profil a été fixé à 2 700 euros. Je signerais immédiatement un CDI à ce niveau de rémunération. En tant que jeune sur le marché du travail depuis trois ans, je sais trop bien, hélas, que cela ne se produira pas. Même les CDD sont très rares. Lorsque je reçois une offre d'emploi, il s'agit plutôt d'un emploi à mi-temps au sein d'une ONG pour une activité qui correspond à peu près à mon profil mais avec une rémunération équivalente au Smic. Je suis jeune mais je ne suis plus étudiante. Je n'ai pas besoin d'un mi-temps pour financer mes études. J'ai besoin d'un emploi. Il faut se rendre compte que Pôle emploi est du côté des employeurs et leur facilite la tâche, qui consiste souvent, dans un environnement de crise économique, à brader les emplois et en particulier les emplois des jeunes.

M. Claude Jeannerot, président. - Je voudrais remercier chacun d'entre vous pour la richesse de vos observations. Je vous invite à nous transmettre éventuellement par écrit les informations complémentaires que vous souhaiteriez nous communiquer.

Audition de M. Bertrand Hébert, directeur du développement des activités institutionnelles et partenariales de l'association pour l'emploi des cadres (Apec)

M. Claude Jeannerot, président. - Je remercie M. Bertrand Hébert d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaitons que cette audition permette de mettre en évidence la nature des relations que l'association pour l'emploi des cadres (Apec) entretient avec Pôle emploi. Vous avez longtemps été un cotraitant de Pôle emploi et j'ai cru comprendre que la nature de ces relations était en train de changer. Vous nous éclairerez à ce sujet. Vous nous expliquerez également la façon dont l'Apec organise son offre de services en direction des demandeurs d'emploi et des entreprises, en complémentarité de celle de Pôle emploi. Je vous propose que vous commenciez par une première intervention d'une quinzaine de minutes.

M. Bertrand Hébert, directeur de l'Apec. - Monsieur le Président, je vous remercie. Je vous prie d'excuser l'absence du directeur général de l'Apec, qui a été retenu par des obligations qui sont d'ailleurs liées à la fin de la cotraitance que vous évoquiez et au passage à une relation de sous-traitance. Cette évolution a impliqué une réorganisation en profondeur de l'Apec, sur laquelle je reviendrai.

Les origines de l'Apec remontent à 1954. Des groupes de cadres et de chefs d'entreprise appartenant au patronat chrétien du Nord de la France ont souhaité se mobiliser en faveur de leurs salariés les plus formés qu'ils considéraient indispensables et au développement économique du pays.

M. Claude Jeannerot. - L'Apec a ainsi été créée avant l'ANPE, dont la création date de 1967.

M. Bertrand Hébert. - Exactement. L'ANPE a été créée par M. Jacques Chirac, sous la forme d'un établissement public.

En 1966 est intervenu un accord entre les partenaires sociaux, c'est-à-dire le centre national du patronat français (CNPF) pour le patronat et les cinq grandes organisations syndicales : Force ouvrière (FO), la confédération française démocratique du travail (CFDT), la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (CFE-CGC) et la confédération générale du travail (CGT), qui sont les membres fondateurs et les seuls administrateurs de droit de l'Apec. Dans le cadre de ce « paritarisme pur », c'est-à-dire un paritarisme dans lequel l'Etat n'intervient pas dans les décisions de l'association, seuls les membres signataires de l'accord ont vocation à diriger la structure.

Cette démarche était visionnaire de la part des partenaires sociaux, car il n'existait alors pas de chômage des cadres en France. Les partenaires sociaux ont anticipé ce qui allait advenir dans les secteurs des charbonnages, de la sidérurgie ou du textile. Ils étaient animés par une volonté claire : conserver des compétences sur leur territoire. L'Apec n'a pas donc eu d'emblée une vocation nationale. Il s'agissait de mettre en place, dans certains bassins d'emploi, un accompagnement spécifique pour les cadres.

Le statut des cadres est particulier en France puisque sont considérés comme tels les salariés qui cotisent à une caisse de retraite relevant de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc). Celle-ci collecte les cotisations prélevées auprès des cadres du secteur privé et des entreprises, qui cotisent pour les cadres qu'elles emploient. N'en déduisez pas que les cadres du secteur public ne nous intéressent pas. Nous aurons certainement vocation à leur étendre, si nous en avons la possibilité, notre champ d'intervention, dans un marché du travail qui est beaucoup plus perméable qu'il ne l'était au moment de la création de l'association.

Dès son origine, l'Apec avait une mission de mise en relation et de fluidification du marché du travail. Il s'agissait de mettre à la disposition des entreprises qui recrutent les compétences adéquates. C'est ce qui explique notre mode d'organisation et notre façon de travailler aujourd'hui. L'Apec ne crée pas des emplois : ceux-ci sont créés par les entreprises. Mais il faut pouvoir offrir aux personnes en situation de mobilité professionnelle la possibilité de faire des choix. Telle était la dimension fondatrice de l'action de l'Apec. Très rapidement, nous sommes intervenus dans deux registres :

- la préparation des personnes à leur positionnement sur le marché de l'emploi ;

- la relation présentielle avec l'entreprise, afin de recueillir ses besoins en termes de recrutement et de les diffuser.

Au fil des années, par solidarité, les partenaires sociaux ont souhaité que le positionnement de l'Apec s'élargisse à la prise en charge des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, à partir du niveau bac + 4. Tel fut le cas à partir de 1972. Ce seuil est resté en l'état, même si la réforme « LMD » (licence - master - doctorat) a modifié sensiblement les niveaux de diplômes. Pour l'instant, tout du moins, le conseil n'a pas décidé de modifier cette gradation même s'il est probable qu'une telle décision intervienne au cours des mois qui viennent. La plupart des conventions collectives prévoyaient un accès automatique au statut « cadre » à partir d'un niveau de diplôme égal à bac + 4, ce qui explique que ce seuil ait été retenu. En outre, les méthodes de préparation des personnes à l'accès au marché du travail n'étaient pas fondamentalement différentes pour les cadres et pour les jeunes diplômés.

Nos relations avec les entreprises nous ont éclairés sur leurs pratiques de recrutement. Au départ, nous avons commencé en diffusant des offres sur des feuilles de papier que nous mettions à la disposition de notre public dans les quelques centres qui existaient. Le nombre de cadres a progressé très rapidement en France et nous avons été amenés, au fur et à mesure de la croissance de l'Apec, à éditer un journal de petites annonces. La loi imposait toutefois à tout diffuseur d'annonces de proposer dans son journal une partie rédactionnelle d'une taille au moins équivalente à celle réservée aux petites annonces. Nous avons donc fait paraître un magazine, Courrier Cadres, dont la publication était fort coûteuse. Simultanément, nous assurions la diffusion de nos offres via des micro-fiches puis par le biais du minitel. Tout ceci a disparu le jour où Internet a pris l'ampleur, en termes de diffusion, que nous connaissons aujourd'hui. Courrier Cadres, qui était un journal déficitaire et dont le passif était comblé par les cotisations de nos adhérents, n'existe donc plus aujourd'hui. Aujourd'hui, nous investissons essentiellement dans les outils de mise en relation dématérialisés.

Nous avons dû tenir compte des évolutions profondes de notre environnement économique. La France compte aujourd'hui 3,6 millions de cadres. Selon les derniers chiffres de l'Insee, le taux de chômage s'élève à 4,1 % ou 4,2 % dans cette population, contre 2,8 % avant la crise de 2008. Il est donc beaucoup plus faible que celui de l'ensemble de la population active. Nous constatons même une pénurie de candidatures dans un certain nombre de secteurs d'activité car une forme de reprise se fait jour et bénéficiera d'abord à des niveaux de compétences élevés, nécessaires au développement de ces entreprises.

A cela s'ajoutent des évolutions d'ordre juridique. Entre 1966 et nos jours sont intervenues plusieurs étapes de la construction européenne, qui s'est accompagnée d'une réglementation nouvelle, laquelle s'impose également à l'Apec. Nous savons que la Commission européenne est particulièrement vigilante en matière de distorsion de concurrence. S'agissant de l'Apec, la Commission s'est interrogée, il y a quelques années, quant à la qualification que l'Etat français souhaitait donner à la cotisation obligatoire qui nous est versée par les cadres et les entreprises. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a ainsi considéré que cette cotisation constituait une aide d'Etat et il a été demandé au conseil d'administration de l'Apec de déterminer le mandat de service public qui justifiait cette aide. Cette question a fait l'objet d'un premier rapport de la Cour des comptes, qui notait que les dispositions en vigueur au sein de l'Apec étaient loin d'être satisfaisantes au regard de la réglementation européenne, des règles concurrentielles et des impératifs en termes de comptabilité analytique.

Un deuxième rapport, émanant de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), a émis un certain nombre de recommandations, en particulier du point de vue des relations avec Pôle emploi. La position de la Commission européenne et de l'Etat concernant la cotisation, assimilée à une aide d'Etat devant correspondre à un mandat de service public, conditionne la relation que l'Apec a avec son environnement. Je parlerai du « marché solvable ». Il ne s'agit pas, à travers ce terme, de vouloir tout rendre marchand. Force est cependant de constater qu'il existe des services pour lesquels la collectivité paie et un marché de prestation de services. Nous ne déterminons pas la nature lucrative ou non des champs dans lesquels nous intervenons. Seul le marché détermine cette nature.

Je prendrai l'exemple de l'accompagnement des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur ou des étudiants en fin de cycle. Cette activité n'entre pas, a priori, dans le cadre d'activités marchandes. Si un ministre décide que, pour aider les jeunes diplômés, l'on passera par une procédure d'appel d'offres public, cela devient du jour au lendemain un service marchand solvabilisé. Dans une telle hypothèse, nous ne pouvons plus utiliser la cotisation pour accompagner les jeunes diplômés. Nous devenons un prestataire de services comme les autres, un « opérateur privé de placement » selon les termes de la loi.

La difficulté du positionnement de l'Apec porte sur la définition du mandat de service public et sur la mise en conformité avec les recommandations de l'Igas, qui s'appuient sur des données juridiques et économiques incontestables. Nous devrons d'abord améliorer la présentation analytique de notre comptabilité, ce qui n'est pas la chose la plus difficile à faire. Plus largement, il s'agira d'exprimer de façon beaucoup plus précise, dans un mandat de service public, la façon dont nous nous engageons à utiliser le produit des cotisations. La logique est celle des coûts unitaires a priori : nous devons indiquer, en début d'année, la façon dont nous allons utiliser les 100 millions d'euros de cotisations que nous recevons des entreprises et des cadres. Il peut s'agir d'accompagner, par exemple, dix jeunes diplômés pour un coût unitaire de 1 000 euros chacun. En fin d'année, nous devons rendre des comptes à l'Etat quant à la façon dont nous avons exécuté la mission convenue avec lui. Si nous n'avons accompagné que la moitié des jeunes, nous entrons dans un mécanisme dit de « surcompensation » qui permet à l'Etat de reprendre le trop-perçu par l'Apec. Ce système n'existait pas auparavant. La cotisation étant d'origine privée, les partenaires sociaux oubliaient qu'elle était autorisée par l'Etat, ce qui en faisait quasiment une « para-fiscalité ». L'Etat a donc un droit de regard sur son utilisation et un droit de reprise, à travers le mécanisme de surcompensation dans l'exemple que j'ai décrit.

Un autre exemple justifie l'existence, dans notre activité, d'une partie non lucrative correspondant au mandat de service public et d'une partie marchande correspondant à un certain nombre de prestations facturées. Jusqu'à présent, la diffusion des offres était préfinancée par la cotisation, et donc perçue comme gratuite par les entreprises. Aujourd'hui, il s'agit d'un marché aussi privé qu'on puisse l'imaginer. Nous sommes le deuxième support en termes d'audience derrière RégionsJob, premier diffuseur d'offres sur le web. Cela dit, RégionsJob fait payer sa diffusion. Si nous ne faisions pas payer notre diffusion en utilisant pour cela la cotisation, nous serions attaquables au motif d'une distorsion de concurrence. Notre conseil d'administration devra donc faire un choix consistant à évoluer soit vers le paiement des offres, soit vers la création de nouvelles activités marchandes venant compenser l'absence de gains réalisés sur la diffusion des offres, qui resterait alors gratuite. La publicité sur le web pourrait constituer une source de revenus non négligeable. L'Apec exerce donc aujourd'hui une mission correspondant à un mandat de service public et un certain nombre d'activités marchandes qui concernent essentiellement nos relations avec les entreprises.

L'Apec a toujours entretenu des relations avec l'ANPE puis avec Pôle emploi. Nous avons rencontré des difficultés qui étaient liées parfois à des questions de personnes ou des problèmes d'indépendance de gestion. Un organisme comme le nôtre, qui a toujours souhaité rester dans un paritarisme pur, a souvent perçu d'un oeil méfiant un partenaire public parfois envahissant.

La crainte d'une absorption est réelle pour une association de 800 salariés comme l'Apec, d'autant plus que certains ont imaginé, encore très récemment, qu'il serait utile que nos structures fusionnent pour constituer « le grand service public de l'emploi » dont tout le monde rêve depuis des années. Cette éventualité a été envisagée par plusieurs gouvernements de sensibilités différentes, dans le souci de servir le demandeur d'emploi. Cependant, l'Apec ne se positionne pas vis-à-vis des demandeurs d'emploi mais vis-à-vis des cadres et des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur. Si nous ne nous adressions qu'aux demandeurs d'emploi, notre public serait composé de 130 000 personnes. Je ne relativise pas ce que représente le chômage pour ces personnes mais cela représente peu de chose sur le plan macroéconomique. Si l'Apec devait concentrer l'essentiel de son activité sur le traitement du chômage, son action ne serait que curative. Les conseils d'administration de l'Apec ont demandé de longue date que les problématiques de carrière soient gérées par anticipation. Cela répond à une caractéristique sociologique du marché de l'emploi français. En France, on ne peut pas échouer : l'évolution professionnelle doit être constante. On ne peut avoir exercé des fonctions de direction et occuper ensuite une fonction d'ajusteur dans une usine. Cela n'existe pas. En outre, notre système est pyramidal. Une personne qui ne gère pas sa carrière très tôt dans son parcours connaîtra immanquablement des périodes de chômage et celles-ci seront d'autant plus dures qu'elle ne les aura pas anticipées.

Il convient aussi de rappeler que le marché de l'emploi n'est pas un marché de plaisir. Personne ne s'amuse à chercher du travail. Il s'agit d'une tâche difficile que nul n'effectue spontanément. J'ai été fonctionnaire et je suis passé par des entreprises privées. Même lorsqu'on sait que ses jours sont comptés dans une entreprise, il est compliqué de commencer à répondre à des petites annonces et de bâtir une démarche globale. Tous les cadres seront confrontés, de plus en plus souvent, à des ruptures professionnelles. Nous sommes donc entrés de plain-pied dans une démarche de sécurisation des parcours professionnels. Le public de l'Apec n'est pas segmenté suivant son âge ou sa situation au regard de l'emploi et du chômage : quel que soit son statut, une personne ayant cotisé est un ayant-droit des services de l'Apec pendant toute sa vie. Telle est la « promesse » de l'Apec, en termes de marketing et là se trouve l'enjeu pour l'association.

Le nombre de cadres que nous accompagnons est voisin de 40 000, en flux, et nous avons l'objectif de le faire augmenter. Nous sommes actuellement confrontés aux jeunes diplômés qui ont connu la crise. Cessons de confondre le chômage des jeunes et celui des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, qui n'ont rien à voir. Le chômage des jeunes est très important en France. Celui des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur est beaucoup plus faible. La meilleure garantie contre le chômage reste le niveau de diplôme.

Le passage de la cotraitance à la sous-traitance répond à une problématique liée aux marchés publics. Les montants en jeu sont importants : dans le cadre de la cotraitance, nous recevions environ 20 millions d'euros par an pour accompagner 35 000 cadres. La notion de cotraitance implique une relation de gré à gré qui pouvait être contestée sur le plan juridique. Un certain nombre d'opérateurs privés de placement se sont émus que l'Apec soit le destinataire de ce marché dans le cadre d'une attribution de gré à gré. C'est pourquoi une procédure d'appel d'offres a été introduite. L'Igas proposait que l'Apec ne se substitue pas à Pôle emploi mais intervienne de façon complémentaire. L'offre de services qui sera présentée aux jeunes diplômés, aux cadres et aux entreprises sera donc différenciée par rapport à l'intervention de Pôle emploi aujourd'hui.

Mme Annie David. - Si j'ai bien compris, tous les cadres cotisent, de même que les entreprises. Il s'agit donc de financements privés.

M. Bertrand Hébert. - Il s'agit de financements privés mais un arrêté d'extension rend la cotisation obligatoire. Dès lors que la cotisation est rendue obligatoire, elle est considérée comme une aide d'Etat.

Mme Annie David. - A quoi correspond le montant de 20 millions d'euros que vous avez mentionné, pour 35 000 cadres suivis par l'Apec.

M. Bertrand Hébert. - Ce montant correspond à ce que nous recevions dans le cadre de la relation de cotraitance. Récemment, dans le cadre de notre nouvelle relation de sous-traitance, nous avons répondu à l'appel d'offres de Pôle emploi. Ce fut sans doute une erreur.

M. Claude Jeannerot, président. - Pour quelle raison ?

M. Bertrand Hébert. - Nous avons du mal à trouver un équilibre économique dans la réalisation de cette prestation.

M. Claude Jeannerot, président. - Vous aviez, de fait, une sorte de monopole que vous avez perdu sur la cotraitance.

M. Bertrand Hébert. - De fait, nous étions seuls destinataires du marché de gré à gré. Nous sommes passés dans un champ concurrentiel.

M. Claude Jeannerot, président. - Vous n'avez pas le choix. Vous êtes obligés de passer par les appels d'offres.

M. Bertrand Hébert. - Nous pourrions ne pas y répondre.

M. Claude Jeannerot, président. - Mais, dans ce cas, vous n'existeriez pas en matière d'accompagnement.

M. Bertrand Hébert. - Nous n'existons pas si nous nous positionnons à travers une offre de services qui aurait vocation à se substituer à celle de Pôle emploi ou qui lui serait équivalente. Mais la logique du positionnement de l'Apec n'est pas du tout celle-là. Sur cent cadres qui s'adressent à nous, soixante-dix sont en activité et nous sollicitent dans une logique d'anticipation de leur carrière professionnelle. Pôle emploi ne les verra jamais. De plus, supposons que nous ne soyons pas du tout dans la relation de sous-traitance. Un cadre est suivi par Pôle emploi et éventuellement accompagné par un des prestataires ayant remporté l'appel d'offres. Si le cadre qui a cotisé à l'Apec souhaite venir rencontrer un consultant de l'Apec, qu'il s'agisse d'un conseil pour sa lettre de motivation, son CV ou son évolution de carrière, nous assurerons cet accompagnement. Nous le ferons pour tous les cadres qui ont cotisé. Ce principe traduit une évolution fondamentale dans la manière de penser au sein de l'Apec.

M. Claude Jeannerot, président. - Si je comprends bien, vous pouvez aujourd'hui faire l'économie du recours à l'appel d'offres. Vos adhérents cotisent et la législation européenne vous laisse toute liberté de garder un lien exclusif avec vos adhérents.

M. Bertrand Hébert. - Absolument, à la condition que nous ne prétendions pas faire la même chose que Pôle emploi car la même mesure ferait alors l'objet d'un double financement.

M. Claude Jeannerot, président. - Mais, dans la réalité, vos deux interventions seront largement similaires. Prenons l'exemple d'un adhérent de l'Apec qui s'inscrit dans une démarche d'anticipation. S'il devient demandeur d'emploi, il conserve ce lien avec l'Apec, qui lui apportera le même accompagnement. Je ne vois pas où est la différence.

M. Bertrand Hébert. - La différence résidera dans le contenu de l'offre de services et dans sa forme, notamment du point de vue de la fréquence des rendez-vous. L'approche extrêmement modélisée du retour à l'emploi que nous avons apprise à travers notre relation avec Pôle emploi n'est pas le schéma le plus efficace. Que nous voyions un cadre une fois ou cinquante fois, l'objectif est que nous l'ayons mis en relation dans les plus brefs délais avec une entreprise et que cela se traduise par un contrat de travail.

M. Claude Jeannerot, président. - Dans la réalité, un cadre demandeur d'emploi va chez Pôle emploi et chez vous à la fois.

M. Bertrand Hébert. - Certes. L'Igas disait explicitement qu'il ne serait plus possible, pour les cadres demandeurs d'emploi, d'être suivi par l'Apec au titre de la cotisation, dès lors que celle-ci constitue une aide d'Etat et que la puissance publique finance déjà Pôle emploi. Il n'y a aucune raison pour que la puissance publique paie deux fois pour le même service. Il fallait donc différencier les services. Cette notion s'est un peu estompée mais demeure présente en droit. Il s'agit d'une contrainte européenne. Ce serait entrer dans une rivalité ridicule de prétendre que l'Apec est meilleure que Pôle emploi. Simplement, nous accompagnons un public segmenté, spécifique et nous ne faisons que cela.

M. Claude Jeannerot, président. - En outre, ce public paie pour ce service.

M. Bertrand Hébert. - Tout à fait.

Mme Annie David. - Les relations avec les entreprises constituent aussi une spécificité de votre association.

M. Bertrand Hébert. - Cela constitue une énorme différence. Nous avons toujours eu des équipes de consultants dédiées à la relation avec les entreprises et présentes auprès de ces dernières, sans se contenter d'une relation à distance. Je ne méprise pas, cependant, la relation à distance. Chacun peut accéder aujourd'hui aux services de l'Apec sur son iPhone en téléchargeant l'application dédiée.

M. Claude Jeannerot, président. - Si vous me permettez de caricaturer un peu, un demandeur d'emploi cadre ne considère-t-il pas Pôle emploi comme une contrainte nécessaire liée à son indemnisation tout en misant plutôt sur l'Apec pour son accompagnement dans la recherche d'emploi ?

M. Bertrand Hébert. - Je connais la difficulté de l'exercice pour Pôle emploi, qui doit gérer le placement et l'indemnisation, dans des conditions objectivement difficiles, avec des différences de statut, d'expérience, avec des situations de rupture, etc. Des profils de ce type peuvent exister dans le public de l'Apec mais les volumes en jeu ne sont pas les mêmes. Le temps qui peut être consacré à l'accompagnement d'une personne et à son positionnement sur le marché du travail n'est évidemment pas le même.

M. Jean-Etienne Antoinette. - Les statistiques montrent qu'un cadre a plus de chances de trouver un emploi qu'un ouvrier. Mais ne nous invitez-vous pas à faire évoluer Pôle emploi en spécialisant son intervention par niveau de qualification ?

M. Bertrand Hébert. - Pôle emploi a déjà évolué en ce sens, notamment pour les cadres puisqu'il dispose d'agences qui leur sont dédiées. Il se pose néanmoins un problème de temps disponible pour les conseillers, qui sont absorbés par un ensemble d'activités considérable. En outre, j'ai vu des agences de Pôle emploi dédiées aux cadres être créées, supprimées, puis réapparaître ailleurs, etc. Pour autant, il convient de reconnaître que Pôle emploi est soumis à des contraintes de taille et de couverture du territoire que nous n'avons pas. Nous pouvons proposer des réponses telles que le travail à distance, dans la mesure où 99 % des cadres utilisent la micro-informatique à domicile. Si je propose un jour un entretien par visioconférence à un cadre qui habite à cent kilomètres d'un centre Apec, je pourrai proposer ce service pour un coût modique, en incluant l'envoi à nos frais d'une caméra à cette personne. Certains publics ont un accès aisé à ces technologies. Ce n'est pas le cas de l'ensemble de la population française. L'Apec travaille avec un public plus facile à accompagner de ce point de vue.

M. Claude Jeannerot, président. - Quelle part du marché des offres d'emploi des cadres l'Apec capte-t-elle et comment sa performance se compare-t-elle à celle de Pôle emploi ?

M. Bertrand Hébert. - Nous détenons 85 % du marché des cadres, pour ne pas dire davantage.

M. Claude Jeannerot, président. - Qu'en est-il de Pôle emploi pour le marché des cadres ?

M. Bertrand Hébert. - Cela ne voudra bientôt plus dire grand-chose car nous nous mettons en situation de mutualiser la diffusion des offres.

M. Claude Jeannerot, président. - Ceci confirme l'intuition que je livrais tout à l'heure. Il existe une telle distorsion dans le domaine de l'intermédiation que les demandeurs d'emploi vont à l'Apec pour retrouver un poste et se rendent à Pôle emploi pour leur indemnisation.

M. Bertrand Hébert. - Nous avons retenu des études que nous avons conduites que les gens attendent de la personnalisation et de la spécialisation dans leurs rapports avec leur conseiller. Nous sommes en mesure de leur donner satisfaction sur ces deux points. Dans le secteur du bâtiment, il est difficile de recruter aujourd'hui un chef de chantier cadre. Pour parler avec un tel professionnel du secteur, il faut connaître le bâtiment. Cela sera aussi un avantage pour parler avec une entreprise du bâtiment.

Mme Annie David. - Les jeunes diplômés, qui n'ont pas encore cotisé à l'Apec, peuvent-ils venir vous voir ?

M. Bertrand Hébert. - Ils le peuvent en effet. Comme je l'indiquais, c'est un choix de solidarité fait par les partenaires sociaux.

Mme Annie David. - Vous souligniez, à juste titre, la nécessité de ne pas confondre le chômage des jeunes et celui des jeunes diplômés. Il n'en demeure pas moins que les jeunes diplômés qui entrent sur le marché du travail rencontrent des difficultés, notamment du point de vue de leur rémunération.

M. Bertrand Hébert. - Nous constatons un effet de rotation qui est plus important pour les jeunes diplômés entrant sur le marché du travail. Il existe, pour chaque poste, un prix de marché qui est aisément identifiable. Nous avons d'ailleurs sur notre site internet un « analyseur de marché » qui permet à chaque cadre et à toute entreprise de se positionner en termes de salaire ou au regard du contenu d'un poste. Si une personne « vaut » 50 000 euros ou 200 000 euros par an, en fonction des métiers, de l'expérience, etc., nous le savons immédiatement. Il n'existe donc aucun enjeu de ce point de vue. La transparence est beaucoup plus grande que par le passé.

Mme Annie David. - Si un métier est répertorié sur votre site internet à un niveau de rémunération donné, un jeune embauché dans cette fonction sera-t-il nécessairement rémunéré à ce tarif-là ?

M. Bertrand Hébert. - On n'attire pas les mouches avec du vinaigre. S'il existe un trop grand décalage entre les qualités et les compétences du candidat et les caractéristiques du poste, la personne ne restera que deux mois et ira voir ailleurs.

M. Claude Jeannerot, président. - Au fond, vous êtes en train de nous dire que vous assurez, dans les faits, l'accompagnement à la recherche d'emploi des demandeurs d'emploi cadres, ce que nous comprenons dès lors que vous captez l'essentiel des offres d'emploi. Si j'étais le représentant de la puissance publique, je pourrais être tenté de pousser la logique plus loin : on pourrait ainsi se demander s'il ne serait pas logique de vous intégrer plus avant au sein de Pôle emploi en privilégiant une logique de « guichet unique » déjà mise en oeuvre en regroupant les Assedic et l'ANPE. Comment réagiriez-vous face à une telle proposition ?

M. Bertrand Hébert. - Ceci est théoriquement vrai. En pratique, toutefois, il est plus facile de gérer la productivité dans des unités de taille moyenne qu'avec des structures de très grande taille. Je pratique beaucoup la voile. On fait virer un swan beaucoup plus vite qu'un porte-avions.

M. Jean Desessard. - Je retiens de cet entretien que l'Apec est efficace parce qu'elle met en oeuvre une relation personnalisée avec les demandeurs d'emploi, de façon spécialisée et parce qu'il s'agit d'une structure souple qui permet d'adapter l'organisation au contexte d'un bassin d'emploi. Pôle emploi est en train de faire le contraire.

Mme Mireille Oudit. - Exactement.

M. Bertrand Hébert. - On a fait beaucoup de reproches à Pôle emploi au cours du processus de fusion, qui a été mis en oeuvre de façon extrêmement rapide. Je connais bien le directeur général, M. Christian Charpy, et je sais dans quelles conditions il a dû conduire ce processus. Je serais donc bien en peine de lui jeter la pierre. Si une petite structure comme la nôtre, que je qualifierai « d'agile », peut aider une structure importante et nécessaire, l'indemnisation n'étant pas une mince affaire à gérer, nous le ferons bien volontiers. C'est la raison pour laquelle nous aurions aimé rester dans la cotraitance. Le rapport de l'Igas prévoit d'ailleurs que nous puissions intervenir en complément de Pôle emploi en menant des actions différentes des siennes.

S'il faut trouver une solution juridique, je suis convaincu que des experts pourront trouver le schéma permettant à un tel modèle de fonctionner en accord avec les textes. Nous pouvons monter des projets avec la puissance publique dans une logique de co-investissement. Peu importe que l'on appelle cela une « subvention », une « compensation » ou par un autre nom. Il faut que le dispositif soit clair sur le plan de la gestion, de la comptabilité et de l'efficacité des services rendus. En tout état de cause, c'est toujours la collectivité qui paiera. Si nous sommes en mesure de définir des axes forts et de les faire valider par les partenaires sociaux, nous pouvons faire des choses intéressantes. Il est dommage que nous ayons trop peu de relations avec les représentants des partenaires sociaux qui siègent au conseil d'administration de Pôle emploi et qui revendiquent d'ailleurs un plus grand pouvoir de gestion de l'institution.

Mme Annie David. - J'ai l'occasion de rencontrer des cadres qui sont demandeurs d'emploi, parfois depuis longtemps. Ils sont naturellement affectés par cette situation et peinent à retrouver un emploi du même niveau que celui qu'ils occupaient. Comment l'Apec parvient-elle à accompagner ces cadres ?

M. Bertrand Hébert. - Nous ne sommes pas les seuls opérateurs. Nous pouvons rechercher auprès d'intervenants spécialisés un accompagnement psychologique ou en termes de formation lorsque cela apparaît nécessaire. Nous restons toujours fortement orientés vers la finalité de la démarche engagée. Nous faisons aussi varier la fréquence des entretiens avec ces personnes, sachant que ces temps-là sont extrêmement structurants pour les personnes qui viennent nous voir.

Enfin, l'Igas a estimé que le niveau des réserves de l'Apec, que les partenaires sociaux avaient souhaité constituer pour sécuriser la structure, était trop élevé. Ces réserves, qui atteignaient à un moment donné 100 millions d'euros, sont réaffectées dans des opérations spécifiques pour les demandeurs d'emploi de longue durée et pour des publics qui rencontrent davantage de difficultés.

M. Claude Jeannerot, président. - Merci pour votre franchise et pour la pertinence de vos propos. Si vous souhaitez compléter votre audition par une contribution écrite, nous en prendrons connaissance avec un grand intérêt.